Wingspan, le meilleur jeu de 2019… conçu par une passionnée d’ornithologie
Il y a quelques semaines à peine se tenait la remise de prix de la plus prestigieuse récompense du monde socioludique. Le Spiel des Jahres suscita son lot de polémiques, beaucoup avançant que l’excellent Just One est trop familial, et qu’on lui opposait deux jeux allemands inconnus, au mieux faibles (L.A.M.A. de Reiner Knizia) au pire accusés de plagiat (Werwörter). On remettait cependant en même temps le Kennerspiel des Jahres, dans lequel les « vrais » placent depuis longtemps leurs espérances, puisqu’en fait de « jeu expert de l’année », c’est souvent là qu’on récompense les jeux qu’on a envie de voir récompenser, des titres accessibles mais un peu plus tactiques que ceux de la sélection principale, juste assez pour déchaîner les passions. Or cette année la compétition était particulièrement rude, entre le passionnant (mais vraiment moche) Carpe Diem du culte Stefan Feld, le passionnant (et bientôt en test ici) Detective d’Ignacy Trzewiczek et Przemysław Rymer et le passionnant Wingspan d’Elizabeth Hargrave.
Vous l’aurez compris au titre et à l’accroche, c’est Wingspan qui l’emporta, sacrant cette consultante en politique de santé passionnée d’ornithologie, parvenue à concilier si bien rigueur scientifique et plaisir ludique. Le prix ne fait cette fois pas du tout polémique, et le jeu est actuellement noté comme le 40ème meilleur de tous les temps toutes catégories confondues, comme le 1er jeu familial et le 34ème jeu stratégique sur l’agrégateur BoardGameGeek. Illustré par Natalia Rojas, Ana Maria Martinez Jaramillo et Beth Sabel, Wingspan est édité par Stonemaier Games (Scythe, Between two Castles, Charterstone, bientôt Tapestry) et localisé par Matagot, qui décidément a du flair pour dénicher les jeux étrangers qui feront parler d’eux (Scythe et Charterstone justement, Root, Western Legends, L’Île au trésor), normal peut-être quand on en édite soi-même de si beaux (Inis, Kemet…).
Vendu 49 euros 90, Wingspan s’adresse à 1 à 5 ornithologues de 10 ans et plus pour des parties d’environ une heure. Notez que je possède la version anglaise du jeu, de sorte que certains termes que j’emploierai ne seront peut-être pas les mêmes que ceux de la traduction par Matagot. Et très important, Elizabeth Hargrave a livré ici son « journal d’auteur », une démarche que j’apprécie toujours énormément, déjà parce qu’elle permet de mieux saisir les enjeux du jeu, mais aussi parce qu’elle rappelle l’humain qui l’a conçu, avec son humour, ses hésitations, son didactisme, bref sa personnalité. C’est comme quand on enseigne la littérature, les élèves pourront toujours plus facilement s’intéresser à une oeuvre dont l’auteur n’est pas seulement « un vieux barbu du passé ».
Les grands espaces…
Si le prix vous a fait tiquer, c’est que vous n’avez jamais soupesé une boîte de Wingspan, et qu’a fortiori, vous n’en avez jamais ouverte.
On commence en effet la mise en place d’une partie en montant la mangeoire pour oiseaux qui servira de tour à dés. Une tour à dés n’est souvent qu’un gadget, encombrant de façon amusante mais un peu inutile la bête action de lancer des dés, mais ici elle trouve tout son sens parce que les dés représentent différents aliments dont les oiseaux se nourriront, ce qui offre une certaine épaisseur thématique au jeu en même temps qu’un vrai charme visuel.
Au centre de la table, on pose la pile des 170 cartes Oiseau (uniques !), dont trois seulement sont révélées sur un petit plateau. Non loin, la réserve de 75 petits œufs en bois roses, verts, jaunes, blancs et bleus et le stock de jetons Nourriture, idéalement distingués dans les petites boîtes (fournies).
On place ensuite le plateau d’Objectifs, sur sa face bleue ou sur sa face verte, plus directement compétitive puisqu’on y gagne des points en fonction de son classement dans la réalisation des objectifs. Quelle que soit la face choisie, on pioche aléatoirement quatre des huit jetons Objectif pour les disposer sur le plateau, sur les emplacements correspondant aux quatre manches. Ces jetons sont double-face, Wingspan garantissant donc une excellente rejouabilité avec 16 objectifs, deux manières de les viser et 170 oiseaux… Il ne reste qu’à constituer une pile avec les 26 cartes Objectif et on peut passer au matériel des joueurs.
Ceux-ci reçoivent un grand plateau individuel composé de trois habitats (la forêt, la prairie, la zone humide), huit cubes d’action de leur couleur, deux cartes Bonus au hasard, cinq cartes Oiseau au hasard, et un jeton Nourriture de chaque type (invertébré, graine, poisson, fruit, rongeur).
Avant même le début des manches, on est déjà dans la partie puisque la conservation de chaque carte Oiseau coûte une ressource au choix, de sorte qu’il faut décider si on en défausse, et combien, pour s’assurer de ne pas être limité pendant la partie par le manque de ressources ou de cartes. Puis (ou en même temps, ou avant), on choisit un objectif et on défausse l’autre, une action évidemment en lien avec les cartes Oiseau, de sorte qu’on tente de dessiner une stratégie dès la mise en place.
On décide d’un commun accord si les mains seront publiques ou privées, une liberté curieuse mais intéressante, qui colle bien à l’esprit de Wingspan, puis on détermine le premier joueur et la partie peut réellement débuter.
La mise en place est bien plus rapide qu’elle ne peut en avoir l’air, parce que chaque élément est distinct des autres, et que même sans lire les règles il peut être assez évident de déterminer ce qu’il faut faire de quoi. On gagnera en outre du temps en séparant les ressources au moment du rangement, et au contraire en mélangeant les œufs (d’abord séparés dans des sachets), puisque contrairement à ce que leur couleur pourrait laisser penser, ils sont communs à tous les joueurs. Rien n’empêchera bien sûr les ornithologues de favoriser « leur » couleur pour des raisons esthétiques, mais ils n’auront aucun mal à s’emparer des œufs correspondants même sans séparation préalable (ce qui est moins évident pour des petits jetons de carton), et s’ils épuisent leur réserve, ils devront de toute manière se fournir dans les autres.
Il faut par ailleurs mentionner l’exemplaire pédagogie des règles. Elles ne sont pas seulement d’une clarté à toute épreuve, d’excellente qualité et joliment illustrées, elle sont en outre réparties en trois livrets, l’un pour les règles solitaires, l’autre pour les règles détaillées, le dernier pour des règles synthétiques (explicitement recommandées pour comprendre et enseigner les règles plus vite) et l’appendice expliquant les pouvoirs des oiseaux, les bonus et les objectifs.
…peuplés de grands (et moins grands) oiseaux
On l’a dit, Wingspan se pratique en quatre manches, elles-mêmes divisées en tours où dans le sens des aiguilles d’une montre les joueurs vont jouer un cube d’action jusqu’à leur épuisement.
Ils ont donc le choix entre quatre actions.
La première est la pose d’une carte Oiseau de leur main. Pour cela ils doivent en payer le coût en nourriture (par exemple un jeton d’invertébré et un jeton de fruit), avec la possibilité pendant cette phase seulement d’échanger deux ressources contre une ressource d’un autre type. Ils doivent aussi en respecter l’habitat, c’est-à-dire poser l’oiseau sur l’emplacement libre le plus à gauche dans la ligne du plateau individuel où il vit normalement (forêt, prairie, zone humide). Certains peuvent vivre au choix dans un environnement ou un autre. Le deuxième et le troisième oiseau d’une même ligne coûteront en outre un œuf, et les quatrième et cinquième deux, une même ligne ne pouvant jamais en contenir plus de cinq.
Certains oiseaux possèdent un pouvoir activable au moment où ils sont joués, que l’on applique donc immédiatement, par exemple la possibilité de jouer un second oiseau, la pioche de deux oiseaux, le gain de ressources, la récupération d’une nouvelle carte bonus… Ces pouvoirs sont inscrits en noir sur fond blanc, ce qui les distingue immédiatement des pouvoirs sur fond marron et des pouvoirs sur fond rose, qui s’utilisent différemment.
La deuxième action consiste à gagner de la nourriture et activer les pouvoirs des oiseaux de la forêt. On regarde alors la case libre la plus à gauche de la rangée de forêt, c’est-à-dire la case libre adjacente aux oiseaux déjà posés dans cette ligne. Le symbole de dé qui y apparaît indiqué combien de ressources on peut récupérer sur les faces de dé, une seule ressource (donc une seule face) dans les deux premières colonnes, deux dans les troisième et quatrième colonne, trois dans la cinquième colonne et quand la ligne est complète. Comme on s’en doute, plus on a d’oiseaux dans un habitat, plus le pouvoir est puissant. Certaines colonnes permettent de surcroît de défausser des oiseaux de sa main pour choisir des dés supplémentaires.
Un dé ainsi choisi est posé à côté de la mangeoire. Ce n’est que quand la mangeoire est vide que l’on relance les cinq dés, pas systématiquement à la fin du tour. Par ailleurs, si tous les dés présents dans la mangeoire (même s’il n’y en a qu’un) montrent la même face, le joueur peut relancer les cinq dés s’il le souhaite, afin de ne pas infliger de blocage trop désagréable.
Puis, de droite à gauche, on active les pouvoirs des oiseaux de la rangée dont le texte est écrit sur fond marron. Cette activation est toujours facultative. À nouveau, un habitat bien peuplé pourra rapporter davantage qu’un habitat qui le sera moins, avec un potentiel redoutable d’accumulation et de renversement des rapports de force en un seul tour.
La troisième action de Wingspan consiste à pondre des œufs et activer les pouvoirs des oiseaux de la prairie. On regarde à nouveau la case libre la plus à gauche de la rangée de prairie et on applique l’effet correspondant en récupérant entre deux et quatre oeufs selon la colonne, avec la possibilité dans certaines de défausser un oiseau de sa main pour en gagner un de plus. Mais attention, on pose ensuite ces oeufs sur les oiseaux déjà dans leur habitat, qui n’en accueillent qu’un nombre limité (évidemment proportionnel au nombre d’oeufs que leur espèce pond vraiment). On peut les répartir librement entre tous ses oiseaux, mais jamais dépasser leur limite. Puis de droite à gauche on active les pouvoirs des oiseaux de la rangée.
La quatrième action consiste à piocher des cartes Oiseau et à activer les pouvoirs des oiseaux des zones humides. On regarde la case libre la plus à gauche de la rangée de zones humides et on en applique l’effet en piochant une à trois cartes Oiseau, et parfois en défaussant un œuf pour en piocher une de plus. Ces cartes peuvent être piochées parmi les oiseaux révélés ou directement depuis la pile face cachée. Puis on active les pouvoirs des oiseaux de la rangée de droite à gauche.
Certains pouvoirs sont écrits sur fond rose, ce qui signifie qu’ils sont activables pendant le tour des adversaires s’ils le déclenchent, mais une seule fois entre le dernier tour où l’on a joué et le prochain. Par esprit de fair play, il sera toujours apprécié que vous précisiez aux autres ornithologues comment « fonctionnent » vos oiseaux, afin qu’ils n’aient pas la mauvaise surprise de déclencher un pouvoir sans du tout en avoir conscience. Les 170 oiseaux sont uniques, et plus il y a de joueurs ou plus on avance dans la partie, plus il y en a en jeu. Les premières fois que l’on pratique Wingspan, il est difficile d’être parfaitement attentif à tout ce que les autres peuvent faire, d’autant que cela aura rarement une incidence sur ce que l’on fait soi-même, évoquer ces pouvoirs est donc aussi une occasion de dialoguer, de mettre un peu d’interactivité.
La manche se conclut quand les joueurs ont posé tous leurs cubes d’action, à gauche des rangées dont on a activé le pouvoir ou en haut des colonnes où l’on a posé ses oiseaux. On regarde alors l’objectif de la manche, par exemple posséder des oiseaux avec des nids en bol couvant au moins un œuf, ou plus simplement avoir joué des oiseaux. Sur la face bleue du plateau d’objectifs, chaque complétion octroie un point. Sur la face verte, celui qui en a complété le plus en gagne 7, le deuxième 4, le troisième 3 et les autres 0. On note ces points avec un cube d’actions, c’est-à-dire qu’à chaque manche, on réalise une action de moins qu’au tour précédent, ce qui est plus que largement compensé par les pouvoirs des oiseaux et des cases !
Après quatre manches, on prend le petit bloc-notes. Au total des scores des manches, on ajoute la valeur totale en points des oiseaux (entre 0 et 9) posés sur son plateau personnel, un point pour chaque œuf que couve un oiseau, un point pour chaque jeton nourriture recelé dans un nid (un pouvoir propre à certains oiseaux de proie) et enfin les points des cartes bonus, qui imposent des objectifs aussi variés que la présence d’une couleur dans le nom de l’oiseau, le nombre d’omnivores, les oiseaux portant le nom d’une personne… À chaque fois, la proportion des oiseaux remplissant l’objectif parmi les 170 de la pioche est mentionnée. On apprend par exemple que 21% des oiseaux de Wingspan ont un terme géographique dans leur nom, ce qui peut bien sûr influer sur leur choix. En cas d’égalité, la victoire va à celui qui possède le plus de jetons de nourriture.
Prendre son envol en solitaire
Wingspan est un jeu relativement solitaire, surtout en jouant avec la face bleue du plateau d’objectifs. On conçoit alors aisément de le pratiquer seul en tentant de marquer autant de points que possible, mais en ce cas, nul besoin de règles spécifiques ! Stonemaier a cependant souhaité proposer une expérience plus différente et complète en s’associant à Automa Factory, pour un mode conçu par David J. Studley avec l’aide de quelques autres. Une note précise même que ce mode s’appelle Automa parce que le premier jeu sur lequel avait travaillé le studio était Viticulture, qui se déroulait en Italie, et que automa est l’italien d’ « automate ». L’anecdote n’a pas grand intérêt en soi (sans blague), sinon qu’elle permet au concepteur d’affirmer sa présence et sa personnalité dans un type de texte où l’on exige généralement son effacement. Cela ajoute à la chaleur humaine qui se dégage du jeu, et qui a très probablement contribué, même inconsciemment, à son succès.
On s’en doute, cela implique qu‘il est bon de maîtriser les règles multijoueurs (aussi simples soient-elles) avant de se lancer dans l’aventure solitaire contre une « intelligence artificielle ». On suivra soi-même les mêmes règles, tandis que l’automa n’aura pas de plateau individuel, de jetons de nourriture, pas de coût, ses oiseaux n’auront pas de pouvoir, et ne serviront que pour le score final. Les auteurs recommandent de jouer avec la face verte du plateau d’objectifs (bien que l’autre soit possible) afin de bénéficier un peu plus de l’interactivité compétitive supposée faire le sel de ce mode, et il est difficile de ne pas les approuver entièrement en cela.
L’automa reçoit huit cubes d’action. Puis on mélange les dix cartes Automa, onze si l’on y ajoute la carte experte. Enfin, il pioche une carte Bonus.
Pendant son tour, on pioche une carte du deck Automa. Ces cartes sont divisées en quatre sections, correspondant chacune à une manche. On active donc celle correspondant à la manche en cours. En cas de doute, le matériel inclut une carte pour se souvenir à tout moment de la manche que l’on est en train de jouer et donc de l’action à appliquer. Ces actions sont au nombre de sept, rappelées sur deux aides de jeu.
L’une défausse toutes les cartes Oiseau face révélée et lui fait piocher un oiseau qu’il garde face cachée.
Une autre lui fait récupérer, parmi les oiseaux face révélée, celui qui correspond à sa carte Bonus. Dans le cas où cela en concernerait plusieurs, il prend celui qui vaut le plus de points. Dans le cas où cela n’en concernerait aucun, il pioche un oiseau qu’il garde face cachée.
Une troisième lui fait piocher le nombre indiqué d’œufs.
Si la carte représente un dé et une succession de ressources, on ôte de la mangeoire tous les dés portant le symbole correspondant à la première de ces ressources. S’il s’agit d’un poisson, on ôte ainsi tous les dés octroyant un poisson. Si ce symbole n’est pas représenté, on regarde le deuxième symbole dans la suite de symboles et ainsi de suite, jusqu’à défausser au moins un dé.
Ces quatre actions sont souvent assorties d’une action supplémentaire : soit poser l’un des cubes d’action de l’automate sur la tuile représentant l’objectif de la manche en cours ; soit au contraire retirer l’un des cubes d’action de l’automate de la tuile représentant l’objectif de la manche en cours ; soit activer tous les pouvoirs roses du « vrai » joueur (qui n’aurait sinon jamais l’occasion de les utiliser).
Comme certains pouvoirs bruns nécessitent la comparaison avec une carte adverse, on gagne automatiquement la confrontation. De même, quand les autres joueurs devraient gagner des ressources (certains oiseaux en donnent à tous), l’automa ne reçoit rien.
À la fin d’une manche, on passe à l’étape qu’il m’a personnellement fallu le plus de temps pour comprendre, même en tentant de me référer à la traduction française. Il faut dire que le calcul de score de l’automa aurait vraiment eu besoin d’un exemple détaillé, dont je ne m’explique pas l’absence. Mais j’ai fini par saisir ce que l’on attendait de nous. Il faut regarder la tuile Objectif de la manche en cours, sur le plateau d’objecifs, et retrouve le symbole correspondant à cet objectif sur la carte des objectifs de fin de manche spécifique à l’intelligence artificielle. Cette carte représente en effet tous les types d’objectifs possibles et les assortit d’une valeur numérique. Pendant la deuxième manche, l’objectif « Posséder des oiseaux » est ainsi accompagné d’un 5. On ajoute à ce chiffre le nombre de cubes d’actions de l’automa posés sur la tuile objectif de la manche (grâce à l’une de ses actions) et l’on obtient son score pour la manche.
L’idée est à vrai dire assez habile, puisque cela permet au joueur de voir avec combien de points son adversaire artificiel démarre chaque manche, une valeur qui varie à la fois selon la manche et selon les objectifs tirés. L’objectif était assurément de conférer une grande rejouabilité à ce mode, tout en accordant à l’automa des valeurs crédibles : à la quatrième manche, l’objectif « Posséder des oiseaux » rapporte ainsi 11 points, logique, puisque le joueur humain possède lui-même bien plus d’oiseaux à la quatrième manche qu’à la deuxième.
On mélange alors les cartes Automa défaussées et on en ôte certaines cartes spécifiques à la dernière manche jouée (précisant « à ôter après la manche 1 » par exemple) pour reconstituer la pile, et la manche suivante peut commencer.
À la fin des quatre manches, on ajoute au total des scores des quatre manches les points de tous les oiseaux face révélée, un point par oeuf collecté, et 3/4/5 points par carte Oiseau face cachée selon la difficulté voulue, 4 étant la difficulté considérée comme « normale ». Si après un décompte selon les règles ordinaires le joueur humain a davantage de points, il a remporté la victoire.
Il n’est pas étonnant que les auteurs recommandent plutôt le mode solo aux joueurs maîtrisant bien Wingspan. Il est loin d’être inabordable pour qui ne connaît pas encore ce jeu, notamment parce que les règles du multijoueur sont aussi simples, mais on en profitera mieux en n’ayant pas constamment besoin de se reporter à un livret de règles puis à l’autre, en sachant exactement ce que l’on fait pour saisir à peu près ce que fait l’automa, en ayant déjà découvert le plaisir de développer ses oiseaux avant de s’occuper de surcroît de développer un camp adverse dont la gestion est à peine plus légère.
Wingspan, l’envergure d’un grand jeu ?
Le prix de « meilleur jeu expert de l’année » (Kennerspiel des Jahres) peut naturellement faire peur, que l’on craigne un gros titre avec des dizaines de types de jetons et de cubes et sans vrai thème ou juste des règles de quelques dizaines de pages. Wingspan devait cependant flirter avec la catégorie du « meilleur jeu de l’année » tant il s’avère « familial ». Certes on y construit un moteur, c’est-à-dire que nos actions sont de plus en plus puissantes à mesure que la partie avance grâce au développement de notre plateau, mais le jeu ne propose pas de combinaisons complexes pour des résultats dévastateurs, il impose seulement d’agir finement selon les possibilités réduites s’offrant à soi pour choisir celle qui sera la plus profitable pour cette manche et la suite.
Ainsi toutes les règles peuvent elles tenir en une seule page, bien sûr synthétique et pourtant complète, afin de dévoiler les rouages élémentaires de Wingspan, dont les tours s’enchaînent très vite puisqu’il n’en faut pas plus de deux ou trois pour saisir spontanément les enjeux de chacune des quatre actions. Les décomptes eux-mêmes ne devraient décourager personne de le pratiquer à quatre ou cinq, puisqu’on distingue clairement ce qu’il faut prendre en compte dans l’une des quatre manches et à la fin de la partie, et qu’à chaque élément de score correspond un élément matériel distinct.
C’est assurément ce qui a séduit le jury, ce dynamisme et cette aisance à s’approprier intuitivement le titre, l’absence de grosses interactions susceptibles de décourager la progression, et pourtant une indéniable tacticité, la nécessité constante de s’adapter à ce que l’on pioche et à ce que l’on a devant soi, pour des parties qui ne se ressemblent jamais. Et cette variété ne provient pas seulement du nombre d’objectifs ou de l’existence d’un mode solo très satisfaisant, surtout pas des dés seulement là pour pimenter l’une des actions, elle est avant tout due au fantastique travail de recherche d’Elizabeth Hargrave, qui aboutit à 170 oiseaux uniques, dont on a le nom, l’envergure, la localisation géographique, le type d’habitat privilégié, l’alimentation, la forme du nid, une idée de la ponte, l’envergure… En dehors des anecdotes sur leur comportement et l’illustration, tous ces éléments peuvent avoir leur importance dans le jeu, ce qui invite à les prendre en compte et à y attacher de l’intérêt !
Wingspan est un jeu dont la passion exsude de toutes parts, dans le soin matériel apporté jusqu’à la mangeoire et aux œufs, dans cette rigueur scientifique communicative (les règles livrent même les ressources utilisées pour s’assurer de l’exactitude ornithologique des cartes), habilement intégrée aux cartes plutôt que dans une annexe que personne ne consulterait, dans la personnalité des règles ; un titre clair et foisonnant pour tous les publics.
L’auteure rappelle enfin qu’elle n’a utilisé que 170 des 914 oiseaux nord-américains pour Wingspan. Il n’a pas encore été question d’extensions à ma connaissance, mais le jeu possède indéniablement un fort potentiel d’enrichissement, pas tant pour ajouter les 744 oiseaux nord-américains restants que pour s’ouvrir aux créatures volantes des autres continents. Même sans modification des règles, combien l’achèteraient simplement pour retrouver et faire découvrir les oiseaux de leurs contrée ? En attendant, on pourra profiter de la prochaine sortie de Wingspan sur Steam !