DC Comics deck-building game : enfin un jeu où on sent le gain en puissance des super-héros ?

 

Même si cela n’a pas beaucoup de sens, parce qu’il y en a évidemment de bons et de mauvais, de fastidieux et de formidables, je dirais que le deck-building est ma mécanique préférée. C’est peut-être à mettre en corrélation avec ma préférence pour les jeux vidéo où l’on commence très faiblement et monte progressivement en puissance. J’aime en tout cas follement cette idée que tous les joueurs commencent avec un minuscule deck de cartes identiques et faibles, et le personnalisent au cours de la partie pour se sentir de plus en plus puissants, surtout quand on voit que cela donne lieu à des titres aussi différents que Harry Potter : Hogwarts BattleVikings gone wild, ClankLa Vallée des MarchandsAeon’s EndGod of War ou le DC Comics Deck-Building Game donc il sera question aujourd’hui.

On l’aura compris, DC Comics Deck-Building Game est un jeu de deck-building dans l’univers des super-héros DC Comics. Comme Hogwarts Battle ou Villainous, on redoute un bête jeu à licence, surtout en ne voyant pas de nom d’auteur à moins de farfouiller à la fin du livret de règles, et aucun nom d’illustrateur ni là ni sur les cartes, malgré des dessins dont on reconnaît souvent la provenance dans les comics… Plus étonnant encore, on va parler ici de deux boîtes de base DC Comics combinables, la première et celle consacrée aux Teen Titans… et l’une est attribuée au duo Matt Hyra et Ben Stoll tandis que l’autre l’est à Richard Brady, malgré des règles identiques au mot près.

Mais quand on a vu quelques très bons jeux à licence (par exemple l’incontournable Gotham City Chronicles), on sait qu’il faut savoir passer outre des bizarreries souvent liées à d’obscures questions de droits pour s’autoriser à apprécier le jeu derrière le produit (ou plutôt les deux à la fois). À quoi il faut ajouter que son éditeur Cryptozoic Entertainment est assez spécialiste en la matière, avec d’intéressants jeux Rick and MortyBatmanet même du Adventure Time, du Archer et du Portal, et que son partenaire français, Don’t Panic Games, se taille une bonne réputation de localisations intéressantes et de jeux originaux (AboveChampions de MidgardNégociateur, bientôt Cowboy Bebop et Ghost in the Shell)… Quand en plus on écrit un livre et une thèse sur les super-héros DC, difficile de ne pas se laisser tenter par l’expérience !

DC Comics et la boîte de base Teen Titans sont vendus 36 euros. Ils s’adressent à deux à cinq super-héros de 12 ans et plus pour des parties d’environ 45 minutes.

 

Origin Story

On commence naturellement une partie de DC Comics en choisissant le super-héros que l’on incarnera, Batman, Superman, Wonder Woman, Cyborg, Flash, Aquaman ou Green Lantern dans la première boîte de base, Red Robin, Wonder Girl, Superboy, Raven, Blue Beetle, Beast Boy ou Starfire dans la boîte Titans. On peut l’attribuer aléatoirement, le choisir en fonction de ses préférences, ou procéder à une espèce de draft en étalant deux fois plus de super-héros sur la table que de joueurs, et en révélant les cinq premières cartes du deck commun. Dans le sens des aiguilles d’une montre, chacun en supprime une, puis dans le sens contraire des aiguilles d’une montre (en commençant par le dernier) chacun choisit son super-héros. Une technique amusante pour adapter sa sélection à ce qui va arriver en début de partie (puisque chaque héros a évidemment un pouvoir unique), au risque que la carte convoitée soit supprimée ou prise par un autre.

Chaque héros récupère un deck identique constitué de 7 cartes Coup de poing et 3 cartes Vulnérabilité.

 

 

Puis on forme la pile Super-vilain, des ennemis qu’on devra affronter, normalement 8 (mais on peut en mettre moins ou plus pour adapter la longueur et la difficulté de la partie), sachant que chaque boîte en comporte 12. Dans la première boîte de base, le paquet doit toujours commencer avec Ra’s al Ghul, dans Teen Titans il doit commencer par Slade Wilson et s’achever avec Trigon. Si l’on combine plusieurs paquets, on ne prend évidemment qu’un super-vilain au dos bleu (comme Trigon). La première carte est face visible.

Outre Ra’s, DC Comics propose d’affronter Brainiac, Black Manta, Lex Luthor, Captain Cold, le Joker, Darkseid, Atrocitus, Sinestro, Deathstroke, l’Anti-Monitor et Parallax, et outre Slade et Trigon, Titans propose d’affronter Le Maître du Temps, Harvest, Cheshire, Psimon Terra, le Cerveau & Monsieur Mallah, Blackfire, Brother Blood, Dr. Light et Superboy Prime. On peut s’interroger sur ces choix, se demander où sont Bane, Starro, la Suicide Squad, Doomsday… Rassurez-vous, la plupart sont présents dans les cartes Vilain (et non comme Super-vilains), il fallait faire des choix.

On regrettera plus de tomber sur des personnages complètement inconnus et de n’avoir aucune indication sur leur identité, même pas une phrase-phare sur la carte ou quelques lignes dans deux pages encyclopédiques du manuel de règles. Une incitation à aller chercher par soi-même assurément, mais satisfaire sa curiosité pendant qu’on joue aurait été particulièrement bienvenu (comme le permet par exemple Gotham City Chronicles), d’autant que ce genre de mini-encyclopédie… aurait été l’occasion de noter quelque part à qui on doit les illustrations sélectionnées ! Avoir devant soi du Bolland, du Jim Lee, du Bermejo… et aucun moyen de savoir que c’est du Bolland etc., c’est quand même décevant de la part d’un jeu qui pourrait constituer un si joli approfondissement de nos connaissances (même après mon livre sur Batman, je n’avais absolument plus aucun souvenir moi-même de Monsieur Mallah ou de Cheshire par exemple) !

Les 112 cartes Super-pouvoir, Équipement, Héros, Lieu et Vilain sont mélangées en un deck commun, dont on dévoile les cinq premières pour former la Réserve.

À proximité, on empile les 16 cartes Coup de pied et les 20 cartes Faiblesse, comme un marché permanent.

Et c’est tout. Autrement dit, si vous avez bien mélangé le deck commun au préalable et bien séparé les différents types de cartes, on a le plaisir de se lancer dans la partie extrêmement vite pour entamer son combat.

 

 

Un combat épique… de super-héros rivaux

Après une mise en place aussi rapide, on est agréablement surpris de voir que les règles de DC Comics tiennent… en seulement deux pages, grandes certes, et générales (la description des spécificités viennent après), enfin on aime l’idée de pouvoir saisir le système d’un jeu de deck-building aussi rapidement.

On détermine le premier joueur, et tous piochent cinq cartes de leur deck personnel.

Deck-building oblige, la base de ces jeux consiste à améliorer son deck original, faible et redondant. Les cartes Vulnérabilité n’ont simplement aucun effet, et encombrent notre main au détriment de cartes plus intéressantes, tandis que les Coup de poing donnent + 1 en Puissance (P). Cette puissance est la monnaie de DC Comics, avec laquelle on peut acquérir de nouvelles cartes du marché, parmi les cinq cartes aléatoires en réserve ou la pile de Coups de pied. Ces derniers exigent par exemple 3 P, mais quand ils seront posés en apporteront 2, en plus de valoir 1 Point de Victoire (PV).

Une fois achetées, les cartes sont placées directement dans sa défausse, sans appliquer leur pouvoir.

 

 

 

Outre leur puissance, les cartes ont naturellement divers effets.

Métal Nth donne +1 P et permet de regarder la première carte de sa pioche pour la détruire (la retirer du jeu) si on le souhaite, une bonne manière d’optimiser son deck en virant les cartes inutiles, ou qui ne sont plus à la hauteur du deck tel qu’on l’a amélioré. Anneau de pouvoir confère +2 P, ou +3 si la première carte de sa pioche a un coût égal ou supérieur à 1. Tim Drake permet de mettre une carte Héros de sa défausse dans sa main et de gagner (donc d’acquérir gratuitement) une carte Équipement de la réserve. Force véloce octroie +2 PV et permet de piocher deux cartes, Vision X dévoile la première carte de chaque deck adverse, permet de la jouer puis de la remettre à sa place…

Certaines cartes sont permanentes, c’est-à-dire qu’au lieu d’être défaussées comme les autres, elles restent en jeu. Vibration moléculaire pourra être défaussé pour piocher une carte (et donc en avoir une de plus à un tour suivant, pour être ponctuellement plus puissant). L’Asile d’Arkham fait piocher une carte à chaque fois que l’on pose sa première carte Vilain du tour, la Batcave à chaque fois que l’on pose son premier équipement du tour. Avec Azarath, on peut à chaque tour défausser une carte de sa main pour réaliser une attaque. Si les adversaires n’ont pas de capacité défensive, ils défaussent une carte.

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C’est que DC Comics n’est pas un jeu coopératif, contrairement à ce que l’on pourrait assez légitimement croire. On ne peut tuer ses adversaires, mais il faut tenter de cumuler plus de PV qu’eux dans une « saine » rivalité… quitte à recruter des vilains. Si certains se contentent de nous aider (Doomsday octroie +4 P, Cheetah nous fait gagner une carte de la réserve d’un coût inférieur à 4), d’autres sont évidemment bien moins conciliants, à l’instar de Bane qui contraint à la défausse, l’Épouvantail qui ajoute une carte Faiblesse (donnant -1 PV !) au deck de chaque adversaire, Harley Quinn qui replace une carte Coup de poing ou Vulnérabilité défaussée par les adversaires au sommet de leur pioche, Suicide Squad qui fait défausser toute leur main aux adversaires si elle est la troisième carte Suicide Squad jouée ce tour-ci…

Comme on le constate, ces interactions ne sont pas ciblées, et concernent tous les adversaires. Ainsi, si le nombre de joueurs a un impact évident sur la rotation de la réserve, il n’altère pas le gameplay, ne permet pas de joueur alpha ou d’alliance de circonstance. Par ailleurs, si l’on peut craindre que les parties ne s’éternisent proportionnellement au nombre de joueurs, ce sera compensé par la rapidité des tours, aucune des cinq cartes jouées en moyenne n’ayant d’effet complexe, et par le fait que l’on vainc fatalement aussi plus vite les super-vilains…

 

 

La puissance n’est en effet pas qu’une monnaie, elle est aussi (tautologiquement) une force, une capacité à infliger des dégâts au super-vilain actif. Pour cela, il faut cumuler en un seul tour la puissance correspondante au super-vilain (par exemple 12 pour l’Anti-monitor, 8 pour Ra’s, 13 pour Trigon…). Si l’on y parvient… on place la super-vilain dans sa défausse, puisqu’il donnera accès à son pouvoir dévastateur. Le Dr. Light offre ainsi +1 P par couleur différente parmi toutes les cartes en jeu. Slade Wilson est permanent, et donne la possibilité au début de chaque tour de piocher jusqu’à avoir 5 cartes en main, ce qui évite de commencer avec moins si un adversaire nous fait défausser. Parallax… double notre puissance. Lex Luthor fait piocher trois cartes. Et tout cela en valant entre 4 et 6 PV chacune !

Il va de soi qu’il faudra souvent s’aider du super-pouvoir de son super-héros, auquel on peut recourir une fois par tour. Batman offre +1 P pour chaque équipement joué ce tour-ci, Aquaman permet de mettre au sommet de sa pile (au lieu de la défausse) les cartes d’un coût égal ou inférieur à cinq acquises ce tour-ci, Superboy offre +1 P et la poche d’une carte si l’on a joué deux super-pouvoirs différents, Starfire peut retirer de la partie une carte permanente ou posée ce tour-ci si l’on a quatre types de cartes différents parmi ses cartes permanentes et posées ce tour-ci…

 

 

À la fin du tour, la puissance non utilisée est perdue, les cartes de sa main que l’on ne pose pas sont défaussées, et l’on repioche cinq cartes. Naturellement, si la pile est vide, on mélange sa défausse pour constituer une nouvelle pile, et ainsi y intégrer les cartes acquises dans les tours précédents. On refournit la réserve si besoin, et l’on dévoile un nouveau super-vilain si le précédent avait été vaincu, ce qui entraîne souvent un effet de révélation : mettre un de ses vilains dans la réserve (Brother Blood), mettre une carte de sa main dans la défausse du joueur à sa gauche, et prendre une carte Faiblesse si on reçoit ainsi une carte d’un coût égal ou supérieur à 1 (Joker)…

La partie s’achève avec la défaite du dernier super-vilain. Les joueurs additionnent alors les PV de toutes les cartes de leur deck, et celui qui en a le plus remporte la partie.

En cas d’égalité, il faut avoir vaincu le plus de super-vilains, et en cas de nouvelle égalité, posséder le plus de cartes. C’est tout bête, mais c’est bien sûr très satisfaisant, puisque le nombre de PV reflète la puissance générale de notre deck, notre capacité à acquérir des cartes puissantes ayant une forte valeur, voire à nous débarrasser des cartes faibles limitant nos acquisitions. Même les règles d’égalité, souvent un peu gadget dans les jeux de société, sont ici parfaitement logiques et récompensent le mérite, évidemment pour la victoire des super-vilains par les super-héros, et même pour avoir su acheter plus de cartes (ou se débarrasser de moins de cartes) que les autres en totalisant pourtant le même nombre de PV, ce qui signifie que l’on s’est un peu mieux débrouillé avec des cartes un peu plus faibles.

 

DC Comics Deck-Building Game, super-jeu de super-héros ?

DC Comics Deck-Building Game propose du deck-building volontairement très familial dans la simplicité de son système mais loin d’être dépourvu de tension, une bonne initiation au genre qui peut manquer d’originalité pour qui le connaît déjà bien, malgré ses petites trouvailles, des types de cartes bien pensés, des objectifs très clairs, et son évitement des alliances de circonstance qui corrompent bien des jeux compétitifs… Il parvient ainsi à s’avérer très agréable même à plus de deux joueurs, satisfaisant sans réellement briller, sinon par un emprunt très correct à la licence qu’il tente de transposer.

Bien sûr, on ne sait pas trop pourquoi on a besoin d’acheter des pouvoirs aux super-héros précisément définis par le fait qu’ils ne s’améliorent pas mais sont naturellement très forts pour la plupart, pourquoi on peut donner une vision à rayons X à Tim Drake ou la force véloce à Raven, ni pourquoi on recrute des vilains contre d’autres super-héros, enfin la très grande variété des cartes, l’impression de constituer son armée idéale, l’aspect classe de recruter Parallax ou Darkseid, des illustrations pour la plupart très bien choisies parce que directement tirées des comics, en font un bon jeu, rapide, vivant, où l’on a très envie tant mécaniquement que thématiquement d’améliorer son deck.

Aussi ce DC Comics Deck-Building n’est-il pas appréciable que par un réel fan de super-héros, même si ce dernier le sera assurément davantage qu’un autre. À combien de deck-building joue-t-on après tout sans rien connaître de l’univers qu’ils développent, parce qu’il serait simplement original ou dériverait d’une licence mal connue (Saint-Seiya pour ceux qui n’ont pas grandi avec le club Dorothée, Mutants pour tout le monde) ? Le fan lui-même pourra d’ailleurs être parfois perdu par l’accumulation de personnages, mais il sera plus à même de consolider sa culture en faisant des recherches sur ce qui lui échappe, quand celui qui ne connaît que la Trinité sera évidemment trop débordé pour que le titre lui serve sérieusement d‘introduction aux joliesses de DC Comics.

Surtout sans nom des illustrateurs sur les cartes et sans mini-encyclopédie rappelant en trois lignes qui est chacun des héros, super-héros, vilains et super-vilains que l’on manipule… Heureusement que la série Titans permet de mieux appréhender la boîte Teen Titans et réciproquement, livrant deux adaptations tout à fait complémentaires pour piquer notre curiosité !

La possibilité de combiner les boîtes, ajoutée au hasard du tirage, donne naturellement lieu à une immense rejouabilité, d’autant plus plaisante que même les cartes de départ identiques ont droit à des illustrations distinctes selon leur provenance. Et surtout, s’il s’agit de « boîtes de base », c’est précisément qu’une fois les subtilités du jeu maîtrisées on est invité à s’intéresser aux extensions. Et là, point d’opportunisme comme on peut en voir sur tant de licences, avec des additions à n’en plus finir sur un jeu volontairement pauvre et ne se tenant que par son incitation à l’achat compulsif !

D’abord parce que les boîtes de base proposent une expérience complète à laquelle on ne ressent jamais vraiment de limite, sans génération d’une frustration volontaire pour nous retenir captif d’une machination commerciale. Ensuite et surtout parce qu’en fait d’ « extensions » les autres boîtes font l’effort d’avoir leur cohérence thématique et même mécanique, ajoutant bien plus à notre manière de pratiquer le jeu qu’on ne pourrait l’espérer, et accroissant nettement sa profondeur, avec la proposition d’un mode solo et coopératif assez exigeant (Crisis), d’un véritablement affrontement en duel (Batman vs. Joker), de rôles cachés (Watchmen), d’un système de rotation de cartes (Birds of Prey), et tout cela avec des decks plus ou moins imposants tous combinables entre eux.

Naturellement curieux… on vous en dit plus dès demain, avec un concours à la clef sur notre Facebook et notre Instagram pour remporter la boîte de base Titans et l’extension Birds of Prey !