Faut-il regarder DC’s Legends of Tomorrow ?

 

Une saison dure conventionnellement une dizaine d’épisodes, au lieu desquels il serait possible de voir environ cinq films. Il est donc indispensable de juger au plus vite si une série mérite notre attention au point de creuser à ce point nos lacunes cinématographiques. C’est pourquoi nous vous proposons aujourd’hui une review de l’épisode-pilote – plus précisément de la première partie de l’épisode pilote – de la série DC’s Legends of tomorrow, diffusée sur la chaîne américaine The CW. Cette série, qui se prolongera sur seize épisodes, fut préparée sans beaucoup de subtilité aussi bien dans Arrow que dans Flash, ce spin-off qui n’en est pas un partageant le même univers.

« Qui n’en est pas un » parce que l’objectif est clairement de s’appuyer sur ces deux séries en limitant autant que possible les interactions, ce que permettent et justifient les voyages dans le temps de Legends of tomorrow. Et c’est heureux : combien de spectateurs n’étaient pas las de se faire spoiler Arrow par Flash et Flash par Arrow, sous prétexte qu’il fallait regarder en cours de saison tel épisode de la première série entre tels autres de la deuxième ? Quel chaos s’il fallait désormais, après le quatrième épisode de Flash, regarder deux épisodes de Legends, un d’Arrow, un autre de Legends, puis revenir à Flash, pour être sûr de ne rien perdre de l’évolution narrative de ces séries ? Les cross-overs participent d’une ambition louable, et il est intéressant que CW assume mieux dans ses séries l’univers partagé que les séries Marvel ne le font pour le moment, mais cela demande une maîtrise dont la chaîne ne sait pas toujours faire preuve.

 

Des légendes inconnues ?

 

Si cette nouvelle série s’intitule Legends of tomorrow, ce n’est malheureusement pas en référence à Superman, « the man of tomorrow », mais parce que…clairement ses personnages ne sont pas des légendes d’aujourd’hui, ce qui a sans doute participé à la faible hype de la série (le pilote a été moins vu que le final de Heroes Reborn, diffusé sur la même case horaire !). Même si le pilote n’hésite pas à en plaisanter, à s’en excuser pratiquement, en assurant les spectateurs que, grâce à leur capacité à voyager dans le temps, ces héros pourront s’ériger au rang des autres légendes, difficile de ne pas avoir l’impression que l’accumulation de personnages secondaires doit compenser l’absence de personnages comme Arrow ou Flash, aussi peu « majeurs » soient-ils déjà.

Jugez par vous-même : Pour vaincre Vandal Savage (sérieusement…) qui, ressuscité, règne par la terreur sur la Terre en 2166, l’agent du temps Rip Hunter (pas mieux, hein ?) rassemble à notre époque une équipe composée de Ray Palmer, Sara Lance, Mick Rory, Leonard Snart, Carter Hall, Kendra Saunders, Jefferson Jackson et Martin Stein, peut-être plus connus sous les noms (dans l’ordre) d’Atom, White Canary, des super-vilains Heat Wave et Captain Cold, Hawkman et Hawkgirl et des deux hommes qui en fusionnant forment Firestorm. Mais il ne pose la question ni à Flash ou Arrow, ni à Superman ou Batman, ou aux nombreux autres héros dont il doit connaître l’histoire, pour des motifs qui [ton très sceptique :] seront sans doute exposés par la suite.

La première partie du pilote peut-elle narrer autre chose que le rassemblement de ces neuf personnages ? Tout à fait ! En fait, les huit « héros » n’ont besoin que de trente-six heures, synthétisées en 6 minutes (soit même pas une minute par personnage) pour accepter de suivre un parfait inconnu dans un soi-disant voyage dans le temps pour vaincre un hypothétique adversaire. C’est à se demander pourquoi les super-vilains s’embêtent à ce point alors qu’il parait si facile de réunir tant de héros au même endroit en ayant toute leur confiance !

Il est donc question de se rendre en 1975 pour rencontrer un professeur spécialiste de Vandal Savage qui leur donnera un petit carnet rouge contenant des informations permettant de le localiser. Lequel professeur rappelle l’histoire de Hawkman et Hawkgirl : dans l’Egypte ancienne, Savage était amoureux d’une femme qui en aimait un autre, et les assassina tous deux, mais l’exposition aux radiations d’une météorite lia Savage, Hawkgirl et Hawkman par d’extraordinaires pouvoirs. Savage assassina régulièrement les réincarnations de Hawkman et Hawkgirl, ce qui lui permettait de prolonger sa propre vie, le professeur étant justement l’enfant de l’une de leurs précédentes incarnations, tout en influençant les grands dirigeants au cours de l’histoire pour provoquer guerres et massacres.

Mais le vaisseau de Rip Hunter est attaqué par un mercenaire aux ordre du Conseil du Temps qui ne tolère pas son interventionnisme, le professeur est tué dans l’attaque et Hunter doit expliquer qu’il cherche à tuer Savage pour venger sa femme et son fils, et que n’ayant pas su gagner le soutien du Conseil du Temps, il œuvre seul et dans la plus parfaite illégalité.

 

Le chaos pour vaincre le chaos ?

 

Vous êtes dubitatifs ? C’est que vous n’avez rien lu encore : ce pilote pose un grand nombre de problèmes, à commencer par les incohérences narratives. Passons sur le choix des héros pour évoquer le fait que Chronos, le mercenaire au service du Conseil du Temps, n’hésite pas à tuer le professeur ainsi que des civils rencontrés en 1975. Sa tache étant précisément non d’empêcher Hunter de tuer Savage mais de l’empêcher de modifier le temps, dont le Conseil cherche à préserver le cours malgré la possibilité des voyages temporels, cette erreur est assez extraordinaire, et place d’emblée le Conseil dans le camp des méchants, alors qu’ils semblent vouloir défendre une conception tout à fait digne d’intérêt.

Mentionnons également que Hunter ne lève pas beaucoup d’objections quand Hawkman et Hawkgirl invitent le professeur à les rejoindre, et que l’IA du vaisseau temporel n’empêche pas les héros qui y étaient confinés en attendant le retour du groupe allé voir le professeur de sortir, boire un coup et se battre dans un bar revêtus de leurs costumes contemporains, alors que nous avions évidemment eu droit au laïus « toute intervention dans le passé peut avoir des conséquences incalculables dans le futur ». Gageons qu’il sera question de cette règle comme ressort dramatique dans des épisodes ultérieurs, mais que les actions de cet épisode n’auront aucun impact, parce qu’on peut être un héros responsable et aller boire un coup en cassant quelques machos dans le passé : tant que le spectateur trouve ça cool, aucune raison que l’Histoire s’en formalise.

Autre grande incohérence, pas des moindres, dans le fait que le professeur, en racontant l’histoire de Vandal Savage, montre plusieurs photos où on le voit à côté de grandes figures, prouvant son influence néfaste au cours de l’Histoire. Donc on sait exactement où il était à ces moments précis, dont même wikipedia peut donner le jour et l’heure, parfait pour le retrouver ! Manifestement, seul le carnet intéresse pourtant Rip Hunter, et il est peu probable (même s’il faut l’espérer !) qu’on comprenne pourquoi des lieux et des dates ne répondent pas à son objectif de localiser Savage.

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Finissons en faisant remarquer que, d’après les dires mêmes du professeur, Savage a été responsable d’un grand nombre d’atrocités au cours de l’histoire. Outre la stupide naïveté de la vision du monde ainsi exposée, qui dédouane les hommes au profit d’un seul super-vilain, pourquoi tenter d’empêcher sa conquête du monde au XXIIème siècle et pas carrément toutes ses autres atrocités en remontant à la source ? Il n’en est évidemment pas question, cela remettrait en cause l’existence même de Rip Hunter et des légendes, alors que le but est d’assurer cette existence en n’empêchant que « l’avenir ». Alors que les faits futurs sont aussi avérés que les faits passés, le voyage dans le temps leur conférant à tous une même vérité, l’individualisme triomphe. Nécessité pour maintenir une cohérence et un confort du spectateur, mais immense pauvreté idéologique.

Les acteurs ne sont dans l’ensemble guère là pour rehausser un bilan peu favorable à Legends of tomorrow. Certains sont simplement à la ramasse (Hawkgirl et Hawkman, le professeur), aucun n’est pleinement convaincant, même si on admettra une faiblesse personnelle pour Brandon Routh (qui avait incarné un Superman tout à fait viable dans le film de Bryan Singer et dont le personnage de Ray Palmer est malgré tout prometteur), et que celui qui s’en sort le mieux est de loin Rip Hunter. Il faut dire que son interprète, Arthur Darvill, avait déjà été remarqué pour son rôle important de Rory Williams dans les saisons 5 à 7 de Doctor Who, et qu’il a vraisemblablement été choisi pour surfer sur la vague britannophile de l’Entertainment contemporain, tout en peinant à égaler ceux de ses pairs qui ont été débauchés par Marvel et y excellent : David Tennant, Tom Hiddleston et Benedict Cumberbatch (on s’avance un peu, mais il est peu probable que sa prestation de Dr. Strange déçoive).

Le choix du Danois Casper Crump pour incarner Savage est en revanche d’autant plus surprenant qu’il lasse d’avance par sa conformité à tous les stéréotypes du méchant – clairement, DC est très en retard sur Marvel dans ce domaine. En parlant de stéréotypes, il faut remarquer que l’ensemble du casting correspond à l’idée qu’on se fait d’une équipe lambda cherchant à éviter les reproches de racisme et misogynie (elle contient un noir et deux femmes) pour se vautrer dedans : les deux femmes ont des formes parfaitement avantageuses, Franz Drameh parle américain comme on s’attend à entendre un noir parler américain (n’y manquent que les « bro » en fin de chaque phrase, impossibles puisqu’il est manifestement le seul noir au monde), les hommes sont tous adeptes du culturisme, à l’exception du Canadien Victor Garber, seule demi-célébrité de la distribution, en vieux beau…

Les effets visuels ont quant à eux été très applaudis : il faut mentionner que la série coûte quatre fois plus cher que Gotham, c’est dire l’ambition de la Warner, et il n’en fallait pas moins pour donner de la crédibilité à un projet de voyages dans le temps pour éviter un avenir apocalyptique. Notons tout de même que la projection par Rip Hunter d’un monde en ruines sur le toit du bâtiment où il réunit pour la première fois l’équipe crie si fort qu’elle est en fait un fond vert qu’on se demande pourquoi de l’argent a été investi à le couvrir d’images, sans compter le faux-raccord grossier (économique ?) consistant à nous montrer tantôt que cette projection entoure les personnages, tantôt que les personnages la regardent médusés sur fond de ville contemporaine tout à fait intacte… Et la bataille contre Chronos évoque vraiment par sa crudité chromatique le film que vous feriez en filmant des amis en cosplay dans un parc. L’absence de tout travail colorimétrique dans cette scène n’est vaguement dissimulée que par une caméra maniérée et un montage à la limite du frénétique, bref une réalisation sans inventivité ni charme qui caractérise tout le pilote et fait assez peine à voir…

Bilan : une faible lumière dans les ténèbres de l’avenir

 

Tout en servant d’antichambre à la réunion cinématographique des héros de la Justice LeagueDC’s Legends of tomorrow lorgne clairement du côté des Gardiens de la galaxie, d’Agents of S.H.I.E.L.D. et de Doctor Who, non seulement de par son intrigue, mais également par sa tonalité, à la base dramatique mais forçant régulièrement sur le comique, ce qui n’est pas encore abouti. Elle échoue pour l’heure à convaincre, proposant un divertissement assez conventionnel, correctement rythmé mais platement écrit, interprété et filmé. Il faut cependant bien voir que la sévérité de ces critiques est partagée par une grande partie des spectateurs de la première partie du pilote, et qu’il est probable que DC cherche à rectifier le tir. On pourrait ajouter qu’il ne s’agit que d’un pilote, et que les vrais épisodes seront sans doute mieux joués et mieux tournés, mais cela s’est trop rarement vu pour qu’on s’y attende dans l’immédiat. Il est par contre possible que les auteurs de la série cherchent à donner un réel background aux différents héros, même si, à l’exception du couple Hawkman-Hawkgirl pour lequel cela s’est fait en deux minutes, les personnages en paraissent dépourvus. Or il est indispensable que l’écriture des personnages, qualité par laquelle ne brillent pas particulièrement les séries DC, devienne une préoccupation majeure des showrunners, et idéalement que quelques mises au point soient faites sur le Conseil du temps et les règles et limites du voyage temporel pour commencer à satisfaire un tant soit peu le spectateur le moins exigeant. Et si le but est de créer un pendant fun à la Ligue de Justice

 

 

VERDICT : confiance limitée – je conseille de finir le pilote, dont la deuxième partie sort aujourd’hui aux États-Unis. Si vous n’êtes pas dégoûtés définitivement, poussez la confiance jusqu’à regarder le premier réel épisode. Vous pourrez alors estimer en avoir bien assez vu pour ne pas croire une rédemption immédiate possible, et il ne vous restera plus qu’à lire le récap’séries de cleek, particulièrement pour la mi-saison et le season finale, qui vous diront assez si la Warner a enfin consenti un changement de cap.