Orbis – devenez Dieu et créez votre univers de tuiles !

 

Les Space Cowboys ne sont pas que les maîtres du jeu de société narratif que l’on connaît bien, après avoir présenté trois itérations d’Unlock!, deux de T.I.M.E. Stories, et une boîte de Sherlock Holmes, Détective Conseil. L’éditeur bucois est également connu pour des jeux combinatoires plus « classiques » aux deux sens du terme, comme Elysium et Splendor.

Juste après un nouveau scénario de T.I.M.E. Stories, le captivant « Frères de la Côte », on se demandait donc si les Space Cowboys nous réservaient une nouvelle version de leurs jeux cultes, ou sortiraient des sentiers battus pour nous proposer enfin un nouveau jeu « original ». Et de fait, leur nouveau titre s’intitule Orbis, pas Unlock! ou Sherlock Holmes, et il ne s’inscrit dans aucune lignée (bien que rien n’exclue la possibilité d’extensions).

Conçu par Tim Armstrong, joliment illustré par Davide Tosello (Oh Capitaine pour Florian Sirieix), Orbis nous fait incarner pas moins qu’un Dieu construisant la planète idéale, cherchant du moins à constituer une planète objectivement meilleure que celle de ses rivaux. Ce curieux jeu pour deux à quatre, et pour des parties d’environ 45 minutes, peut être obtenu, si notre test vous inspire, pour un peu plus de 25 euros.

Orbis boîte

Petit cours de géographie ré-informative

Une terre complète est composée de 14 tuiles, disposées en forme pyramidale : une base de cinq tuiles, un premier étage de quatre tuiles, un deuxième de trois, un troisième de deux, et un espace vide au quatrième étage où viendra se placer le Dieu contemplant sa création. On est donc loin de l’orbe promise par le titre du jeu, mais on admettra que Pyramidis n’aurait pas aussi fidèlement traduit sa thématique qu’Orbis, tout en étant plus fidèle à la forme du prétendu orbe. Ce sont les platistes qui vont être contents.

Les tuiles qui constituent cet orbe pyramidal sont de différentes natures, sept pour être précis, loin de la « planète bleue » que prétendent nous vendre les professeurs de géographie : volcan, forêt, terre sauvage, village, ferme, irrigation et temple. Parce que c’est bien connu, Dieu a créé les hommes en même temps que l’univers, à quoi bon s’échiner autant sinon à bâtir une planète si cohérente et belle si cela ne lui vaut pas d’adorateurs ?

Et puisque c’est en forgeant qu’on devient forgeron, les Dieux commencent par créer les tuiles Région de niveau 1, avant celles de niveau 2 et enfin celles de niveau 3, les plus impressionnantes.

Orbis matériel

Fiat Terra

On commence par piocher neuf tuiles Région dans la pile des tuiles de niveau 1 pour les disposer devant les Dieux. À tour de rôle, les Dieux piochent une tuile Région et l’ajoutent à leur monde. Quand il n’y a plus de tuiles de niveau 1, on garnit le centre de la table avec des tuiles de niveau 2, et en l’absence de tuiles de niveau 2, par des tuiles de niveau 3. Quand tous les joueurs ont achevé leur planète, la partie s’achève.

C’est là qu’interviennent les subtilités. Pour commencer, les tuiles ne peuvent pas être posées n’importe comment : une tuile doit toujours être adjacente à une autre, et si les tuiles du premier étage peuvent être de n’importe quelle nature, à partir du deuxième étage, toute nouvelle tuile doit être de la même nature que l’une des deux tuiles sur lesquelles elle repose. Si un Dieu ne peut pas respecter cette règle avec la tuile qu’il a choisie, il n’a plus qu’à la retourner pour en faire une terre sauvage, une région incolore qui peut être placée n’importe où et sur laquelle n’importe quelle région peut se positionner, mais fait perdre des points à la fin de la partie.

Ensuite, les tuiles ont un coût en adorateurs. Si on ne peut pas payer le coût de la tuile choisie, elle devient une terre sauvage. À chaque fois qu’un Dieu choisit une tuile, il pose sur les deux ou trois tuiles adjacentes de la réserve un jeton adorateur de la couleur de la tuile choisie. Si une tuile tarde à être choisie parce que les Dieux lui préfèreraient constamment les tuiles adjacentes, elle peut vite se couvrir d’adorateurs de différentes couleurs. Et comme on s’en doute, on gagne des adorateurs en prenant une tuile qui en est habitée. Ce qui implique que l’on peut très bien choisir une tuile que l’on ne peut pas payer ni bien disposer sur sa planète pour son seul intérêt financier. On n’est pas si loin de l’awale version Five Tribes.

Orbis partie

Des points et des spécialités régionales

Orbis n’est pas un Kingdomino du pauvre où il ne faudrait se soucier que d’assembler de façon cohérente des tuiles de couleurs différentes. Toutes différentes les unes des autres, les tuiles ont notamment des pouvoirs particuliers (ajout d’adorateurs, points de Création) et des spécificités dépendant du type de région.

La ferme permet ainsi de ne plus payer le coût en adorateurs dans une couleur donnée.

Les villages vous proposent de défausser le nombre d’adorateurs indiqué pour gagner des points de Création en fin de partie.

La forêt rapporte un certain nombre de points de Création si vous parvenez à l’entourer du nombre demandé de tuiles de la couleur demandée ou des couleurs demandées (par exemple trois tuiles vertes).

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L’irrigation rapporte davantage de points si elle est disposée juste au-dessus d’une tuile de la couleur indiquée (en plus d’une tuile bleue donc).

Le volcan impose de détruire le nombre d’adorateurs donné, de la couleur donnée, parmi ceux qui se trouvent sur les huit tuiles entourant la tuile volcan que vous venez de choisir, en échange d’un certain nombre de points.

À la fin de la partie, les joueurs peuvent chacun choisir un jeton Temple (rapportant un nombre différent de points de Création), à condition de posséder au moins une tuile Temple, et en commençant par le joueur en possédant le plus jusqu’au joueur en possédant le moins.

L’analogie avec Five Tribes se poursuit donc : toutes les tuiles ont des effets intéressants, mais vous ne pouvez pas tout construire quand vous le souhaitez, et il faudra réfléchir assez vite à votre stratégie, tout en étant capable de l’adapter si les autres joueurs la comprennent et vous privent des tuiles adéquates. La dispersion n’est en tout cas jamais la solution la plus profitable, a fortiori si elle vous contraint de poser des terres sauvages !

 

Orbis bannière

Devenez un Dieu !

On n’est au début d’une partie d’Orbis qu’un être vaguement omnipotent, défini par sa seule capacité créatrice, mais au fur et à mesure qu’elle avance, on affirme une identité propre par ses choix et ses préférences. Ce n’est donc pas avant la partie mais quand on le souhaite au cours de la partie que l’on peut décider de piocher une unique tuile Dieu au lieu de piocher une tuile Région.

À quatre joueurs, on dévoile cinq des dix Dieux de la boîte, à trois joueurs quatre, à deux joueurs trois. On a donc toujours le choix du Dieu que l’on veut incarner, mais si on en a un particulièrement en vue, il peut être habile de se précipiter pour le prendre avant l’un de ses adversaires.

Selon le Dieu que vous choisirez d’incarner, vous bénéficierez d’un bonus particulier. La Déesse de l’amour donne cinq adorateurs de la couleur de son choix et un point de Création, le Dieu de la Mort demande de défausser immédiatement six adorateurs (ce qui est énorme quand on ne peut en avoir plus de dix) mais rapporte trois points, l’Apprentie Déesse en accorde deux sans conditions ni autre avantage, la Déesse de la Paresse octroie un point et empêche les terres sauvages de vous en retirer, la Déesse du Feu vous favorise si vous avez plus de volcans que les autres et ainsi de suite.

Certaines divinités infléchissent donc la stratégie du joueur qui les sélectionne, d’autres sont plus indifférents… mais aussi moins intéressants. Naturellement le risque paie, sachant que vous ne saurez jamais avant de jouer quels Dieux seront mis à disposition pendant cette partie, ce qui obligera même les joueurs connaissant les règles à s’adapter.

C’est que, comme on le voit, la différence entre les points octroyés peut paraître minime. A priori, mieux vaut gagner un point avec un bonus très avantageux que trois points exigeant un lourd tribut ou une condition difficile à remplir. Orbis a cependant cet avantage que chaque point de Création y a une importance conséquente, et qu’autour de vingt points finaux, on est tout à fait dans la moyenne. Avoir trois points plutôt que deux peut donc faire pencher la balance, et même mériter de renoncer aux adorateurs qui ne sont qu’un moyen d’obtenir des terres, sans valoir le moindre point final.

 

Chaos, ambiance et stratégie au pays des Dieux

Ne nous mentons pas, Orbis n’est pas tant un jeu de création de mondes qu’un jeu de tuiles relativement abstrait, auquel un thème sympathique a été accolé sans que ce soit tout à fait cohérent, et de fait on a peine à considérer ses cubes en bois comme des adorateurs, ou à avoir l’impression que l’on façonne la planète parfaite. Cette discrétion thématique est curieuse de la part des Space Cowboys, mais du moment que l’on n’y place pas trop d’attentes, on peut apprécier pleinement ce qu’Orbis a à nous offrir de tours paradoxalement aussi riches que rapides.

À la manière d’un Five Tribes simplifié (décidément), les actions à réaliser sont exceptionnellement peu variées ou nombreuses (cela se résume à prendre une tuile) et pourtant chaque choix influera dramatiquement le reste de la partie. Et comme Five Tribes enfin, une partie à deux sera bien plus tactique, quand la partie à quatre sera plus chaotique et décomplexée, Orbis offrant ainsi des plaisirs distincts, mais réussis, aux différentes configurations. En somme, Orbis est un jeu d’une grande maturité, aux règles on ne peut plus courtes et simples, nerveux, tactique, varié, et à la rejouabilité si importante que vous souhaiterez probablement vous relancer dans l’aventure aussitôt votre première partie achevée. Une agréable surprise de la part de Space Cowboys, qui rassure sur la vitalité de l’éditeur aussi bien pour étendre ses franchises les plus passionnantes que pour proposer du contenu original.

Cela vous a-t-il inspiré l’envie de vous lancer dans la création de votre Terre ?
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