Wonder Woman – la critique du premier film consacré à une super-héroïne

 

Suite à la sortie en salle de Wonder Woman le 7 juin dernier, nous vous proposons un petit tour d’horizon des avis de la rédaction sur le nouveau venu du DC Extended Universe.

 

L’avis de Moyocoyani


 

Wonder Woman, argument marketing ou emblème féministe ?

 

Wonder Woman n’est pas qu’une invention marketing tardive destinée à éloigner les accusations de misogynie adressées à une industrie très masculine et indéniablement patriarcale : sa création fut demandée à William Moulton Marston par les deux femmes avec lesquelles il entretenait une relation polyamoureuse (dans les années 40 aux États-Unis !), jugeant (déjà) que l’édition super-héroïque manquait cruellement de figures féminines fortes. On pourra penser ce que l’on veut de l’imaginaire BDSM du personnage (il semblerait que Mourston ait effectivement eu des pratiques de soumission et fétichisme qui ont pu influencer son travail), il y avait une formidable audace à imaginer l’île paradisiaque de Themiscyra, véritable utopie morale et sociale possible en grande partie grâce à l’absence des hommes, puis à concevoir Wonder Woman comme l’ambassadrice des Amazones auprès du monde extérieur, chargée de leur apporter la paix et l’harmonie qu’ils ont oubliée. Bien que moins puissante que Superman, sa nature divine ou quasi-divine, sa force et ses gadgets (notamment un lasso de vérité, amusante trouvaille d’un scénariste qui créa l’un des prototypes du détecteur de mensonges utilisé aujourd’hui !) en font l’une des héroïnes les plus exemplaires du comics, pratiquement à l’égal de l’homme d’acier. Il n’est pas étonnant que dans plusieurs univers alternatifs les artistes aient choisi de faire un couple invincible des deux dieux préférant la protection bienveillante de l’humanité à la mièvrerie d’autres relations amoureuses (Superman-Lois Lane en tête d’ailleurs).
Il y a donc beaucoup à faire d’une figure pop qu’on pourrait si aisément réinvestir de sa valeur féministe originelle, surtout à une époque où les potentialités d’un déminage en règle des stéréotypes masculins associés tant à la culture super-héroïque qu’au blockbuster et simplement à la société contemporaine sont accrues du fait de la forte demande qui existe en ce sens.
S’il ne faut pas exagérer la prégnance créative du réalisateur dans un projet à 150.000.000 de dollars, le choix d’une femme, et plus spécifiquement de Patty Jenkins, à qui on doit le complexe Monster, appartenait à ces petites choses capables de rassurer le spectateur averti, tandis que la présence de Snyder au scénario rappelait l’intéressant objectif de ne pas seulement attirer un public féminin mais de créer un consensus autour d’une figure féminine forte, n’ayant pas à rougir devant l’exhibition pectorale de Ben Affleck et Henry Cavill.

 

 

Au commencement, il n’y avait rien

La première séquence nous montre l’évolution de Wonder Woman à Themiscyra, dans ce qui fait figure de préquelle au préquelle. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est moche : colorimétrie blafarde, fonds verts évidents et sans relief, géographie urbaine confuse et sans beauté, peinture de la faune et de la flore absente (hormis une espèce de tatou), suggestion des conditions politiques d’exercice du pouvoir troublantes (on entend une fois le terme de sénatrice, qui suggère une structure plus complexe qu’un rapport de sororité dans une monarchie symbolique, dans ce cas pourquoi ne pas expliquer mieux comment fonctionne un État prétendument parfait ?)…
Il faut ajouter que les situations regorgent d’incohérences (la palme revient au dixième de seconde où Hippolyte accepte que sa fille reçoive un entraînement militaire alors qu’elle s’y est opposée toute sa vie, ce qui rend d’autant plus dommageable la longue introduction de ce seul sujet), et que les deux origin stories (celle de Wonder Woman, née de l’argile et animée par Zeus, et celle de l’île des Amazones, du dieu de la foudre et d’Arès) sont introduites artificiellement, racontées sans génie, la seconde jouissant d’un traitement graphique dont aurait honte le premier concept artist venu, alors que l’histoire des trois frères (Harry Potter) ou les paraboles du monstre (A Monster calls) avaient nettement élevé la barre…
Personnages clichés, remplissant des fonctions dramatiques si évidentes qu’ils en sont dépourvus de psychologie élémentaire, et répliques très artificiellement adressées au spectateur bien plus qu’à un interlocuteur (le fameux « surtout ne lui dis pas la vérité sur ses origines ») pourraient achever une première séquence si elle n’avait pas deux qualités. La première, dont on ne peut dire grand chose pour ne pas spoiler, est la complexification tardive des origin stories. Certes, on les déteste au moment où on les entend pour leur naïveté et leur pauvreté, et certes cette détestation est problématique, mais on est aussi d’autant plus heureux de comprendre qu’elles n’étaient pas pensées au premier degré (ce qui est même assez malin). La deuxième, c’est la bataille opposant les Amazones aux hommes qui les découvrent qui, pour impromptue qu’elle soit, est d’une violence bienvenue (pour le graphisme et la caractérisation des personnages) et surprenante dans un film tout public, dont on n’attendait pas un tel plaisir à chorégraphier le meurtre. Ces scènes restent montées à la truelle (impossible quand il est besoin de quatre cuts pour montrer le saut d’un personnage d’y croire), mais procurent un plaisir trop inattendu pour être refusé.

La naissance d’une héroïne dans un monde d’hommes

 

La suite parvient à être pire encore : arrivée en Grande-Bretagne, Wonder Woman s’empare de son épée et demande où se trouve le front. S’ensuit une embarrassante quinzaine de minutes où elle manifeste son incompréhension des us anglaises, qui est d’une stupéfiante maladresse d’abord parce qu’elle est supposée comprendre, par instinct ou par son éducation, que toutes les cultures n’autorisent pas les mêmes comportements, et qu’un monde pacifique où les femmes sont très couvertes n’est pas le meilleur endroit pour se promener en petite tenue et en brandissant une épée ; ensuite parce qu’elle est supposée avoir voyagé sur un petit voilier depuis Themiscyra vers Londres. On ignore où se trouve Themiscyra exactement, mais on peut tout de même supposer qu’il y a dans le film une ellipse de quelques jours au moins, durant lesquels il est incompréhensible que Steve Trevor ne lui ait rien expliqué…

En soi, l’idée n’était pas mauvaise, mais très hasardeuse : montrer l’incompréhension par une femme libérée (et n’ayant jamais connu qu’un monde de femmes) d’une société entièrement régie par le patriarcat, et cela sur un mode comique, aurait pu être une mise en perspective amusante, si la séquence avait été plus fine et plus courte, plutôt que d’être entièrement consacrée à l’humour, comme si l’alternance entre scènes sérieuses et scènes amusantes était une solution réellement envisageable face aux efforts de Marvel pour lier les deux tonalités dans les mêmes scènes.

Quand la même idée est réutilisée sur un ton plus dramatique, cela fonctionne soudain beaucoup mieux. « La guerre » dit-on « est une affaire d’hommes » et, de fait, Wonder Woman est reléguée au second plan, celui des gros bras du commando qui part pour le front, engagée seulement pour sa force mais destinée à être dirigée par des hommes qui ont un aperçu de la guerre plus complexe que son ridicule « tuons Arès et la guerre prendra fin aussitôt », que nul ne cherche à prendre au sérieux. Dans cet environnement cynique, elle ne représente rien, surtout quand elle rencontre pour la première fois des militaires et des civils abîmés par la guerre. Traversant une tranchée, elle se lasse soudain de s’entendre toujours répéter « On ne peut pas sauver tout le monde, avance »… et monte à l’assaut. Tout est fait pour que cela fonctionne : une mise en scène reprenant des tics snyderiens, le thème composé par Zimmer et Junkie XL, et pourtant ce n’est même pas là le plus mémorable. Plutôt que de vaincre la tranchée allemande à elle seule, elle attire le feu ennemi pour laisser aux soldats présents la possibilité de la victoire.

S’il faut déplorer une image de la Première Guerre mondiale d’un manichéisme rédhibitoire  de bout en bout (les sales boches ne méritent rien d’autre que la mort ; nazis un jouor, nazis toujours, même avant le nazisme), il était vraiment bien vu d’imaginer que pour sa première intervention super-héroïque Wonder Woman se contente de donner aux autres l’espoir de conquérir enfin une tranchée sur laquelle on lorgnait depuis des mois, et donc de sortir de l’impasse. Tout cela sur fond d’armistice, c’est vrai, mais chut, apprécions juste l’idée, puis la scène assez badass dans un village qu’il faut libérer de toute présence allemande. C’est à cette seconde que Wonder Woman tourne à l’actioner bien fichu, avec ses grosses ficelles, sur une musique ne soulignant jamais de façon mémorable les sentiments les plus durs que pourraient susciter les images, et tous les clichés regrettables du gros combat contre un méchant-pas-beau, du sacrifice inutile (et incohérent) et du pouvoir de l’amour, dans un climax manquant désespérément d’ampleur, mais servis avec des dialogues mieux sentis, une colorimétrie plus léchée, une homogénéité dans le ton rendant le tout plus agréablement regardable…

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On pourrait presque dire que l’humour consternant de la séquence londonienne permet de mieux apprécier le moment où le sidekick musclé de Trevor devient l’héroïne du film, et héroïne tout court. Son physique frêle dans ses vêtements de ville très féminins, sa compréhension risible des règles sociales, soulignaient son inadaptation à notre monde et montraient la Gal Gadot mannequin, celle que l’on pensait incapable d’incarner Wonder Woman, et cette étape accentue naturellement par contraste la scène où soudain elle se découvre Wonder Woman, et fait preuve de la force exemplaire qui jadis avait investi le personnage en exemple pour ses lecteurs. Cela rappelle aussi la spécificité des héros de DC Comics, d’autant plus admirables et complexes comme super-héros qu’ils sont fragiles sous leur identité civile : Superman seul n’est qu’un héros en collants, avec Clark Kent il concrétise notre désir de nous dépasser, comme Wonder Woman avait besoin de Diana Prince (mais peut-être quand même pas de cette Diana Prince) pour devenir un véritable modèle moral.

 

 

Sentiments et haine : deux très légers spoilers pour mieux apprécier Wonder Woman et ce que Wonder Woman aurait pu être

 

Parmi les nombreux clichés qui rendent régulièrement l’exercice du visionnage de films insupportable, on peut presque toujours compter sur l’intrigue sentimentale se nouant entre le seul personnage masculin et le seul personnage féminin de l’histoire, et dont il serait impensable que l’on conclue le film sans les faire s’embrasser. Wonder Woman ne déroge pas à cette loi, et cela pourrait gêner d’autant plus que d’un film tendant au féminisme on était en droit d’espérer autre chose. Pourtant, la manière dont la relation entre Wonder Woman et Steve Trevor a été traitée me paraît avoir été un très bon compromis entre la flatterie des bas instincts du spectateur et la nécessité de réinvestir le personnage principal de quelque chose qui échapperait aux standards du cinéma androcentré. De fait, on pourrait dire qu’elle est ici un sujet sexualisé plutôt qu’un objet sexuel, ne se contentant pas de susciter l’attirance de Trevor mais manifestant dès leur première rencontre une fascination pour sa masculinité, cohérente avec sa curiosité qui tranche avec la retraite heureuse des autres Amazones. Montrer une femme qui a des désirs, qui a l’initiative des répliques équivoques, qui permet à Trevor de la rejoindre et lui prend la tête pour l’embrasser, qui l’aime sans avoir besoin de le dire (quand l’homme, lui, ne peut manquer d’adresser sa déclaration), autant de détails justifiant la promptitude habituellement décriée du rapprochement physique des protagonistes, et faisant nettement pencher la balance en faveur d’un visionnage de Wonder Woman, 

Le grand antagoniste du film, Arès, dont malgré tout on ne divulguera pas l’identité ici, quoique son dévoilement soit bien loin de susciter la surprise attendue, n’aura pas le même salut. Déjà l’idée d’en faire un adversaire qu’il faudrait vaincre définitivement est naturellement décevante, un Dieu de la guerre étant normalement trop ambivalent pour se résumer au mal : on fait assez allusion dans l’univers DC Comics à son dépérissement en cas de paix, et il y avait assurément une intrigue pathétique à en tirer, par exemple en le montrant dans un premier temps résistant à ses pulsions de mort, mais devenant si faible qu’il aurait progressivement et à regret embrassé sa nature belliqueuse, condition indispensable à sa survie. Dans le New 52, il était même un personnage assez positif, un père de substitution pour Wonder Woman à qui il aurait enseigné l’art du combat… Il y avait en somme bien des manières de faire de lui autre chose, et bien des manières intéressantes de résoudre le problème qu’il représente, par exemple en lui faisant comprendre que la destruction totale de l’humanité ne laisserait plus aucune place aux conflits qu’il affectionne tant… Et quitte à en faire le grand méchant du film, donc à diminuer son importance dans l’univers DC (dont il aurait pu être l’un des antagonistes les plus intéressants), pourquoi ne pas reprendre le très bon début du dessin animé Wonder Woman de 2009, où l’héroïne apprend qu’Arès est resté enfermé pendant des siècles sous la surveillance des Amazones ? Qu’il est dommage d’avoir une telle mythologie à sa disposition et d’en faire ça…

 

Wonder Woman, un film à la hauteur de nombreuses attentes

 

Entre le fiasco de Suicide Squad et un Justice League dont on espère à peine mieux, la Warner a été très bien inspirée de glisser ce préquelle consacré à Wonder Woman, qui permet de développer un personnage majeur sans la contrainte des quinze super-héros et super-vilains à gérer parallèlement, de damer le pion à Marvel (et même à la Fox, qui revient sérieusement dans la course) en proposant le premier film épique sur une super-héroïne des nouveaux univers étendus (et donc depuis les purges Elektra et Catwoman), tout en déplaçant l’action dans la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire si je ne me trompe pas la période la plus ancienne dans laquelle se soit déroulé à ce jour un film de super-héros.

Contrairement à ce que dit Victor Bonnefoy (InThePanda), Wonder Woman devait être un grand film, parce que les enjeux commerciaux de confiance du public dans une franchise peinant à la mériter étaient immenses. On ne peut pas dire qu’il se hisse à ce niveau, ce qui occulterait des fautes de goût franchement douloureuses, comme on ne peut pas lui reprocher d’échouer dans ses objectifs centraux : susciter le désir de revoir Wonder Woman (tout en espérant que Themiscyra deviendra un lieu important de l’univers, comme Atlantis), montrer qu’on est enfin capable de faire une proposition de cinéma à gros budget féminine, et pourtant sexuellement consensuelle. La Fox aurait sans doute pu faire bien mieux, mais n’a rien fait, sachons donc apprécier ce qu’apporte ce Wonder Woman, sans l’enthousiasme délirant dont fait preuve une importante partie de la critique.Vivement la suite.

 

L’avis de Reanoo


Après l’intervention de Moyocoyani, je ne m’étendrai pas très longtemps. Mon constat sera cependant un peu moins sévère. Je suis allée voir Wonder Woman sans a priori, ne connaissant que de nom (et de visage suite à son passage dans Batman v Superman). Je n’attendais pas grand chose du film, si ce n’est un moment de divertissement, ce que le film a su m’apporter.

Je ne m’arrêterai pas (ou presque) sur les débats entourant le caractère féministe du film. Il est certain qu’il est rafraîchissant de voir une femme dans le rôle du super-héros venu sauver la Terre. Il est cependant plus surprenant que celle-ci soit perchée tout le film durant sur des talons, combats  y compris, alors que l’héroïne elle-même questionne la praticité des tenues des londonniennes pour combattre. Mais passons.

Je me suis étonnamment bien prise au jeu. Bien sûr, le film n’est pas parfait. Loin de là. Je regrette notamment ce besoin quasiment viscéral, semble-t-il, de glisser des histoires d’amour à tout va pour donner de l’importance à certains personnages ou certaines actions, histoire d’amour qui n’apporte au demeurant pas grand chose, et qui aurait très bien pu être tue (pour ce qu’elle est développée…). Le film souffre par ailleurs de quelques longueurs à divers moments, longueurs qui se sont selon moi accentuées lorsque l’intrigue s’est davantage concentrée sur Arès. Je me retiendrai de commenter les choix autour d’Arès, et je me contenterai donc de souligner que son dévoilement est aussi prévisible que décevant (bien que j’apprécie cet acteur). Contrairement à Moyocoyani, cependant, la plupart des scènes de combat m’ont convaincue, notamment celles se déroulant sur Themiscyra. Les chorégraphies sont prenantes, et les ralentis apportent globalement leur dose d’épique. Seules deux scènes de combat m’ont quelque peu sortie de mon visionnage, scènes où le numérique était trop présent, au point de rendre l’affrontement risible.

Wonder Woman n’est certainement pas le film de l’année, mais c’est un bon film de divertissement, pourvu que l’on voit les films de super-héros comme des films de divertissement.

1 COMMENTAIRE

  1. Signalons l’excellent article d’OC sur Wonder Woman : https://unodieuxconnard.com/2017/06/22/wander-woman/, où il associe plus finement que jamais son ironie mordante avec sa connaissance de l’histoire (qu’il enseigne, rappelons-le), et liste judicieusement les trop nombreuses incohérences du film, qui nuances effectivement grandement l’impression de « chef d’oeuvre » qu’une partie de la critique s’est empressée de partager.