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Noria – bâtir un empire commercial industriel dans les nuages ?

Noria boîte

Noria – bâtir un empire commercial industriel dans les nuages ?

 

La jeune maison d’édition sillingienne Blam ! cultive décidément la variété : après le « stop ou encore » Celestia et les échecs geek en temps réel (et très limité) de Time Arena, on aurait pu la croire cantonnée aux jeux d’ambiance tactiques ou tactiques d’ambiance, bref à une catégorie intermédiaire soulignant une volonté de proposer du jeu familial stratégique plutôt que du chaotique ou du très complexe. Et voilà que paraît Noria, jeu expert dans toute sa splendeur.

« Expert » au sens large où l’entendent aujourd’hui les festivals, c’est-à-dire que l’on reste avec Noria dans un jeu pensé pour les 12 ans et plus (et peut-être un peu plus en effet), mais avec un livret de règles de 16 très grandes pages et un contenu pléthorique et varié, cumulant roues, cubes, disques, tuiles, jetons, plateaux, de formes et de couleurs différentes. Et gros jeu de gestion à l’allemande oblige, la boîte n’est pas thermoformée, de sorte que vous n’aurez qu’à ranger ces quelque 300 pièces dans des sachets (naturellement fournis), et les sachets dans le grand carton du jeu. Bref, cela a de quoi susciter naturellement quelques inquiétudes, d’autant que le livret de règles donne un lien vers une vidéo explicative au cas où vous n’auriez pas envie de les lire, lien mort au moment où j’écris ces pages.

Pourtant un élément donne envie de s’acharner, la joliesse de la boîte, respectée par la magnificence du plateau, dont le verso possède la même illustration que le recto, sans les mille petits contours de cases pour permettre de jouer, pour le simple plaisir des yeux. Rien qu’à voir ce plateau, et à être intrigué par les roues d’action que l’on nous demande de manipuler, on a envie de faire confiance au moins une fois à ce Noria qui pourtant met à distance. Grâce au travail du célèbre illustrateur Michael Menzel (DominionCataneAndor), on se sent attiré par le jeu de Sophia Wagner, localisé par Blam ! après avoir été édité par les Berlinois de Spielwiese.

Noria propose donc à deux à quatre joueurs de développer son empire commercial dans la cité volante du même nom. Disponible pour 42 euros (ce qui n’est pas si cher compte tenu du matériel), ses parties en durent une bonne heure et demie.

Noria boîte

Les disques, c’est la vie

Une partie de Noria dure 16, 15 ou 14 tours selon que l’on soit 2, 3 ou 4 joueurs. Chaque tour se déroule invariablement en quatre phases (dont deux facultatives) exécutées dans un ordre déterminé.

La phase d’influence, facultative, consiste à modifier sa Roue d’action. Celle-ci est divisée en trois cadrans, chacun comportant des emplacements où l’on a disposé des disques Obsidienne, Énergie, Mycelium, Voyage, Ville et Outil., et où il reste six places pour de futures additions de disques. On peut dépenser 1 Connaissance (sachant qu’on n’en a qu’une en début de partie) pour tourner le grand anneau ou l’anneau intermédiaire dans le sens horaire d’un seul cran, ou 2 Connaissances pour déplacer un disque sur la roue, vers un espace libre ou en l’échangeant avec un disque déjà présent, sur quelqu’anneau qu’il se trouve. Chacune de ces actions peut être réalisée plusieurs fois, en doublant son coût à chaque utilisation.

La phase d’action consiste à activer les disques et à réaliser les actions correspondantes, avec trois contraintes : on ne peut activer que les disques de la moitié inférieure de la Roue, on ne peut en activer que trois maximum (mais ce sera parfois zéro), et chacun doit être adjacent à au moins l’un des autres disques activés ce tour-ci. D’où l’intérêt de dépenser attentivement sa Connaissance pour optimiser le mouvement de la roue et éviter d’être paralysé pendant son tour.

Les disques Ressources (obsidienne, énergie, mycélium) permettent de récupérer une ressource par bateau associé à cette ressource que l’on possède (on n’en possède qu’un par ressource en début de partie).

Le disque Ville permet au choix d’acheter un nouveau disque au marché, ou d’investir. Le haut du plateau de Noria représente les quatre grands projets de la ville, Raffinage, Colonisation, Exploration et Recherche. Investir vous autorise à monter votre Représentant d’un cran sur l’échelle du projet de votre choix en payant le coût correspondant, augmenté d’une ressource par représentant adverse plus haut que vous dans le même projet. Or ces projets sont justement ce qui rapportera des points en fin de partie, de sorte qu’il faut essayer de ne pas s’y faire distancer, tout en optimisant ses autres mouvements pour avoir assez de ressources pour progresser tranquillement, les pistes exigeant des ressources différentes et donc plus ou moins difficiles à obtenir… Bref il faut tout faire pour monter bien et vite, mais pas trop vite non plus.

Le disque Voyage permet de déplacer votre Ambassadeur sur une île déjà révélée, ou d’en révéler une de la pile de tuiles île et d’y placer l’Ambassadeur. Chaque île possède des bateaux de Ressources, dont on peut alors récupérer un exemplaire, à moins que l’on ne préfère placer une usine sur un emplacement libre de l’île et ainsi récupérer des entrepôts vides.

Le disque Outil vous autorise à améliorer l’un de vos disques, ce qui vous permettra de réaliser deux fois son action quand il sera activé, dans la limite de quatre actions par tour. Au lieu d’améliorer un disque, on peut aussi produire des marchandises. Pour cela on regarde le coût figurant sur ses tuiles entrepôt vide, et on le paye pour les remplir, avec la possibilité de remplir un entrepôt de chaque marchandise que l’on peut produire (hélice, voile, boussole, lampe, piston), ou le maximum d’entrepôts de la même ressource.

Au lieu d’activer un disque, quel qu’il soit, le joueur peut préférer gagner une connaissance.

Et à n’importe quel moment de la phase d’activation d’un disque, le joueur peut échanger des marchandises contre des connaissances ou inversement au marché noir.

Noria règles

Après la gestion, l’administration et la politique

Le tour n’est pas encore fini. Cela peut donner l’impression que les tours sont longs, et ils peuvent l’être quand on découvre le jeu, mais un joueur maîtrisant les règles ne devrait pas hésiter trop longuement, et ses adversaires seront toujours ravis d’avoir un peu de répit pour peaufiner leur stratégie délicate, de sorte que ce n’est jamais un problème, même si l’on préfère toujours les joueurs un peu efficaces.

La phase de politique est également facultative, parce que coûteuse. Nous avons évoqué un peu plus tôt les quatre pistes de projet. L’un des traits les plus passionnants de Noria vient du fait que l’on peut influer sur le nombre de points que rapporte chaque piste grâce aux Chambres. Si personne ne touche aux Chambres, les pistes de projet ne rapporteront aucun point, il est donc essentiel d’intriguer en payant autant de points de connaissance que d’engrenages visibles sur la piste de marqueurs de tour (donc un prix croissant au fur et à mesure de la partie). On peut alors déplacer un Politicien de la partie supérieure d’une Chambre vers la partie inférieure, puis supprimer définitivement un Politicien de la partie supérieure d’une autre chambre.

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À partir du moment où un Politicien se trouve dans la partie inférieure d’une Chambre, son siège est sûr, et il garantit donc un multiplicateur de score qui ira croissant si d’autres Politiciens sont ajoutés dans la partie inférieure de la même chambre. Dans la Voie de la colonisation, chaque cran du Représentant vaut par exemple 0 points quand aucun politicien ne siège, 2 points quand un seul politicien siège, et jusqu’à 8 si les quatre politiciens siègent. Au neuvième et dernier échelon, cela rapporterait donc 72 points. Mais à trop se spécialiser, on risque la concurrence. Forcément, les autres joueurs chercheront soit à vous mettre des bâtons dans les roues en supprimant les politiciens qui ne siègent pas encore, soit à monter sur la même échelle, et il serait fâcheux de travailler pour eux, non ?

On peut procéder à plusieurs intrigues politiques par tour, chacune coûtant le double de la précédente. À utiliser avec parcimonie donc, à moins de vouloir complètement griller un adversaire !

Arrive enfin la phase d’administration. On commence par gagner autant de Connaissances que l’on a construit d’usines. Puis on tourne chaque anneau d’un cran dans le sens horaire. C’est alors qu’on place les disques achetés avec le disque Ville dans la Roue, soit dans un espace vacant, soit à la place d’un disque définitivement défaussé.

Noria villes

Calcul du score

Votre seul objectif dans Noria est de proposer le meilleur projet de développement de la ville possible, toutes vos ressources, usines et îles découvertes ne sont donc que des moyens pour arriver à ce but, et ne compteront pas dans le score. Celui-ci consiste simplement dans l’addition de la valeur des quatre Représentants des pistes de projet (dont le degré auxquels ils sont arrivés multiplié par la valeur de la voie dans la Chambre).

Il existe cependant deux Chambres que nous n’avons pas mentionné plus tôt, en plus des quatre correspondant aux quatre voies : la Spécialisation et la Division. Chaque joueur multiplie la valeur de son Représentant le plus haut par la valeur de la Chambre de la Spécialisation, et la valeur de son Représentant le plus bas (donc 0 si un seul Représentant n’a pas commencé son ascension, ce qui arrive manifestement souvent) par la valeur de la Chambre de la Division, naturellement très généreuse.

Une rapide gymnastique mentale permet d’établir l’addition de ces six multiplications et de déterminer le vainqueur. Ce n’est qu’en cas d’égalité que l’on additionne le nombre d’entrepôts et de bateaux de chaque joueur, et que celui qui en possède le moins gagne (parce qu’il aura joué plus efficacement que les autres, qui auront trop cherché le développement au détriment des projets).

Noria usine

L’excellente variante experte

La variante experte n’est pas fondamentalement différente des règles « normales », elle modifie quelques éléments de mise en place plutôt qu’elle n’ajoute de complications, et vous semblera indispensable une fois que vous l’aurez essayée, même s’il est évidemment recommandé de maîtriser les bases de Noria pour s’y attaquer. En effet, les joueurs y confectionnent eux-mêmes leur Roue, tout en restant limités à un disque par Ressource, un dans le petit anneau, deux dans le médian, trois dans le grand ; quatre dans la partie inactive et deux dans la partie active.

Alors que dans une partie normale chaque joueur avait le droit de placer l’un de ses Représentants au premier niveau d’un projet de son choix, tous les Représentants commencent cette fois dans la grotte, et les joueurs n’ont même pas de ressource ou de connaissance pour commencer la partie. On dispose par ailleurs aléatoirement les disques sur les emplacements du marché, chaque emplacement correspondant à un coût différent, une règle qui n’a l’air de rien mais joue beaucoup pour la variété des parties, dont on se rendra vite compte qu’aucune ne se joue comme une autre quand le coût des disques en est différent !

Enfin, au lieu d’une pile d’îles face cachée, on révèle les îles et on les dispose en cercle. La première fois que l’on déplacera un Ambassadeur, on le posera sur l’île de son choix, mais au prochain mouvement, il ne pourra choisir qu’entre les deux îles adjacentes à celle qu’il quitte. Une règle qui demande encore un peu plus de place sur la table mais contribue agréablement à donner une impression d’exploration.

 

Noria plateau

Noria, jeu de gestion dans les nuages ?

Noria n’est pas un jeu facile à appréhender. Un matériel pléthorique, une mise en place assez longue, une thématisation assez abstraite, des règles pas toujours bien ordonnées et comportant quelques coquilles… Il suffit pourtant de surmonter ses appréhensions pour s’étonner de son accessibilité : malgré ses problèmes, le livret est notamment admirablement exemplifié et illustré, assez pour répondre on ne peut plus clairement à toutes les questions que pourrait laisser le texte. Et comme la plupart des jeux de gestion experts-mais-pas-tant-que-ça, Noria est en fait découpé en une poignée de phases distinctes qu’il suffit de réaliser les unes après les autres, en suivant les règles la première fois, sans jamais placer soudainement le joueur face à une quantité impensable de choix.

Noria se pratique donc très bien. Mais surtout, Noria brille parmi les jeux de gestion presque abstraits par la précision malicieuse de ses rouages. Par moments, on croirait jouer à du Cathala, pas seulement parce qu’on a récemment pratiqué deux de ses jeux de gestion très réussis (Five Tribes et Imaginarium), simplement que les différentes mécaniques s’emboîtent parfaitement avec juste ce qu’il faut de qualité graphique malgré leur abstraction, de salade de points subtile, d’interaction indirecte qui rappelle pourtant constamment aux joueurs la présence de leurs rivaux, de hasard très limité pour assurer la rejouabilité sans pervertir sa qualité tactique, de linéarité dans la variété. Notons que Blam ! a récemment mis en ligne une version corrigée des règles… ainsi qu’une variante solo contre un bot, assez technique mais adaptant admirablement bien les règles à l’absence d’opposition humaine pour une expérience propre !

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