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Parks – Randonnée dans le plus beau jeu de 2020 ?

Parks – Randonnée dans le plus beau jeu de 2020 ?

 

L’éditeur athénien Keymaster Games (Space Park) avait fait sensation en lançant en janvier la campagne KickStarter du Parks de Henry Audubon, récoltant à peine moins de 420 000 euros de la part de presque 10 000 contributeurs, et acquérant soudainement une réputation que ses quelques jeux précédents étaient très loin de lui avoir acquise.

Cet engouement exceptionnel, il suffit de jeter un œil à la page de la campagne pour le comprendre : des illustrations uniques sublimes du collectif d’artistes Fifty-Nine Parks, qui mettent à l’honneur les parcs nationaux états-uniens (et donnent en effet envie de les visiter tous) tout en leur reversant une partie des recettes, un thermoformage de Game Trayz (WingspanLa Forêt des frères GrimmTang Garden…) particulièrement joli et pratique, l’un des meilleurs que je connaisse, tout cela pour un jeu familial (à partir de 8/10 ans) apparemment assez riche si l’on en juge par la variété du matériel…

Or Parks est localisé ces jours-ci par Matagot (ScytheWingspanL’Île au trésorCairnInisKemet, GnomopolisThe Magnificent…), une belle occasion de vous présenter ce jeu compétitif pour 1 à 5 randonneurs (idéalement 2 ou 3, éventuellement 4) aux balades d’une grosse demi-heure à une heure, vendu 44 euros !

Notez que ce test est rédigé d’après la version originale de Parks, il est donc possible que vous n’y retrouviez pas exactement le vocabulaire de la VF.

 

Avant le trek

 

La première ouverture de la boîte de Parks est un plaisir de tous les instants, et le restera probablement après bien des parties – je ne me lasse personnellement toujours pas de son rangement exceptionnel et de la beauté de son matériel, source inépuisable de contemplation. Les réservoirs à ressources en forme de tronc servent par exemple aussi bien à les ranger qu’à être placés à portée des joueurs pendant la partie, et les jetons qu’il contient ont tous la forme de ce qu’ils symbolisent, pins, montagnes, soleils et gouttes d’eau, tandis que les jetons Animal sauvage, qui auront une fonction de ressource Joker, ont tous une forme d’animal différent, tout à fait inutile et d’autant plus impressionnant.

Le marqueur premier joueur (bien sûr remis au dernier joueur à avoir réalisé une randonnée) est un badge de randonneur faisant plus vrai que nature, toutes les pièces trouvent leur place sans que l’on s’interroge une seconde sur l’emplacement où les ranger, et peuvent être retirées aisément. Que ce soit la matière, la texture, les couleurs, tout inspire une impression de luxe… au point que les tuiles Feu de camp que chacun récupère paraissent étonnamment ordinaires, et les deux meeples Randonneur que les joueurs disposent sur la tuile Début de sentier un peu cheap, avec leur dessin grossier sur chaque face, dont on se serait sans doute bien dispensé…

 

 

La tuile Début de sentier est prolongée par les tuiles Sentier, plus précisément par les cinq tuiles Sentier basique (six à 4 et 5 joueurs) auxquelles on ajoute aléatoirement l’une des quatre tuiles Sentier avancé, le tout étant mélangé puis disposé de façon à former un chemin, au terme duquel on place la tuile Fin de sentier.

Sur le plateau, inutile mais aidant à la mise en place en plus de rappeler les règles, une pile de dix cartes Saison, dont la première indique des ressources à poser sur certaines tuiles Sentier, annonçant la météo sous laquelle s’organisera notre randonnée (plus de gouttes d’eau en cas de pluie, de soleil s’il fait sec…).

Juste au-dessus, une pile de cartes Gourde, dont une est donnée à chaque joueur, et à côté, la pile de grandes cartes Parc dont trois sont dévoilées. Il ne reste qu’à poser la pile de cartes Équipement et à en dévoiler également trois, puis à donner à chacun deux cartes Année (des objectifs personnels dont eux ont connaissance), l’une étant conservée et l’autre défaussée, et la partie peut commencer.

On conçoit l’effort de thématisation de Parks pour nous inspirer autant que possible la sensation de partir en randonnée le long d’un sentier, avec une incontournable gourde et la capacité nécessaire à faire un feu, la possibilité de mieux s’équiper, la recherche de beautés différentes de promeneur en promeneur… Parks va jusqu’à donner au joueur à la droite du premier (donc au dernier) une tuile Appareil photo dans son appel à la contemplation tant mécanique que thématique !

 

Course à la contemplation

 

Les joueurs avancent à tour de rôle l’un de leurs deux randonneurs, celui qu’ils souhaitent, avec l’interdiction de s’arrêter sur une case déjà occupée. On peut contourner cette contrainte en retournant sa tuile Feu de camp, belle solution pour transformer un point de règle potentiellement frustrant en élément tactique.

En arrivant sur une tuile Sentier, on collecte les ressources qui y sont représentées et éventuellement posées, ou on en accomplit l’action. La tuile Vue permet ainsi de piocher une nouvelle carte Gourde, de dépenser deux ressources pour récupérer la tuile Appareil photo et prendre un jeton Photo, ou de dépenser une ressource pour prendre une photo si l’on avait déjà l’appareil.

Toutes les autres tuiles Sentier basiques octroient une ou deux ressources. Une goutte d’eau peut être placée dans notre réserve personnelle de ressources ou dans notre gourde, ce qui déclenche l’effet apparaissant sur la carte (souvent le gain d’autres ressources).

 

 

Parmi les tuiles Sentier avancées, l’une permet d’échanger une ressource contre un jeton Animal sauvage, une autre d’échanger deux ressources contre deux autres ressources (excluant tout animal sauvage), une autre de dépenser une goutte d’eau afin de copier l’action d’un lieu occupé, et le dernier de réserver un parc (c’est-à-dire d’en piocher un ou de prendre l’un des trois face visible pour le placer devant soi), d’acheter l’un des parcs face visible ou l’un de ses parcs réservés en dépensant les ressources indiquées, ou d’acheter l’un des trois équipements face visible.

Les équipements ont des coûts en soleils et des effets très divers : réduction du coût des parcs, gain d’animaux sauvages au lieu de ressources sur une tuile précise, capacité de prendre des photos en dehors des tuiles où cela est normalement possible, possibilité de payer des ressources au lieu de celles indiquées sur un parc pour l’acquérir…

Ils permettent ainsi une grande personnalisation du parcours de chacun et une véritable montée en puissance, dont il deviendra difficile de ne pas abuser – or à un certain stade, la collection de bonus finit par se faire au détriment des parcs…

 

 

La saison a également un impact sur les actions des joueurs : le prix de l’équipement ou des parcs peut être moins coûteux d’une ressource précise, le gain d’une ressource peut en octroyer une autre… Le bon randonneur est celui qui sait tirer profit de la météo !

Quand un randonneur arrive au bout du sentier, son propriétaire retourne son feu de camp (permettant donc de l’utiliser à nouveau pour son deuxième randonneur). Le meeple peut être posé sur trois cases :

  • Réservation d’un parc, et si l’on est premier à choisir cette case, on devient Premier joueur à la manche suivante, jolie compensation d’une action sinon plus faible que les autres.
  • Achat d’équipement, et si l’on est le premier (voire le deuxième à quatre joueurs et plus) à choisir cette case, l’équipement coûte un soleil de moins.
  • Achat d’un parc.

Quand les deux randonneurs d’un joueur se trouvent à la fin du sentier, ledit joueur ne peut plus jouer. On comprend la tension sur laquelle repose Parks : se dépêcher afin d’obtenir les ressources et les cases finales convoitées, au risque de jouer moins, ou prendre son temps en essayant de profiter du plus de cases possible, au risque de laisser ses adversaires définir le rythme de la partie et de se contenter de subir.

C’est pourquoi je recommande personnellement Parks à deux ou trois joueurs. Certains peuvent le trouver plat à deux, mais on s’y sent plus à l’aise, et surtout on y regarde attentivement ce que l’autre a et pourrait vouloir, de façon à le bloquer volontairement sur le sentier ou à réserver ses parcs.

Dès trois joueurs, cela devient plus compliqué : avec six randonneurs sur le sentier, chaque déplacement implique un bond de géant, ce qui donne du poids au feu de camp, mais bride considérablement le choix des actions. Avec un peu d’habitude du jeu, on peut cependant encore bien profiter de ses parties et y trouver une dimension tactique.

Avec quatre ou cinq, il est évidemment possible de s’amuser en pratiquant Parks, mais les parties seront nettement plus longues et complètement chaotiques. Malgré l’addition d’une tuile sur le sentier, on ne se posera jamais où on le souhaite, on n’embêtera jamais volontairement un adversaire parce qu’il serait suicidaire de réserver un parc qui ne nous intéresse pas quand trois autres progressent en parallèle, on n’aura même plus intérêt à prêter attention à ce qu’ils font tant le plateau peut changer d’un tour sur l’autre…

 

 

Quand il ne reste qu’un randonneur sur le sentier, son propriétaire doit le déplacer immédiatement sur la tuile Fin de sentier, réaliser l’action de son choix, et mettre fin à la saison. Le possesseur de l’appareil photo peut en prendre une contre une ressource, on vide toutes les gourdes, les randonneurs reviennent au début du sentier, on ajoute aux tuiles une nouvelle tuile Sentier avancée avant de les re mélanger pour les disposer dans un ordre nouveau, on dévoile une nouvelle saison en appliquant la météo correspondante.

La partie s’achève à la fin de la quatrième saison. On le voit, cela signifie que chaque saison est plus longue que la précédente, un choix de design que je trouve souvent malheureux parce qu’il accentue l’impression de répétitivité en ajoutant quand il s’agirait de soustraire et d’accentuer au contraire le dynamisme des parties.

Cependant, on le supporte mieux ici parce que chaque saison renouvelle assez bien la partie (avec un nouveau sentier et une nouvelle météo), et surtout parce que l’on acquiert de saison en saison des ressources et des équipements qui nous préparent toujours mieux à la suite.

 

 

On calcule notre score en additionnant les points des parcs achetés, plus 1 par photo réalisée, plus 1 si l’on possède le badge Premier joueur, et enfin les scores des objectifs annuels. Vous constaterez vite que ces derniers sont souvent bien trop exigeants pour le peu qu’ils rapportent, puisqu’ils offrent 2 OU 3 points assortis à la mission de collecter 6 ou 8 symboles d’une ressource indiquée sur nos parcs, ou d’en colleter 12 ou 18 d’un type unique de notre choix, ou de collecter 6 ou 10 gouttes d’eau sur nos parcs tout en ayant pris 3 ou 5 photos…

Or les parcs valent eux-mêmes 2 à 5 points ! Il ne faut donc surtout pas vous focaliser sur ces cartes, qu’il faut percevoir comme une très légère invitation en début de partie à privilégier une orientation tactique plutôt qu’une autre, trop légère sans doute.

En cas d’égalité, la victoire va assez logiquement à celui qui a visité le plus de parcs.

J’apprécie l’absence de toute valeur accordée aux ressources encore possédées ou à l’équipement, qui ne sont que des outils nous aidant à mieux jouir de la nature mais ne constituent aucune finalité dans leur bassesse matérielle.

 

Le promeneur solitaire

 

Parks est doté d’un mode solo, où nos deux randonneurs rivalisent avec deux rangers, dont les actions sont déterminées par un deck Événement de neuf cartes, une seule étant initialement dévoilée.

Le joueur humain commence avec le marqueur Premier joueur et l’appareil photo, tandis qu’aucun équipement n’est dévoilé.

Quand vient le tour de l’adversaire virtuel, on dévoile le premier équipement de la pile. Selon son coût d’1, 2 ou 3 soleils, on le place sur le premier, le deuxième ou le troisième emplacement d’équipements. Puis il avance un ranger d’autant de cases :

  • Le ranger le plus avancé si nos deux randonneurs se trouvent plus loin sur le sentier.
  • Le ranger le plus reculé s’il se trouve plus loin ou sur la même case que notre randonneur le plus avancé.

Ces rangers peuvent s’arrêter sur la case l’un de l’autre mais pas sur une tuile occupée par l’un de nos randonneurs.

S’ils arrivent sur une tuile où se trouve un jeton Ressource (posée en raison de la météo), on le pose sur la carte Ranger, composée de deux lignes, une de trois emplacements pour les soleils, une de trois emplacements pour les gouttes d’eau.

 

 

Un événement est composé d’une ligne bleue et d’une ligne jaune. Quand une ligne de soleils ou de gouttes d’eau est pleine, on active l’événement jaune ou bleu : il pourra s’agir de nous faire défausser tous nos soleils, de mouvoir à nouveau les rangers, de nous faire défausser une gourde, de rapprocher le ranger le plus reculé du randonneur le plus proche ou inversement…

Cela pourrait apparaître bien arbitraire, mais ce serait oublier que l’on est à peu près capable de savoir quel événement va se déclencher, puisque la carte est visible, que l’on voit la ligne se remplir petit à petit et quelles ressources se trouvent devant les rangers.

L’événement est alors replacé sous la pioche et les trois ressources l’ayant déclenché défaussées.

La tuile Fin du sentier est spécifique au mode solo. Selon la quantité de soleils sur l’équipement ayant provoqué le déplacement d’un ranger sur la tuile Fin de sentier on déclenche l’un des trois effets :

  • Défausse du parc le plus à gauche et récupération par l’adversaire du badge Premier joueur si on ne l’a pas encore récupéré. Si c’est le cas, le ranger bloque la case Réserver un parc.
  • Défausse du parc du milieu et retour de l’appareil photo dans la réserve.
  • Défausse du parc de droite, et mélange de tous les équipements coûtant trois soleils déjà dévoilés à leur pile, ce qui signifie que l’on accroît la possibilité de mouvements très rapides de l’adversaire.

Le mode solo de Parks n’est pas inintéressant, on le voit, et tente assez habilement de concilier les sensations du multijoueurs avec de légères spécificités lui donnant son sel. Puisque le jeu est aisément mis en place, et que le tour de notre adversaire virtuel est plus court que celui d’un joueur réel, les parties sont assez courtes et dynamiques, et les manipulations un peu rigides du début se fluidifient au fur et à mesure qu’on en intègre la logique.

Il me paraît cependant davantage là pour ajouter quelque chose à Parks parce que cela était possible et que le solo correspond à un certain effet de mode que par sentiment d’une réelle nécessité pour enrichir le système de jeu. On prendra ainsi (probablement) toujours plus de plaisir au mode multijoueurs, plus complet, autour de l’interaction duquel Parks a été conçu, en appréciant l’existence du solo quand le multijoueurs est impossible – quel dommage alors qu’il n’ait pas été publié en français avant le confinement.

 

 

Parks, jeu de contemplation et contemplation de jeu

 

Parks est avant tout une merveilleuse invitation au voyage. Ses illustrations des parcs nationaux états-uniens, réalisées par un collectif d’artistes manifestement très talentueux, sont de véritables cartes postales (et certaines sont de fait vendues comme cartes postales), et se contenter de ne leur accorder pour tout texte que leur nom, l’État dans lequel ils se trouvent et deux courtes lignes décrivant leur spécificité témoigne assez d’un désir sincère de partager dans un jeu superbe une réalité superbe.

Et superbe, Parks l’est indéniablement, comme l’un des jeux les mieux édités que je connaisse, de la qualité des pièces (excepté peut-être les meeples, un peu plus grossiers en comparaison de l’ambitieuse perfection du reste) au thermoformage remarquable, pour une boîte assez modeste mais pleine et émerveillant celui qui l’ouvre autant que ceux qui se rendent compte que l’on peut jouer avec tout ça.

Or Parks le jeu est, comme Parks l’objet, un poétique appel à la contemplation, proche de la philosophie d’un Tokaido : on essaye d’y collecter des ressources naturelles afin de visiter les plus beaux parcs dans une « course » en binôme où savoir astucieusement jouir des plus beaux paysages nous sera plus bénéfique que de nous précipiter vers la fin, et où tous les éléments relevant du « matériel » (équipement, ressources) ne sont qu’une assistance au spirituel sans rien rapporter par eux-mêmes en fin de partie.

Étonnamment sophistiqué pour un jeu somme toute très familial, doté d’une rejouabilité extrêmement forte, d’assez nombreux paramètres à prendre en compte, même très aimablement tactique à deux ou trois joueurs, Parks est assurément l’une des sorties importantes de l’été pour le public qu’il vise, et pour tous les amateurs de très très beaux titres.

Une extension, Parks: Nightfall, sera également localisée par Matagot, sans date encore.

 

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