Legion : les X-Men à la sauce Lynch/Argento !

Cela fait plusieurs années que la 20th Century Fox, détentrice des droits d’adaptation des X-Men, prévoit le lancement d’une série sur nos mutants préférés. Le projet pouvait d’abord laisser froid – quand tous les studios se mettent à nous inonder de super-héros, il n’était pas étonnant que la Fox s’ajoute au nombre de ceux qui envisagent mille nouveautés et n’en sortent qu’une ou deux, parfois très décevantes.

Le regain de confiance vient de deux facteurs : en un an, la Fox a produit Deadpool et Logan, soit les deux films de super-héros les plus originaux et les plus audacieux de ces dix dernières années, de surcroît très différents l’un de l’autre et excellents chacun dans son genre. Parallèlement, leur principal concurrent en matière de séries super-héroïques, Marvel, a placé la barre très haut en collaborant avec Netflix sur les séries de l’univers Defenders. La Fox était donc contrainte de prendre en compte l’ambition de Daredevil et Jessica Jones et le succès des entreprises curieuses et adultes, donc faisant appel à un autre public que le jeune mâle blanc de douze ans qui semblait être la cible naturelle de l’industrie super-héroïque.

 

 

Leur challenger aux grosses machines Arrow, Flash, Legends of Tomorrow, Supergirl d’une part, The Defenders d’autre part, ce sera donc Legion, une série centrée sur un personnage tout à fait inconnu du grand public malgré une relative importance dans les comics, sans acteurs plus renommés. Une série qui d’ailleurs mettra en demi-teinte le lien avec les mutants (il faut attendre plusieurs épisodes pour que l’on commence à entendre les mots « mutant » ou « pouvoirs »), ne s’inscrivant pas clairement dans l’univers construit par les films X-Men, et se contentant de 8 épisodes d’une cinquantaine de minutes à une époque où les standards sont à dix épisodes par saison et où le modèle concurrent de Marvel/Netflix préfère les 13, ce qui surprend naturellement d’autant plus qu’en diminuant les diffusions, la chaîne FX diminue logiquement l’audimat.

Si ces quelques choix peuvent paraître teintés de courage, la série elle-même bascule dans la témérité la plus stupéfiante. C’est bien simple, en achevant le premier épisode je me suis rappelé ce que j’avais ressenti au début d’Utopia, cette impression d’avoir plongé dans un univers génialement déboussolant, additionnant à chaque scène les mystères et les surprises, aussi imprévisible dans son scénario que son imagerie.

 

 

Legion est aidée en cela par son personnage principal, doté de pouvoirs que l’on peine à définir aussi facilement que ceux auxquels nous sommes habitués, et profondément schizophrène. Imaginez le potentiel cinématographique de cette prémisse, et vous n’aurez encore qu’une idée trop sage de ce que Legion a à vous offrir dans son mélange inédit de styles et d’images, mixant Terry Gilliam, James Wan, David Lynch, Tim Burton et Dario Argento, lésinant si peu dans les emprunts qu’il se construit un style à part. Vous vous souvenez peut-être que Victor Bonnefoy (InThePanda) et bien d’autres s’étaient amusés à citer Suspiria en voyant dans Grave un plan de dix secondes d’un couloir éclairé de néons rouges. Regardez Légion et vous comprendrez ce que c’est que de se réapproprier réellement l’esthétique du giallo, et de donner perpétuellement une impression de démesure dans chaque choix esthétique.

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Naturellement, l’impression d’excès peut-être fatigante, et je suis sûr que certains critiques reprochent à Legion son baroquisme trop appuyé, mais il faut savoir apprécier quelque chose d’aussi rare dans la standardisation télévisuelle que ce pur délire, et rarement baroquisme aura été aussi justifié par son intrigue, collant parfaitement à un personnage complètement ébranlé, capable de tout à chaque changement d’humeur, et auquel tous cherchent à assigner une mission alors qu’il peine déjà à assumer son passé et à se comprendre.

Comment ne pas être emporté par une série qui dès le premier épisode fait se succéder, entre deux effets spéciaux parfois un peu cheap, une scène terrifiante (avec la vision horrifique qu’a régulièrement le héros) très léchée, un moment impromptu de comédie musicale et un plan-séquence bourrin ? Sans même parler du morceau d’animation à la craie quand on commence à cerner l’identité de David, du moment muet en noir et blanc tout droit tiré de l’expressionnisme allemand… Ou du travail, surtout marqué dans la deuxième partie de la saison, sur les sons, les détails et les images presque subliminales. Une telle générosité et une telle maîtrise cinématographiques ne peuvent que forcer le respect, et occulter un final légèrement décevant et des interprétations inégales, notamment de la part de Dan Stevens (récemment vu en Bête), globalement très passable mais rarement bouleversant.

 

 

Et je parle vraiment d’ « occulter », au sens où il faut beaucoup de mauvaise foi pour tenter de trouver des défauts à Legion, une série qui a si peu à voir avec les faiblesses des films de Bryan Singer qu’on se demande comment il peut en être un producteur exécutif, comment la Fox a fait pour la faire co-produire par Marvel et adouber par Stan Lee, et comment le contexte contemporain de production des fictions super-héroïques a pu rendre possible une si belle tripotée de freaks. Désorientés par le triomphe commercial et critique des dernières entreprises radicales de la Fox, Marvel/Disney et DC/Warner vont peiner à rivaliser avec le renouveau artistique proposé par une série qui est déjà l’une des meilleures de 2017.