Batman v Superman : l’Ultimate Edition sauve-t-elle le « pire film de tous les temps » ?
Peu de films ont fait couler autant d’encre dans notre rédaction que Batman v Superman : Dawn of justice. Il faut dire que le film de Zack Snyder était attendu, aussi vous avions-nous régulièrement tenus au courant des nouvelles bandes-annonces qui sortaient, avant ma hype review qui, en plus de commenter la bande-annonce donnait plusieurs éléments d’analyse sur la filmographie des participants au film ou les comics les ayant inspirés, notamment pour le propos politique. Roxane « Lenvy » Saint-Anne vous avait ensuite proposé une critique sans spoilers assez négative, que je vous invite à relire si vous ne vous souvenez pas des raisons pour lesquelles vous aviez haï le film et si vous désirez un contre-point intéressant à cet article. Enfin, après ma présentation de plusieurs influences, dans le septième, le neuvième et le dixième art sur le film, Mehdy « Razor » Slimani avait recensé dix combats marquants entre les deux héros dans les comics. Fallait-il alors réellement poursuivre encore sur ce seul titre au risque de redoubler la critique de Lenvy ?
Batman v Superman était imparfait, et il n’y a guère à revenir sur les défauts mentionnés par des milliers de critiques et d’internautes de par le monde. Snyder s’efforçait cependant de nous proposer quelque chose de plus audacieux que le consensuel Captain America : Civil War, et s’il ne s’y était manifestement pas assez bien pris, la promesse d’une Ultimate Edition, donc d’un film étendu d’une demi-heure, devait nous rassurer. Comment cependant, en ne faisant que rajouter des images, peut-on corriger celles qui avaient déplu ? Et prolonger ad nauseam (on parle tout de même d’un film de trois heures au lieu de deux heures trente, ce qui était déjà considérable) est-il réellement une solution quand un remontage complet aurait pu sembler préférable ?
Sans faire durer le suspense, il faut admettre que, pour moi, l’Ultimate Edition change la donne. Peut-être le fait de revoir le film en connaissant ses défauts a-t-il également permis de mieux apprécier ce qui y était appréciable (le deuxième visionnage de Man of steel avait eu un effet similaire, même dans de moindres proportions), dans tous les cas cette nouvelle expérience de Batman v Superman fut assez plaisante et intéressante pour inspirer le désir de le défendre davantage que je ne l’aurais fait en sortant de la salle, et à l’heure où Justice League va sceller le destin du DCEU en assumant son sérieux ou en déviant officiellement vers les délires du MCU, il était enfin temps de rappeler l’existence et l’intérêt de cette version qui propose un propos moral et politique plus pertinent, en même temps qu’une construction dramatique et psychologique plus cohérente.
(pour accompagner votre lecture, le très bon thème de Luthor qui vous rappellera, comme je ne m’en étais pas forcément aperçu au premier visionnage, que Zimmer ne s’est pas contenté de reprendre « An Ideal of hope »)
Des additions qui changent le tout
Contrairement à ce qu’on nous avait annoncé, la version longue de Batman v Superman n’est pas réellement plus violente que son montage cinématographique. En dehors d’une courte scène au début du film, les combats ne sont pas rallongés, et cette scène, pour dérangeante qu’elle puisse être, ne justifie pas vraiment une restriction plus importante du public. Il faut dire que la bagarre entre Batman et Superman, ou Batman et les hommes de Superman dans son rêve/sa vision, ou encore Batman et les sbires de Luthor, étaient déjà agréablement corsés, et qu’il n’était pas nécessaire d’en faire davantage, même pour appâter des spectateurs déçus par l’innocuité des films Marvel.
Le premier mérite de cette demi-heure supplémentaire est de faire gagner en fluidité : Batman v Superman n’est pas un film complexe dans son intrigue ou sa construction, les analepses sont rares et compréhensibles même pour ceux qui ignorent les comics, la trame est linéaire, les plans des personnages assez clairs… Mais Zack Snyder ne prend pas non plus ses spectateurs pour des demeurés, et en dehors de la lourde insistance sur la mère de Bruce Wayne, le fil doit être suivi sans trop de décrochage. Or en raccourcissant certaines scènes et en en oblitérant d’autres, le montage cinématographique posait beaucoup de questions désagréables, parce qu’empêchant d’entrer dans le film et de bien l’appréhender : que s’est-il passé exactement dans le désert ? comment l’enquête de Lois Lane aboutit-elle si vite ? pourquoi Superman n’a-t-il pas vu la bombe ? comment Luthor a-t-il convaincu Keefe de se faire sauter ? quelle est cette menace que Luthor évoque à la fin du film ? et bien d’autres…
Non seulement Batman v Superman répond à toutes ces questions de manière tout à fait satisfaisante, mais il expose aussi plus efficacement les tensions entre Batman et Superman, donnant mieux l’impression que le build-up de leur affrontement est déjà un affrontement : tout ce que font Superman ou Clark Kent (personnage qui existe dans la version longue) les conduisent à voir Batman comme un danger public, et cet aspect manquait cruellement dans un film où l’on ne pouvait pas ne pas se demander pourquoi Superman n’immobilisait pas simplement Batman pour poser les choses. Le fils de Krypton perçoit le Bat de Gotham comme une menace, un nuisible plus dangereux que les criminels qu’il arrête, et c’est ce qui explique qu’il en arrive si vite aux poings quand il combat le chevalier noir.
A contrario, le prolongement très important de la scène du désert, qui est en termes de temps l’addition principale de la version longue, rend justice à la complexité du plan de Luthor pour faire haïr Superman, puisqu’on voit la mise en scène du village supposément massacré par l’homme de fer, qu’on assiste aux interviews d’une rescapée… Ces images apportent autant en elles-mêmes qu’elles éclairent des situations qui sans elles paraissaient presque incompréhensibles, et permettent de mieux apprécier la relative intelligence de l’intégration très crédible d’émissions télé (un procédé mis à l’honneur par Frank Miller dans The Dark Knight Returns pour fustiger la bêtise des médias tout en apportant une variation de points de vue) ou des petites scènes comme celle où l’employé de Wayne Enterprise prie Dieu tandis que Superman détruit le bâtiment dans lequel il se trouve, ou celle dans laquelle Keefe se prépare chez lui à escalader la statue de Superman, devant un article de journal soulignant l’héroïsme de Bruce Wayne qui lui a sauvé la vie et une illustration représentant un Superman détruisant une voiture, renversement très pertinent de la couverture du premier comics présentant les aventures de Superman et qui mettait l’accent sur sa force, et pas sur la brutalité du geste.
Même l’ajout assez dérisoire d’une scène où deux policiers suivent un match de football américain apporte au film : d’abord parce qu’ils seront interrompus par l’ordre d’aller inspecter une maison où ils se trouveront face à Batman (ce que l’on voyait au cinéma), de sorte que la scène connue est rallongée et donne moins l’impression d’un collage de scènes courtes ; ensuite parce que ce match est une référence régulière du film. Perry White demande en effet à plusieurs reprises à Kent de le couvrir, et ce n’est pas anodin. Ce match oppose Metropolis à Gotham City et peut donc servir de métaphore évidente au combat entre les deux héros. Il faut aussi savoir que Metropolis remporte la victoire haut la main (58-0 !), « comme d’habitude » nous dit-on, et qu’évidemment les Gothamites deviennent violents.
Il y a dans la version longue de Batman v Superman tout un discours social sur Gotham qui serait la banlieue défavorisée de Metropolis, un lieu de délinquance et de désespoir, et Perry White s’autorise même des piques extrêmement méprisantes (qui devraient nous rappeler quelque chose). S’il exige à ce point que Kent couvre le match au lieu d’écrire sur Batman, c’est donc aussi qu’il se réjouit de la victoire de Metropolis sur Gotham (ce qui participe à la construction d’un personnage sans identité dans la version courte), qui assied son mépris de classe (alors qu’il est noir, étonnante dénonciation dans un blockbuster de l’incapacité de certains dominés à faire front commun) tout en lui promettant plus de ventes (les riches habitants de Metropolis achètent plus le journal que les Gothamites), et enfin qu’il soutient, toujours dans une logique commerciale, qu’on écoule mieux en parlant sport qu’en abordant les sujets qui fâchent : le public veut consommer, pas réfléchir, contre la conception naïve qu’a encore Kent d’un journalisme de vérité. Le match n’est donc pas plus insipide que l’addition d’une scène de débat entre White et Kent sur la fonction de journalisme, pour comprendre le film, et plus généralement pour profiter de ces pistes !
Qui sont les super ?
Cela participe à la frustration de Superman, tout lui rappelant qu’en tant que Clark Kent, qu’homme ordinaire, il ne peut rien faire, et qu’il a donc besoin de son alias de Superman pour confronter Batman. Même quand il accepte de céder aux exigences humaines en intégrant le processus républicain et en allant répondre de ses actes pacifiquement, cela aboutit à une catastrophe, comme s’il ne pouvait réussir que comme Dieu. Cette incapacité à être efficace comme journaliste renforce le personnage de Lois Lane, très faible dans Man of steel et qui n’était guère dans le montage cinéma qu’une ridicule damsel in distress (sauvée trois fois par Superman en un film quand même !) doublée d’une abrutie (qui se débarrassait sans raison de la lance de kryptonite, aspect malheureusement maintenu dans la version longue…).
À l’opposé de Kent, elle est une journaliste reconnue qui obtient ce qu’elle veut de Perry White, mène une enquête assez approfondie lui permettant d’arriver à des conclusions plus fines que Batman ou Superman, trop obnubilés pour réfléchir. On comprend un peu mieux l’intérêt que Superman lui porte : elle est une humaine forte, qui veut changer les choses, une humaine bien plus forte même que ne l’est Clark Kent. Mais cela ne l’empêche pas de n’être qu’humaine : qu’elle ait besoin d’être sauvée trois fois par son cher et tendre n’est pas la preuve d’un sexisme des scénaristes, cela prouve le contraste existant entre la condition humaine et la condition presque divine de Superman, et la vulnérabilité de celui-ci dès lors qu’il s’attache à des créatures humaines. Lois Lane est, avec Martha Kent, la grande faiblesse d’un dieu se voulant homme : elle n’est pas faible comme personnage mais comme être humain, comme n’importe qui le serait dans sa position. Elle représente l’humanité sans cesse menacée, qui a sans cesse besoin du secours de ce Dieu sur terre, et le sacrifice que fait ce Dieu de sa tranquillité, puisqu’il accepte d’aimer assez l’humanité pour revenir inlassablement à son secours, au point de se mettre en danger pour elle.
Lenvy reprochait à Batman v Superman ses références religieuses dénuées de toute subtilité. En fait, surtout si on le compare aux vitraux et bras en croix de Man of steel, l’idée que la protection de l’humanité représente un sacrifice fait par amour est assez finement exprimée pour un blockbuster dont on n’attendait pas tant. Mais elle adressait aussi et surtout ce reproche au film par rapport aux discours de Lex Luthor, qui paraît commenter l’intrigue pour le spectateur en lui expliquant que l’affrontement entre Batman et Superman est celui entre un homme et un Dieu et en insistant lourdement sur cette métaphore évidente. L’est-elle tant que cela, et ce discours retranscrit-il celui du réalisateur ? On peut déjà penser que, si elle est tant répétée, c’est pour que le spectateur l’ait à l’esprit pendant les combats, ce qui n’est guère évident tant on peut être simplement pris par une action si épique .
Surtout, il ne s’agit guère que de la grille de lecture de Lex Luthor, qui n’est pas réellement un commentateur extérieur lucide, c’est le cas de le dire : le Luthor de Batman v Superman est maladivement obsédé par le fils de Krypton. Les scénaristes ont fait le choix de se distinguer radicalement des Luthor tels qu’on les connaissait, que ce soit dans les comics ou dans la série Smallville, la tendance actuelle étant plutôt de le présenter comme un chef d’entreprise calculateur et froid. Lex Luthor (Jr. précise-t-il) redevient ici un scientifique intelligent, mais surtout jeune, avec des tendances paranoïaques et mégalomaniaques grandissantes. Il n’est donc plus caractérisé par sa lucidité, mais par son exaltation, son emportement et sa monomanie.
Finalement, il est extrêmement humain, et cela a quelque chose de rafraîchissant. On a trop l’habitude, sous prétexte de réalisme, de voir dans les blockbusters et les films d’action en général des super-vilains, donc des personnages badass, forts, beaux, intelligents, largement supérieurs à la commune humanité dans tous ces domaines. Alors que nous nous trouvons dans un film de super-héros, le Luthor présent ici n’est qu’un homme complètement dépassé par les circonstances (l’arrivée dans notre monde d’un être aux pouvoirs presque divins) et qui va tenter de lutter à son échelle, c’est-à-dire en profitant de son argent pour mettre en place un plan complexe mais assez crédible (contrairement à la plupart des plans de super-vilains qui ne fonctionnent que parce que le scénariste le veut), pour rétablir un ordre rassurant. En cela, il n’est pas si différent d’un homme ordinaire, spectateur écrasé par la révélation de puissances supérieures capables, si elles le voulaient, de le balayer en un instant.
Une notion-clef : l’évolution des personnages
Une grande partie des reproches adressés au film est liée au caractère des personnages : Lex Luthor est un psychopathe stéréotypé, Batman est trop violent, Superman monolithique… C’est que le film joue avec finesse sur une chose trop rare dans les films, l’évolution des personnages. Il est tentant de mettre toutes les images de Lex Luthor que l’on voit dans un même panier pour le caractériser en quelques adjectifs, mais rien ne serait plus dommageable à la compréhension de sa psychologie. Il sourit un peu trop au début, peine lourdement à émettre un discours cohérent lors de l’inauguration de la bibliothèque, c’est qu’il n’est pas habitué à l’exercice du contact social et joue de son excentricité. Il ne parle qu’en métaphores mythologiques et religieuses, c’est qu’il a été ébranlé par l’arrivée de Superman dans lequel il voit un démon menaçant le monde (sans doute les restes d’une éducation assez rigoureuse), et qu’il connaît l’existence des méta-humains, ce qui en perturberait plus d’un.
Luthor n’a rien rien d’un psychopathe au début du film. Il ne s’enfonce dans la folie qu’au fur et à mesure de l’intrigue, en s’enfonçant dans des projets qui le compromettent toujours davantage et constituent autant de points de non-retour, d’autant que sa paranoïa croît avec ses connaissances quand le vaisseau kryptonien lui enseigne ce que nul homme ne sait. Le double-déclencheur de la folie pure que l’on constate à la fin du film dans la prison est la libération de Doomsday pour vaincre Superman et surtout (scène coupée de la version filmique que je vous propose de découvrir en bas) l’enseignement qu’il reçoit de l’arrivée de Steppenwolf, un Néo-Dieu dont la ressemblance avec un diable est frappante…
On a déjà parlé de l’évolution de Superman, qui tente de lutter en tant que Clark Kent avant que la frustration de ne pas parvenir à résoudre pacifiquement les problèmes, et de se sentir impuissant quand il tente de participer à la vie de la cité, ne lui fassent comprendre qu’il doit se donner entièrement pour être enfin reconnu comme un héros. L’épisode avec Doomsday, fondamental pour le propos quoiqu’il puisse légitimement paraître amené un peu artificiellement, ne résout cependant pas que cette intrigue, il apporte aussi une solution à l’autre question fondamentale du récit, celui de la violence de Batman.
Il faut bien comprendre que rien ne nous dit dans Batman v Superman que le chevalier noir était aussi brutal avant. Qu’il ait été intimidant et relativement violent est un fait, mais qu’il marque une victime au fer rouge est une nouveauté, et son manque total de considération pour la vie des mercenaires de Luthor qu’il massacre allègrement n’est pas nécessairement son quotidien depuis vingt ans. Au contraire même, Alfred s’étonne de cette noirceur grandissante, que Wayne explique par son pessimisme (depuis vingt ans qu’il est Batman, il n’a jamais vu une bonne volonté rester incorruptible, il faut donc être efficace) et la nécessité de trouver au plus vite une solution au danger Superman, qui incarne un monde nouveau auquel il faut adapter ses méthodes de répression pour continuer de protéger la ville.
Ben Affleck incarne un Batman usé, oeuvrant dans un Gotham City qui continue d’être rongé pas le crime malgré ses actions, et qui s’aperçoit qu’il doit se remettre en question de façon urgente et radicale. Il est las de ne toujours pas être perçu comme un justicier et éprouve lui aussi un sentiment d’impuissance face à l’arrivée du dernier fils de Krypton, impuissance personnelle et impuissance de toute l’humanité. Alors qu’il se met sans cesse en danger, dès le début du film pour aller trouver ses employés et sauver une fillette, l’invulnérabilité de Superman effraie, et il faudra qu’il prouve son humanité (il a une mère, il peut saigner) pour trouver le salut à ses yeux. Tout semble indiquer un retour à des pratiques non-létales à la fin du film, où il s’autorise enfin à sourire (dans d’autres circonstances que pour jouer l’ivresse) : sa frustration est évacuée par la confiance qu’il accorde désormais à Superman, et donc sa foi (le terme n’est pas employé à la légère) revenue dans l’héroïsme, raison pour laquelle il renonce à tuer et même à marquer Luthor.
Conclusion : un super-film ?
La version longue de Batman v Superman n’est pas parfaite. Certaines légères additions peuvent apparaître comme d’affligeantes fautes de goût, en particulier à la fin, quand aucun spectateur n’avait besoin d’assister plus longuement au ridicule enterrement sur fond de cornemuse, et que l’on nous fait subir de surcroît une homélie terrible et une allusion déplacée sur le prix des obsèques. Certaines erreurs de la version courte sont conservées, une troisième partie un peu faible, l’introduction très grossière des méta-humains destinés à former la Justice League… Ce qui ne doit pas faire oublier qu’il s’agit du montage original voulu par Snyder, et qu’il n’a donc pas pris en compte les reproches des spectateurs pour retourner des scènes ou remonter le film. La différence de qualité entre ce montage original et le montage cinématographique est donc d’autant plus frappante et force le respect pour le réalisateur. Batman v Superman n’est toujours pas le chef-d’oeuvre attendu, mais il faut admettre que la plupart des maladresses font désormais mieux sens, et que le gain en fluidité esthétique et dramatique permet de mieux apprécier et accepter même ce qui avait pu déplaire lors du visionnage cinématographique du film.
Dans Batman v Superman : Dawn of Justice, trois orphelins veulent marquer le monde en l’orientant dans la direction qui leur paraît la meilleure pour l’avenir des hommes, à la mesure de leurs moyens. La frustration engendrée par les obstacles à ces désirs les transforment profondément, pour le meilleur et le pire, et nous permet d’assister à un film étonnamment humain pour une production super-héroïque. Si la réflexion religieuse s’avère seule assez pauvre, tout en motivant une imagerie intéressante, Batman v Superman est donc un jalon prometteur dans son traitement des personnages et du rapport entre build-up et action, dans des enjeux assumés jusqu’au bout (et pas évacués par facilité dramatique), dans sa mise en scène (même si Snyder n’est pas à son meilleur), dans ses prétentions réalistes, pour la suite de l’Univers Étendu DC et sa compétitivité face à Marvel. Il est le premier film contemporain à penser l’arrivée des super-humains dans notre monde réel, et si Suicide Squad en nie toutes les bonnes intentions, tandis que Wonder Woman se contente de suivre une trajectoire singulière à la manière d’un action movie plus classique, c’est à Justice League de montrer si vraiment les efforts de Batman v Superman ont été vains.
Je suis d’accord avec votre analyse. Cependant, deux ou trois petits détails.
Etre xénophobe n’a pas grand-chose à voir avec la couleur de la peau. On peut être un Africain du sud et détester les Zambiens (c’est le cas actuellement). On peut être une Français blanc et ne pas avoir envie de voir des Polonais débouler chez soi.
Deuxième remarque. Je ne vois pas trop le problème à montrer des hommes sauvant des femmes. Je rappelle que les premiers sont en général plus forts physiquement que les secondes. Et qu’il est positif de montrer aux jeunes garçons des histoires dans lesquelles ils mettent au service des femmes, leur force physique. Sinon cela fini en agression sexuelle, violence gratuite contre elles. Il faut bien leur apprendre à canaliser leur force. Hommes et femmes ne sont pas faits pareil.
Troisième remarque. La cérémonie de fin avec la cornemuse s’inscrit, du point de vue imagerie et déroulement, dans l’enterrement de Kennedy (on voit d’ailleurs la une du journal « Kennedy dead » dans les locaux du Daily Planet au début de la scène). C’est encore une inscription, chère à Snyder, dans l’imagerie collective de son histoire (le summum étant le générique du début de Watchmen).
Pour le reste, je suis d’accord à 100%. Je crois que les efforts de Snyder seront vains vu que les premières critiques de JL parlent d’un film « drôle sans plus ».
BvS est pour moi une preuve que l’on peut faire du cinéma avec le genre « Super Héros ».
Merci beaucoup pour votre réponse, votre précision dans vos remarques, et votre soutien global aux thèses que je défends, malheureusement trop peu partagées !
En ce qui concerne votre première remarque, j’étais moi-même très mécontent du terme de « xénophobe », j’avais dans mon premier jet écrit « racisme », qui pour le coup ne faisait pas du tout sens, et m’était rabattu sur un terme vague auquel je pouvais librement donner le sens de « peur/mépris de l’autre », l’idée étant évidemment d’exprimer le paradoxe (tristement avéré) d’un dominé (en l’occurrence un noir) recréant une autre situation de domination (contre la banlieue) plutôt que de faire front commun. Je ne suis pas entièrement d’accord avec votre argument : bien entendu, tous les xénophobes ne rejettent pas l’autre sous prétexte de sa couleur de peau, loin s’en faut, par contre tous ceux qui rejettent l’autre sous couvert d’une couleur de peau différente relèvent bien d’une forme de xénophobie, me semble-t-il, mais vous m’avez convaincu de clarifier mon propos, quitte à m’étendre un peu plus, par souci de clarté.
Je ne partage en revanche pas du tout l’opinion que vous exprimez dans votre second commentaire, même si je peux entendre qu’il s’agit d’une divergence d’interprétation et non de vérité. Je ne suis même pas certain de pouvoir concéder que la physiologie masculine soit plus propice à une certaine musculature, ayant l’impression que ce sont les standards du patriarcat qui dévalorisent le développement de la force féminine, et que sinon une société de femmes musclées et d’hommes frêles serait tout aussi envisageable, mais ce n’est qu’une impression. Que ce soit avéré ou pas, je ne vois vraiment pas en quoi cela justifierait que l’homme apprenne qu’il doit sauver les femmes, et donc que les femmes ont besoin des hommes pour être sauvées, en particulier à une époque où la force brute n’a pas/plus une utilité si marquée. Tirer ce genre de conclusion revient finalement surtout à justifier que les hommes s’ingèrent dans les affaires des femmes au nom d’un « avantage » qu’ils ont facilement tendance à interpréter (et faire interpréter) comme le signe d’une supériorité (et donc d’un droit supérieur, et il me semble du coup que c’est précisément cette mentalité, cette idée que l’homme doit servir la femme, qui ironiquement fait de la femme l’objet de la protection des hommes et donc une créature faible qui doit nous être reconnaissante de cette protection et accepter que nous jouions de cette force pour l’intimider et la séduire. Rappeler aux femmes qu’elles ont les moyens et autant le droit que les mâles de sauver leurs frères humains serait un enseignement bien plus profitable dans les circonstances actuelles, et c’est pourquoi je déteste la systématisation du lieu commun de la damsel in distress, que j’aurais cependant tendance à défendre au contraire dans Batman v Superman puisqu’il me semble, comme je l’écris dans l’article, qu’il s’y joue quelque chose de plus profond et de plus symbolique qu’un mâle sauvant sa femelle.
Enfin, je ne saurais contester votre dernier commentaire, très juste, sur l’inscription de la mort de Superman dans l’imaginaire commun, dont l’intérêt est à mon avis surtout de souligner l’ironie (encore) d’un homme qu’on a publiquement conspué de son vivant et que l’on adore dès qu’il n’est plus. Si je suis si lapidaire sur cette scène, c’est simplement que je la trouve beaucoup trop étendue, pompeuse, grossièrement stéréotypée et platement larmoyante dans la version longue, de sorte qu’il s’agit de ma part d’un rejet plus esthétique que symbolique –
je comprends les intentions de Snyder, je trouve simplement que le résultat cinématographique n’est pas à la hauteur de ce qu’il a voulu exprimer.
Je crois comme vous que Batman v Superman restera un hapax dans le DCEU, l’insistance des premières critiques sur l’humour de Justice League (qui ne font que confirmer des bandes-annonces décevantes) laisse redouter le pire… Enfin verdict dans ma critique de demain, en gardant l’espoir que (comme Batman v Superman) le film vaudra mieux que ce qu’on en dit ! Donc merci encore, et bon film !