Cthulhu – L’Avènement, le plus lovecraftien des jeux de société ?
Suggérer que le Cthulhu – L’Avènement puisse être le plus lovecraftien des jeux de société peut bien entendu surprendre. Peut-il réellement rivaliser avec l’ampleur de ces classiques que sont Les Contrées de l’horreur ou Les Demeures de l’épouvante ? Qu’aurait-il même de plus que la dizaine de jeux lovecraftiens déjà présentés sur VonGuru, Les Montagnes hallucinées, AuZtralia, l‘escape book La Marque de Cthulhu, l’escape box Cthulhu, Shadows over Normandie, Fate of the Elder Gods, sans même parler des jeux n’utilisant que quelques éléments lovecraftiens pour les mélanger à d’autres traditions, ou des jeux semblant tirer une partie de leur inspiration du Mythe sans le citer explicitement ! Or Cthulhu – L’Avènement est édité par Bragelonne (La Vallée des Marchands, Culte), un éditeur d’abord livresque qui met effectivement cette culture à contribution dès le début du manuel, qui comporte une présentation de H. P. Lovecraft… suivie de l’intégralité de sa nouvelle L’Appel de Cthulhu, avant les règles à proprement parler, comme pour suggérer qu’il s’agit d’un seul à franchir, d’une lecture indispensable pour accéder au jeu.
Réservé exclusivement à deux joueurs pour des parties de 30 minutes, Cthulhu – L’Avènement réunit le jeu états-unien Rise of Cthulhu et son extension Dark Secrets dans une réédition soignée, complète et classieuse, qui a de quoi susciter la curiosité, surtout pour un prix de 19 euros 90 !
Le monde de Lovecraft
Pour la mise en place, on peut utiliser le poster contenu dans la boîte, qui sur une face représente les différents emplacements constituant l’aire de jeu. On est évidemment loin d’un véritable plateau, mais il convient de considérer que pour un « simple » jeu de cartes à moins de vingt euros, on aurait pu ne rien recevoir qui ressemble un tant soit peu à un plateau, de sorte que cette option est assez agréable.
Cthulhu – L’Avènement comporte quatre lieux, que l’on place au centre de la table : Dunwich, Arkham, Kingsport et Innsmouth. Pour une première partie, on utilisera évidemment leur face vierge, tandis qu’on pourra ensuite les retourner sur leur face textuelle, ajoutant d’intéressantes subtilités.
Puis on mélange les 50 cartes Adorateur, 10 cartes différentes (de valeur 1 à 10) en cinq exemplaires de cinq couleurs différentes (vert, orange, rouge, bleu et violet). Chacun en reçoit cinq. Une autre carte est retournée et posée face visible à droite des cartes Lieu : c’est le premier adorateur de la Vallée. Le reste des cartes Adorateur est séparé en trois piles de taille égale.
On mélange ensuite les dix Grands Anciens (Dagon, Tsathoggua, Yog-Sothoth, Yig, Shub-Niggurath, Nyarlathotep, Ithaqua, Hastur, Azathoth et bien sûr Cthulhu), dont on tire trois cartes, une sur chaque pile d’adorateurs, avant de réunir les adorateurs en une seule pile. On s’est ainsi assurés de répartir équitablement les trois Grand Anciens dans la pioche, et le fait de n’en tirer que trois ajoute une vraie variété aux parties, les sept autres n’étant pas du tout utilisées.
À droite et à gauche des lieux on place enfin les piles d’artefacts et de monstres, et au-dessus, entre la vallée et la pile d’adorateurs, le jeton Chasseur de monstres.
La mise en place est assez rapide, mais un peu compliquée par le fait que toutes les cartes aient exactement le même format, malgré des dos et des présentations différentes. Il est ainsi très conseillé de les séparer en sachets distincts, ce qui rendra cette étape beaucoup plus intuitive, et permettra mieux de l’apprécier.
Réveiller les Grands Anciens
Les tours de jeu sont très dynamiques, puisqu’on se contente de réaliser l’une des trois actions possibles, puis de passer la main. D’autant que ces actions consistent simplement à piocher deux cartes, jouer deux cartes, ou piocher une carte et en jouer une autre.
Les cartes peuvent être piochées dans la pile d’adorateurs (où elles sont face cachée) ou dans la vallée (où elles sont face visible).
Les cartes peuvent être jouées du côté du joueur sur l’un des quatre lieux ou sur la Vallée. Mais il est impossible de piocher une carte dans la vallée et d’y jouer une carte au même tour, de même qu’on ne peut pas jouer de carte sur un lieu où un Grand Ancien se serait déjà réveillé.
Les cartes adorateur valant un certain nombre de points, le joueur ayant la valeur totale la plus élevée d’adorateurs sur un lieu le tourne vers lui. En cas d’égalité, le lieu revient logiquement dans une position neutre.
Une carte jouée sur la Vallée doit avoir une valeur supérieure à la carte précédente, ou être de la même couleur. Cela permet au joueur de placer le jeton Chasseur de ténèbres sur un lieu ou aucun Grand Ancien n’est réveillé. En arrivant, le Chasseur détruit la carte Adorateur de la plus forte valeur, quitte à détruire la carte Adorateur la plus forte de chaque joueur si elles ont la même (mais pas plus d’une carte par joueur). Par ailleurs, on ne peut jouer ni adorateurs ni monstres sur une case occupée par le Chasseur, qui effraie naturellement les sectateurs.
Un joueur piochant un Grand Ancien doit aussitôt le poser sur le premier lieu dont il porte l’initiale du nom, à moins qu’il soit déjà occupé par un Grand Ancien, auquel cas il le pose sur le second lieu, et ainsi de suite. Ces Grands Anciens possèdent tous un pouvoir, dont bénéficie le joueur ayant le plus d’influence sur le lieu à ce moment. Comme on s’en doute, le pouvoir est perdu si le lieu est neutre. Puis le joueur repioche une carte.
En réalisant un combo, un joueur peut bénéficier d’un bonus. En posant un troisième adorateur de la même couleur sur un lieu, il peut chasser le Chasseur. En posant une troisième carte de la même valeur, il doit piocher une carte monstre. En posant une troisième carte de la même couleur formant une suite stricte dans l’ordre croissant, il doit piocher un artefact. En posant une quatrième carte de même valeur ou de même couleur, on peut à nouveau réaliser un combo.
Les monstres comme les artefacts peuvent être utilisés sans compter comme une action. Parmi les artefacts, le Necronomicon peut annuler le pouvoir d’un Grand Ancien ou l’arrivée sur un lieu du Chasseur de ténèbres, la Dague de R’lyeh peut détruire n’importe quelle carte en jeu (sauf un Grand Ancien) ou un adorateur que contrôle le joueur contre la pioche d’un monstre. Parmi les monstres, le Shoggoth maudit le côté adverse d’un lieu et retirera à la fin de la partie la double des points de son adorateur le plus puissant, le Mi-Go devient un adorateur de la couleur et de la valeur de son choix, indestructible par le Chasseur de ténèbres. Et il y a 17 cartes de ce genre, chacune avec son illustration et son pouvoir !
La partie de Cthulhu – L’Avènement s’achève quand trois Grands Anciens ont été réveillés. Le vainqueur est celui vers qui le plus de lieux sont tournés, à moins qu’Azthatoth ne fasse partie des Grands Anciens en jeu, puisqu’il accorde la victoire au joueur avec le plus de points et en octroie dix. En cas d’égalité aux points, le vainqueur est celui qui a acquis le plus d’artefacts, puis celui qui a joué le plus de monstres, puis celui qui a le moins de cartes en mains.
Cthulhu – Noir Secret
L’extension Noir Secret suit les mêmes règles de Cthulhu, en ajoutant trois des quatre investigateurs au hasard dans chacune des trois piles d’adorateurs avant leur réunion en une seule pioche.
Chaque investigateur porte l’initiale d’un seul lieu. Le joueur qui le pioche le pose sur ce lieu, ou le défausse si le lieu est déjà occupé par un Grand Ancien. Si le lieu était déjà occupé par le Chasseur de ténèbres, ce dernier est retiré du jeu – il ne pourra être ressuscité qu’avec le combo de quatre adorateurs de la même couleur. L’arrivée de l’investigateur oblige les joueurs à reprendre tous leurs adorateurs du lieu en main, et détruit les artefacts et les monstres.
Ces investigateurs portent également une valeur, entre 11 et 17. Les joueurs ne peuvent plus jouer d’adorateurs que sur le lieu occupé par l’investigateur, lequel reste pourtant neutre, jusqu’à ce qu’un des deux joueurs atteigne ou dépasse la valeur de l’investigateur, ce qui le détruit. Ce qui est très appréciable, c’est que cette addition n’est pas qu’un désagrément, et ajoute une petite couche tactique dans le fait qu’en atteignant exactement la valeur de l’investigateur, un joueur reçoit un bonus : récupération d’une carte dans la Vallée, pioche d’un monstre, défausse de deux cartes de la main d’un adversaire, destruction de la dernière carte posée par l’autre joueur.
Cthulhu – L’Avènement, enfin un « jeu de cartes malin » sur le Mythe !
La meilleure manière de réaliser une nouvelle proposition de jeu de société sur le Mythe est d’en explorer d’autres formes. Et celle pour laquelle opte Cthulhu – L’Avènement est pour le moins inattendue. D’un « jeu de cartes malin » on attendrait en effet un thème complètement plaqué pour des règles génériques, et je suis sûr qu’il en existe des dizaines de lovecraftiens. Si la thématisation ne passe pas directement par la mécanique générale, elle s’infiltre dans les illustrations, les pouvoirs des cartes et le travail d’édition d’une façon tout à fait convaincante, qui trahit une passion sincère pour l’univers dépeint. Il faut y ajouter un gameplay d’influence à la Smash Up, accessible mais un peu plus rigoureux, très interactif et pourtant moins chaotique, pour un jeu de confrontation dynamique, fluide et juste technique et varié ce qu’il faut.