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Le Jour et la Nuit : extension en profondeur du jeu d’enquêtes compétitif Minuit Meurtre en Mer

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Le Jour et la Nuit : extension en profondeur du jeu d’enquêtes compétitif Minuit Meurtre en Mer

 

L’une des agréables surprises socio-ludiques de 2018 avait indéniablement été le Minuit, Meurtre en Mer d’Alain Luttringer, auto-édité chez Multifaces Éditions. Dans une année submergée sous les expériences coopératives dans des jeux à la narration ambitieuse (les Detective, T.I.M.E. Stories, Chronicles of Crime, Betrayal Legacy…), il se distinguait par sa dimension compétitive et sa capacité à explorer une histoire solide sans temps morts et sous une forme parfaitement ludique. Or Luttringer vient d’en composer une extension, baptisée Le Jour et la Nuit. Sa couverture semble promettre des clins d’œil à certains grands mythes marins, et elle promet des règles améliorées, y compris pour la boîte de base : l’extension s’avérerait-elle révolution ?

Nous ne reviendrons naturellement pas autant en détail sur les mécaniques de Minuit, Meurtre en Mer que dans l’article spécifiquement dédié à présenter la boîte de base, auquel nous vous invitons à vous reporter si vous ne connaissez pas du tout le jeu. Mais nous décrirons assez en détail les nouveautés du Jour et la nuit pour vous en faire une idée assez claire, même avec un souvenir très partiel de la première boîte.

Malgré les nouveautés, Le Jour et la Nuit reste accessible à partir de douze ans pour deux à six joueurs (idéalement entre deux et cinq) et des parties globalement un peu plus courtes, entre 45 minutes et 90 (selon le nombre d’enquêteurs et la difficulté du scénario). L’extension est disponible autour de 28 euros.

 

Minuit Meurtre en Mer Jour et la Nuit

Nouvelles règles, nouveau matériel, même paquebot ?

La première interrogation d’un joueur s’intéressant à une extension porte naturellement sur son ampleur. En l’occurrence, Le Jour et la Nuit comporte dix scénarios contre vingt pour la boîte de base, un nombre qui correspond donc exactement à ce qu’on pouvait en attendre. Aucune au niveau débutant, trois au niveau « amateur » et sept au niveau « expert » – bien qu’une enquête experte, la 25, nous ait paru assez évidente, peut-être parce que nous avons eu beaucoup de chance.

L’extension n’est cependant pas qu’additive, elle explore aussi de nouvelles voies afin d’enrichir l’expérience proposée. Cinq enquêtes imposent ainsi des règles spéciales : tous les agents commencent au même endroit, plusieurs suspects commencent au même endroit, une zone est inaccessible, les témoins se déplacent aléatoirement, ou les suspects ne se déplacent pas du tout, les agents appartiennent secrètement à des camps différents, disposant chacun d’une information que l’autre n’a pas…

Surtout, ces cinq enquêtes utilisent les six jetons Mystère. À la manière de T.I.M.E. Stories, il s’agit de marqueurs neutres pouvant avoir différentes significations selon le scénario : il pourra s’agir de chats, de témoins, de cartes d’appartenance à un camp, de zone de recherche de membres coupés, de messages cryptés… Ils peuvent donc être cachés ou révélés, entre les mains des joueurs ou disposés aléatoirement sur le plateau, se déplacer ou rester statiques…

On ressort de chaque enquête impressionné par la variété et la vie dont six petits jetons neutres peuvent donner la sensation, et par la rejouabilité que cela favorise. Certes pas tout de suite (on a encore trop à l’esprit les personnes interrogées et les lieux fouillés), mais dans un temps plus court que les enquêtes plus linéaires, ne comportant pas ce nouvel élément de narration et de surprise.

Cette rejouabilité est légèrement renforcée par le nouveau deck de cartes Événement, que l’on est libre d’utiliser ou non à la place du précédent. Les surprises y sont plus nombreuses, interactives et amusantes. Fausses pistes permet de priver un adversaire d’un point d’action, Illumination de « deviner » ce qui se cache dans un lieu du point inférieur, Filature d’ « entendre » une piste suivie par un autre enquêteur, Diversion de déplacer le commissaire de bord d’une zone, idéalement pour empêcher les autres d’y enquêter…

Le livret de règles est plus surprenant, Le Jour et la Nuit en contenant deux. Le principal est une version augmentée du livret de la boîte de règles (quatre pages de plus), qu’il annule et remplace puisqu’il précise des points et inclut un grand nombre de conseils tactiques. C’est d’autant plus original que le jeu est assez simple, et en fait d’autant plus louable : comme Alain Luttringer le rappelle à la fin du livret, le principal est que les joueurs profitent au mieux de l’histoire proposée, de sorte qu’il est crucial de les aider à bien enquêter plutôt qu’à y mettre fin prématurément pour gagner au détriment d’un scénario à usage unique…

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Nouvelle Vague, nouveau jeu ?

Le deuxième livret ne comporte que quatre pages, essentielles, d’une part pour adapter le nouveau contenu à la boîte de base, d’autre part pour en remplacer les règles par le set Nouvelle Vague.

C’est là le plus curieux : ce nouvel ensemble de règles se présente comme une alternative formellement légère, au fond radicale, au set de règles précédent. Dans le même temps, on nous signale qu’elles sont pensées comme des améliorations, et qu’il est sans doute préférable de les appliquer constamment pour la réalisation des trente enquêtes – alors même que la nouvelle version du livret principal de règles n’en évoque que les anciennes, celles qu’il faudrait oublier.

Cela semble donc paradoxal, mais un paradoxe qui ne se manifeste pas au détriment du jeu : qu’on choisisse les anciennes règles ou les nouvelles, tout est expliqué avec une parfaite clarté, et évidemment, tout fonctionne, comme on va le voir.

Il est très probable que ce qui a le mieux motivé Alain Luttringer à ajouter de nouvelles règles (une décision que l’on ne prend pas à la légère, puisqu’elle revient à admettre les failles du set précédent) a été le sentiment de certains joueurs que le hasard avait une part trop importante aux parties de Minuit, Meurtre en Mer – ce qui à mon avis n’est pas très vrai. Il s’agit évidemment d’un jeu où la chance opère, et rien ne peut empêcher un joueur d’interroger les bonnes personnes sur les bonnes pistes au tout début de son enquête, juste parce qu’il faut bien commencer quelque part. Mais le hasard pouvait s’exprimer désagréablement dans les lancers du D10, dont dépendait la réussite ou l’échec des investigations rapides et discrètes.

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Les règles Nouvelle Vague incluses dans Le Jour et la Nuit suppriment le dé. Désormais, pour 1 point, on peut enquêter en public (donc en lisant la piste à voix haute), déplacer son détective d’une zone, déplacer le commissaire de bord d’une zone ou racheter un jeton bouée, tandis que pour 2 points, on peut enquêter en privé (quitte à la rendre publique ensuite pour récupérer 1 point) ou, contre 2 points et le don d’un jeton bouée, soutirer une information à un détective présent dans la même zone (ce qui équivaut pratiquement à trois points d’action, mais pas tout à fait).

 

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Puisqu’aucune action ne coûte plus trois points, que chaque joueur en possède quatre permettrait d’aller trop vite en besogne, et peut donner l’impression de tours trop longs : on ne dispose donc plus que de trois points d’action par tour. Et puisqu’on n’a plus besoin des précieux jetons Bouée pour diminuer le résultat d’un dé… on peut en avoir davantage : 5 à deux joueurs, 4 à trois, 3 à quatre, deux à 5 ou 6. Il va sans dire qu’à deux ou trois, une bonne gestion des bouées peut permettre de prendre ses adversaires de vitesse pendant un tour particulièrement lucratif.

Les actions, on le voit, sont également plus nombreuses. La possibilité de déplacer le commissaire sera particulièrement apprécié par ceux qui pestaient contre le hasard qui le plaçait exactement dans la zone où ils comptaient enquêter. Avec la réduction du nombre de points d’action, il s’agira pourtant d’être plus timoré. Les enquêtes étant toujours réussies, on peut mieux se focaliser sur leur caractère privé ou public, avec l’introduction de cette excellente règle consistant à pouvoir récupérer un point d’action en dévoilant une enquête privée. Excellente parce que cela influence la manière de jouer de deux manières : soit pragmatiquement, en dévoilant une piste de peu d’intérêt afin de récupérer un point supplémentaire (une denrée rare), soit pour bluffer, garder une piste pour soi donnant toujours l’impression qu’elle est importante.

C’est que le bluff n’a jamais été aussi important. Faire perdre un à deux points d’action à un adversaire en l’incitant à explorer une piste sans intérêt ou à soutirer une information dont on exagérait l’importance (ce que l’on fait rarement à deux je crois, mais beaucoup à cinq ou six) est autrement plus crucial quand un tour se limite à trois points d’action, et que chaque point compte.

Notons que contrairement aux règles de base, les joueurs ne commencent plus dans la même zone, mais se placent à tour de rôle dans l’une des zones entre 4 et 9 non occupée par un autre joueur. Sans doute l’idée était-elle originellement de donner aux joueurs les mêmes chances en les mettant à équidistance des suspects et des lieux à explorer, mais cela pouvait provoquer une tendance à se suivre peu agréable. L’amélioration est donc vraiment bienvenue (et pour le coup devrait être adoptée même si vous jouez sans Nouvelle Vague), en diversifiant davantage les parcours de chacun.

Ces additions sont très bien prises en compte par le matériel de jeu. Ainsi, les cartes Événement du Jour et la Nuit comportent-elles toutes un chiffre servant à placer le commandant de bord. Si l’on joue avec les règles Nouvelle vague, mais avec les cartes Événement de la boîte de base, on en récupérera naturellement le dé pour les déplacements du commissaire uniquement. Mieux encore, Le Jour et la Nuit contient deux grandes tuiles rappelant les étapes du tour d’un joueur et les différentes actions possibles, à placer sur le plateau principal pour recouvrir les zones où les règles caduques étaient livrées aux joueurs.

Une question se pose cependant : les règles Nouvelle vague sont-elles meilleures que celle de la boîte de base, comme l’auteur en semble persuadé ? Probablement. J’imagine en effet qu’il ne les a pas intégrées par simple plaisir, mais voulait perfectionner sa proposition ludique en écoutant consciencieusement les joueurs. Pour ma part, je dois bien admettre que les deux sets de règles m’amusent tout autant. Nouvelle Vague est inévitablement moins frustrant et plus tactique, plus carré, mais le choix terrible de la méthode d’investigation est une source de plaisirs sans fin et constituait un élément très fin de game design.

Je vois donc Nouvelle Vague comme une réelle alternative, louable dans ses ambitions et intentions, et très fonctionnelle, donc tout à fait digne d’être pratiquée, mais pas « objectivement » meilleure que les règles précédentes (du moins pas en tous points), qu’elle concurrence très agréablement et auxquelles elle ajoute surtout une bienvenue variété. On les adoptera sans aucune hésitation de quatre à six joueurs (parce que le dé, la sensation de se suivre, les quatre points d’action peuvent rendre les règles traditionnelles un peu fastidieuses), mais on prendra assurément du plaisir à deux et trois à choisir entre un jeu plus « party-game » (mais toujours avec une réelle part de tacticité et la même qualité narrative) et des règles misant davantage sur la tactique (mais toujours avec une même sensation de liberté).

 

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Le Jour et la Nuit : naufrage du paquebot ou disparition de l’iceberg ?

On l’aura compris, ni l’un ni l’autre à mon avis – tout simplement parce que je ne voyais pas d’iceberg. Pour filer la métaphore, Nouvelle Vague serait plutôt un deuxième paquebot, et Le Jour et la Nuit (hors ces nouvelles règles) l’embellissement du premier. Les histoires en sont toujours aussi immersives et dynamiques (un combo rare dans le jeu d’enquêtes), et plus ludiques encore, les enrichissements et propositions d’amélioration convaincants et séduisants, puisqu’ils fluidifient le jeu quand les joueurs sont nombreux, et ajoutent une part de contrôle et de tactique que la plupart appréciera. L’extension prouve un admirable suivi du jeu par son auteur, qui au lieu de se focaliser sur sa prochaine production (le prometteur Music Business, anciennement Vinyle) a préféré s’arrêter sur la précédente pour écouter les joueurs et son instinct. Et avec un packaging plus geek de surcroît, Minuit, Meurtre en Mer a plus d’arguments que jamais pour trouver sa place dans le haut du panier des jeux narratifs.

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