Wangdo – quand des ours érigent des stèles pour apprendre la sagesse

 

Wangdo est le nouveau jeu du trio Franck Crittin – Grégoire Largey – Sébastien Pauchon, qui s’est fait remarquer collectivement grâce à Ankh’or puis Seals, mais aussi individuellement, les deux premiers ayant réalisé 8 Bit Box et Helvetia Cup tandis que le troisième a travaillé sur JaipurCorinthJamaica et Unlock! Mystery Adventures. Une jolie équipe, qui s’attelle à leur plus gros jeu à ce jour en tant qu’équipe, Wangdo, pour l’éditeur Mandoo Games (Queenz). Avec une localisation par Matagot, rien que ça, c’est-à-dire l’éditeur entre cent autres responsable de CairnKemetL’Île au trésor, Wingspan, Viticulture, Orléans, Gnomopolis, Aeon’s End, Inis, Boomerang Australia

Le thème de ce Wangdo est en outre tout à fait curieux et aimable : s’il s’agit (encore…) de mériter une quelconque couronne, les prétendants sont cette fois des ours asiatiques cheminant vers plus de sagesse, et érigeant à cette fin des stèles de par le monde qui leur inculqueront religion, éducation, commerce et art militaire. Il fallait bien le talent du touche-à-tout Jakub Rebelka (Castello Methoni), sous la direction artistique de Vincent Dutrait (L’île au trésor, Museum), pour lui conférer cette ambiance originale et familiale qui contribue indéniablement à son attrait. Mais le jeu est-il aussi joli et frais que son graphisme ?

C’est ce que nous allons voir dans notre test de Wangdo, un jeu vendu 40 euros et s’adressant à un public de 2 à 4 ours de 8 ans et plus pour des parties d’une trentaine de minutes.

 

 

Une Asie peuplée d’ours

 

La couverture assez miyazakienne mise de côté, on découvre un plateau extensible selon le nombre de joueurs, que l’on pose au centre de la table. Il s’agit du seul élément ayant peiné à me convaincre tout à fait dans Wangdo, un plateau joli, mais un peu terne, plutôt fonctionnel qu’enchanteur, ce qui jure assez avec la vocation charmante du reste du matériel.

On place dans le sac les 84 stèles d’ours oranges, blancs, noirs et bleus, qui sont les éléments rois de Wangdo, ce qui explique le mieux le prix du jeu et qui procure le plus de plaisir visuel et de manipulation.

 

 

On place sur ses 40 cases Village les 40 jetons Connaissance face visible – 32 à deux et trois joueurs, où l’on retire un jeton de chaque (quatre symboles, tantôt avec un symbole dragon, tantôt sans), de sorte que quelle que soit la configuration, les mêmes jetons sont toujours représentés de façon aussi équilibrée, bien que disposés autrement.

Quatre de ces jetons représentent un ours : on les remplace par quatre stèles tirées aléatoirement dans le sac.

Sur ce plateau apparaissent quatre pistes de temple, où sur la première case autel de chacune, on pose une stèle de la couleur correspondante.

Chaque joueur prend alors son plateau personnel Ours, représentant fort joliment son avatar ainsi que les quatre types de connaissance, et pioche trois stèles.

Il ne reste qu’à mélanger et empiler les 16 cartes Sceau et la partie peut commencer, après seulement trois minutes d’installation, la pose des tuiles étant naturellement l’étape la plus « longue », d’autant qu’elles ne sont pas très grandes et ne doivent idéalement pas être trop excentrées de leurs cases. Trois minutes de surcroît assez actives, à observer déjà la répartition des connaissances et à tâter, soupeser, regarder les si réussies petites stèles !

 

La voie du pouvoir est parsemée de connaissances

 

Un tour de Wangdo consiste à réaliser une action parmi deux.

Soit prendre deux stèles sur les pistes de temple ou trois stèles aléatoires du sac.

Soit ériger l’une de ses stèles sur un village adjacent à un village où se trouve déjà une stèle d’une couleur différente, et sur un jeton Connaissance que l’on ne possède pas encore. Il faut pour cela placer sur les pistes de temple des stèles de la couleur de toutes les stèles adjacentes en guise d’offrande (en plus donc de celle placée sur le village).

 

 

Si l’on remplit ainsi la piste de temple, cela déclenche un rituel : toutes les statues de la piste sont replacées dans le sac, et l’ours actif peut récupérer une stèle d’une autre piste pour la placer dans sa réserve. Un pouvoir avantageux, que vos adversaires tenteront généralement d’empêcher en récupérant les stèles des pistes de temple…

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Vous observerez que la règle interdisant de récupérer un jeton Connaissance que l’on a déjà empêche de construire ses stèles absolument où l’on veut, et ne permet en tout cas jamais d’en priver un adversaire : tous les ours doivent pouvoir collecter tous les jetons… Mais pas forcément au même prix. Il s’agira donc d’être habile en tâchant d’ériger ses stèles de façon à faire monter le prix des emplacements convoités par les autres.

Le jeton Connaissance est ensuite posé sur l’emplacement adéquat de notre plateau. Quand on y complète une colonne (c’est-à-dire que l’on a récupéré les deux ou trois jetons d’un type), on peut piocher une carte Sceau.

Ces cartes Sceau proposent une altération des règles ponctuelles. Il peut par exemple s’agir une seule fois de pouvoir ériger une stèle près d’une stèle de même couleur, de diminuer le prix d’une stèle, d’échanger la position de deux objets (stèles et/ou ours) ou de remettre 1 à 3 stèles dans le sac pour en piocher 2 à 4…

 

 

Autrement dit, Wangdo peut sembler assez win-to-win, puisqu’achever une collection rapproche de la victoire et octroie un bonus rapprochant encore davantage de la victoire. Ce serait oublier qu’achever une collection est une manœuvre particulièrement peu discrète, de sorte que vos adversaires auront tout intérêt à bloquer en prenant les jetons les plus proches ou en augmentant leur prix à un point qui vous sera finalement plus désavantageux qu’avantageux.

La partie s’achève à la fin du tour où un joueur a obtenu le dernier jeton Connaissance, complétant ses quatre colonnes. Il remporte la partie, sauf égalité, ce qui arrive en fait plutôt souvent mais est prévu par Wangdo : on la départage en effet en comptant le nombre de sceaux Dragon possédés par chacun, une carte Sceau non utilisée en valant 1 (sauf celles qui en valent 3), et certains jetons Connaissance portant également ce symbole.

 

Wangdo, un jeu au poil (d’ours)

 

Si Wangdo paraît extrêmement simple, il est passé par d’innombrables itérations thématisées tout à fait différentes, et parfois bien plus alambiquées, comme le révèlent les trois auteurs à la fin du livret de règles. On est même pas passé loin d’un jeu de food trucks avec quatre marchés fluctuant séparément, avant d’aboutir à la collection de connaissances pour des ours prétendant à un trône en Asie orientale. Le principe fondateur était cependant identique, le théorème des quatre couleurs qui établit qu’il suffit de… Quatre couleurs pour que jamais deux cases adjacentes d’une surface quadrillée ne partagent la même.

D’un théorème cartographico-géométrique il s’agissait cependant de faire un jeu, et Wangdo surprend agréablement par son application très intuitive, dans un jeu adoptant une élégante simplicité, presque enfantine, quand on pouvait redouter une sophistication calculatoire. Aussi ai-je lu çà et là qu’il s’adressait vraiment aux enfants, une assertion étrange à une époque où un Kingdomino ou un Oriflamme, qui ne sont pas tellement plus complexes, peuvent ravir les passionnés et collectionner les récompenses les plus prestigieuses.

S’agit-il d’y dénigrer le hasard, une prétendue place laissée au chaos ? Il n’apparaît que dans l’arbitraire adoption d’un ordre des joueurs et dans la pioche de carte Sceau, mais personne ne jouera moins que les autres, le placement est à la fois libre (dans le sens où l’on ne peut jamais complètement bloquer un adversaire) et contraint (dans le sens où l’on ne peut pas se poser n’importe où au détriment de la tactique) ; et en tout cas, il est toujours éclairé par la connaissance de tous les facteurs pouvant l’influencer. Les cartes Sceau sont relativement équilibrées, d’autant que le jeu encourage à ne pas les utiliser sans réfléchir – voire parfois à ne pas les utiliser du tout afin de remporter les occasionnelles égalités…

Le thème a pu jouer bien sûr, comme si l’on n’avait pas vu des jeux experts adopter les formes les plus mignonnes (RootDawn of Peacemakers) ou des jeux enfantins assumer l’abstraction. En l’occurrence, on est parfaitement dans le gateway game, le jeu-passerelle pour initier le néophyte à un jeu de plateau charmant, coloré, et plus rigoureux que ce à quoi il pourrait être habitué, avec de petites subtilités capables de le stimuler, et pour satisfaire l’habitué sans prétendre lui procurer des sensations inédites ou extraordinaires ; seulement en lui promettant un joli moment en compagnie avec ces très jolis ours.