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Vice-Versa : Joie et Tristesse tout en maladresse

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Critique du dernier-né des studios Pixar, Vice-Versa.

 

La journée était belle et votre fidèle rédactrice s’en allait le cœur plein de Joie savourer le dernier-né des studios Pixar, sobrement baptisé Vice-Versa. Après l’émotion de Là-Haut (2009) et la créativité des Nouveaux Héros (2014), long-métrage du studio-frère Disney, quelle ne fut pas sa Tristesse au moment où elle s’aperçut que la rédaction de cet article égrènerait à l’égard de Pixar Animation Studios, auteurs des bien-aimés Monstres & Cie et Le Monde de Némo, quelques qualificatifs pour le moins négatifs.

Le parallèle entre Vice-Versa, Monstres & Cie et Là-Haut ne doit rien au hasard puisque ces trois films d’animation ont notamment pour réalisateur Pete Hans « Pete » Docter. Né en 1968 dans le Minnesota, élément biographique qu’il partage avec Riley, l’héroïne de Vice-Versa, Pete Docter est devenu au fil du temps une figure incontournable des studios Pixar, notamment pour son rôle dans la genèse du désormais culte Toy Story. Au moment où les titres de presse célèbrent l’excellent démarrage du dernier-né Pixar dans nos salles, sorti le 17 juin, Cleek vient apporter un bémol aux louanges généralisées. Si vos Émotions sont bien accrochées, happez le Train des Pensées pour faire avec moi une petite escapade au Pays de l’Imaginaire… Et de la critique.

 

[divider]La cartographie du cerveau en oublie le scénario[/divider]

 

L’idée de départ était pourtant alléchante. Le début du film coïncide avec la naissance de Riley, et avec elle, de Joie. Vice-Versa nous propulse à l’intérieur de la tête de notre jeune héroïne, où les émotions seraient des allégories influant sur le comportement de la jeune fille. Nous avons donc Joie, Tristesse, Dégoût, Colère et Peur, dont le ballet quotidien régit à son insu les journées de Riley. Joie aimerait bien être seule aux commandes, mais la molle Tristesse et ses camarades d’Émotions négatives sont des collègues de travail avec lesquels elle doit bien composer. Tout se passe pourtant pour le mieux, jusqu’au jour où la famille de Riley déménage.

Dès l’amorce de ce synopsis apparaissent d’ores et déjà deux difficultés majeures du film : comment intéresser et faire s’identifier le spectateur à des personnages qui, par nature, n’expriment qu’une seule émotion et comment faire exister le personnage de Riley face aux aventures de ses Émotions ?

 

Vice Versa émotions

 

La réponse est simple, Vice-Versa ne trouve pas la réponse à ces deux écueils pourtant prévisibles, et le spectateur adulte, pourtant cible historique de Pixar et de Disney qui ont toujours su lui consacrer un niveau de lecture, se retrouve bientôt irrité par l’expression systématique d’une seule et même émotion selon les personnages. Quant au traitement réservé à Riley, sa psychologie, réduite à de si simplistes traits en fait un personnage transparent, voire par moments inintéressant. Ce va-et-vient entre les aventures des Émotions et le monde de Riley, qui se fait au détriment du développement scénaristique du personnage de Riley, explique pour une large part que le spectateur adulte ait autant de mal à s’intéresser à l’enjeu scénaristique principal, qui est de rendre Riley heureuse, ce qu’avaient pourtant très bien réussi d’autres productions Pixar telles que Là-Haut ou Le Monde de Némo.

Le spectateur navigue donc entre l’histoire du Quartier cérébral des Émotions et la vie de Riley. Si l’idée de départ de Vice-Versa était intéressante, le film échoue assez lamentablement à la mettre en scène, et évacue rapidement les développements potentiels de son idée. En effet, au lieu d’assister à la gouvernance des Émotions aux commandes de la nouvelle vie de Riley et de tous les défis que celle-ci comporte (se faire de nouveaux amis, s’adapter à la vie de San Francisco, aller en cours, commencer sa puberté, et on en passe), le scénario évite de façon frappante la difficulté en nous inventant une diversion : Joie et Tristesse se retrouvent par accident projetées en dehors du Quartier cérébral des Émotions, et doivent à tout prix y retourner, car il en va du bonheur de Riley (désormais donc littéralement privée de Joie.) S’ensuit une partie assez pénible du film où le spectateur assiste, impuissant, à un développement du scénario sur 50 minutes qu’il aura aisément cerné en 30 secondes.

 

 

On conclura ce pugilat du scénario avec la remarque suivante : paresseux (contournement de la difficulté) et prévisible (effondrement progressif des îles et impossibilité pour Joie et Tristesse de rallier le Quartier cérébral), il s’offre en plus le luxe d’être tout à coup incohérent. Si le film crée un univers logique basé sur le fonctionnement des émotions, de la mémoire et de la pensée, il jette en une seule scène tous ces beaux efforts aux oubliettes lorsqu’il fait s’arrêter le Train de la Pensée. En effet, lorsque Riley dérobe la CB de sa mère, faisant s’effondrer l’île de l’Honnêteté, le Train de la Pensée déraille et explose (???). On en déduira donc que dès cet instant, Riley cesse de penser et se transforme donc en euh… Zombie ? Zombie qui prend le bus ?  Allô, scénario ? La navette entre le récit des Émotions et le récit de Riley, et la coïncidence de ses faits et gestes avec les aventures de Joie et Tristesse, pourtant fil directeur du scénario sur lequel se base toute la cohérence du film, cesse tout à coup de fonctionner dans le seul but d’ajouter un énième obstacle au retour de Joie et Tristesse au Quartier cérébral. Misère.

 

[divider]Un conte maladroit sur la fin de l’enfance[/divider]

 

Vice-Versa est sans doute loin d’être le meilleur film de Pixar, bien que la qualité visuelle à laquelle nous a habitués les studios soit au rendez-vous. Les images sont belles, quoi que sans la patine qu’apportait l’émotion de Là-Haut, pour ne citer que lui. L’incapacité flagrante du film à émouvoir le spectateur adulte est un défaut majeur, car le niveau de lecture qui lui est habituellement réservé avec sa dose de références fait cruellement défaut à Vice-Versa. Mis à part la trouvaille du running-gag de la publicité pour le dentifrice à laquelle nous rions de bon cœur, les scènes d’humour qui ont fait la patte du made in Pixar sont moins percutantes, et la balourdise du scénario conjugué au manque d’enjeu émotionnel font du film un récit cousu de fil blanc.

 

 

Sans magie pour porter le scénario et insuffler au long-métrage une dimension sublimée, l’interprétation du monde réel selon Pixar patauge un peu dans la semoule. Vice-Versa est une tentative, de nature finalement assez scientifique pour un film d’animation de son gabarit, de faire sens de procédés neurologiques complexes qui régissent l’esprit humain. À ce titre, la créativité de Pixar semble s’en être retrouvée muselée. De Toy Story au Monde de Némo, en passant par Là-Haut et Monstre & cie, la folie douce et la magie qui animaient les récits du studio d’animation ouvraient au scénario des voies riches de possibilités. Pixar a tout fait, dans des rebondissements et des trouvailles visuelles qui nous ont souvent laissés scotchés sur nos sièges. Parce qu’il n’est pas soumis aux contraintes physiques et réalistes du monde réel, le film d’animation dispose d’une liberté créative qui lui est propre, à condition qu’il porte son récit à des hauteurs qui provoquent et défient l’imagination. Si l’on peut se féliciter que Pixar explore le monde réel et ses aspects les plus terre-à-terre, le récit de Vice-Versa sur la fin de l’enfance méritait un traitement plus ambitieux, et plus abouti.

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