La loi et l’image des femmes dans le jeu vidéo : un débat houleux
Chez Vonguru, nous sommes des passionnés, aux goûts différents. Cependant, si nous avons bien une chose en commun, c’est notre amour pour l’univers Geek au sens très large du terme. Jeux vidéo, films, séries, romans, comics, mangas, la technologie et on en passe. C’est avec cette passion commune que nous avons décidé il y a quelques temps maintenant de vous proposer une série d’articles un peu particuliers, afin de partager avec vous nos avis sur certaines thématiques en les croisant.
Pour connaître nos débats précédents, découvrez sans plus tarder nos derniers Team VG, avec notre avis sur la saga Mass Effect, mais aussi nos configs PC, les meilleurs méchants à nos yeux et nos consoles préférées. Redécouvrez aussi notre vision des vacances connectées, nos héroïnes geek préférées, nos smartphones coup de cœur et les jeux qui nous ont fait craquer pendant les soldes Steam, ainsi que notre X-Men favori, nos théories sur la saison 7 de Game of Thrones, notre top et flop 2016 en ce qui concerne le cinéma et les séries ! Plus récemment, nous vous parlions des adaptations de zombies, des gadgets dont on ne peut plus se passer, du média qui domine à la maison, de Blade Runner 2049, de notre programme pour une fête d’Halloween parfaite, de la série Mindhunter, des saisons 1 et 2 de Stranger Things, ou encore de notre style de jeu préféré !
Aujourd’hui, Team VG met les pieds dans le plat pour un sujet plus polémique : la loi doit-elle pénaliser les éditeurs donnant une image dégradante des femmes dans les jeux vidéo ? Pour rappel, c’est une question qui revient régulièrement sur le devant de la scène, et qui avait notamment fait l’objet d’un amendement débattu à l’Assemblée nationale (et finalement rejeté) en mai 2016 :
L’avis de Siegfried « Moyocoyani » Würtz : et si on commençait par comprendre le problème ?
Si la question de la pénalisation (plus précisément du non-soutien) des éditeurs donnant une image dégradante des femmes dans leurs jeux me paraît intéressante, c’est qu’à première vue notre soutien est pratiquement présupposé : personne ne va s’écrier que « dégrader l’image de la femme, c’est la base du jeu vidéo et c’est formidable », il est évident que les jeux manifestement misogynes existent et il est évident qu’ils ne devraient pas exister. Surtout à une époque (dont on est loin d’être sortis) marquée par les excès du patriarcat et leur bienvenue contestation protéiforme.
Le reproche le plus consensuel que l’on pourrait faire à l’amendement proposé en mai 2016 serait même de ne pas aller assez loin, de ne pas pousser jusqu’à la pénalisation, la criminalisation, l’interdiction de tels jeux. Ce serait oublier la question des conditions d’application de la loi. Pour retirer le crédit d’impôt aux éditeurs coupables, il faut que des personnes déterminent et prouvent la culpabilité desdits éditeurs, procédé qui peut vite basculer dans la censure tant il est difficile de fixer des limites strictes à la définition de la « dégradation de la femme ».
Il suffit de prendre un jeu aussi populaire que GTA V pour s’en rendre compte : on peut aussi bien arguer que le jeu propose une satire de la manière dont les hommes (et les gamers) perçoivent les femmes et critique la misogynie d’une société qui les contraint à s’exhiber, que faire valoir qu’il est sexiste et flatte les bas instincts des joueurs… Et que faire des licences les plus populaires, les Zelda, les Mass Effect, et God of War, les Final Fantasy, que l’on ne peut taxer franchement de misogynie, mais dont on ne peut nier parfois une certaine complaisance avec des clichés et une iconographie sexistes ? C’est qu’il faudrait déjà définir ce qu’est cette « image dégradante » : certains jeux dits « girly » ne sont-ils pas plus dégradants dans leur volonté de résumer les joueuses aux tâches de ménage, de cuisine et de soin des animaux supposées assorties à leur sexe que certaines représentations de prostituées nues ? Un jeu ne passant pas le test de Bechdel est-il nécessairement sexiste ? Il faut alors soit accepter un risque omniprésent d’abus, soit imposer la vision d’un jeu vidéo homogène à toute l’industrie… Encore, si c’est
L’un pourra toujours voir complaisance et vulgarité là où l’autre verra dénonciation de la complaisance et de la vulgarité, et on ne peut pas exiger de tout jeu qu’il dénonce explicitement les travers de ce qu’il représente, de peur de brider toute créativité pour la soumettre à une propagande morale. Qu’un jeu recoure au damsell in distress est gênant, mais faut-il pénaliser tous les jeux ayant recours au damsell in distress en exigeant de ceux qui veulent conserver cette structure de nous mettre aux manettes d’une femme sauvant un homme, ou d’un homme allant sauver une femme qui en fait n’a pas besoin de lui et s’est très bien sauvée toute seule ? Si l’objectif est de favoriser les alternatives, il n’est pas certain qu’y aller au forceps paraisse très stimulant, l’art progresse généralement en contournant la censure, et assez rarement en s’y conformant. Ce qui est d’autant plus dangereux que le jeu vidéo est une cible facile qu’il paraît de bon aloi de condamner, dont les produits souvent étrangers sont aisément distincts, alors que le CSA (qui aimerait bien s’emparer du problème) peine tant à réguler la vulgarité et la violence des émissions télévisuelles françaises, où se jouent trop de conflits d’argent et d’influence contradictoires…
En somme, le problème est le même que celui qui se pose par exemple avec le soutien du cinéma français par le CNC, que l’on accuse souvent de financer avec l’argent du contribuable des émissions et films à la qualité et à la moralité parfois douteuses (pour ne pas dire carrément misogynes/homophobes/transphobes/xénophobes/banalisant le rejet des handicapés, même sous le prétexte d’en rire), mais les organismes ne sont qu’un symptôme du problème. Sa source n’est pas dans la loi ou les produits, mais dans la consommation : boycottez les films de Laurent Tirard, de Philippe de Chauveron et de Dany Boon, arrêtez enfin de regarder de la télé-réalité, et ils n’en feront plus, mais continuez d’alimenter le système « juste pour rigoler », en sachant très bien que ce n’est ni bon ni sain, et vous justifierez que l’ensemble des Français les les finance avec leurs impôts.
N’achetez en revanche plus que des jeux égalitaristes, renversant les stéréotypes ou jouant astucieusement avec eux (il ne s’agit pas de ne plus faire exister que des jeux où des femmes sauvent des hommes), refusant de se conformer au modèle viriliste traditionnel, et les éditeurs comprendront qu’il serait plus rentable pour eux de privilégier des jeux audacieux. C’est l’argent qui est le moteur du monde, pas la morale ou la loi. Que la loi condamne ce qui est criminel, c’est-à-dire les jeux (et tous les médias) faisant une promotion évidente de comportements illégaux et dégradants, sans restreindre les poursuites à la seule image de la femme, et sans se contenter de « retirer un crédit d’impôts », que les consommateurs manifestent leur moralité dans leurs achats (et pas dans leurs tests après-achat, quand cela ne sert plus à rien), et on pourra enfin commencer à sauver le monde.
L’avis de Marine « Reanoo » Wauquier : une bonne intention pour 1000 maladresses
À première vue, on se dit que ça ne peut pas être une mauvaise idée. Car il y a un réel problème vis-à-vis de la sexualisation de l’image de la femme. Sauf que (car il y a toujours un « mais »). Je trouve cette décision bien trop dans l’air du temps, ce qui n’est pas en soi un mal, mais qui reflète ici selon moi une décision prise à la va-vite, comme souvent. Si l’intention est louable (plus ou moins), la réalisation est à mon goût très maladroite. Comprenez-moi bien. Je suis régulièrement indignée par l’image qui est donnée de certaines femmes dans les jeux vidéo, et je m’offusquai hier encore des animations programmées pour Quiet dans MGS V dans l’hélicoptère, animations visant à montrer tout le talent des animateurs quant aux mouvements des seins par ailleurs bien fournis, et qui gâchaient l’effort de scénario construit autour du personnage.
Mais s’attaquer à l’image de la femme dans les jeux vidéo est un faux combat, selon moi encore une fois. Je ferai ici le parallèle avec l’idée que les jeux vidéo rendent violents. C’est un débat houleux, qui occupe régulièrement les média et ce depuis longtemps, mais la violence n’est pas réprimandée dans l’industrie du jeu vidéo (à l’exception de l’extrême violence, donc). D’aucuns soutiennent même l’idée d’exutoire et de catharsis, rôle que pourraient jouer les jeux vidéo. Alors oui, il y a des cas de joueurs ayant commis des actes très violents dans la vraie vie. Mais de là parler de cause à effet… De la même façon, les jeux vidéo ne rendent pas sexistes (toujours selon moi). On l’est indépendamment de ça, et l’image ne fera que confirmer (ou non) son caractère sexiste. Tout réside dans la conscience du caractère virtuel du jeu vidéo, de la capacité à prendre de la distance par rapport à ce qu’on nous montre. L’éducation (dans son sens le plus large possible), en somme.
Autre point qui me titille : je trouve cette proposition dangereuse dans la mesure où l’on s’approche de la censure. En effet, pour des motivations pécuniaires, on invite fortement les studios à devenir consensuels, ce qui se traduit par une perte de messages, d’originalité. On n’applique pas le même traitement aux BD, au cinéma, à la musique, à ce que je sache. Pourquoi imposer ça aux jeux vidéo ? Sans retomber dans la victimisation, on rend une nouvelle fois le monde du jeu vidéo (et ses pratiquants) responsable de phénomènes sociétaux qui le dépassent bien largement.
Enfin, d’un point de vue pratique : comment pourrait être mis en place une telle chose ? Je pense ainsi notamment aux studios étrangers, qui ne doivent pas spécialement se sentir concernés par cette mesure. Je m’interroge par ailleurs sur son caractère rédhibitoire : cette mesure aura-t-elle un impact significatif sur les finances des studios au point de les faire flancher ? Encore une fois, je trouve l’idée louable, mais je ne pense pas que la loi puisse et doive intervenir de la sorte.
L’avis de Lucile « Macky » Herman : un faux problème pris à l’envers
Je rejoins très significativement mes deux collègues sur le sujet. À l’heure où le terme « féminisme » a pris une connotation extrêmement négative et où les débats sur le sujet font rage, on peut facilement s’emmêler les pinceaux. Attention, je risque de faire pas mal de digressions car le problème est extrêmement vaste et il ne commence évidemment pas avec cette fameuse question concernant les éditeurs et leurs jeux vidéo « sexistes ». À partir du moment où des politiques s’attaquent à ce genre de sujets, sujets qu’ils ne comprennent en général pas, on peut commencer à sortir les pop-corn. À l’image de l’écriture inclusive, qui est somme toute une initiative louable, il s’agit là encore d’un faux problème. Les mentalités doivent évoluer, et cela passe avant tout par l’éducation ! #ToiAussiEnfonceDesPortesOuvertes
Je suis une jeune femme de 24 ans, profondément « égalitariste », qui évolue, il faut bien le dire, dans un milieu d’hommes. Je m’insurge à la vision et à l’écoute de certaines choses et comme beaucoup, j’en ai vraiment raz-le-bol de voir le monde régresser quant à la position de la femme dans nos sociétés. Petit exemple, hier encore j’écoutais France Inter, et le sujet portait sur le don d’ovocytes. C’est là qu’intervient un « docteur » de 70 ans, expliquant que non, les femmes de 30 ans ne se préoccupent pas à cet âge-là de faire des enfants, ni de la possibilité d’avoir un jour, qui sait, des difficultés à concevoir. Non, pour lui, les femmes de 30 ans pensent uniquement à leur carrière. Il n’a pas dit : « en général », ni, « dans la plupart des cas ». Rien de tout ça. Je rigole doucement alors en entendant ses propos, me demandant : « Qui es-tu toi, pour généraliser ainsi ? ». Aux dernières nouvelles, tu n’as ni ovaires, ni ovocytes à donner, alors passe ton chemin. Merci bien.
Bref, revenons à nos moutons. Ce sont les mentalités qui doivent évoluer. C’est aux parents de dire à leurs petits garçons qu’il n’y a pas de problème à jouer à la dînette et qu’il n’y a pas de problèmes si leurs petites filles veulent jouer aux voitures. C’est à la maison que tout commence. Voir papa faire à manger et passer le balai doit être une chose commune. Élever ses enfants dans le respect des autres, qu’importe le genre, l’orientation sexuelle, la religion et j’en passe. C’est dans les manuels d’école que cela se poursuit, etc.
Alors oui, pénaliser les éditeurs qui ne respectent pas l’image de la femme, c’est bien, hein. Mais si nous étions « bien » éduqués, les éditeurs, comme le disait Moyocoyani, ne nous jetteraient pas à la figure ce type de divertissements.
L’avis de Paul-Antoine « Orla » Colombani : mais de quoi parle-t-on exactement ?
De prime abord, un élément me paraît tout à fait intéressant, l’intitulé du problème lui-même : la loi doit-elle pénaliser les éditeurs donnant une image dégradante de la femme dans les jeux vidéo ? Nous en sommes donc là contraints de réfléchir à un amendement pour apprendre à des studios que les femmes ne sont pas des objets, des « petites choses fragiles » dont on peut se saisir et sur lesquelles on peut apposer bon nombre d’étiquettes.
Évidemment, tomber dans la caricature ne doit pas être non plus une réponse adéquate, les éditeurs de jeux vidéo français savent être vertueux et des productions récentes mettent en scène des personnages féminins complexes, forts, intelligents, etc. À l’international aussi, il semble y avoir une prise de conscience, lente mais bien présente, sur la manière dont la femme doit être considérée et traitée. Tant mieux donc, même si cela ne change rien au fondement du problème : comment en est-on arrivé là, à cette situation extrême où on salue, on parle et célèbre un jeu parce que sa vision de la féminité n’est pas clichée ou franchement nauséabonde ?
Deuxième élément que je trouve interpellant, l’amendement proposé visait à « exclure de l’obtention du crédit d’impôt pour dépenses de création de jeu vidéo les jeux comportant des représentations dégradantes à l’encontre des femmes » (je reprends ici la formulation du sénateur François Marc). De quoi parle-t-on exactement ? D’argent tout simplement. Pas d’éthique, non juste de monnaie, pécule, pépète, pèze, fric et pognon. Voilà comment faire évoluer les consciences ? En tirant à grosses cartouches sur le capital et les liquidités d’une entreprise ; si vous vous demandez ce qui gouverne le monde, vous avez votre réponse. Cependant, clouer des studios au pilori, c’est combattre une maladie sans s’attaquer aux symptômes; il faut aller jusqu’à la racine et traiter le mal, le traiter par l’éducation et la pédagogie. C’est donc aux parents et à l’école de faire un bon diagnostique et de proposer des remèdes puissants contre une épidémie malheureusement très contagieuse.
Bien entendu, pénaliser les jeux vidéo développant une rhétorique dégradante pour la femme peut être un bon début (juste un bon début…) mais c’est, je crois, rageant d’en arriver là, devoir lutter par la loi pour des problèmes sociétaux qui ne devraient pas avoir à se régler puisqu’ils ne devraient même pas exister. Enfin, il reste un élément à méditer : les médias sont à l’image de la société que nous bâtissons, ils fournissent ce que le public veut ou comble une attente dont il n’a même pas conscience.
Si les jeux vidéo sont violents, c’est parce que notre société l’est, si les jeux vidéo sont sexistes, c’est parce que nous le sommes. Mais si demain nous nous offusquons, c’est bien la preuve que nous savons faire la différence entre le vice et la vertu, nous savons que cette image de la femme est dégradante et qu’elle ne correspond à aucune réalité tangible. Notre prise de conscience est positive et celle-ci doit se généraliser car elle contaminera les jeux vidéo et changera profondément les mentalités. Jusqu’à ce qu’un autre combat se profile, à la manière de la Controverse de Valladolid où nous, Européens, nous demandions si les Amérindiens avaient une âme, avant se dire que les Africains n’en avaient pas.