La Momie, The Wall, Free Fire, HHhH : commentaires sur quelques sorties récentes
Wonder Woman n’est pas la seule sortie cinéma de ces deux dernières semaines. Si elle a aisément éclipsé les autres films, ceux-ci n’en existent pas moins et méritent peut-être tout autant (voire davantage ?) votre attention, d’autant qu’ils ont été assez distribués et bien vendus pour que vous en ayez au moins rapidement entendu parler. Les quatre films dont il sera question ici sont tous sortis le 7 juin (The Wall, HHhH) ou le 14 (La Momie, Free Fire), tous quatre jouent sur le pouvoir d’attraction d’un casting plus ou moins brillant, et tous les quatre ont la particularité d’être « populaires », au sens où ils jouissent sur allociné d’une note du public supérieure à la note de la presse, sans qu’aucun ait été dans l’une ou l’autre catégorie très bien reçu ni descendu en flèche. Or c’est souvent justement dans cette catégorie bâtarde des « films moyen – » que l’on trouve les plus belles surprises, d’où l’intérêt que nous avons trouvé à vous en dire quelques mots.
HHhH : les ambitions manquées de Jimenez
Cédric Jimenez est un réalisateur formaliste, qualité assez rare dans le milieu du cinéma français pour mériter l’attention, puisque si cet attachement à un certain cachet de l’image peut se faire au détriment de toute émotivité et de toute authenticité de l’intrigue (Aux Yeux de tous, La French), rien n’empêche théoriquement qu’elle rencontre un bon scénario et n’aboutisse à un résultat tout à fait intéressant, de même que Richet par exemple avait tout de même réussi à livrer Assaut sur le central 13 et les deux Mesrine, là où un réalisateur totalement imperméable à l’esthétique aura toujours plus de mal à faire briller un script malin.
Et pendant son premier tiers HHhH est exceptionnellement convaincant : ce titre mystérieux est en fait l’acronyme de « Himmlers Hirn heißt Heydrich » (« le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich »), le film narrant l’ascension puis l’assassinat de Reinhard Heydrich, qui fut notamment l’instigateur de la Nuit des Longs Couteaux, des Einsatzgruppen et de la Solution finale, bref l’archétype du « monstre nazi ». Sujet captivant s’il en est que de retracer son parcours en épousant son point de vue, a fortiori dans une forme assez fragmentaire, les personnages parlant peu, le montage assez brutal des séquences soulignant les ellipses, le travail de l’image insistant sur les sensations, avec des variations colorimétriques, une certaine virtuosité des mouvements de caméra…
Ce travail esthétique élaboré est malheureusement abandonné dans une deuxième partie plus classique, où les dialogues assez plats entre les personnages font ressortir tout ce que leur psychologique peut avoir de caricatural et le jeu des acteurs d’insuffisant, le classicisme soudain de la réalisation nécessitant un travail d’écriture qui n’est pas fourni, plus rien ne donnant alors d’intérêt au film que la découverte dans un docu-fiction sans relief d’éléments de la vie de Heydrich. C’est enfin dans la troisième partie que l’on bascule dans l’indigne : Jimenez abandonne Heydrich pour un acte consacré exclusivement aux résistants qui préparèrent son assassinat, avec les pires clichés du genre, les quatre résistants capables de massacrer des dizaines de nazis, la fouille à laquelle ils échappent en trouvant à la dernière seconde une cachette insolite, la romance avec la jeune fille qui les héberge, romance qui les fait hésiter entre leur mission sacrée et leur bonheur personnel…
Or quand on n’a pas la finesse de Lacombe Lucien ou de L’Armée des ombres, ou au moins un parti-pris (esthétique, parodique…) justifiant de s’enfoncer dans de pareils clichés, le bon goût exigerait de s’abstenir, surtout quand le film Anthropoid, racontant… le parcours des résistants procédant à l’assassinat de Heydrich est sorti il y a quelques mois à peine, et que ces personnages « positifs » arrivent si tard dans l’intrigue qu’on ne peut pas nourrir d’empathie pour eux. Après tout, on ne les connaît pas, et le seul fait qu’ils soient des « résistants » ne leur donne pas droit immédiatement à notre admiration de spectateurs du film. Sans surprise, le roman de Laurent Binet dont le film est tiré était d’une autre finesse, n’hésitant pas par exemple à donner une large place aux interrogations de l’auteur sur son droit à la licence poétique dans une oeuvre reposant pourtant sur des faits aussi durs. Excisé de tout commentaire, le HHhH de Jimenez n’est plus qu’un biopic oubliant qu’il est un biopic, perdant son intérêt d’être le La Chute de Heydrich au profit d’une intrigue bâclée aux cordes épaisses se voulant « consensuelle », bref une chose informe qui commençait comme une vraie oeuvre de cinéma et ne mérite vite plus d’être seulement mentionné.
The Wall : le spectateur regarde pendant une heure trente sur un mur un personnage se cachant pendant une heure trente derrière un mur
Comme pour HHhH, je n’avais absolument aucune attente vis-à-vis de The Wall. À côté des sympathiques Edge of Tomorrow et La Mémoire dans la peau, Doug Liman avait aussi commis Jumper, Mr. and Mrs. Smith, et ses projets comprenant Barry Seal et Edge of Tomorrow 2, le réalisateur semble vouloir restreindre son cinéma à l’actioner sympathique. The Wall a dans cette filmographie la double-particularité d’être produit par Amazon et d’être un huis clos en extérieur, deux particularités qui l’éloignent profondément des blockbusters débridés auxquels il est habitué.
The Wall a même des prétentions politiques : ce face-à-face entre un sniper américain (incarné par Aaron Taylor-Johnson) et un sniper irakien, communicant par talkie-walkie après la seconde guerre du golfe, veut interroger la légitimité de l’intervention des États-Unis dans ce pays et leur présence malgré leur promesse de se retirer, un problème qui peut paraître anachronique six ans après le départ définitif des troupes, mais qui a les avantages d’être posé pendant un mandat présidentiel faisant la part belle à l’interventionnisme guerrier des gendarmes du monde, et sous une forme somme toute assez ludique.
L’allégorie n’en semble pas moins exposée avec de gros sabots, et il faut savoir ne pas trop en attendre pour apprécier pleinement The Wall pour ce qu’il est, un film de divertissement avec un sous-texte qui lui confère de l’enjeu tout en restant didactiquement timide, rappelant que Taylor-Johnson est un acteur sur le jeu duquel on peut faire reposer un film (ce qui n’avait plus été bien fait depuis Kick-Ass), et surtout suggérant une véritable topographie. S’il est en effet indispensable dans un « huis clos » (même à ciel ouvert) de faire comprendre précisément au spectateur la situation spatiale des personnages, trop de films dans ce genre oublient cette exigence élémentaire et privent ainsi le spectateur d’une véritable appréhension dramatique. Et The Wall est assez bien fait pour que le spectateur comprenne non seulement la spatialisation de l’histoire, mais même plus globalement l’intérêt qu’il y a à bien spatialiser une histoire.
Pour aller plus loin : nous avions consacré quelques articles à des huis clos emblématiques, 10, Cloverfield Lane, The Room, Hard Candy et La Jeune Fille et la Mort.
Free Fire : Ben Wheatley veut refaire Reservoir Dogs
Down Terrace puis Kill List faisaient de Ben Wheatley un réalisateur qu’il pourrait être intéressant de suivre, avant le très amusant Sightseers, puis les superbes A Field in England et High Rise (l’un de mes films préférés de 2016), qui l’imposaient comme un des réalisateurs contemporains les plus intéressants. Qu’il s’amuse avec un film de vente d’armes entre gangsters tournant mal ne pouvait donc être que prometteur, tout en étant assumé comme une production mineure : un Reservoir Dogs, sans scénario de Tarantino mais par le réalisateur de High Rise pouvait être parfaitement jouissif, surtout avec un casting composé de seconds couteaux aussi charismatiques que Cillian Murphy, Brie Larson, Armie Hammer, Sharlto Copley, Michael Smiley…
Commençons par l’aspect huis clos, puisque nous venons de l’évoquer, et qui n’est à mon avis absolument pas abouti ici – je tiens à préciser « à mon avis » parce qu’il est possible que je n’exclus pas la possibilité que vous ayez eu une meilleure appréhension spatiale de l’entrepôt dans lequel se déroule la fusillade que moi. Bien sûr, on associe la plupart des personnages à des lieux – le pilier de Murphy, le muret de Smiley, l’empilement de caisses à côté de la camionnette pour Hammer… Mais à chaque plan je redécouvrais la configuration de ces lieux les uns par rapport aux autres. La faute aux trop rares plans d’ensemble et plans-séquences permettant de saisir à plusieurs moments de l’intrigue la disposition des personnages, et qui me semblaient aller de soi surtout dans un film de Wheatley, et aux trop nombreux personnages, une douzaine, dont il arrive souvent que l’on se demande ce qu’il sont fichu pendant le quart d’heure où on avait simplement oublié leur existence. Si je suis sûr que tous leurs mouvements et les destructions occasionnées étaient raccord, je serais ainsi bien incapable de le prouver à partir de mon expérience de spectateur, et cela a nui à mon expérience, tant il me paraît crucial dans un huis clos de savoir précisément où chacun en est pour saisir la tension de chaque moment.
Si la patte de Wheatley est bien visible dans la colorimétrie chaude, les costumes caractéristiques et le ton (parfois même l’accent) de chaque personnage, elle ne l’est pas dans une réalisation complètement désincarnée, avec des contre-plongées et champs/contre-champs destinés à insuffler artificiellement du dynamisme à l’image sans rien exprimer de particulier, et une rareté désespérante de « scènes badass ». Évidemment, on ne se réjouit que davantage quand, dans le dernier tiers du film, on a enfin droit à un peu de slo-mo, et à quelques fusillades spectaculaires avec un fond musical approprié, voire à quelques très belles images, mais l’attente est longue et injustifiée, il est à peu près certain que l’on aurait apprécié des scènes de ce genre tout au long du film, comme High Rise était exceptionnel dans la constance de son baroquisme.
Cette retenue froide n’aurait pu être sauvée que par des dialogues tarantinesques, mêlant piques spirituelles et franc-parler « sale », et le problème le plus saisissant de Free Fire pour un spectateur ne connaissant pas nécessairement les travaux précédents de Wheatley tient justement dans l’humour noir au ras des pâquerettes et dans la vulgarité banale et gratuite des personnages. Or si Wheatley avait montré de la difficulté à élaborer des dialogues fins dans High Rise (qui perdait de sa superbe à chaque fois que les personnages ouvraient la bouche, ce qui n’arrivait pas trop souvent heureusement), tout le reste de sa filmographie prouvait son talent et celui de son épouse Amy Jump pour l’humour noir… Les personnages évidemment n’en apparaissent que plus falots, et il faut tout le charisme de Armie Hammer ou l’exubérance de Copley pour procurer au spectateur du plaisir à les voir, quand Cillian Murphy par exemple passerait tout à fait inaperçu si l’acteur n’était pas connu, sans même parler de la galerie de têtes que le film prétend caractériser et qu’on oublie aussitôt la séance finie…
En dehors des deux ou trois scènes bien tournées, seule la séquence où cette douzaine de gangsters armés jusqu’aux dents et tentant à chaque pas et mot de se montrer menaçants veulent finir le deal à l’amiable, faisant de part et d’autre les propositions de paix les plus inattendues, a un vrai charme… Cela ne suffit pas à rendre recommandable un film tout entier conçu sur le principe du grotesque, cherchant donc à faire rire avec lui du ridicule de ses personnages, et qui ne parvient, comble de l’échec, qu’à procurer de l’ennui…
La Momie : ou de l’importance des attentes
Je savais que Free Fire serait un Wheatley mineur, et pour le peu que j’en attendais, la déception n’en fut pas moins amère. De La Momie au contraire j’étais si certain qu’il serait catastrophique que j’ai jusqu’au dernier moment hésité à aller le voir, et que franchement, si je n’avais pu enchaîner la séance du film de Wheatley avec celle du film de Kurtzman, je me serais sans doute abstenu. Et dans le concert des critiques le hachant menu, je me suis surpris à lui trouver quelques qualités.
Alors bien sûr, La Momie est un film crétin, à base d’un absurde méli-mélo de cultures (les Templiers, la Mésopotamie, l’Égypte Antique et Londres, rien que ça), de puissance du Mal pluri-millénaire qui veut conquérir le monde, d’allusions à Seth dont on répète perpétuellement qu’il est le « dieu de la Mort » au grand dam de tous les profs d’histoire-géo, d’exposition grossière n’ayant rien compris au sacro-saint principe du « show, don’t tell » (ou au moins tell good), d’artefact magique très fragile divisé en plusieurs parties, de sidekick inutile (malgré une bonne idée), de romance artificielle entre le seul personnage masculin et le seul personnage féminin, impeccablement maquillée en toutes circonstances, d’ordre secret prétendument bienfaisant, de maquillages monstrueux franchement laids (les zombies, un certain docteur…) et tout cela se prenant très au sérieux (au point que les blagues de Tom Cruise paraissent généralement tout à fait hors de propos), contrairement à la vieille franchise La Momie…. Et il est réalisé par le scénariste des deux premiers Transformers, de The Island, des deux premiers Star Trek, d’Edge of Tomorrow (tiens ?) et de The Amazing Spider-Man 2, bref un pedigree mitigé, n’inspirant pas forcément confiance, surtout quand on sait Kurtzman épaulé par Jon Spaihts (Prometheus, Doctor Strange !) et Christopher McQuarrie (réal/scénariste des derniers Mission Impossible)… Ce qui colle bien à l’idée d’un actioner avec un pseudo-background pseudo-mythologique, pseudo-drôle mais vraiment débile…
En plus de cela, le studio Universal cherche à faire de La Momie le premier film d’un univers étendu plus loufoque encore que le MonsterVerse de Legendary Pictures (Godzilla, Kong : Skull Island…), le « Dark Universe », où Dracula, Frankenstein et son épouse, probablement un Loup-garou, l’homme invisible, rejoindront la momie et le Dr. Jekyll/Mr. Hyde, bref un joli n’importe quoi bien parti pour être mort-né, l’annonce maladroite de cet univers étendu avant même la sortie du premier film ayant accru les attentes, pour un résultat en demi-teinte, c’est le cas de le dire.
Par-delà les questions de l’appréciation globale de La Momie comme oeuvre de cinéma, la question essentielle devrait pourtant bien être : ce film fonde-t-il bien un univers dont j’aurais envie de voir l’extension ? Ma réponse est un oui sans hésitation, d’une part grâce au casting du Dark Universe, qui réunira avec Tom Cruise et Russell Crowe Javier Bardem et Johnny Depp, ensuite parce que La Momie offre bien mieux que ce que l’on aurait pu en espérer vu la catastrophe annoncée par les bandes-annonces et décrite par la critique.
Déjà, La Momie renoue avec les anciennes productions La Momie, celles des Universal Monsters dans les années 1930-1940 (avec Boris « Frankenstein » Karloff) et celles de la Hammer dans les années 1950-1960 (avec Christopher Lee !), en se rappelant ses origines horrifiques, et même si les procédés allant dans ce sens manquent sérieusement de génie (attaques de zombies plus grossières qu’effrayantes, jump scares très standard, musique tristement insignifiante de Brian Tyler, pourtant compositeur sur Assassin’s Creed IV : Black Flag…), ce retour aux sources est bienvenu parce qu’il réinjecte une part de sérieux dans la franchise naissante.
Mais c’est le traitement du héros qui devrait/aurait dû susciter la bienveillance, voire l’intérêt, de la critique. À première vue, Tom Cruise incarne le stéréotype de l’égoïste arrogant, séducteur et ne prenant rien au sérieux, amené à mûrir au cours de l’intrigue… sauf qu’après vingt minutes de film, il sacrifie littéralement sa vie pour sauver celle de la femme qui n’est pas encore son love interest, prouvant très vite un bon fonds rafraîchissant à une époque où les personnages de fiction attendent généralement les dix dernières minutes pour manifester un peu d’altruisme (type Doctor Strange). Cela peut paraître anecdotique, mais en nuançant l’idée d’une progression morale du personnage au centre du scénario, La Momie manifeste une compréhension assez fine de ses propres enjeux, le film se souciant finalement moins de la momie à proprement parler que de la lutte interne de Tom Cruise entre cette tendance à la bonté et ses désirs personnels, renforcés par la malédiction qu’il subit. L’idée qu’il ne soit pas toujours maître de sa volonté parce que la Momie le conduit inconsciemment à elle est ainsi superbe, même insuffisamment exploitée : vous attendiez-vous vraiment à ce que Tom Cruise incarne un protagoniste manipulable par les puissances du Mal, quand toute sa filmographie le caractérise comme le héros à la volonté de fer et au courage indéfectible par excellence ? Cette surprise amène des développements intéressants, y compris dans un dénouement un peu moins prévisible que ce que l’on aurait pu attendre d’une telle production, ramenant le climax à l’intime plutôt qu’à l’habituelle séquence « destruction de la ville ».
Et peut-on ne pas s’émerveiller que le film veuille inaugurer un univers étendu en étant si autonome, sans scène post-générique, sans teasers déconnectés de l’intrigue de films futurs, sans création artificielle d’une attente par une obligation de revenir dans un an pour voir une résolution satisfaisante de l’intrigue, bref peut-on occulter que, même indépendamment des défauts de La Momie, il soit agréable de voir un film et pas seulement un produit marketing ? Définitivement, et contre toute attente, un film que je pourrais revoir et dont j’attends la suite, y compris avec la même équipe aux manettes !
Une fois n’est pas coutume, je partage l’incompréhension de Timothée Fontaine face à la réaction des critiques, et sa conviction, contre l’avis général, qu’à notre époque on sait faire des blockbusters satisfaisants et distincts dans ce qu’ils tentent d’apporter, de Batman v Superman à King Arthur…
Poussé le vice jusqu’à revoir La Momie pour tenter de comprendre tant mon agréable surprise que le massacre critique et public… et décidément, je maintiens entièrement ma critique : dans le genre risqué dans lequel il s’inscrit, et en proie à tant de catastrophes, La Momie s’en sort décidément bien en termes d’écriture, et il est déprimant (un peu comme pour Warcraft) de se dire que certains univers étendus mériteraient le développement que l’incompréhensible tiédeur générale va sans doute bloquer.