Hérédité – La critique
Laurianne « Caduce » Angeon
Hérédité – La critique
Laurianne « Caduce » Angeon
29 juin 2018
Hérédité avait soulevé une immense vague d’enthousiasme lors de sa promotion. Vendu comme un film d’horreur atypique, percutant et terriblement efficace, le premier long-métrage d’Ari Aster s’est même présenté selon les critiques comme le digne successeur de L’Exorciste. À sa sortie, et à la lecture des critiques, Hérédité divise, avec des avis aussi enthousiastes que déçus : les uns louant un renouveau horrifique, un film d’ambiance glaçant, tandis que les autres accusent Hérédité d’imposture relativement à son étiquette épouvante-horreur, blâmant le manque d’action, l’absence de jumpscares, et un scénario trop tortueux. Le genre de préambule qui augure donc le meilleur pour un genre de film qui ne provoque que trop rarement la controverse. Nous nous sommes donc empressées de découvrir Hérédité lors de sa récente avant-première belge.
Difficile – en étant amateur du genre horrifique – de ne pas être totalement enthousiasmé par une bande-annonce telle que celle que nous proposait Hérédité : un casting prometteur, une ambiance terriblement effrayante, un scénario que ne se délie pas dans les quelques minutes de teaser. Bref, une certaine aura de mystère planait autour du succès supposé du film, car il est fait indéniablement de ces œuvres que l’on veut aimer, et grâce auxquelles on se retrouve scotché à notre siège.
Le pari semblait osé, et au départ du film, franchement perdu d’avance. Car si Hérédité arbore l’étiquette du film d’épouvante-horreur, il s’éloigne considérablement des productions modernes et de leur rythme rapide, de leurs effets de sursaut, pour proposer ici une réelle progression, une certaine forme de lenteur dans laquelle on se conforte pour mieux apprécier l’immense crescendo jusqu’à l’apogée finale du film. C’est un parti-pris hautement louable, qui empêchera toutefois à Hérédité de recevoir une critique unanime. Il est pourtant intéressant de briser les schémas horrifiques actuels pour se concentrer sur une œuvre originale, véritable drame familial évoluant lentement mais sûrement en névrose, en thriller, jusqu’à enfin mériter le tag tant attendu de l’horreur. À ce titre donc, et comme on avait pu vous encourager à courir voir Grave il y a quelques temps, courrez voir Hérédité sans a priori, et laissez vous emporter par une histoire, un rythme et une autre vision de la peur.
Il faut dire qu’Ari Aster – surtout pour un premier long-métrage – s’impose d’ores et déjà comme un réalisateur à suivre à tout prix. Il demeure assez incroyable, dans une première œuvre longue, de briser aussi drastiquement (et surtout efficacement) les codes de l’horreur pour mieux les utiliser à son avantage. Ainsi, Hérédité parvient à effrayer là où on ne l’attend pas, après avoir pris le temps d’installer ce scénario dramatique dont on imagine mal qu’il débouchera sur de l’horreur. Les premiers signes perturbateurs insufflent au départ une certaine gêne, puis ensuite, certains autres passages vous percuteront (lol) pour venir vous prendre au dépourvu, tandis que l’horreur connaîtra ses prémices dans une simple altercation lors d’un repas de famille. De la gêne au malaise, jusqu’au dégoût et à l’horreur, Hérédité dresse un pattern d’émotions incroyablement variées qui nous emporte sans concession vers des paysages cinématographique oubliés. À l’instar de films qui réinventaient l’épouvante comme Shining pour son ‘horreur en plein jour, L’Exorciste et Rosemary’s Baby pour leurs ambiances lentes et leurs crescendos insoutenables,Hérédité apporte un second souffle à l’horreur grâce à ce réalisateur qui orchestre l’effroi avec un tel brio qu’on ne peut qu’en redemander.
Ari Aster comprend avec une telle finesse l’horreur qu’il parvient à se jouer de son spectateur : lorsque les plans suggèrent l’évident sursaut, la peur vient d’ailleurs. Jamais de façon brutale, toujours de manière insidieuse et glaçante, souvent détournée. La peur se distille par bribes : on ne voit pas toujours l’objet de l’effroi, mais on le vit viscéralement en subissant les cris qu’il arrache aux personnages, on croit voir venir le danger d’un endroit extérieur alors qu’il est déjà insidieusement à vos côtés, dans le foyer, au sein même de la famille. Ajoutez à cela une mise en abyme du foyer familial par un jeu de miniatures (la mère de famille a comme métier de construire des maquettes et des scènes avec un réalisme épatant : on assiste donc à une reproduction de la maison familiale au sein de la maison familiale) ainsi qu’une folie latente, des cauchemars en cascade, et des dialogues troublants, et vous obtenez une partie de la recette du malaise qu’engendre Hérédité. Il serait ingrat de ne pas mentionner les prestations magistrales de Toni Colette (la mère) qui joue ici avec ses tripes pour amener son personnage au fond de la folie, tout comme le fils (Alex Wolff), personnage à première vue secondaire, mais qui puise sa force dans la lenteur et la progression du film.
Du côté des effets, Hérédité pourrait là aussi trouver un point de divergence chez ses spectateurs. Si dans l’ensemble les effets sont percutants et très réussis (les apparitions fantomatiques, certains revirements scénaristiques brutaux, les passages plus paranormaux), Hérédité n’hésite pas à nous livrer certaines visions horrifiques pendant plusieurs secondes, qui paraissent parfois interminables – dans le sens insoutenable – du terme. Là où les productions horrifiques « classiques » offrent des aperçus d’images violentes mais furtives – le pendant visuel du jumpscare – Hérédité parvient à nous faire passer du choc, à la gêne puis au dégoût. Cette dernière phase de dégoût, pour des spectateurs moins sensibles à la démarche pourrait par contre se transformer en situation quelque peu risible, où l’on interprète alors l’effet recherché comme trop poussif et risible. Et en parlant de rire, j’avais beaucoup entendu que l’on mentionnait des rires en salle lors du visionnage d’Hérédité. Beaucoup ont imputé cela à un échec cuisant des effets du film : j’ai aimé Hérédité, adoré même, et pourtant, je n’ai jamais été prise d’autant de rires durant un film d’horreur, la tension nerveuse étant tellement forte qu’il est parfois difficile de passer d’une scène à l’autre. Très troublant et d’autant plus viscéral, puisque le film vous pousse d’une certaine manière dans vos retranchements émotionnels. Car si l’œuvre offre énormément de répit dans sa première moitié, le crescendo ne connaît ensuite que peu de temps morts. Hérédité ne provoque donc pas de sursaut ou de peur « panique », mais il parvient tout de même à créer une tension latente et grandissante : on n’a pas peur du film, on a peur de le subir, et de poursuivre la chute infernale des personnages, à l’instar de The Witch.
D’autres effets par contre demeurent géniaux : certains arrières-plan, certains effets de flous, d’ombres et de lumière distillent un malaise parfois presque imperceptible au premier abord. Et de ce côté, la bande son fait un travail diaboliquement efficace. Ici aussi, Ari Aster se joue des codes pour nous imposer une profonde réflexion sur le rapport son/peur. Si la musique au sens propre ne profite pas de grands élans novateurs (graves lancinants et descendants pour l’effet de dépressurisation), l’inclusion du son dans l’effet d’horreur est ici totalement surprenant. Pas de grand effet de sursaut donc, mais une utilisation subtile du silence (enfin ! Voilà ce que l’on attendait par exemple de Sans un Bruit !). Et d’autant plus efficace que le silence n’induit pas ici de jumpscare. Un simple silence, glaçant de réalisme, que l’on souhaite voir s’arrêter dès que possible. À l’inverse, certains autres effets de son (notamment certains effet d’interférences, certains sons diégétiques) sont à ce point malaisants que l’on salue leur arrêt brutal vers un silence salvateur. Il n’y a donc, auditivement parlant, aucune zone de confort, ni aucun indice sur ce que le son suppose dans le futur visuel proche. Le son est un effet horrifique en soi, qui comme le reste dans Hérédité, vous emmène là où vous ne l’attendez pas, pour mieux servir la surprise et l’effroi global distillé dans le film.
Côté scénario, si on n’assiste pas là à un exploit d’innovation, Hérédité nous livre une intrigue efficace et plus subtile qu’à l’accoutumée, sans grosses ficelles et avec quelques revirements réellement inattendus. Les clés de compréhension sont livrées habilement tout au long du film sans que l’on pense à leur implication dans l’explication finale, bref, très réussi, à défaut d’être totalement génial. On déconseillera en dernier lieu la Version Française du film : vraiment. Si Hérédité m’a complètement glacé le sang, j’ai parfois été insupportée par les tirades de la mère dont la doublure prête parfois à rire, tant les dialogues se chargent alors d’un côté factice et surjoué. Le superbe jeu de l’actrice vient cependant gommer cet effet, mais à l’instar de Split qui souffrait réellement de sa VF, Hérédité fait partie de ses films où l’interprétation est tellement magistrale qu’il faut véritablement capter toutes les facettes du jeu d’acteur, la voix y compris donc, pour profiter de la performance à la hauteur de ce qu’elle est.
Hérédité n’usurpe pas son accroche d’affiche (même si l’on pourrait diverger sur le fait qu’Hérédité ne traite pas du même thème paranormal) et s’impose comme un film d’horreur qu’il faut voir. Seul le temps nous permettra d’affirmer son caractère inoubliable, mais il faut le voir. Les amateurs d’un genre plus lent et atypique seront comblés. Pour ceux qui redoutent de s’ennuyer, allez-y avec un regard neuf et une indulgence pour sa première partie plus proche du drame que de l’horreur. L’incroyable progression, ainsi que la terrifiante densité du crescendo final sauront récompenser tous les efforts. Foncez !