La boîte à musique : Game of Thrones
Bonjour à tous et bienvenue dans le second numéro de cette nouvelle chronique de Cleek. Vous l’aurez compris, il sera question ici de musique, et plus particulièrement des musiques qui ont bercé et qui continuent de bercer l’univers geek, qu’il s’agisse de jeux vidéo, de films ou d’animés. Le format de cette chronique pourra varier d’un numéro à l’autre selon les musiques qui vous seront proposées. Présentations, analyses, extraits de partitions seront autant d’éléments que vous pourrez retrouver dans la boîte à musique de Cleek. Et puisque nous parlons ici de musique, je vous propose de découvrir à la fin de chaque numéro de cette chronique une petite cover « fait maison » d’un thème emblématique de l’univers geek.
Côté chroniques, vous avez pu ce mois-ci profiter d’une riche analyse du film « Cloud Atlas » avant de découvrir une nouvelle facette des USA autour d’une chronique basée sur San Francisco et enfin, pour les gourmands, encore un peu de patience puisque la chronique autour du Speed Cooking arrivera la semaine prochaine. Cette semaine, après avoir exploré les musiques de Final Fantasy dans le premier numéro, je vous propose de découvrir les musiques de la célèbre série « Game of Thrones », et plus particulièrement par le biais d’une analyse musicale de son thème le plus connu, celui de son générique : Ouvrez donc la boîte à musique !
[divider]Un phénomène mondial[/divider]
C’est autour de l’œuvre littéraire majeure de George R.R. Martin que s’articule ce nouveau succès audiovisuel, diffusé sur la chaîne HBO depuis le 17 avril 2011. Nous en sommes désormais à la cinquième saison, et plus ou moins avancés, selon si vous avez succombé ou non à la tentation de regarder les quatre premiers épisodes ayant malencontreusement fuité (hell yes… enfin, je veux dire… ho, c’est dommage !). Quoi qu’il en soit, si Game of Thrones rencontre aujourd’hui un succès aussi conséquent, c’est bien évidemment grâce à la belle immersion visuelle que les réalisateurs ont su retranscrire des livres originaux, tout comme par la richesse du casting proposé au téléspectateur. Néanmoins et comme souvent, la musique joue, là encore, un rôle considérable, quoiqu’assez discret à première vue. Les ambiances sonores de Ramin Djawadi, le compositeur de la série, collent parfaitement aux décors et aux scènes pour un rendu émotif toujours plus percutant. Et puisque l’on parle de musique qui marque les esprits, nous allons bien sûr nous pencher sur LA mélodie que l’on connait tous, ou presque : celle du fameux opening de la série.
Le générique de Game of Thrones, somme toute assez long pour un opening de série, propose une visite à divers endroits phares des Sept Royaumes, le tout emporté par une musique rythmée, sans toutefois manquer de lyrisme, ni d’un côté épique plus que remarquable. Du point de vue de sa structure formelle, la musique d’introduction est écrite pour orchestre (un choix judicieux pour insuffler un caractère épique à la musique) dans une mesure ternaire en 6/8.
Mesure ternaire : mesure où les temps sont divisibles par trois.
Ici, nous retrouvons donc 6 croches regroupées en deux temps afin de former la mesure complète. Alors, pourquoi ce choix d’une mesure ternaire, a priori plus rare qu’une conventionnelle mesure binaire ? Tout simplement parce que le rythme ternaire (par trois, donc) à tendance à favoriser une sensation de rebond qui « emporte » davantage l’auditeur. Les temps sont ainsi plus marqués, sans pour autant sembler abrupts dans leur division comme le ferait une mesure binaire. Un subtil mélange entre fermeté et douceur est donc à l’origine de la structure de cette musique.
Parlons maintenant de la tonalité du morceau.
Tonalité : Une tonalité se définit comme une gamme de sept notes, désignée par sa tonique (première note de la gamme donnant son nom à cette dernière, donc ici, fa) et son mode (majeur ou mineur).
Le générique d’ouverture de Game of Thrones est écrit en do mineur, une tonalité qui, selon certains traités d’analyse et d’écriture musicale (Mattheson, Charpentier) symbolise un aspect guerrier (pour la tonique de do) et une autre sensation plus mélancolique, teintée de tristesse et « d’obscurité ». Le choix de cette tonalité n’est donc probablement pas un hasard, puisqu’il se réfère directement aux conflits et autres noirceurs à venir tout au long de la saga.
Passons maintenant à l’analyse de la musique en elle-même. Le générique d’ouverture de Game of Thrones est constitué de deux parties distinctes, écrites, nous le verrons, sur le même procédé musical, même si en soi, les mélodies divergent d’une partie à l’autre. Voici donc comment le morceau s’articule.
[divider]Partie A[/divider]
Elle s’étend du début jusqu’à 1′. On notera par ailleurs que les deux parties semblent former une symétrie quasi parfaite, puisque le morceau dure près de deux minutes. Les deux parties sont donc, à quelques secondes près, strictement égales en temps.
Cette première partie débute en nous présentant un motif musical qui servira de support tout au long de la musique. Ce même motif sera donc une base structurelle à la fois rythmique (de par son rythme constant et identique) mais aussi harmonique (puisque transposée sur les arpèges de chaque accord du morceau). Ce procédé musical est appelé en musique un « ostinato ».
Arpège : Succession de notes jouées l’une après l’autre, et détaillant le schéma d’un accord, résultat que l’on obtiendrait si l’on jouait toutes ces notes en même temps.
Ostinato : Il s’agit de la répétition systématique d’une cellule harmonique, mélodique ou rythmique accompagnant de manière immuable les autres éléments musicaux d’un thème.
Le rôle de ce procédé musical ? Celui d’établir grâce à un motif marquant et répétitif un point de repère pour l’auditeur. Une manière en quelque sorte de structurer son écoute, et ce dès la première audition. Cet ostinato s’articule donc sur l’accord principal de notre tonalité, do mineur, pendant deux mesures, avant d’être repris en do Majeur les deux mesures suivantes, ceci étant à voir comme un petit agrément de l’introduction, afin de garder l’attention de l’auditeur grâce à ce léger changement harmonique. Le voici sous forme de partition.
Arrive ensuite la mélodie principale, celle que l’on fredonne presque de mémoire désormais. Elle est exposée une première fois par un instrument soliste, le violoncelle (ou une viole de gambe, son équivalent médiéval). Les percussions, elles, se chargent de marquer les temps, et de broder autour de ces derniers.
La mélodie s’articule de la façon suivante : deux mesures de mélodies et à la rythmique identique embrayent sur deux mesures de l’ostinato initial, et ce deux fois de suite. Le thème est ensuite repris selon le même modèle, enrichi cette fois d’un violon qui double le violoncelle et agrémente la mélodie de petites ornementations qui donnent à la musique ce caractère typiquement médiéval (en plus du choix de l’instrument). Enfin, cette même mélodie sera reprise une troisième et dernière fois, par les violons de l’orchestre au complet, et quelque peu variée rythmiquement. Enfin, pour les plus curieux, il est à noter que la mélodie de cette première partie se construit sur une marche harmonique (à savoir une même mélodie transposée, à quelques détails près, sur d’autres accords.)
Pourquoi exposer donc trois fois de suite une même mélodie ? Tout simplement parce que le fait d’ajouter chaque fois un ou plusieurs instruments applique un effet d’accumulation sonore. On commence avec un instrument soliste et on finit avec un orchestre, qui donne alors à la musique ce côté épique. Voici la partition de cette première partie, agrémentée des accords en notation anglaise.
[divider]Partie B[/divider]
Elle s’étend à partir de 1′ jusqu’à la fin.
Après une première partie plutôt marquée du point de vue rythmique, nous arrivons désormais sur un passage beaucoup plus doux et lyrique. La mélodie principale, toujours soutenue par l’ostinato du début, est interprétée aux violons sur huit mesures. À peu de choses près, il y a une note par mesure (beaucoup moins que dans la première partie donc), ce qui donne à ce passage un côté plus linéaire, chantant et lyrique. Les percussions continuent de rythmer tout cela, en marquant et en agrémentant les temps forts de la musique.
Tout comme la première partie, cette partie se répétera, une seule fois par contre, avec comme changement le fait de transposer cette même mélodie une octave plus haut (huit notes plus haut donc). L’effet recherché ici est simplement de renforcer l’aspect mélodique du passage, en lui conférant plus de lyrisme et plus d’éclat (étant située dans un registre plus aigu). Voici la partition des huit mesures de cette mélodie, avec encore une fois, les accords correspondants, en notation anglaise.
Le discours se coupe alors brutalement tandis qu’il était à son paroxysme, nous laissant comme ultime résonance l’ostinato initial, joué au luth.
L’effet d’accumulation, mais également le choix du registre et des instruments sont donc les clés de la réussite de cette musique, ce qui lui insuffle ce caractère chevaleresque et mélancolique à la fois. Cependant, la musique de Game of Thrones ne se veut pas seulement épique, s’illustrant à de nombreuses reprises dans des musiques plus intimistes, comme nous allons le voir maintenant dans notre cover de la Boîte à musique !
[divider]Cover[/divider]
Cette dernière section portera sur la célèbre mélodie s’articulant autour de la chanson « Les pluies de Castamere ». Cette dernière, dont les paroles sont directement tirées du livre, est audible à de nombreuses reprises tout au long de la saga. C’est une comptine, au caractère triste et intimiste, ayant pour but de mettre en garde ceux qui oseraient défier la maison du Lion : les Lannister. En voici les paroles :
« Et qui êtes-vous, dit le fier seigneur, Pour que je doive m’incliner si bas ? Rien qu’un chat d’une autre fourrure, Et voilà ma vérité vraie. Fourré d’or ou fourré de rouge, Un lion, messire, a toujours des griffes, Et les miennes sont aussi longues et acérées Qu’acérées et longues les vôtres. » Ainsi parla, parla ainsi, Le sire de Castamere, Mais les pluies pleurent en sa tanière, Et plus personne ne l’entend. Oui, les pluies pleurent en sa tanière, Et nulle âme ne l’entend plus. » |
C’est donc autour de cette comptine que je vous propose aujourd’hui de refermer notre boîte à musique, avec une courte cover à trois violons, pour préserver ce côté intimiste et calme, contrastant avec le caractère plus vif et plus rythmé du générique. Enfin pour plus d’anecdotes sur la série ou sur sa nouvelle saison, rendez-vous ici et ici. À bientôt dans la Boîte à Musique de Cleek !
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