La Petite Mort – devenez la meilleure Faucheuse !
Connaissez-vous La Petite Mort ? Cette série d’albums de Davy Mourier, étendue par La Petite Mort(e) et Les Petits Morts, raconte l’histoire d’un écolier relativement ordinaire, dont le rêve de devenir fleuriste est contrecarré par un parcours professionnel déjà tracé : quand il sera grand, il devra reprendre le métier de son père… Faucheuse. La série bénéficiait grandement de l’esprit de son auteur, notamment créateur (avec Lewis Trondheim) de la web-série Reboot, participant à Nolife, le Golden Show et Golden Moustache, entre cent autres choses, et il y avait assurément du potentiel pour des produits dérivés, dont le plus surprenant et prometteur est le récent jeu de société La Petite Mort conçu par François Bachelart.
Jeu d’ambiance s’appuyant au mieux sur l’humour noir des albums (Davy Mourier a réalisé tous les dessins et les blagues apparaissant sur certaines cartes), La Petite Mort a de surcroît été édité par Lumberjacks Studio, à qui l’on devait déjà le déjanté Peanut Club. Il s’adresse à deux à quatre apprentis faucheurs de quatorze ans et plus (plutôt pour le thème macabre que pour la complexité des mécaniques, vous vous en doutez) pour des parties d’une vingtaine de minutes. Disponible pour 22 euros 50, il arrive dans son petit cercueil, première preuve de l’excellent travail d’édition réalisé, et qui en fait d’emblée un objet amusant (que l’on n’osera pas sortir partout, bien que cela le rende très transportable) !
Mise en place de l’examen
Pour passer un diplôme, il faut déjà choisir le diplôme que l’on veut passer. La Petite Mort propose ainsi neuf « scénarios », soit neuf fiches objectifs, de la Moisson d’avril (« Diplôme Apprentissage ») au Ying Yang (« Diplôme Expert (Haaard !) »). Moisson d’avril demande par exemple aux joueurs de disposer de cinq personnages dans leur cimetière, de cumuler vingt âmes, de collectionner trois morts avec l’icône « métier », quatre avec l’icône Darwin Award, et d’accompagner un personnage sur son lit de mort (donc sans le faucher trop jeune). Pour obtenir son diplôme, il faut remplir quatre objectifs, sachant qu’il y en a entre quatre et six selon les scénarios, et que la plupart disposent d’un objectif ne pouvant être rempli que par un joueur.
On place ensuite au centre de la table les piles Personnage, Caractère et Fauche. Chaque joueur place trois personnages devant lui en colonne, puis trois caractères et deux fauches dans sa main. Il s’empare enfin des cinq très jolis pions Petite Mort de la couleur de son choix.
Les personnages, qui parodient tous des célébrités fictionnelles ou réelles, valent un nombre d’âmes particulier, entre 0 pour Link et trois pour Davy Mourier, et portent différents pictogrammes : le Darwin Award signifie que son porteur pourrait décéder on ne peut plus bêtement, le cerveau, les poumons, le crabe, le coeur, le smiley à l’oeil bandé et la corde se rapportent respectivement à l’AVC, à la maladie pulmonaire, au cancer, à un état cardiaque, à l’accident et au suicide. Ces pictogrammes peuvent être rouges pour signaler une faiblesse ou verts pour signaler une force : Lady Di court un assez grand risque d’accident, Claude François a un Darwin Award, Walter White a une telle soif de vivre qu’il pourra mourir n’importe comment, mais pas d’un suicide…
Comment obtenir son diplôme en dix leçons (ou plutôt en quatre phases)
Un tour commence par la phase des événements de la vie : chaque joueur ne garde qu’une de ses trois cartes Caractère et en donne une à chacun de ses voisins – ou les deux à son seul voisin quand on joue à 2. Puis il attribue comme il le souhaite deux de ces cartes aux personnages de sa zone de jeu. Chaque carte attachée correspondant à un nouvel âge du personnage, il n’est pas possible de lui en donner plus de trois – il n’y a pas de quatrième âge.
Ces cartes valent un certain nombre d’âmes, donc ajouté à celui que valent naturellement les personnages, et en plus d’un texte humoristique, portent de nouveaux pictogrammes. Porter deux fois le même dans la même couleur aggrave le risque, mais un cancer rouge et un cancer vert s’annulent, logique.
Idéalement, on donne au début de la phase des caractères à risque à ses adversaires afin de les obliger à affaiblir leurs personnages, facilitant ainsi notre fauche, en nous efforçant de garder des forces pour empêcher nos personnages d’être fauchés par les adversaires, un personnage mourant de sa belle mort rapportant bien plus de points que celui qui a été fauché dans la fleur de l’âge.
Arrive enfin la phase de fauche. Justement (comme cela tombe bien !) les cartes Fauche portent les mêmes pictogrammes. Une carte fauche sur laquelle figure un Darwin Award et l’accident pourra donc faucher un personnage adverse ayant ces deux pictogrammes. Il suffit qu’un pictogramme rouge (non annulé par un vert) soit commun à la carte fauche et au personnage ou à l’une de ses cartes caractère pour le faucher, cela peut donc aller vite, même si, comme on l’aura compris, plus longtemps un personnage vit, et plus il aura de caractères et donc de points d’âme.
Quand tous les joueurs ont décidé des personnages qu’ils allaient condamner, on répartit les cartes. Le faucheur en récupère la moitié arrondie au supérieur, et choisit la moitié qu’il laisse au propriétaire du personnage fauché, une faible compensation pour avoir marché sur ses plates-bandes. Si plusieurs faucheurs ont choisi de couper le fil de la vie du même personnage, le propriétaire du personnage fauché attribue aléatoirement les cartes aux faucheurs, et garde l’éventuelle carte surnuméraire. S’il n’y a pas assez de cartes à distribuer, on leur mélange des cartes Fauche au moment de la distribution ; ceux qui récupèrent les cartes Fauche (ne valant aucun point) n’ont plus qu’à les défausser.
Un joueur ne souhaitant pas ou ne pouvant pas participer à la phase de fauche peut à la place utiliser un jeton « death powa », donc poser un pictogramme rouge de son choix (parmi ceux encore disponibles) sur un personnage pour l’affaiblir. Les règles ne sont pas très claires sur le moment où poser le jeton, mais il paraît plus logique de le faire après que ses adversaires ont choisi les personnages à faucher, et juste avant l’attribution des cartes, afin d’éviter d’affaiblir un personnage déjà condamné ou pire, de favoriser un adversaire qui profitera du jeton nouvelle posé pour faucher la célébrité ainsi affaiblie.
C’est dans la troisième phase, « le lit de mort », que l’on récupérera l’intégralité des cartes d’un personnage de sa zone avec trois cartes caractère. Son propriétaire l’aura bien défendu contre l’impatience macabre de ses adversaires, et mérite ainsi de bénéficier de sa mort paisible.
Et la vie continue. Si des personnages ont été fauchés, leurs propriétaires en piochent de nouveaux de façon à toujours en avoir trois dans leur zone de jeu. Chaque joueur pioche également dans les autres piles des cartes caractère et fauche afin de reconstituer une main complète.
Au fur et à mesure que l’on accomplit ses objectifs, on pose ses pions Petite Mort sur la fiche de scénario. Quand un joueur a accompli quatre objectifs (donc posé ses quatre pions), on achève le tour, puis la partie. En cas d’égalité, le nombre de points d’âme dans les cimetières distingue le meilleur faucheur. En cas de nouvelle égalité, il est bon d’avoir fauché plus de personnages que les autres. En cas de nouvelle égalité, le plus jeune sera récompensé pour être valeureusement parvenu à faire aussi bien que les vieux.
Humour noir et foire d’empoigne
On ne s’étonne pas de retrouver Lumberjacks Studio derrière La Petite Mort. Qualité du matériel, hyper-référentialité pop avec une pointe de parodie, illustrations uniques des cartes, jeu dynamique et court donnant une impression de chaos, mais orchestré juste ce qu’il faut pour laisser malgré tout une vrai place à la stratégie… C’est qu’il ne s’agit pas bêtement de cumuler les points d’âme, la multiplicité des objectifs peut rendre vains des indicateurs de réussite primordiaux pour la réussite d’un autre diplôme, et peut susciter une vraie hésitation sur les cartes à garder et à donner à ses adversaires, en épiant soigneusement leur cimetière pour être certain de ne pas trop les favoriser.
Un personnage sans aucun point d’âme pourra même constituer un véritable avantage, puisqu’il sera plus aisé de l’amener à une mort paisible compte tenu du peu d’intérêt qu’il semble représenter pour les autres faucheurs. Ainsi il n’y a pas fondamentalement de bonnes et de mauvaises cartes dans La Petite Mort, seulement de bons et de mauvais faucheurs, sachant s’adapter aux objectifs, surveiller leurs rivaux, s’assurer de la mort paisible des âmes qui leur sont confiées, bref méritant indiscutablement leur diplôme. Une vraie réussite pour ce qui ressemble à l’un de ces nombreux petits jeux d’ambiance anarchiques, dont l’humour est supposé remplacer toute rigueur technique, surtout si vous appréciez la noirceur très irrévérencieuse de Davy Mourier, dont l’esprit et le trait ajoutent une vraie personnalité à La Petite Mort !
Très bon jeu et bonne critique mais je trouve qu’il aurait été tout de même judicieux ( puisque vous parliez de son jeu) de mentionner l’auteur du jeu qui n’est pas Davy Mourier (comme vos lecteurs pourraient le croire en lisant votre article) mais François Bachelart. Merci pour lui! 😉
Autant pour moi, j’ai vu que vous aviez mentionné le nom de l’auteur. Merci! 😉
Vous avez bien raison de veiller au grain, il faut dire qu’en regardant la boîte du jeu on pourrait avoir la même impression, et je me réjouis de ne pas m’y être laissé prendre. Merci pour vos commentaires et pour votre appréciation de l’article (et du jeu) 🙂