Doctor Strange : une phase 3 prometteuse pour le Marvel Cinematic Universe ?

 

La phase 3 du MCU est sans doute possible la plus curieuse et la plus excitante, pratiquement tous les projets détonnant par leur ambition ou leur originalité, et après un Captain America : Civil War très divertissant bien qu’un peu creux (notre hype review ici, notre critique là), c’est à Doctor Strange qu’incombait la responsabilité de maintenir la confiance des spectateurs.

Et la hype est bien au rendez-vous, pour toutes les promesses de nouveauté que nous fait Doctor Strange : c’est la première fois dans un film Marvel que la magie intervient sans prétexte mythologique, ce qui ouvre la voie à de nombreuses possibilités nouvelles tant en terme de création d’univers (on apprend que depuis des siècles des sorciers combattent des menaces mystiques sur d’autres plans de réalité), de personnages (y compris d’adversaires redoutables), d’effets spéciaux. Les rôles principaux ont en outre tous été confiés à des acteurs fuyant habituellement les grosses productions, ce qui rassure sur l’avenir du cinéma super-héroïque dont cela prouve qu’il est de plus en plus pris au sérieux, et ce qui rassure sur Doctor Strange en particulier, puisqu’on n’imagine pas de si grands noms se laissant corrompre par Disney sans scénario valable : l’excellent Benedict Cumberbatch (SherlockWar of the roses), formé par Tilda Swinton (We need to talk about Kevin, Only Lovers left aliveLa Plage),  y affronte donc le non moins excellent Mads Mikkelsen (Hannibal, La ChasseCasino Royale), avec l’aide de Chiwetel Ejiofor (Twelve Years a slave).

Budget conséquent, grands acteurs, histoire nouvelle avec un personnage bien-aimé et mystérieux de comics… Doctor Strange s’annonce comme un film magique !

 

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[divider]Doctor Strange, entre Dr. House et Iron Man[/divider]

 

Chirurgien reconnu et très imbu de lui-même, Stephen Strange subit, à cause de sa négligence et de son orgueil, un accident de la route qui le ravage tant physiquement que psychologiquement, et le prive naturellement d’un emploi que ses mains abîmées et tremblantes ne lui permettent plus d’assurer. Se ruinant en opérations coûteuses pour retrouver le poste auquel il devait sa gloire, il se retrouve confronté aux limites de la médecine moderne, et apprenant qu’un autre homme a pu se rétablir complètement après un drame similaire, le retrouve et en apprend que le salut se trouverait peut-être dans une secte mystique à Katmandou.

L’histoire paraît très classique : l’arrogant prick est puni de son hybris, et apprendra de ses erreurs pour devenir un héros pour les hommes. Mais le schéma rédempteur fonctionne ici admirablement bien dans l’idée, Strange étant puni par là où il a pêché (l’orgueil et le luxe), dépossédé de tout ce qui le rendait exceptionnel, abaissé plus bas que terre, contraint de chercher dans le spiritualisme une voie de salut diamétralement contraire à tout son être, d’abord parce qu’il méprise naturellement tout ce qui ne relève pas du matérialisme scientifique, ensuite parce qu’une telle démarche exige une humilité dont il est parfaitement incapable.

Seulement, de légères erreurs viennent ternir cette structure apparemment immanquable, à commencer par le personnage-même de Strange, dont les scénaristes n’ont pas hésite à faire une caricature afin de le rendre plus vite haïssable aux yeux du public, et qui devient un archétype plus qu’un personnage, irrespectueux, humiliant, hautain…excepté avec quelques collègues qui le défient sur ses connaissances musicales, et un love interest avec laquelle il est très cordial avant de la renier dédaigneusement. Plutôt que d’apporter des nuances, ces petites touches peinent à créer un personnage cohérent : la caricature est excessive, et elle est de surcroît incompatible avec ces moments d’extrême humanité, qui nuisent évidemment avec la structure rédemptrice.

On passera sur le fait que les deux opérations qui nous sont montrées pour prouver le talent du personnage sont l’une ridicule (il écoute un air disco pendant l’opération…), l’autre interminable (en voilà qui n’ont pas assez vu Dr. House), pour souligner qu’en dehors d’un accident de la route filmé n’importe comment, et par conséquent tout à fait anti-dramatique, sa déchéance profite enfin pleinement du talent de Benedict Cumberbatch et fonctionne étonnamment bien…jusqu’à l’arrivée de Strange à Katmandou. Après quelques incohérences passables, il est accueilli par La Sorcière Suprême, avec laquelle il se comporte d’une manière irréalistement insultante, et qui lui prouve l’existence du corps astral et le convainc de ses méthodes mystiques avant de le jeter dehors pour châtier son arrogance, alors même qu’il commençait à être ébranlé. Il tambourine donc à la porte pendant plusieurs heures avant qu’enfin sa patience soit récompensée et qu’il soit le bienvenu.

 

 

Or cette scène de rejet est bien trop courte pour qu’on la perçoive comme une épreuve, et l’on touche là un problème essentiel du film, la transformation bien trop rapide de Strange. Il aurait été bien plus intéressant de le montrer patientant plusieurs jours devant la porte, dormant dans la rue faute de moyens, bon temps mal temps (voir Fight Club), se nourrissant à peine, afin d’admirer une première fois son abnégation. Cette erreur se répétera plusieurs fois au cours de sa formation, où il développe vite des pouvoirs plus importants que ses camarades. Il est certes évident qu’il dispose d’une grande intelligence et discipline, mais ceux-ci ont tous été brisés par la vie et prennent des leçons depuis bien plus longtemps. On aurait aimé que Strange souffre davantage, qu’il s’impose lui-même des épreuves difficiles, pour souligner son chemin de croix subi et choisi, et ainsi les progrès considérables qu’il fait enfin, d’une part pour guérir, d’autre part pour assimiler ces connaissances qu’il n’avait pas. Au contraire, ses progrès trop rapides nous paraissent d’autant mois mérités qu’il s’agit tout de même d’apprendre les voies de la magie, là où Batman Begins (que je n’apprécie pourtant pas), insistait mieux sur le calvaire de Bruce Wayne, alors même qu’il n’y développait que sa volonté et sa force.

 

Comment est votre sanskrit ?

Je parle couramment le google translate.

 

Strange est ainsi, malgré un pitch extrêmement prometteur et fort réussi par moments, trop proche d’autres personnages de l’univers Marvel dont il apparaît comme un mélange dégradé, particulièrement de Tony Stark naturellement (dont la rédemption dans le premier Iron Man nous paraissait plus fine), mais aussi d‘Ant-Man et Spider-Man pour sa manie à plaisanter sans cesse en introduisant à tout-va des références à la pop culture, Star-Lord pour son amour érudit de la musique (qui n’a aucune existence dramatique)… Benedict Cumberbatch, naturellement très bon interprète du personnage, aurait gagné à être plus Sherlock que Tony Stark afin de lui conférer plus d’originalité dans l’univers Marvel, et assez généralement à être plus naturel, une légère tendance au sur-jeu venant ternir des séquences où il peut être tout à fait délicieux.

 

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[divider]Combats et humour, marques de fabrique de Marvel[/divider]

 

Shamballa. C’est mon mantra ?

Non, c’est le code de la wi-fi. On n’est pas des sauvages.

 

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Peut-être même trop délicieux : on sait que l’humour est devenu une vraie marque de fabrique pour le MCU, ce qui est très loin d’être un défaut en soi, surtout que leurs blagues bénéficient d’une qualité d’écriture toute particulière. Il y a peut-être cependant un moment où le nombre de petits plaisantins parmi les Avengers paraîtra très disproportionné, et surtout, ce qui me gêne, c’est la tendance des films Marvel à « l’humour sur le champ de bataille ». Si les personnages, super-héros ou super-vilains, s’envoient des vannes pendant leur affrontement sans que cela colle profondément au personnage, cela ne peut manquer de sortir tout à fait le spectateur de l’intensité de l’affrontement, que l’on a naturellement peine à prendre au sérieux si même le personnage auquel nous devons nous identifier ne le prend pas au sérieux, le temps de trouver un bon mot lui apparaissant plus précieux que le temps consacré à élaborer une stratégie ou se battre. Il y a une occurrence d’humour sur le champ de bataille qui est savoureuse, je vous laisse la découvrir, mais quand il survient dans un affrontement à mort entre Strange et le grand méchant Kaecilius qui souhaite soumettre la Terre au dévoreur de plans de réalité Dormammu (complètement raté dans le film), on nous prive d’une grande partie du plaisir pris à ce combat impressionnant.

Parce que les combats sont réussis dans Doctor Strange : je ne suis simplement pas sûr d’en avoir déjà vu de si imaginatifs dans ma vie de cinéphile. Le budget des effets spéciaux a été conséquent, et cela se sent : les personnages courent et se battent, tant à coup de sorts qu’à l’arme blanche ou aux poings, dans une réalité sans cesse changeante, qui fusionne les plans d’Inception où la ville se retournait et de la bagarre en apesanteur dans le couloir de l’hôtel avec un kaléidoscope, le tout puissance 100. C’est très impressionnant, mais cela vire vite à la débauche, d’abord à cause de la propension des personnages à ne pas prendre les combats au sérieux (même quand ils ne plaisantent pas, ils se regardent de loin et utilisent davantage leurs pouvoirs pour émerveiller le spectateur que pour se battre efficacement), ensuite à cause de l’absence de plans-séquence.

 

 

Si l’on excepte l’inventivité des combats, la mise en scène est relativement pauvre, et le meilleur moyen de mettre en valeur les affrontements pour qu’ils soient intenses autant qu’ils sont variés aurait été de multiplier les plans-séquence. Rien n’est en effet plus impressionnant que d’admirer des personnages se battre dans une réalité changeante avec laquelle ils essayeraient de conjuguer leurs mouvements et leurs pouvoirs : le plan-séquence permet au spectateur une lisibilité de la scène qui amplifie la chorégraphie des acteurs parce qu’on a une meilleure intuition géographique et temporelle de ce qu’il se passe, alors que Doctor Strange préfère le montage assez cut, plutôt lisible certes, mais aussi plus facile, et nuisant donc à l’idée d’une prouesse technique.

 

[divider]Un film psychédélique de créateurs sous LSD ?[/divider]

 

Strange est un personnage des années 60. Il n’y a pas seulement été créé, il est tributaire d’une culture de l’époque, fascinée par le mysticisme oriental, l’ouverture de la perception à des plans de réalité dont notre matérialité nous couperait, l’idée que notre monde n’est pas tout le monde – le caméo de Stan Lee est justement lié à un livre d’Aldous Huxley sur le sujet. New Age, drogues, bouddhisme, sont mêlés dans cette recherche d’un ailleurs, et le comics de Lee et Steve Ditko devait beaucoup aux trips sous LSD pour leur représentation de la magie, ce qui valut beaucoup de popularité au personnage de Doctor Strange en ce temps.

 

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Que le film ne parvienne pas à nous introduire sérieusement à la moindre leçon mystique est très regrettable, mais attendu : c’est surtout l’aspect visuel qui promet et intrigue, puisque les créateurs du film ont tout fait pour être fidèles à cet aspect essentiel de l’unviers de Doctor Strange. Évidemment, ce n’est pas évident à rendre à l’écran, parce qu’il ne s’agit pas seulement de mettre des formes fractales ou des couleurs flashy partout, mais de faire ressentir au personnage de Strange et au spectateur une impression de mouvements et d’objets inédits à notre vue habituelle, et d’écrasement. Doctor Strange échoue tout à fait dans cette voie : Cumberbatch imite Johnny Depp dans Las Vegas Parano, tout est fait pour que son passage dans cet autre plan du réel ressemble aux montagnes russes, aussi bien dans la vitesse aléatoire, dans les déplacements, que dans les grimaces et cris du personnages, et pour sophistiquées que soient les images construites, on ne ressent pas davantage qu’un banal « Oh la belle bleue ! ». Décevant, pour un enjeu aussi crucial du film.

On sent que Scott Derickson a remplacé Guillermo del Toro derrière la caméra. Il y a certes longtemps que le réalisateur mexicain avait abandonné le projet d’adapter Doctor Strange au cinéma, et il est impossible de dire s’il a pris ce projet plus au sérieux que les cinquante autres qu’il envisage sincèrement. Et Derickson n’est assurément pas un inconnu, son Exorcisme d’Emily Rose et son Sinister ayant été assez remarqués par le public – bien que ne brillant pas par leur réalisation. Mais on sent que Marvel a engagé, comme le studio en a l’habitude, un faiseur plutôt qu’un créateur derrière la caméra. Précisément un homme sachant tourner un film, ayant connu quelques demi-succès, et complètement à la botte des studios lui confiant soudain la réalisation d’un film au moins dix fois plus élevé que tout ce qu’il avait fait auparavant avec des stars qu’il n’aurait jamais cru approcher un jour – exactement comme Peyton Reed, James Gunn, les frères Russo…

 

[divider]Doctor Strange, plus Ant-Man qu’Avengers, et plus Fantômes contre Fantômes que réellement occulte[/divider]

 

Doctor Strange est un film sympathique pour lancer un personnage, à l’instar d’Ant-Man, et il n’est pas beaucoup plus que cela. On sent que sans cette motivation, jamais il n’aurait été réalisé de la sorte : l’histoire est assez faible, la progression psychologique trop rapide, le méchant prétendument redoutable assez naïf et trop manichéen… À tous points de vue, on est dans la surenchère, la volonté de produire un tout-public attractif et rentable tout en nous en donnant pour notre argent à grands renforts d’effets spéciaux, au risque de gaspiller leur efficacité, celle des personnages et des intrigues possibles… Marvel avait hâte d’introduire enfin Strange afin de le mettre au contact des autres Avengers, et en sortant du film (surtout après la première scène post-générique – parce que oui, attention, il y en a deux), on éprouve exactement la même envie, et on se tourne avec espoir vers la suite en oubliant un peu vite ce que l’on vient de voir.