Pharaon – Préparez votre passage dans l’Au-delà égyptien !
Après Fertility, le trop rare éditeur Catch Up Games (Wild Space, Paper Tales) revient à l’Égypte antique malgré son habitude de varier grandement le thème de ses jeux de société dans Pharaon. Un manque d’imagination ? La confusion est cependant impossible entre la pose de tuiles tactique pour obtenir les meilleures cultures et l’imposante roue sur laquelle on pose ses ouvriers afin de préparer son départ mythologique vers l’Au-delà.
Conçu par Sylvain Lasjuilliarias dit Sylas (Samsara) et Henri Molliné dit Pym (Monster Slaughter), superbement illustré par la décidément incontournable Christine Alcouffe (Baron Voodoo, Yokai, Paper Tales), Pharaon s’adresse ainsi à 1 à 5 Égyptiens antiques de 12 ans et plus pour des parties d’une heure, et est vendu 36 euros.
Une superbe roue-chambre funéraire
Le principal atout matériel (et même en grande partie mécanique) de Pharaon, c’est sa tablette des Dieux, un disque monumental composé de cinq parties emboîtées aléatoirement, au centre desquelles on place la roue des actions. En alignant bien les colonnes, on s’assure ainsi de faire correspondre actions et quartiers, garantissant un peu d’aléa prometteur de rejouabilité, et surtout une certaine magie dans la rotation d’un pièce aussi grande et belle.
Selon les quartiers (artisans, nobles, Nil, chambre funéraire, offrandes), on y dispose quelques cartes Noble et Artisan face visible, les marqueurs des joueurs au début des pistes, des lots de jetons Offrande piochés dans le fort joli sac des offrandes et d’autres sur l’emplacement bonus.
À proximité de la roue, le plateau Pyramide du Temps, sur la première case du compte-tours de laquelle chacun pose également son marqueur, et sous laquelle on dispose 3/3/4/5 superbes tuiles Vase canope à 2/3/4/5 joueurs.
Dans le sens contraire des aiguilles d’une montre et en commençant par le dernier, chaque joueur prend les trois ressources indiquées sur un vase et le défausse. À deux joueurs, il restera donc un vase, dont on pose les trois ressources sur les emplacements correspondants de la roue d’actions, limitant ainsi de façon aléatoire et intéressante les actions possibles à chaque manche. Ce sera le seul aménagement pour pratiquer Pharaon dans cette configuration ! Puis on replace autant de vases que de joueurs.
Chacun prend en outre deux jetons Argent (qui remplacent n’importe quelle ressource) et pioche deux cartes Noble, dont une est défaussée et l’autre conservée, apportant un objectif personnel synonyme de Points de Prestige (PP) en fin de partie et un pouvoir pour une partie asymétrique. Cela pourrait vite perdre un néophyte, qui pourra plutôt piocher l’un des cinq scribes, cinq cartes permettant d’utiliser deux ressources de façon parfaitement interchangeable et rapportant 4 PP plus 4 PP par Dieu entourant le quartier indiqué dont on aurait rempli l’objectif commun.
Juste assez technique pour ne pas donner l’impression de jouer à un sous-Pharaon, et pourtant assez simple pour ne pas imposer de fastidieux retour aux règles. On appréciera en outre que certains puissent jouer avec les scribes et d’autres avec les nobles « normaux », toutes ces cartes étant pensées pour s’équilibrer !
Il ne reste plus qu’à poser le jeton Direction sur une face aléatoire, fixant pour toute la partie le sens de rotation de la tablette des Dieux, et la partie peut commencer.
Une mise en place plutôt aisée, notamment parce que le livret de règles a l’excellente idée (dont je ne sais pas pourquoi tout le monde ne l’adopte pas) de relier la consigne d’installation à l’illustration de l’installation complète. En outre, si le matériel peut effrayer en trahissant évidemment l’influence du jeu « à l’allemande », dénotant donc une certain abstraction et une multiplicité de choix où le néophyte a tôt fait de se perdre, sa beauté invite à l’exploration.
L’éditeur a même eu l’excellente idée de produire des jetons Ressource bien plus épais que les pièces plus grandes, sans doute parce qu’ils peuvent être davantage fragilisés par les frictions dans le sac, ce qui ajoute à l’impression de manipuler « quelque chose », pas juste un tout petit « truc » quelconque que l’on aurait même du mal à tenir en main.
La plus digne des vies et la plus belle des morts
Un tour de Pharaon se pratique en cinq manches (matérialisées par le compte-manches de la pyramide du temps), au cours desquelles les joueurs enchaînent les tours jusqu’à ce que tout le monde ait passé, volontairement ou faute d’autre option.
« Jouer », cela signifie réaliser l’action d’un quartier. Pour cela, il faut d’abord payer son coût d’accès, indiqué sur la roue des actions. Cette dernière porte en effet pour chaque quartier des emplacements correspondant à une ressource différente, qui varient selon sa rotation. Il faut alors poser cette ressource sur une case libre afin d’avoir accès au quartier, l’absence de case libre impliquant l’impossibilité de s’y rendre. De quoi créer déjà une jolie sensation de course aux endroits les plus rares, avec trois emplacements à peine à 3 joueurs, 4 à 4 joueurs, et 3 théoriquement à 2 joueurs, dont certains sont aléatoirement déjà occupés comme on l’a vu !
Une fois ce coût payé, il faut payer le coût de l’action du quartier, minoré de la ressource déjà payée pour l’accès si elle est à nouveau incluse dans le coût. Une action peut ainsi devenir plus ou moins intéressante selon la manche, c’est-à-dire selon son coût d’accès, très jolie mécanique de rejouabilité et d’incitation !
Au quartier des offrandes, on paye 1 ressource pour prendre un lot de deux jetons Offrande, et éventuellement une deuxième identique pour prendre une ressource au choix de l’emplacement bonus ou aléatoire dans le sac. Selon ce qu’ils représentent, ces jetons remplacent des ressources, des coûts d’accès ou d’action ou des PP.
Au quartier des nobles, on paye 5 ressources différentes pour prendre l’un des trois nobles visibles ou le premier face cachée de la pioche. Comme on l’a vu, ces nobles octroient des PP, fixes ou selon une condition (autant de PP qu’un autre noble, 2 PP par jeton Offrande, 2 PP par argent, 3 PP par noble…), donnant donc un tout autre sens à ce que l’on cherchera à faire au cours de la partie, ainsi qu’un pouvoir (cinq ressources de son choix pour le quartier des nobles, défausser un vase une fois par tour pour gagner trois ressources de son choix, faire l’action du quartier des offrandes même sans emplacement libre, défausser une ressource une fois par tour contre de l’argent…).
Au quartier du Nil, on paye 2 ressources indiquées pour obtenir la récompense correspondante : ressources, pioche de vase, ou ascension de ses marqueurs sur les quatre pistes Nil, dont la deuxième case octroie 3 PP et la troisième 7 PP.
Au quartier des artisans, on paye 3 ressources identiques pour prendre l’un des quatre artisans visibles ou le premier de la pioche. Il octroie simplement des ressources, vases et argent immédiatement ainsi que des PP.
Au quartier de la Chambre funéraire enfin, on paye 2 à 4 ressources selon ce qui est indiqué sous la pièce que l’on cherche à construire puis on y déplace son marqueur. Dans l’ordre, ils valent 5/10/16/24/33/44/60 PP, ce qui en fait bien entendu un objet de convoitises de premier ordre !
Aussitôt qu’un joueur possède deux nobles et a atteint la troisième étape de construction de la chambre funéraire, il devient Pharaon. Concrètement, il prend le jeton Pharaon, qui lui rapportera 7 PP, ce qui est rappelé un peu subtilement sur ladite chambre.
Quand un joueur ne peut ou ne veut plus jouer, il passe, et renonce donc à toute autre action cette manche-ci. Il prend alors l’un des vases disponibles et déplace son jeton du compte-tours vers la case la plus à gauche de la ligne inoccupée la plus basse de la pyramide du temps. À chaque fois que son tour revient, il avance son jeton d’une case sur la même ligne et remporte le gain correspondant, puis plus rien quand il a déjà atteint la dernière case.
Le premier joueur à passer commencera la manche suivante et aura naturellement accès à plus de cases (puisqu’on se trouve sur une pyramide), de sorte que la passation devient un enjeu tactique et pas seulement une impuissance subie, renoncer au bon moment – même quand on pourrait encore jouer – pouvant ainsi avoir son intérêt.
La manche s’achève quand le dernier joueur encore actif a passé, ce dernier faisant progresser son marqueur sur le compte-tours au lieu de le placer sur un étage de la pyramide. Les jetons se trouvant sur la roue sont défaussés afin de libérer la place pour la manche suivante, les offrandes sont refournies, la roue tourne d’un cran, les nobles dont le pouvoir a été utilisé sont redressés, on révèle autant de vases sous la pyramide du temps qu’il y a de joueurs et une nouvelle manche commence.
La partie s’achève à la fin de la cinquième manche. On commence par regarder si l’on a rempli les deux objectifs indiqués autour des cinq dieux de la tablette, qui varient selon la disposition initiale des quartiers. Il peut par exemple s’agir pour un Dieu d’avoir construit au moins deux étapes de chambre funéraire (4 PP) et de posséder 3 jetons Offrande (6 PP). Ne posséder que les deux étapes de chambre funéraire ne permet de marqueur aucun point, mais remplir les deux objectifs en octroie donc 10.
On ajoute aux objectifs des dieux les points des nobles, des artisans, de la chambre funéraire, des pistes du Nil, 1 PP par jeton Ressource ou Offrande, les PP des jetons Offrande, 7 PP pour le Pharaon et 3 PP pour celui qui possède le jeton Premier joueur – ce qui signifie que même à la cinquième manche il peut être intéressant de passer assez tôt !
En cas d’égalité (assez peu probable), la victoire est le Pharaon ou celui qui possède le plus de ressources et offrandes.
Une bonne salade de points, dont la partie la plus longue est bien entendu la vérification pour chaque joueur des objectifs de chaque Dieu, heureusement toujours très clairs. Si l’on sait à peu près où on en est, il est beaucoup moins évident de savoir au cours de la partie où en sont les autres. C’est là que la courbe de progression prendra toute son sens, l’expérience seule finissant par nous aider à envisager quelles actions il pourrait s’agir de bloquer par exemple.
L’unique vie et mort de l’unique Pharaon
Dans le mode solo de Pharaon, il s’agira de déjouer le complot d’un traître en cumulant davantage de points que lui.
La grande nouveauté vient des cinq tuiles Traître disposées dans un ordre aléatoire, au bas de chacune desquelles on dispose l’une des cinq ressources. La tuile la plus à gauche indique combien on dispose face cachée de tuiles Vase dans la pile du traître.
Ces tuiles possèdent une face claire et une face sombre. Il est d’abord recommandé de jouer contre cinq faces claires, puis d’en retourner une, puis deux… au fur et à mesure que l’on saisit les subtilités de la variante et que l’on remporte les parties.
On pioche toujours deux nobles de départ, celui que l’on ne choisit pas allant à l’intelligence artificielle, puis on tire au sort qui commence.
Au début d’un tour du traître, on retourne l’un de ses vases. La ressource indiquée au bas du vase est reportée sur la case libre la plus basse de la piste correspondante, puis on choisit, parmi les deux du dessus, laquelle est également reportée sur la piste correspondante et laquelle est utilisée sur la roue d’actions afin d’en bloquer une case. Si aucune des deux ressources ne peut être posée sur la roue d’actions, les deux sont posées sur les piles du traître, ce qu’il vaut mieux éviter…
Aussitôt qu’une ressource est posée sur une tuile Traître, l’effet représenté est appliqué : progrès dans la chambre funéraire, gain en fin de partie des PP d’un Dieu, récupération d’un noble, d’un artisan, défausse d’un artisan ou d’un noble face visible, récupération d’un jeton Offrande, ascension sur une piste du Nil…
Quand le traître n’a plus de vase, il passe son tour, et progresse sur la piste de la pyramide tant que l’on continue de jouer. S’il gagne des ressources, il les récupère simplement dans une réserve personnelle afin qu’elles lui rapportent des points en fin de partie.
Au terme de la cinquième manche, les points du traître sont très agréablement aisés à calculer, puisque les objectifs des dieux sont atteints automatiquement s’il a atteint le niveau les représentant sur ses tuiles et qu’il gagne autant de points par carte Noble (6 à 10) que le niveau atteint sur une tuile particulière, sans appliquer les effets spécifiques à ces cartes. Évidemment, il remporte les égalités…
Un mode solo remarquable par l’impression de vie qui se dégage des actions du traître, alors que la relative froideur de Pharaon pouvait laisser attendre quelque chose de beaucoup plus mécanique. Il les accomplit finalement de façon aussi riche et terrible qu’un joueur humain, parvenant même à concilier l’arbitraire (les vases) avec une part de prévisibilité (on attribue les ressources du bas, donc une partie des actions et blocages) donnant du sens à notre élaboration tactique.
Pharaon, jeu pharaonique ou à momifier ?
Pharaon est un jeu parfaitement abstrait, mais si joliment illustré et si varié dans les actions qu’il tente artificiellement de connecter à des éléments thématiques que l’on ne s’en rend même pas compte. C’est que le travail d’illustration et d’édition est assez remarquable pour s’avérer proprement envoûtant, nous plongeant dans une ambiance plutôt qu’une histoire-prétexte, et traduisant bien dans son monumental hiératisme sa mécanique calculatoire, les joueurs incarnant après tout des Égyptiens surplombant un projet de vie et de mort qu’ils cherchent à optimiser par une gestion optimale de leur pouvoir et de leurs ressources. Rarement un titre sera parvenu à être si thématique dans son abstraction-même.
Pour que le charme opère, il fallait que l’on puisse se laisser emporter par une oeuvre fluide, évitant de faire fuir l’Égypte pour le manuel de règles, et Pharaon y parvient parfaitement grâce à une grammaire pictographique impeccable, si simple qu’elle en simplifie un jeu à première vue complexe. Si l’on peut craindre de se perdre dans les cinq actions disponibles et la salade de points qui en résulte, on apprécie par exemple d’être guidé dès le début par un noble influençant notre stratégie, et par la limite très contraignante de deux à quatre fois où l’on a accès à un quartier à chaque manche, produisant une interactivité bien plus vive qu’on l’attendrait d’un tel titre.
On trouve une autre belle preuve de sa conception très soignée dans un mode solo au fond classique (on doit y battre le score d’une intelligence artificielle) et en fait étonnamment vivant, restituant comme nul autre l’impression de faire face à un adversaire de chair et d’os, sans perdre sa dimension calculatoire et sans pour autant se complexifier d’étapes fastidieuses. Sous ses dehors rigides, Pharaon est un trésor artistique comme mécanique comme on rêverait que les jeux semi-experts le soient plus souvent !
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