Les Aventuriers du rail – Londres : voyage express en bus à impériale !
Il y a un peu plus d’un an, on vous présentait dans ces pages Les Aventuriers du rail – New York d’Alan R. Moon, illustré par le très talentueux Julien Delval. Contrairement à ce que l’on pourrait légitimement croire au premier regard, il ne s’agissait pas d’une énième transposition géographique des Aventuriers du rail, mais d’une adaptation mécanique du titre culte… pour des parties de quinze minutes, qui ne trahiraient pas du tout les principes du jeu de base. Un pari étonnant, qui aboutissait à une jolie prouesse, évidemment amenée à faire des petits. Le deuxième jeu de ce cycle Les Aventuriers du rail – villes est alors situé à Londres, et je ne serais pas étonné d’apprendre que des versions Tokyo, Rome, Paris ou Saint-Pétersbourg sont dans les tuyaux ! Ou Venise, puisqu’Alan R. Moon invite à réfléchir à une ville caractérisée par un nouveau moyen de locomotion (comme Londres par les bus à impériale et New York par les taxis), et quel les gondoles seraient tout de même une fort jolie manière de parcourir la cité des doges ?
Toujours réalisé par le même tandem, toujours édité par Days of Wonder (Five Tribes, Yamatai, Small World, Mémoire 44, Deep Blue, très bientôt en test), Les Aventuriers du rail : Londres s’adresse toujours de deux à quatre joueurs de 8 ans et plus (et il s’avère même très agréable à deux), et il est toujours vendu 18 euros à peine, alors même que le jeu est entièrement fabriqué en Allemagne et pas en Chine, comme la plupart des titres contenant beaucoup de plastique !
Quand Londres se construit en 1 minute
Comme toujours chez Days of Wonder, l’ouverture de la boîte laisse place à un impeccable thermoformage, presque excessif quand on voit les sachets généreusement mis à notre disposition pour distinguer des pièces déjà rangées chacune à sa place, ou encore quatre pistes insérées uniquement pour accueillir les marqueurs de score… quo occupaient seules l’une des cases de la boîte, ainsi vidée de tout contenu et intérêt ! C’est évidemment tout à l’honneur de l’éditeur, et la mise en place ou le rangement en sont grandement fluidifiés une nouvelle fois !
On place donc le plateau, assez grand, très joliment coloré, au centre de la table. Comme toujours avec Les Aventuriers du rail, il est extrêmement lisible, malgré le souci de thématisation (un timbre représentant Elizabeth II dans un coin, une clef du Sherlock Hotel dans un autre ; la fidélité à la géographie de Londres, bien sûr). Au mieux pourra-t-on regretter que certains noms de lieux soient parfois un peu éloignés du point qu’ils sont supposés nommer, notamment Trafalgar Square, Tower of London, dans une certaine mesure Covent Garden. Il n’y a pour autant aucun doute sur le lieu qu’ils nomment, mais il fallait que je pinaille un peu.
Le plateau de cette version Londres est d’ailleurs nettement plus grand que celui de la version New York, dans un souci d’aération qui permet également de proposer un nombre sensiblement plus grand de trajets et de lieux (17 au lieu de 15). Les parties n’en seront pas vraiment plus longues, rassurez-vous, cela permet surtout une relative diversification et un peu plus d’opportunités quand on joue à quatre (en comparaison à une configuration où l’on se marchait trop vite sur les pieds à New York).
La grand nouveauté, c’est la piste de score qui entoure le plateau et remplace donc le carnet de score habituel, un très bon point quand on songe que cela nous fait l’économie d’un élément matériel jetable au profit d’une progression plus visible !
Les joueurs choisissent une couleur (rouge, blanc, violet ou bleu, seule couleur qui est aussi celle de certaines cartes Transport) et prennent les 17 bus de cette couleur (sans le bus de remplacement aimablement inclus dans la boîte en cas de perte) ainsi que le marqueur de score, naturellement placé sur le 0 de la piste.
Les 44 cartes Transport sont mélangées, deux sont données à chaque joueur et cinq sont publiquement étalées près de la pioche. Si trois d’entre elles représentent un bus (une carte multicolore), on les remplace par cinq autres cartes.
Enfin, chaque joueur reçoit deux cartes Destination, dont il peut défausser l’une s’il ne souhaite pas conserver les deux. Ces cartes représentent deux lieux à relier avec son réseau de transports, y compris avec tous les détours imaginables.
J’ai cru constater que l’on gardait le plus souvent la carte valant le plus de points (représentant le trajet le plus complexe), et que l’on jetait surtout l’autre si le trajet qu’elle représente n’avait aucun lien avec la première. Forcément, plus les trajets convergent, plus facilement on pourra les relier… Mais sa main et les cinq cartes révélées peuvent aussi avoir un impact sur sa décision, évidemment essentielle – et très habile, afin d’influencer les actions des joueurs en évitant des chevauchements d’objectifs trop rapides, qui ne manqueraient pas de survenir sans ces cartes !
Et la partie peut déjà commencer, avec d’autant plus de rapidité que l’on aura obligatoirement bien observé les différents éléments au moment du choix des destinations. Même sans trop savoir jouer encore, on a ainsi d’emblée une idée de ce que l’on pourra et voudra faire, ce qui est toujours le signe d’un game design réussi !
3 minutes pour expliquer les règles, 10 minutes pour envahir Londres
À son tour, un joueur a le choix entre trois actions.
La principale consiste naturellement à prendre possession d’une route. Chaque route de la carte est colorée en jaune, noir, orange, rose, vert, bleu ou gris, et composée d’un chemin à quatre tronçons. Pour en prendre possession, on défausse autant de cartes que le nombre de tronçons dont la route désirée est composée, et de la même couleur que cette route. On peut défausser les cartes de la couleur que l’on veut (mais une seule couleur, point sur lequel les règles restent assez implicites) pour les routes grises. Les cartes Bus peuvent quant à elles être défaussées pour remplacer n’importe quelle couleur, et il est même possible de prendre possession d’une route avec des bus exclusivement, donc en ignorant complètement la couleur de cette route.
Un seul joueur peut occuper une route, ce qu’il marque en y posant ses bus. Pour éviter de bloquer trop rapidement la situation, certaines routes sont doublées à trois et quatre joueurs, permettant à deux joueurs de les occuper.
Aussitôt que l’on s’est emparé de la route, on marque des points : 1 si la route était composée d’un seul tronçon, 2 pour deux tronçons, 4 pour trois tronçons et 7 pour quatre tronçons. Une bonne idée, qui permet de se rendre compte au cours de la partie de la progression des uns et des autres plutôt que d’ajouter à la fin une phase de décompte qui, sans être fastidieuse, était moins intéressante.
Pour prendre possession d’une route, il faut donc récupérer des cartes Transport, et c’est en cela que consiste la deuxième action. On peut alors prendre une carte parmi les cinq révélées et la remplacer aussitôt par une nouvelle de la pile ou en piocher une. Si l’on a pris un bus face révélée, notre tour s’achève. Si l’on a pris une autre carte ou préféré la pioche (y compris la pioche d’un bus), on peut réitérer l’action, en prenant une nouvelle carte parmi les cinq révélées (non-bus bien sûr) ou en en piochant une. Il n’y a pas de limites aux cartes en main.
La dernière action consiste enfin à piocher deux cartes Destination et à les conserver toutes deux ou à en défausser une. Au moins l’une des deux doit obligatoirement être conservée. C’est évidemment l’action que l’on réalisera le moins, mais à deux ou trois joueurs, il est très probable que vous y recouriez au moins une fois, afin d’obtenir un nouvel objectif et une nouvelle chance d’accumuler des points.
Comme on peut l’imaginer, la tension est grande entre le désir de cumuler de nombreuses cartes en main pour occuper des routes à trois voire quatre tronçons, au risque que les trajets les plus intéressants soient pris par nos adversaires, ou se hâter d’occuper des routes, au risque de ne pas pouvoir se pencher sur les plus lucratives.
Et même une fois une tactique adoptée il restera le choix tendu entre la récupération des bus face révélée, des cartes de couleur, ou la pioche (en espérant piocher au moins un bus). Comme dans Les Aventuriers du rail – New York, les taxis jaunes/bus à impériale sont très nombreux (huit exemplaires contre six pour les cartes Transport ordinaires), ce qui peut pousser à prendre un peu plus de risques… et faire craindre davantage la main de ses rivaux !
Quand un joueur n’a plus que deux bus ou moins en réserve, tous jouent encore un tour (y compris lui) et la partie s’achève.
On vérifie alors si l’on a pu accomplir les objectifs de ses cartes Destination, et donc si l’on ajoute leur valeur à son score… ou si on la soustrait ! Le malus est si considérable que l’on jouera généralement très prudemment pour éviter à tout prix une mission que l’on ne pourrait pas satisfaire, ce qui semble pourtant (et fatalement) arriver assez souvent à quatre joueurs !
Enfin (et c’est la nouveauté importante des Aventuriers du rail – Londres), on vérifie si des joueurs ont complété des districts. Les lieux du plateau sont en effet répartis en cinq districts, caractérisés par des couleurs et une valeur 1/2/3/4/5 pour les districts noir, vert, bleu, orange et mauve (pas très distinct du orange mais peu importe, puisque la différence ne repose pas que sur la couleur). « Compléter un district », cela signifie relier entre eux tous les lieux qui le constituent. On s’en doute, plus le district vaut de points et plus il comporte de lieux, et plus ses routes sont longues.
J’étais très sceptique au cours de ma première partie sur l’intérêt de cette addition (qui remplace les attractions touristiques de New York). Après tout, relier tous les lieux d’un district est vraiment difficile à partir du troisième, et risque surtout de détourner des cartes Destination… Mais leur importance m’est apparu au fur et à mesure, quand j’ai constaté qu’il pouvait être très rentable de se focaliser sur leur complétion plutôt que sur une nouvelle carte Destination : on peut gagner à peu près autant de points sans risque d’en perdre, on ne perd pas d’action à piocher une carte Destination qui pourrait nous déplaire…
Ces avantages sont naturellement contrebalancés par la facilité à bloquer un district, ou à imposer un détour impensable. Il sera donc crucial d’hésiter entre les destinations et les districts, et de tenter malgré tout un district ou deux, même les plus simples, pour grappiller de quoi faire la différence !
Les Aventuriers du rail, de New York à Londres
Les Aventuriers du rail – Londres tient toutes ses promesses, celles d’un jeu tactique et nerveux que l’on met en place en une minute, que l’on explique dans le détail en trois minutes et dont les parties en durent environ quinze. Il repose sur des mécaniques éprouvées et donc parfaitement satisfaisantes tout en étant très accessibles, et sur le soin éditorial bien connu de Days of Wonder, qui livre une fois encore un matériel très joli et agréable à manipuler. Je manquais justement de ce genre de jeux, proposant un plateau, praticable à deux mais aussi à plus, fluide, malin et rapide, bref assez incontournable dans une catégorie essentiellement monopolisée par les jeux de cartes.
Mais je possédais déjà Les Aventuriers du rail – New York, première version de cette nouvelle gamme, et je le sortais régulièrement. Est-il utile, quand on est dans mon cas, d’acquérir en plus Les Aventuriers du rail – Londres ? En toute franchise, cet achat doit principalement être motivé par le thème du jeu, par un attrait particulier pour la capitale anglaise, plus que par la recherche d’une nouveauté mécanique. Cela tombe bien dans mon cas, Londres m’a toujours plus parlé que New York.
Et si l’on hésite entre New York et Londres ? Vous pouvez vous laisser aiguiller par votre intérêt pour chacune des villes, les jeux n’étant pas assez distincts pour imposer le choix de la version dont le thème vous plairait le moins contre l’autre. Néanmoins, si vous n’avez pas de préférence thématique, je recommanderais avec plus d’enthousiasme Les Aventuriers du rail – Londres. Son abandon du carnet de score au profit d’une piste sur un plateau plus grand, son idée des districts, qui n’est pas qu’une addition artificielle mais parvient à ajouter un peu de tension sans compliquer les règles, sont d’assez louables intentions pour qu’il me paraisse sensiblement meilleur que la boîte précédente.
D’autant plus hâte de voir ce que Alan R. Moon et Days of Wonder nous réservent pour la suite !