Cosmic Factory – une minute pour ordonner la plus belle galaxie !
Après Orbis des Space Cowboys et surtout le Planet de Blue Orange , prenons de la hauteur pour ordonner des galaxies avec le Cosmic Factory de Gigamic (Flamme rouge, Saboteur, Galèrapagos, 13 indices, Squadro…). Conçu par Kane Klenko (Flipships, Fuse, Mission pas possible) et sans surprise, fort joliment illustré par Sylvain Aublin (Scarabya, Rolling Bandits, Oh mon Château), Cosmic Factory propose de former des zones de planètes cohérentes et des alignements d’astéroïdes en prenant en compte les intempéries sidérales. Et cela dans un temps très limité exigeant opportunisme et à-propos, pour des parties d’une durée approximative de 30 minutes. Si le thème choisi pour habiller ce jeu de puzzle peut sembler un peu abstrait (et j’ai découvert après avoir écrit ces lignes que Klenko en avait en effet conçu les mécaniques sans idées d’univers), il est très agréable souligné par les couleurs vives d’un univers assez cartoon, revendiquant sa dimension familiale (bien que, puzzle et rapidité obligent, Cosmic Factory soit conseillé à partir de dix ans). Disponible pour trente euros, il est jouable de deux à six architectes galactiques, et sans aucun aménagement de règles pour les configurations extrêmes.
La fabrique des mondes
Pour commencer une partie de Cosmic Factory, tous les joueurs prennent un plateau de score qui sert également d’aide de jeu, et un jeton en bois de chaque couleur (orange, vert, bleu) plus une étoile blanche.
Les 54 tuiles représentant des planètes, des astéroïdes et des constellations sont placées dans le grand sac violet fourni dans la boîte, une addition très agréable mais que j’aurais aimé voir assortie d’un logo, d’un dessin, pour la personnaliser davantage et contribuer au semblant d’immersion recherché par le jeu.
Ce dernier comporte également un sablier d’une minute, violet aux extrémités par conformité au sac et pour ne susciter aucune confusion avec les couleurs des autres éléments du jeu. Et en effet, un coup d’œil sur une table de Cosmic Factory suffit à en apprécier la lisibilité et la joliesse (oui, j’ai encore en mémoire l’échec graphique de Carpe Diem !). Il est placé au centre de la table, à côté des trois tuiles bonus représentant trois planètes bleue, verte et orange.
Enfin, on mélange les vingt cartes Kaos et on en place cinq face cachée sur la table. Tous les jeux de société comportent de nos jours cette part de rejouabilité considérable (les quinze autres cartes ne serviront plus de la partie), et c’est un apport de la modernité qu’on ne peut qu’apprécier, quand cette rejouabilité apparaissait moins comme une priorité il y a quelques années encore, ou était au mieux garantie par des tirages dans un ordre indéterminé d’éléments in fine tous utilisés. Profitons-en pour signaler que loin de se contenter d’un picto et d’un texte, ces cartes sont extrêmement soignées et même intitulées par souci thématique (Trou noir, Vide sidéral, Trop stellaire), et qu’on les range dans une boîte dédiée qui fait mieux que compenser l’absence de thermoformage.
Trois minutes de mise en place après, il est déjà temps de se lancer dans Cosmic Factory ! Et encore moins si vous aviez replacé toutes les tuiles dans le sac à la fin de la partie précédente, ou si vous jouez avec le site Cosmic Factory qui génère aléatoirement les cinq cartes Kaos et propose un sablier numérique (avec une bande-son tendue).
L’ordre dans le chaos
Comme on s’en doute, une manche commence par le dévoilement d’une carte Kaos, dans la tradition des événements informant un tour de jeu. Et comme son nom l’indique, le Kaos introduit une dose de chaos, un bouleversement des règles sur un point précis qu’il faudra prendre en compte pendant les trois phases suivantes de la manche. On y reviendra (parce qu’en parler alors qu’on n’a pas abordé le système de jeu n’a pas de sens), mais si toutes sont très contraignantes, la plupart sont d’une très plaisante fantaisie, ce qui implique que chaque partie sera très différente d’une autre et très surprenante.
Au cours de la deuxième phase, tous les joueurs piochent sans les regarder neuf tuiles Galaxie dans le sac et les posent face cachée devant eux. Puis ils les consultent, en conservent trois face cachée et donnent les six autres au voisin de droite (pendant les manches paires) ou de droite (pendant les manches impaires). Enfin, ils consultent ces six nouvelles tuiles, en gardent trois et donnent les trois autres. Les trois dernières tuiles ne peuvent pas être regardées, de même qu’on ne peut plus regarder des tuiles sélectionnées précédemment : il faut tenter de se rappeler la stratégie esquissée, et on garde une partie de surprise pour la troisième phase. Pour une partie entre débutants, on pourra faire sans cartes Kaos, et en piochant simplement ses neuf tuiles. Ce serait naturellement très dommage : autant il est normal de vouloir d’abord jouer sans cartes Kaos, autant la distribution est inhérente au plaisir de la création de son univers, de sorte que je recommanderais plutôt de jouer la première manche de cette manière, mais de réintégrer la règle de distribution dès la deuxième.
On y retourne en effet enfin les neuf tuiles… en même temps que le sablier. En une seule minute, il va s’agir de les ordonner en carré de trois par trois, en les tournant dans l’ordre de son choix, pour obtenir les plus grandes zones homogènes possibles, donc de la même couleur, sans interruption par une autre couleur, une constellation ou des astéroïdes. C’est déjà tendu, mais cela ne suffit pas au très joueur Kane Klenko, qui ajoute pendant cette courte minute la possibilité de prendre une tuile bonus au centre de la table. Cela signifie qu’on estime être le joueur possédant le plus de planètes de la couleur de la tuile bonus, et cela met fin à sa minute (les autres pouvant achever la leur). On a donc plutôt intérêt à les prendre à la fin de la minute, après avoir optimisé sa galaxie, mais cela implique de garder les yeux rivés sur le sablier, et d’espérer que les autres joueurs ne prendront pas les bonus avant nous…
Il est possible que certains imprudents, à trop regarder le temps s’écouler, n’aient pas achevé leur galaxie. Ils prennent donc les tuiles qu’ils n’ont pas posées, les mélangent, les posent sans les regarder dans les interstices, puis les retournent sans choisir leur orientation. Inutile de dire que le résultat a peu de chances d’être agréable.
On n’est pas dans un « jeu à scoring » comme Carpe Diem, Taverna ou Isle of Skye, et Klenko confirme dans son très intéressant journal d’auteur qu’il avait renoncé avec douleur au système élaboré de scoring de son précédent Mad City – cela se sent. Tout de même, le décompte est une phase en soi, et fatalement la plus longue compte tenu de la concision de la précédente ! On regarde d’abord les zones de planètes (sachant qu’il peut y avoir deux planètes sur la même case… ou aucune) : une zone de végétation comprenant entre 3 et 5 planètes rapporte 1 point, 3 points pour 6 à 8 planètes, 5 points pour 9 planètes et plus. Pour les zones de glace et les zones de désert, les exigences sont respectivement plus faibles de 1 et de 2, et les scores respectivement plus élevés de 1 et de 2. Par exemple une zone de glace comportant huit planètes et plus rapporte 6 points, une zone désertique de 7 planètes et plus 7 points. Il va de soi que cela compense la répartition moins harmonieuse de ces planètes sur les tuiles.
Puis on observe le plus long chemin d’astéroïdes, celui qui passe par le plus de tuiles. Les conditions sont plus difficiles à remplir, surtout dans les premières parties où l’on se focalisera assurément sur les couleurs, mais les quelques points rapportés font souvent la différence. Un chemin passant par 4 ou 5 tuiles ne rapporte qu’1 point, 2 points par 6 à 8 tuiles, 4 points pour neuf tuiles et plus.
Vient le temps des paris : si on possède effectivement plus de planètes de la couleur de la tuile bonus récupérée (ou des tuiles bonus récupérées), y compris en cas d’égalité, on marque trois points ; perdre un pari en fait cependant perdre deux.
Aux points des zones, des astéroïdes et des tuiles bonus il ne reste qu’à additionner les points supplémentaires de certaines cartes Kaos. Vide sidéral rapporte ainsi des points en fonction du nombre de constellations, Climat tempéré du nombre de zones Végétation, Arborescence permet de prendre en compte les embranchement du chemin d’astéroïdes…
Et le tour est joué. Après cinq tours comme celui-là, on regarde les scores de chacun en additionnant le score le plus bas parmi les jetons Glace (bleu), Végétation (vert) et Désert (jaune), ce qui impose de tenter d’équilibrer ses scores, avec le score marqué par l’étoile (qui prend en compte les chemins d’astéroïdes et les éventuels bonus de cartes Kaos). En cas d’égalité, le joueur avec le jeton Étoile le plus bas remporte la partie. Encore une fois comme dans Carpe Diem (avec lequel Cosmic Factory partage curieusement beaucoup), l’égalité est favorable à celui qui a gagné le plus de points avec les valeurs vraiment importantes (en l’occurrence les planètes).
Notons que le livret de règles s’achève sur le détail des cartes Kaos, qui illustre celles qui pourraient ne pas paraître claires – elles le sont toutes, mais on peut effectivement douter de ce qu’on a lu quand on pioche Dimension unique et sa règle de construire une galaxie en 1*9 (au lieu de 3*3) ! Parmi les plus originales, citons Cadeau (où l’on gagne les points de son voisin de droite au lieu des siens, et où il faut donc réaliser la pire planète possible), Pirate de l’espace (sur le même principe, on donne ses neuf tuiles à son voisin de droite à la fin de la distribution), Troc stellaire (le score d’astéroïdes augmente une couleur de son choix plutôt que l’étoile)…
Cosmic Factory, jeu interstellaire ?
Cosmic Factory est d’abord un jeu constamment surprenant : les mécaniques en sont abstraites, mais si joliment thématisées et bouleversées par les cartes Kaos qu’on s’en amuse follement, loin de la froideur redoutée ; on y est en permanence actif, la mise en place étant pratiquement instantanée, dès la phase habituellement insipide de distribution, et a fortiori pendant le remue-ménage d’une phase « principale » d’à peine une minute ; chaque phase en est donc très intense, de la découverte de la carte Kaos au calcul des scores. Cela s’ajoute à un livret de règles exemplaire et à un matériel de qualité et beau pour faire de Cosmic Factory un parfait jeu familial, à mon avis assez irréprochable (et je ne dis pas cela souvent) !