Test de Dark Souls, le jeu de cartes : exploit héroïque ou carcasse sans âme ?
Je n’ai jamais réussi à me mettre à Dark Souls. Pourtant fasciné par son lore – enfin plus précisément fasciné par la fascination des autres pour son lore – j’ai bien entendu plusieurs fois essayé de m’intéresser au jeu vidéo culte de Hidetaka Miyazaki, From Software et Bandai Namco, pour admettre à chaque fois que décidément, malgré tout ce qui chez lui pouvait résonner en moi, son exigence ne collait pas avec ma manière de pratiquer le jeu vidéo.
Sans doute plus expert en jeux de société, j’ai donc vite été intrigué par son adaptation en jeu de plateau, puis en jeu de cartes par le même David Carl (Godtear), pour le même éditeur Steamforged Games, spécialiste des licences vidéoludiques (Devil May Cry, Resident Evil, Ni No Kuni, Pac-Man). De quoi intriguer d’autant mieux que, contre toute attente, le jeu de cartes semble plus apprécié que le jeu de plateau, a été localisé par Pétard Troll et distribué par Funforge, un éditeur français certes remarquable (Tokaido, Évolution, Patchwork…) mais qui ne cultive que depuis peu une identité authentiquement geek (Monumental l’était déjà un peu, Zombicide : La Nuit des Morts vivants, et bientôt Kung Fu Panda et Bloodborne le sont plus évidemment), de sorte que l’on peut encore lui faire confiance pour ne pas se lancer aveuglément dans la distribution française d’un nouveau titre.
Vendu 45 euros, Dark Souls : le jeu de cartes s’adresse à 1 à 4 héros de 12 ans et plus pour des parties d’environ une heure. Un format étonnamment timide en comparaison de l’exubérance attendue d’une telle licence, qui peut aussi promettre une expérience épurée et plus radicale que celle du passionnant mais trop long God of War par exemple.
Chargement du monde
Si vous craigniez une mise en place fastidieuse pour un jeu simulant pas moins que le jeu Dark Souls, rassurez-vous, de toute évidence, l’épure a été au cœur des préoccupations des auteurs, peut-être justement pour distinguer le jeu de cartes du jeu de plateau.
Les joueurs commencent logiquement par choisir leur classe, chevalier, sorcier, assassin et héraut [curieusement nommés en anglais, sans doute pour des questions de licence], chacun doté de sa capacité spéciale, de sa valeur de menace et de son propre deck de 28 cartes de départ. Ces héros sont disposés sous forme de cartes sur des emplacements différents plateau bataille personnage, créant un semblant de formation évidemment crucial dans un jeu où il est aussi important de savoir quand attaquer et quand se défendre, quand s’exposer et quand parer, quand attirer l’attention et quand la fuir.
On appréciera que le jeu propose de constituer les decks des personnages librement à partir des cartes des quatre decks de départ. Il va de soi que cela demande une certaine aisance, parce que l’on cherche alors des synergies qui ne sont pas si naturelles, mais cela crée d’emblée une plus grande impression de liberté dans la préparation à l’aventure, et donc une meilleure implication des joueurs.
Le plateau d’exploration est placé sur la face représentant les deux boss que l’on est prêt à affronter (Vordt et Sulyvahn, ou le Veilleur des Abysses et Wolnir si l’on suit les recommandations des règles). Il porte également cinq emplacements accueillant cinq cartes Rencontre, deux de niveau I, deux de niveau II et une de niveau III. Sachant que la boîte comporte respectivement 10, 12 et 8 cartes de ces niveaux et que l’on remet dans la boîte celles qui ne sont pas utilisées lors de la mise en place, cela garantit déjà une relative variété des parties.
Il ne reste alors plus qu’à disposer quelque part à portée des joueurs les jetons et à empiler près des plateaux les trois paquets de cartes Ennemi de niveau I, II et III, la carte Boss et ses cartes de comportement, les cartes Trésor commun, les cartes Trésor transposé, les cinq cartes Feu de camp dans l’ordre croissant et les huit paquets de cartes d’endurance, formant le marché d’endurance.
En somme, si le matériel est bien rangé dans la boîte, la mise en place peut ne prendre que quelques minutes, tout en promettant une richesse évidente de gameplay par la variété des cartes. Reste à voir bien sûr si la promesse est tenue…
Exploration des profondeurs
Sur le plateau d’exploration, une icône de feu de camp est reliée par des sentiers à des cartes Rencontre. Les joueurs choisissent donc l’une de ces rencontres, en adaptant bien entendu sa difficulté à ce que l’équipe est en mesure d’affronter à ce stade de la partie.
Ils commencent alors par positionner leurs cartes Personnage sur les emplacements vides du plateau de bataille, puis piochent six cartes s’ils n’en avaient pas en main. On dévoile alors autant de monstres qu’indiqué sur la carte Rencontre, positionnés comme indiqué sur les cartes Monstre, et ces monstres attaquent.
Pour cela, le monstre cible l’emplacement indiqué sur sa carte, ou le Héros avec la plus haute valeur de menace si l’emplacement est vide. Il va de soi que les héros pourront réagir avec des parades et esquives ! Tout dégât pris impose cependant de défausser une carte de sa main ou du dessus de son deck, un dommage apparemment bénin dont vous verrez vite à quel point il est important…
Quand tous les ennemis ont été activés, les héros piochent jusqu’à avoir 6 cartes en main, puis contre-attaquent enfin. Ils ne jouent pas dans un ordre prédéterminé, et n’effectuent même pas des actions dans un ordre précis, mais définissent de concert l’ordre des actions des héros auquel ils vont recourir. Un personnage peut par exemple défausser des cartes de sa main pour en piocher le même nombre, un deuxième déplacer sa carte Personnage d’un emplacement, puis ce deuxième défausser des cartes également, le premier utiliser une capacité héroïque, le troisième attaquer et déplacer son personnage…
Un héros ne peut attaquer qu’un ennemi situé dans la même colonne et sans qu’il y ait entre eux d’autre héros ou ennemi. Il dépense alors des cartes Endurance (lui fournissant de l’endurance de Dextérité, Intelligence, Force ou Foi – non, cela ne sonne pas très bien) afin de remplir les exigences de l’une des attaques de ses équipements (qui disposent généralement de plusieurs attaques plus ou moins coûteuses et fortes). Il faudra naturellement que la valeur d’attaque soit supérieure à la santé + la valeur de défense de l’ennemi, de sorte qu’exploiter sa faiblesse (aux armes lourdes, habiles, précises ou magiques) peut s’avérer essentiel. En outre, une action rapide permet de récupérer immédiatement l’équipement en main quand l’action lourde la défausse, de quoi méditer encore un peu plus sur la conduite à tenir…
Une fois la rencontre surmontée, on y place un jeton Rencontre terminée tout en la laissant en place. Il sera en effet possible de s’y confronter à nouveau. Elle représente des trésors, tandis que les cartes Ennemi représente combien d’âmes la victoire nous a offert. Les trésors et âmes déjà présents dans notre pile de butin rejoignent notre inventaire tandis que les nouvelles récompenses de rencontre rejoignent notre pile de butin, dont le contenu n’est pas du tout en sécurité encore…
Les joueurs peuvent ensuite retourner au feu de camp ou réaliser une nouvelle rencontre, près du feu de camp ou connectée à une rencontre déjà surmontée. Cependant, si au cours d’une rencontre, un joueur ne peut pas piocher dans son deck alors qu’il le devrait, toute l’équipe est vaincue et retourne immédiatement au feu de camp.
Quand les joueurs vont au feu de camp, ils retournent la carte Feu de camp sur sa face cachée et dévoilent la nouvelle. Les capacités héroïques sont alors régénérées, mais les rencontres aussi (qui perdent leur jeton Rencontre terminée, et devront à nouveau être surmontées pour progresser). S’ils vont au feu de camp par choix, les récompenses dans leur butin rejoignent l’inventaire, mais elles sont perdues si le repos au feu de camp est consécutif à une défaite…
La carte Feu de camp comporte un effet, par exemple l’octroi d’une carte d’endurance, et fixe une taille du deck maximum, croissante au fur et à mesure que l’on avance, et bien sûr que l’on s’approche du dernier feu de camp.
Par ailleurs, le feu de camp est l’occasion de dépenser des âmes pour acheter des cartes d’endurance au marché, ajoutées à l’inventaire, puis surtout de réaliser l’étape que j’ai personnellement trouvé la plus stimulante, l’échange libre entre tous les joueurs des cartes de leur inventaire et de leur deck. Ainsi la coopération prend elle un sens neuf, ne se résumant pas à combattre aux côtés d’autres joueurs mais offrant de participer au développement de chacun, idéalement à la spécialisation des uns et des autres, grâce à la possibilité d’acquérir des cartes pour un allié, ou même simplement de tenter d’autant plus de stratégies !
Cette liberté vous empêchera naturellement de trop vous plaindre des aléas de la pioche. Puisque vous pouvez vous débarrasser des cartes encombrantes et ainsi augmenter vos chances de piocher celles qui vous intéressent, et que vous devriez répartir les spécialités entre les héros afin de réagir efficacement à toute menace, difficile de vous en prendre à quelqu’un d’autre qu’à vous-même si vous n’êtes décidément pas prêt !
Arrive enfin le moment attendu par tout fan de Dark Souls, la rencontre avec le boss. Lors de chacune de ses activations, une carte Comportement définit son mouvement, son attaque et sa faiblesse pour le tour des héros. Chacun des quatre boss du jeu de base possède évidemment des spécificités afin de les distinguer nettement des ennemis de base… mais ces règles particulières bienvenues ne suffisent à mon avis pas à rendre les affrontements épiques.
Il faut dire que la sobriété des cartes n’aide pas, on voit à peine le boss comme on voyait à peine les ennemis, de sorte qu’on est loin du sentiment épique d’un God of War par exemple. Au moins leur défaite procure-t-elle un sentiment d’accomplissement, qui aurait pu être plus intense encore. Comme deux d’entre eux octroient une récompense et deux autres non, on s’assurera de choisir au moins un boss lié à un trésor, voire deux, garantissant une motivation à les affronter ! Une fois les deux boss vaincus, la partie est gagnée !
Dark Souls, petit jeu de cartes ou grand jeu d’affrontement ?
Dark Souls, le jeu de cartes est un titre matériellement sobre, sans doute excessivement, avec ses 350 cartes ayant exactement le même format sans que ce soit mécaniquement nécessaire, ses illustrations judicieusement tirées de Dark Souls III mais si sombres et souvent petites qu’on les perçoit à peine, ses cartes Endurance d’une absolue insipidité… On y perd beaucoup en immersion thématique, en sentiment épique, en impression d’évoluer dans un quelconque univers.
Pourtant, cette sobriété est paradoxalement aussi la force de Dark Souls, le jeu de cartes, en ce qu’elle tranche avec la surenchère de Dark Souls, le jeu de plateau pour une œuvre bien plus fonctionnelle, rapide à mettre en place, à la grammaire pictographique claire, dans une adaptation qui ne prétend pas se substituer à la précédente mais lui être complémentaire pour toucher un autre public, plus sensible à l’épure.
« Épure » est d’ailleurs bien loin ici de s’opposer à « richesse » : la possibilité de constituer son deck de départ sans dépendre des quatre classes pré-construites, la quantité d’ennemis et surtout de trésors, garantit une rejouabilité assez stimulante. Et surtout, Dark Souls, le jeu de cartes est un excellent titre coopératif, une qualité qui n’est bien entendu pas évidente pour un habitué à l’expérience solitaire et exigeante qu’est le jeu vidéo.
La possibilité de partager l’intégralité de son inventaire avec ses alliés autour du feu de camp est en effet un grand moment d’échanges matériels, verbaux et tactiques, puisque l’on n’hésitera pas à y revoir tout son build pour faire tourner son jeu autour de quelques nouvelles cartes précises, tirées à grands frais des griffes de nos ennemis, parfois justement pour les offrir ensuite à un camarade. On n’en ressent que mieux la chaleur du feu, loin des batailles éprouvantes et risquées (tant que l’on combat, le loot peut être perdu), même si chaque moment de repos nous rapproche aussi de la défaite…
Si la chance occupe une place importante dans les victoires ou les défaites des joueurs, entre la bonne ou mauvaise pioche de cartes de son deck, d’ennemis ou de trésors, on se demandera malgré tout systématiquement si on aurait pu mieux construire son avatar, et créer une meilleure synergie avec les autres. Comme dans un Aeon’s End ou un Last Bastion au demeurant, l’aléa est indéniable, mais aussi générateur d’une saine tension, incitant à se développer au cours de combats à peu près sûrs avant d’hésiter à viser des ennemis plus difficiles, au loot plus importants mais auxquels il faut être préparés. Il ne peut pas toujours être contourné, mais il résulte de nombreux petits choix, sublimés par la coopération, toujours elle !
Peu connaisseur du lore des From Software, je suis désormais très curieux des deux extensions de ce Dark Souls, des boss bienvenus qu’elles fournissent en plus des équipements et classes toujours plus variées autour desquels envisager ses parties ; ainsi que du jeu Bloodborne, prévu très bientôt chez Funforge aussi, cette fois en jeu de plateau à campagne !