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Time of Legends : Destinies, LE Kickstarter du moment

Time of Legends : Destinies, LE Kickstarter du moment

Elle n’est pas si loin l’époque où je présentais dans ces pages Vikings gone wildZombie Tsunami et Fruit Ninja, les premières créations de Lucky Duck Games. À première vue, l’éditeur ne semblait vouloir s’adresser qu’à une niche, en développant en jeux de société des licences vidéoludiques… se cantonnant en fait aux licences pour téléphone portable, assurément plus faciles à acquérir que du Witcher ou du Zelda. Il avait pourtant immédiatement acquis la sympathie du public en manifestant un soin graphique et mécanique tout à fait inattendu pour des jeux à licence, au point qu’à chaque sortie les regards se vissaient davantage sur des annonces toujours plus prometteuses de beaux jeux inventifs. D’autant que Lucky Duck abandonna vite sa vocation première pour des localisations (La Forêt des frères Grimm, bientôt Tidal BladesNear and Far, Tiny Towns…) et des productions originales, notamment Chronicles of Crime (même si l’on peut évidemment le rapprocher du jeu mobile Criminal Case) qui l’orientait dans une direction particulièrement stimulante.

C’est qu’avec Chronicles of Crime puis avec ses extensions Noir et Welcome to Redview, Lucky Duck Games s’orientait vers du jeu narratif, en conciliant très astucieusement ressources physiques (des cartes sans texte avec des QR codes) et digitales (une application textuelle avec la nécessité de flasher les codes pour faire progresser l’enquête) pour impliquer des joueurs dans des aventures prenantes, bien écrites, multipliant les péripéties, bref extrêmement convaincantes. Noir ajoutait au système de base la possibilités d’interactions plus variées avec l’environnement, et Welcome to Redview des compétences et des dés, dans un souci croissant de rendre l’expérience toujours plus ludique, plus personnelle, mais aussi plus palpable. C’est que Lucky Duck Games est très soucieux d’apporter une « vraie expérience de jeu de société », devant laquelle on ne se demanderait jamais « Mais pourquoi est-ce que tout n’est pas virtuel ? ».

On pourrait ne recourir à aucune application, comme T.I.M.E. Stories ou certains jeux legacy/évolutifs comme les excellents Betrayal Legacy (où l’histoire se développe sur les cartes) ou Dawn of Peacemakers (où les parties sont encadrées par les scénarios d’un manuel), mais le numérique a bien des avantages, comme l’allègement matériel, la simplification de la traduction,  l’appel au visuel et à l’auditif pour une plus grande immersion… Rendre l’application essentielle mais pas trop envahissante est bien sûr l’un des plus grands défis du jeu narratif, et c’est pourquoi j’étais particulièrement fasciné par l’annonce de Time of Legends : Destinies.

 

Time of Legends Destinies

 

Conçu par Michał Gołębiowski (Jetpack Joyride) et Filip Miłuński, écrit par Rafał Sadowski,  superbement illustré par Karolina Jędrzejak, Dale Yu et Magdalena Leszczyńska, Time of Legends : Destinies est issu de la collaboration entre Lucky Duck Games et Mythic Games, et se situe dans l’univers de Time of Legends : Joan of Arc, grand succès de Mythic Games dont je ne dirai rien puisque je n’en sais rien, le prix élevé (et justifié) du titre m’ayant privé de son acquisition alors même qu’il me semblait fascinant.

J’en ai reçu un prototype particulièrement complet afin de me faire un avis et de vous le partager à l’occasion du lancement de la campagne, qui durera jusqu’au 16 octobre. Le jeu a déjà collecté 320 000 € de la part de 5300 contributeurs au moment où j’écris ces lignes, et s’affirme donc comme l’un des incontournables socioludiques du moment. Il faut dire que la boîte de base avec une extension gratuite et tous les Stretch Goals est disponible pour seulement 45 euros, 75 si vous y ajoutez l’extension massive Sea of Sand. S’adressant à un à trois joueurs de 14 ans et plus (pour les thèmes adultes qu’il convoque, mais pas de problème à partir de 12 ans selon l’enfant) et proposant des scénarios durant entre deux et trois heures, il devrait être livré en septembre 2020.

 

The Howl

La luxueuse boîte de démonstration que l’on m’a envoyée contient un seul scénario, The Howl ( « Le Hurlement »), qui sera également présent dans la boîte finale, et donc tout le matériel afférent. Ce que je dirai ici ne se rapporte donc qu’à ce scénario, évidemment représentatif du jeu final, mais n’en constituant qu’un échantillon qu’il faut enrichir en consultant la page de la campagne pour plus de détails.

On commence en lançant l’application Time of Legends : Destinies (disponible sur Android et iPhone) et en sélectionnant le scénario, avec la possibilité bien sûr de choisir sa langue et de sauvegarder la progression pour faire une pause dans sa partie. Un court texte d’introduction apparaît, lu par une voix off très impliquée, narrant en l’occurrence un assaut de loups à Sentilly et le soupçon qu’un villageois est en fait un loup-garou. On sélectionne alors les avatars participant à l’aventure, entre un et trois, parmi l’Herboriste, le Déserteur et le Maire.

S’il est donc possible (et assez satisfaisant) de jouer seul, on profitera bien mieux de l’expérience à deux ou trois, en pratiquant ce jeu de société en société, afin de se plonger collectivement dans l’aventure.

Les avatars possèdent différentes valeurs d’intelligence, de dextérité et de force. Au maire correspondent par exemple les valeurs « Intelligence : 4, 6. Dextérité : 4, 8. Force : 5, 7, 11. ». On prend alors un plateau individuel, on y glisse la carte du personnage choisi, puis on place les jetons Compétence aux emplacements indiqués. Sur la piste d’intelligence (bleue), un jeton sur le 4 et un jeton sur le 6, sur la piste de dextérité (verte) un jeton sur le 4 et un sur le 8, sur la piste de force un jeton sur le 5, un autre sur le 7 et un dernier sur le 11.

Les joueurs reçoivent en outre deux dés principaux (gros et blancs), trois dés d’efforts (petits et violets) et deux pièces, placés sur l’emplacement en forme de coupelle du plateau individuel. Ce n’est pas Charlatans de Belcastel avec son épatante disposition individuelle des éléments personnels, mais entre la forme originale du plateau et le fait d’avoir un endroit où poser même ses dés (au lieu de déborder sur la table), Time of Legends s’avère déjà visuellement très attirant (les couleurs sont claires, les dés superbes) et assez malin.

 

Derrière les cartes Personnage un court texte nous expose son parcours et ses objectifs. Ce texte est secretTime of Legends : Destinies étant un jeu compétitif sans affrontement direct où l’on cherche à accomplir sa mission avant que les autres ne réussissent la leur. Pour être aussi complet que possible on divulgue ces missions dans le paragraphe suivant, que vous pouvez donc sauter si vous craignez le spoil (et de vous en souvenir quand vous aurez le jeu entre les mains).

Le Maire doit tuer le loup-garou, soit en s’équipant seul d’une arme en argent pour tendre une embuscade dans la tanière de la bête une nuit de pleine lune, soit former une milice avec les villageois de Sentilly pour un assaut groupé. Le Déserteur veut se venger du noble Sire Jean, en fait un être dangereux pactisant avec les démons, soit en tentant de l’assassiner soit en cherchant des preuves de ses méfaits pour les exposer au clergé. L’herboriste est horrifiée à l’idée que ses concitoyens puissent tuer le loup-garou sans doute un pauvre villageois victime d’une malédiction. Elle doit donc chercher quel rite est à l’origine de son état, trouver un lieu de magie ancienne et réaliser un contre-rite pendant une nuit de pleine lune, ou convaincre des villageois de réaliser un rite de pardon au centre-ville.

Cela devrait suffire à faire ressentir une certaine excitation, les trois parcours sont intrigants, leur asymétrie est évidemment passionnante, comme les deux voies qu’a chacun d’accomplir sa destinée. Certaines pourront d’ailleurs se fermer pendant la partie, obligeant à opter pour l’autre si un adversaire obtient par exemple un objet qui nous paraissait essentiel. En dehors de ce dos de carte, toutes les informations sont cependant publiques, y compris les dialogues et événements n’arrivant qu’à un personnage. Même quand quelqu’un d’autre joue, il sera ainsi essentiel de faire très attention à ce qu’il fait dans le cas où cela ferait écho avec ce que l’on cherche à faire.

 

Il est alors temps de créer le monde, résumé ici au village de Sentilly et à ses environs. L’application donne les instructions : on commence avec la tuile 7, sur sa visible, au croisent de la tuile 6 (à l’Ouest), de la tuile 3 (au Nord), de la tuile 8 (à l’Est) et de la tuile 11 (au Sud), toutes sur leur face grisée. C’est que l’on place les figurines des joueurs sur la tuile 7, il est donc normal qu’ils la perçoivent très bien, et y voient le forgeron (on place la figurine correspondante sur la forge), l’hôtel (on pose le marqueur Point d’intérêt sur un bâtiment) et la maison abandonnée (également un marqueur Point d’intérêt). On peut deviner à peu près ce que contiennent les tuiles alentour, mais il est impossible de connaître le reste du terrain de jeu, qui ne se dévoilera que par l’exploration, chaque case où l’on se déplace dévoilant les cases qui l’entourent.

C’est probablement l’occasion de parler des figurines. Les plus petites (celles des avatars par exemple) mesurent 15 centimètres, ce qui peut paraître peu, mais n’est pas du tout gênant dans un jeu où l’on ne passe pas son temps à les déplacer sur un grand plateau. Surtout, cela donne l’impression qu’elles sont à peu près à l’échelle de leur monde en les intégrant très bien aux grandes tuiles de lieu, contrairement par exemple aux figurines Kickstarter de Sub Terra, qui perturbaient l’immersion par leur gigantisme dans les grottes qu’elles débordaient. Ce travail d’échelle permet de donner plus facilement une impression de gigantisme avec un joli archange s’élançant d’une pierre ou, dans la boîte finale, des boss de 9 centimètres assez impressionnants.

The Howl comporte onze figurines (plus un feu de bois), l’archange, les héros, deux loups, un moine, un évêque, un forgeron et un démon. On ne se départira pas du regret que voir les figurines dévoile beaucoup de l’intrigue. A contrario, on pourra cependant apprécier leur capacité à intriguer, à donner envie de les rencontrer et donc à redoubler d’ardeur dans l’exploration. D’un plastique de qualité moyenne, elles affichent un niveau de détail tout à fait satisfaisant pour donner vie à l’univers. Pour l’instant, elles sont faciles à ranger puisque la forme des inserts permet d’identifier facilement où chacune va, mais on peut espérer qu’après avoir si ingénieusement localisé La Forêt des frères Grimm Lucky Duck Games trouvera une idée aussi pratique que Batman: Gotham City Chronicles pour rappeler la place de chacune.

Quand c’est son tour, un joueur choisit une tuile où déplacer son personnage, à une distance maximale de deux tuiles de sa position de départ (un long voyage doit logiquement prendre plus de temps) puis interagit avec un personnage ou un point d’intérêt du lieu d’arrivée. Plusieurs interactions sont généralement possibles, chacune ne pouvant être réalisée qu’une seule fois et certaines ouvrant des options quand d’autres en ferment. Autrement dit, on restera tout de même prudent dans l’ordre de ses actions. Il peut simplement s’agir de parler à quelqu’un, de faire des achats (l’application nous dit alors quelles cartes sont vendues), de montrer un objet pour le faire réagir (on scanne alors le QR code de la carte correspondante à l’objet, comme cela marchait si bien dans Chronicles of Crime) ou de faire des jets de compétence.

 

Pour un jet de compétence, on lit d’abord bien le texte. Il précisera avec un symbole quelle compétence est requise, mais sa nature donnera un indice sur sa difficulté – affronter une horde de loups est un peu plus exigeant que remonter un seau. Imaginons que le Maire fasse un jet de force. Il lance alors tous ses dés principaux et autant de dés d’efforts qu’il le souhaite, sachant qu’il ne pourra ensuite récupérer qu’un dé d’efforts par tour. Ce sont des dés à six faces, mais les dés principaux n’affichent des chiffres qu’entre 1 et 4 et les dés d’efforts entre 1 et 3 avec une face Succès. Il obtient un total de 9, plus une face Succès. Or, comme on l’a vu, ses jetons Compétence se trouvent aux emplacements 4, 7 et 11 de la piste de force. Il obtient donc trois succès (deux jetons sont au-dessous de la valeur obtenue, plus une face succès), chiffre qu’il entre dans l’application pour déterminer s’il a réussi son action ou non.

Cela peut paraître limité. Et puis les dés, dans un jeu moderne, franchement… Enfin vous avez normalement déjà compris que le jeu anticiperait ces réticences grâce aux cartes. Certaines ajoutent ainsi un marqueur Compétence, comme la hache, qui octroie un 7 en force. Certaines permettent de modifier la face d’un dé (comme le miroir en argent). Certaines ajoutent des succès ou des bonus à la somme totale des dés de façon permanente (la lanterne, contre les loups) ou à condition de les défausser (la hache, dans un test de force). Certaines offrent la relance de dés (la carte de Tarot Lune pour les dés d’efforts dans les tests d’intelligence). On ne peut posséder plus de cinq objets à la fois. En récupérer un sixième impose… d’en abandonner un par terre, ce que l’on indique avec un jeton en double exemplaire, l’autre étant posé sur la carte pour que tous sachent quel objet est disponible à quel endroit. L’abandon d’un objet retire évidemment le bonus octroyé.

 

 

Pour surmonter la faiblesse de sa condition initiale, rien de tel que de se perfectionner voire de se spécialiser en prenant le temps de se préparer – mais pas trop non plus, il ne faudrait pas qu’un adversaire achève sa mission avant vous. RPG oblige, certains exploits octroient des Points d’Expérience (PE), qu’il est possible de dépenser pour ajouter un marqueur Compétence sur une piste, à un emplacement où on n’en a pas encore. On paiera 1 PE pour un marqueur sur 10, 11 ou 12+, 2 PE pour 7, 8 ou 8, 3 PE pour 4, 5 ou 6 et 4 PE pour 1, 2 ou 3, les valeurs les plus faciles à obtenir.

Quand, à force d’explorations, un joueur a découvert où déclencher la fin du jeu et s’y sent prêt, on lui propose un « final épique » sur plusieurs tours, pendant lesquels il ne pourra revenir en arrière. Comme le rappellent justement les règles, la durée de ce final dépend des choix réalisés précédemment et de son niveau d’équipement, de sorte qu’un autre joueur plus prêt peut théoriquement commencer son final plus tard et pourtant le compléter avant !

 

Et dans la version complète ?

La boîte de base de Time of Legends : Destinies contiendra cinq scénarios, un indépendant (sans doute The Howl) et quatre liés en une grande campagne, soit 65 tuiles de lieu, 15 personnages (destinées), 150 cartes Objet, 30 figurines de héros et de personnages non-jouables et une très grande figurine du boss Abaddon.

Comme je le disais en introduction, il faut ajouter à cette boîte de base l’extension Myth and Folkore, gratuite malgré une valeur estimée (par l’éditeur) à 30 dollars, et contenant trois scénarios indépendants, une excellente idée pour tout de même pouvoir le pratiquer avec des joueurs de passage. Il est en effet souvent difficile pour un auteur de faire le choix entre une grande campagne, impliquant un même groupe dans une histoire ambitieuse, et des scénarios autonomes, plus propices à une rotation des joueurs et des parties décousues. Avec cette extension (indispensable), Lucky Duck Games et Mythic Games ne font pas que prolonger une durée de vie qui sans cela pouvait paraître un peu courte, ils comprennent l’intérêt de proposer les deux options.

Surtout, Myth and Folklore rappelle à quel point les Lucky Duck Games ont compris comment fédérer une communauté autour de projets ludiques. L’éditeur propose en effet à qui veut (même sans avoir financé le projet encore) de participer activement à l’extension, en choisissant pour chaque scénario quel sera le mythe concerné, où cela se passera et quelle sera la péripétie centrale. Pour l’heure, la communauté a décidé qu’une histoire se déroulerait autour de Mélusine dans les marais salants d’Aigues-Mortes, et est en train de déterminer si la quête sera perturbée par l’annonce d’une éclipse, par l’arrivée de l’inquisition ou par la disparition mystérieuse des enfants (une option sinistrement préférée à 809 voix contre 749 contre l’Inquisition et 651 pour l’éclipse). Regardez bien la page de la campagne en lisant ces lignes pour découvrir le sondage du moment !

Enfin, l’extension Sea of Sand comportera une campagne de trois scénarios, avec 40 tuiles de lieu, 9 personnages, 46 objets, 15 figurines « normales » et une démesurée représentant un éfrit (un djinn). On appréciera beaucoup cette idée de proposer un cadre géographique tout à fait différent pour diversifier l’expérience (et probablement annoncer de futurs projets d’extension !).

 

 

Il est à noter que plusieurs stretch goals seront encore dévoilés dans les jours à venir, mais que le succès actuel de la campagne permet déjà des plateaux individuels à double-couche (les emplacements des marqueurs étant creusés afin d’éviter qu’ils glissent), pour un résultat matériel que j’apprécie toujours beaucoup (comme dans Smartphone Inc.) ainsi qu’un thermoformage comme Lucky Duck Games sait si bien les faire depuis Chronicles of Crime.

Le seul add-on proposé consiste dans trois plateaux individuels en néoprène au lieu du carton pour 20 dollars, même si l’on peut supposer l’addition d’autres objets plus tard dans la campagne, comme des pièces métalliques, des figurines pré-peintes pour les héros…

 

 

Surtout, il faut préciser que Lucky Duck Games mettra à disposition des joueurs un éditeur de scénarios, comme il l’avait fait pour Chronicles of Crime – mais je dois avouer ne pas du tout l’avoir testé sur ce dernier jeu et ne pas savoir s’il fonctionne bien. Vu la vitalité de la communauté de Joan of Arc, de Lucky Duck Games, et des jeux personnalisables, je ne doute pas une seconde que ce sera un joli succès (comme pour les Gotham City Chronicles de Monolith) et que l’on pourra ainsi vite bénéficier de scénarios de qualité partagés par d’autres joueurs ! Des détails apparaissent déjà ici, et sont assez rassurants pour ceux qui craindraient que leur incapacité à coder les prive de cette formidable opportunité. Il est d’ailleurs fort probable que des vidéos suivent sur la chaîne YouTube de l’éditeur.

 

 

Time of Legends : Destinies, un futur classique du ludo-narratif ?

En pratiquant un jeu de société, je ne veux pas être dans mon coin, les yeux rivés sur un écran. Je suis pourtant persuadé que le numérique peut apporter quelque chose au jeu de société dont il serait incapable sinon, et c’est évidemment l’une des voies que j’explorerai dans ma conférence sur ce que le jeu vidéo peut apporter au jeu de société au Dernier Bar avant la fin du monde, le samedi 12 octobre, preuve de l’intérêt sincère pour le sujet qui m’a poussé vers Time of Legends, pour ce qu’il promet de stimulant et pour les limites auxquelles il risque de se heurter. Il fallait un éditeur aussi inventif que Lucky Duck Games pour percevoir ces atouts et ces dangers et réussir le défi d’équilibrer la part de physique et la part de virtuel, la solitude face à l’écran et le partage de l’expérience.

Ainsi l’application comprend-elle le texte (toujours assez court et pourtant efficace et joliment écrit, à la Chronicles of Crime), les possibilités d’interaction et la mise en place, sans prendre en compte les objets, les compétences, les tests de compétences, pour lesquels il faut recourir à des cartes, des jetons, des dés. On pourrait donc régulièrement se demander s’il aurait été si difficile de faire de Time of Legends : Destinies un jeu purement vidéo (probablement pas) si l’on n’était pas si content de quitter l’écran des yeux pour consulter et manipuler très régulièrement des éléments physiques (fort jolis).

En outre, les tours sont extrêmement courts, limités au dialogue avec un seul personnage ou à l’exploration d’un seul point d’intérêt, et tout élément de texte doit être lu à voix haute. Non seulement on n’attend donc jamais trop longtemps avoir de prendre la tablette (parce qu’il est évidemment bien mieux de jouer avec une tablette posée au centre de la table, voire un projecteur, qu’avec un téléphone), d’autant qu’on n’est jamais plus de trois (une décision audacieuse et très louable), mais en plus on est aussi attentifs pendant le tour des autres que pendant le sien puisque chaque information qu’il reçoit peut concerner notre quête sans même qu’il en soit conscient. Cela ajoute bien sûr une tension supplémentaire : on tente de deviner ce que peuvent vouloir les autres, de sorte qu’on tente de ne pas leur laisser les informations et les objets qui pourraient les faire avancer.

 

 

C’est que Time of Legends : Destinies a cette grande et curieuse force d’être compétitif, sans affrontement direct mais dans une course où l’enquiquinement est de mise. Course dont on ne sait pas en quoi consiste la ligne d’arrivée de ses concurrents, où ils en sont dans l’accomplissent de leur destinée. On aimerait continuer de voir le monde, d’améliorer ses compétences et ses équipements pour se sentir invincible, l’ingénieux système du jeu donnant une réelle impression et envie de progresser, et pourtant on doit se dépêcher pour qu’un autre ne résolve pas les mystères du lieu avant nous.

Le jeu est de surcroît très accessible, avec ses dix petites pages de règles richement illustrées et à l’écriture inhabituellement épaisse, à l’absence de maître du jeu, à son appel à la logique et à l’intuition des aventuriers… Il est assez fascinant que les concepteurs soient parvenus à intriguer si bien dans une histoire à embranchements, à choix moraux, à destinées individuelles, dans laquelle on se sent parfaitement actif, malgré des cartes réutilisables, des scénarios relativement courts et des règles aussi simples. Leur démarche me semble être celle de personnes ayant tout compris à la manière dont le numérique peut enrichir le jeu de société sans l’écraser et sans nier sa nature.

Time of Legends : Destinies est-il alors un excellent jeu et un futur classique ? Je n’en sais rien, il n’est pas encore sorti. On l’aura compris, le prototype m’a sincèrement enthousiasmé, et si le reste est du même acabit, avec la même qualité d’écriture, le même soin matériel, la même ingéniosité, en plus dans des campagnes encore plus immersives, et pour un prix vraiment raisonnable pour une telle création, je proclamerai avec le plus grand plaisir à quel point il me paraît incontournable. En l’état, je me réjouis de m’être vu offrir un aperçu autrement plus complet du produit final que de simples visuels et vidéos sur une page KickStarter, et je suis sincèrement convaincu que Lucky Duck Games (dont je n’ai jamais été déçu malgré six tests de leurs jeux, et au moins trois prochainement – Welcome to RedviewJetpack Joyride et Paranormal Detectives) saura mener à bien la création d’une oeuvre que j’attends avec impatience et confiance.

Vivement septembre 2020 pour la confirmation de ces espoirs ! En attendant, faites-vous un avis en regardant la page de la campagne (pourquoi pas aussi celle de la nouvelle campagne de Joan of Arc) avant le 16 octobre, participez à l’élaboration de l’extension Myth and Folklore et n’hésitez pas à me poser des questions si un aspect de mon test ne vous paraît pas clair.

 

 

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