Us – La critique

Siegfried « Moyocoyani » Würtz, Laurianne « Caduce » Angeon

Us – La critique

Us – La critique

Siegfried « Moyocoyani » Würtz, Laurianne « Caduce » Angeon
28 mars 2019

Us, petit frère du premier long-métrage Get Out de Jordan Peele, nous plonge dans un nouveau cauchemar fort prometteur si l’on s’en tient à sa superbe bande-annonce. Que nous réserve donc Us : fausse promesse ou continuité d’un renouveau horrifique ? Une proposition de réponse dans la critique de deux rédacteurs, à peu près garanties sans spoilers !

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L’avis de Laurianne « Caduce » Angeon :

 

La sortie du film Us avait été très attendue de ma part, et ce dès le visionnage de sa bande-annonce. Car avant de se lancer dans la critique du film, je dois dire que ce trailer m’avait totalement fascinée, pas tant par la thématique mais pour l’ambiance du film, son esthétique, et surtout la superbe adaptation de la chanson « I got 5 on it » en version orchestrale, magistrale et puissante. De belles promesses donc faites par le père du très original Get Out, Jordan Peele, qui réitère ici son envie de proposer une horreur différente, plus latente, plus malaisante. 

Pour en venir directement à un avis global vis à vis du film : Us n’est définitivement pas un mauvais film, sans toutefois atteindre les promesses de la bande-annonce. Mais il vaut véritablement que l’on se penche sur son cas, tout simplement parce qu’il est différent. C’est aussi le point fort que l’on avait pu attribuer à Get Out, qui traitait du racisme latent de façon novatrice et glaçante. Certaines scènes (la vente aux enchères par exemple) restent de celles qui me hantent encore aujourd’hui. Us renouvelle l’expérience en proposant une œuvre un peu plus tranchée en apparence quant à son thème. Pour rappel, Us relate l’histoire d’une famille (parents, fille et fils) qui, s’installant dans leur maison de vacances, se retrouvent confrontés à l’arrivée d’une famille de doubles d’eux-mêmes, venus pour les tuer. Us pourrait donc arborer une étiquette de slasher si l’on se fiait seulement à cette intrigue somme toute assez classique, en écartant cette astuce d’inclure des dopplegängers en lieu et place d’assassins. Mais le second métrage de Jordan Peele ne se limite pas à cela et prend le parti, un peu risqué sans doute, de renouveler le genre de son film au fur et à mesure que celui-ci se déroule. Ainsi, Us débute dans une atmosphère pesante, quasi-mystique, un peu sordide et malsaine avec cette fête foraine à l’allure cauchemardesque, ce plan large d’une petite fille face à l’océan, de nuit, ce chemin initiatique qui mène droit jusqu’à un palais des glaces, superbe préambule à cette histoire de double à l’origine de la suite des événements. Us poursuit ensuite par la présentation de ses protagonistes, auquel on peut s’attacher et s’identifier rapidement tant ils semblent humainement réalistes dans leurs défauts et vécus respectifs. Puis une horreur qui s’invite doucement, bien avant l’intrusion des doubles dans la maison. Par des jeux de « coïncidences » qui créent ce petit décalage avec le réel, par des plans qui suggèrent les dopplegängers à venir, par un trauma latent que l’on ressent chez le personnage de la mère.

 

 

Us et ses jeux d'ombres

 

Puis Us s’accélère avec l’arrivée de la famille de doubles, comme si ce sentiment de malaise insondable prenait enfin forme réelle. À ce titre, l’invasion des doubles dans la maison est parfaite, et a – à mon sens – parfaitement retranscrit le climat d’angoisse que laissait paraître la bande-annonce. Bien sûr, on est impatients d’en savoir plus et de découvrir le pourquoi du comment. À partir de là donc, Jordan Peele oriente son film en une forme de slasher revisité, sans manquer de multiplier les twists et remises en question de ce que l’on croyait jusqu’ici acquis : certains de ces twists sont très prévisibles, tandis que d’autres ouvrent l’histoire vers d’autres horizons très intéressants – bravo à la prestation d’Elisabeth Moss (sans pouvoir en dire plus sans spoiler). Jusqu’à sa fin de plus en plus effrénée, Jordan Peele nous fait basculer de revirement en revirement pour tenter d’expliquer ce qui n’avait pas forcément besoin de l’être. Déjà parce que le film dévoile dans ces tentatives explicatives beaucoup de faiblesses et d’incohérences scénaristiques dont on aurait préféré se passer. Il y a là un réel sentiment de frustration d’ailleurs, car Us ne semble pas à la hauteur de son propos ou des messages/symboliques qu’il essaie de transmettre : des raccourcis un peu simplistes, des perches trop évidentes ainsi que certains effets de style confèrent au film un côté m’as-tu-vu quant à sa portée et à son message (coucou les p’tits lapins, la plongée d’Orphée aux enfers, ou d’Alice dans le trou) qui se veut bien plus complexe que celui d’un simple slasher (on pourra toutefois apprécier cette même tentative de construire un film d’horreur plus intelligent, mais de là à ne pas s’y retrouver à la fin, cela gâche un peu le plaisir et ladite tentative).

Il y a également dans Us ce même parti pris troublant qu’avait Get Out au niveau d’un humour assez présent. Us part également dans la même direction en ajoutant une dimension parfois absurde, risible dans l’ensemble. Les doubles ont cette attitude terrifiante, décalée, qui fonctionne parfaitement, jusqu’à atteindre parfois cette espèce de sur-jeu qui vient parfois ternir la prestation. Je ne parle pas ici des paradoxes formidables au niveau des visages qui expriment de grandes menaces avec un sourire glaçant, mais plutôt dans d’autres détails (les voix des doubles par exemple). Je ne sais dire s’il s’agit d’une réaction de malaise ou si l’ensemble demeure vraiment risible par moment. Peut-être ne sommes-nous pas habitués à « réagir » à ce type d’horreur, tout simplement. Je n’oublierai jamais par exemple que Hérédité a provoqué de vrais fous-rires nerveux chez moi, tant je ne parvenais pas à gérer la tension provoquée par le film. On retrouve cette même étrangeté ici, sans savoir vraiment si elle sert ou dessert le film, selon le ressenti du spectateur. Ajoutez à cela que le film n’offre dans l’ensemble pas le ressenti terrible de la bande-annonce, et vous pourriez estimer que le pari semble perdu. Pourtant…

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Us - la famille et ses doubles

 

Il serait terrible de cantonner Us au rang de film oubliable, car même s’il arbore les défauts qui pourraient le faire passer pour tel, Us est un film fondamentalement différent en termes de proposition horrifique et à l’instar de ses défauts bien réels, quelques scènes, quelques ambiances restent encore dans mon esprit, une semaine après le visionnage.

Dans l’ensemble, Us retransmet parfaitement ce sentiment diffus d’étrangeté, de « split », de décalage. Un sentiment d’angoisse insondable nous habite dès le départ, et quelques plans offrent une beauté et un malaise simultanés (le petite fille, la nuit, devant l’océan par exemple). Jordan Peele se permet même le luxe de perdre son spectateur dans quelques ambiances mystiques, oniriques. Des décalages bien pensés qui teintent le quotidien d’une aura inquiétante, prémisse du cauchemar à venir. Les quelques détails anecdotiques livrés sur les personnages et leur personnalité trouveront aussi écho dans la suite du film lors des confrontation avec les doubles, comme une sorte de jugement, de sanction qui vient s’abattre sur les protagonistes. Us s’ancre également dans une horreur qui se teinte parfois d’une beauté morbide, rendue par la superbe photographie du film, ainsi que sa musique, notamment au niveau du jeu entre les deux petits garçons. Si certains doubles renvoient cette sensation de mal primaire et viscéral, certains duos fonctionnent de façon beaucoup plus subtile (la mère/Red par exemple parce que ce duo-ci est fondamentalement différent des autres, mais aussi ces deux petits garçons qui semblent parfois plus se chercher que s’affronter, comme s’ils épousaient ce miroir tendu l’un vers l’autre). Ce métissage des effets horrifiques permet donc à Us de ne pas s’embourber dans une vulgaire ambiance de slasher sans saveur, même si l’on pourrait dire que ces différentes ambiances amoindrissent parfois – et malheureusement – l’intensité du sentiment d’horreur et d’angoisse. Le jeu des acteurs demeure convaincant, spécialement Lupita Nyong’o qui – à défaut de s’enliser parfois dans cet aspect malaisant/absurde – crève l’écran lors de certains plans, rappelant le brio de l’interprétation du personnage de la servante dans Get Out.

 

Us mérite enfin d’être vu pour sa bande-son exceptionnelle. Si la piste de l’ « anthem » paraît parfois en décalage, elle demeure parfaitement en symbiose avec l’identité globale du film : inquiétante, mystique, implacable.

 

 

 

Le réel coup de génie revient bien sûr à l’adaptation du titre « I got 5 on it », qui à l’instar des personnages, va se dédoubler dans une sublime version orchestrale, qui habillera la scène finale en lui conférant une puissance et une noblesse visuelle grandiose. Cette sensation d’être face à une « grande scène » est palpable, en grande partie grâce à cette splendide revisite du titre.

 

 

Si Us avait su tenir les promesses de sa bande-annonce et livrer une œuvre aussi terrifiante, visuelle et intelligente à la fois, il aurait sans nul doute été LE film d’horreur incontournable de ces prochaines années. Sans dire toutefois qu’il se plante, c’est une réussite en demie-teinte qui pèse sur Us, qui ne parvient pas à se hisser à la hauteur de toute la hype qu’il avait su générer avant sa sortie. Réussite en demie-teinte donc, mais réussite tout de même, tant certains idées, certaines scènes, certains plans, et cette musique resteront marquants. Us m’habite encore aujourd’hui, et passés les premiers espoirs (un peu) déçus, j’aimerais retourner le voir, pour en profiter de façon plus « objective »… et aussi pour revivre cette magnifique scène finale.

 

 

L’avis de Siegfried « Moyocoyani » Würtz

 

Commençons par un sacrilège : Jordan Peele est à mon avis singulièrement surestimé. Je ne reprendrai pas ici l’argumentaire déployé sur (et contre) Get Out, précisément parce qu’il a déjà été déployé dans la critique dédiée, mais l’inventivité politico-horrifique et la relative maîtrise formelle du premier film ne méritaient guère à mon avis que l’appréciation générale pour sa contribution au panorama de l’horreur, pas de faire sensation, de le transformer dans le classique instantané qu’il n’est pas – et avec lequel personne ne l’aurait confondu sans son sous-texte corrosif. Il était même agaçant que le succès commercial de Get Out ait immédiatement appâté les rapaces, la Warner en concluant immédiatement que Peele était le réalisateur parfait pour remaker Akira… On va dire qu’il était tout à l’honneur du réalisateur de refuser ce projet absurde pour préférer se concentrer sur une nouvelle production horrifique, qu’il était difficile de ne pas attendre, surtout après une bande-annonce glaçante.

Exactement comme Get OutUs souffre de son inscription dans le genre horrifique, et de promettre bien plus de frayeurs qu’il s’avère finalement capable d’en procurer. Deux scènes seulement m’apparaissent parfaites, la visite par la protagoniste enfant d’un palais des glaces, trop courte mais procurant exactement ce que l’on pouvait en attendre, et la première confrontation avec la famille de doubles, quand il n’est pas évident encore qu’il s’agit de doubles et que la famille principale les perçoit comme une « simple » menace. Le spectateur connaît leur nature bien mieux que les héros, et frissonne de ces préliminaires avant la découverte qu’il présume extatique du surnaturel. La suite n’est pas du même acabit, d’abord parce qu’elle consiste exclusivement dans une longue course-poursuite sans réel relâchement. Or si la tension du film ne baisse pas, celle du spectateur se normalise, de sorte qu’il sera plus difficile encore de créer des pics effectivement absents.

 

Us Peele

 

Du moins Peele se repose-t-il bien moins sur le jump scare dans Us que dans Get Out (même s’il joue désormais assez maladroitement et classiquement sur le hors-champ), privilégiant un travail d’ambiance qui repose me semble-t-il sur deux assises. D’une part le travail de photographie du remarquable Mike Gioulakis, qui même en anglais n’a toujours pas droit à sa page Wikipedia alors qu’il a officié sur It followsUnder the Silver LakeSplit et Glass (excusez du peu !), et qui du fait de son expérience auprès de Mitchell et Shyamalan maîtrise parfaitement la perturbation d’une photographie académique par de légers décalages ainsi que le tournage de scènes nocturnes. D’autre part la musique de Michael Abels, compositeur n’ayant œuvré que deux fois pour le cinéma (pour Get Out puis Us), et dont les réalisations accordent souvent aux scènes la grâce dont elles seraient sans cela dénuées. Par exemple dans les images mémorables de la famille arrivant sur une plage, dans un plan zénithal où leurs ombres démesurées semblent les piétiner, et qui ne seraient qu’intéressantes si la bande-son ne créait artificiellement et très ponctuellement une horreur globalement absente des minutes à venir. Ou dans celles d’un long duel, où la musique est d’une telle perfection, notamment dans sa capacité à éloigner très légèrement la note attendue pour créer le malaise, qu’on le rêverait aussi virtuose que la partition qui l’accompagne – ce qu’il prétend être, dans une ambition lyrique ne fonctionnant pas, et rappelant seulement à quel point les premières danses du récent Suspiria étaient, elles, exemplaires. Abels m’a parfois fait songer à West Dylan Thordson, ce qui, pour qui ne me connaît pas, est l’un des plus grands compliments que je puisse adresser à un compositeur de musique de films. Pour le reste…

 

 

Ce qui me surprend le plus profondément dans Us, c’est son incapacité à surprendre, que l’on ne pouvait décidément reprocher à Get Out. Peut-être reste-t-on trop longtemps dans le terrain bien balisé du film d’invasion domestique, mais Us est d’abord un film de doubles, un champ qui pour le coup me paraît autrement plus inépuisable. Il est intéressant de noter que Get Out était déjà le remake d’une oeuvre évoquant la duplicité et le remplacement des individus par des copies soumises aux règles de la société patriarcale et consumériste, The Stepford WivesC’est plutôt Body Snatchers (et sans doute son excellente version par Philip Kaufman) que Us convoque, référence explicitée par les cris que poussent les doubles… sauf que dans Us, ces cris dérangent l’immersion du spectateur parce qu’ils semblent plus comiques qu’inquiétants. C’est que dans Body Snatchers, ils signalaient l’imminence de l’horreur, ils étaient le langage de créatures se signalant les uns aux autres la présence d’ « intrus », quand dans Us, cette fonction communicationnelle est toujours mise à distance. Dépouillé de toute nécessité dramatique, le cri n’est plus que cri, renvoyant à la simplicité bestiale de son énonciateur, et dédramatisant des êtres qui ne donnent finalement pas l’impression d’être plus que des zombies. Ces êtres auraient pourtant gagné à être pris plus au sérieux, mais en dehors du double de la mère et de celui de son fils (et encore…), ils ne sont que des carcasses vides, supports faciles d’un surnaturel sans âme.

Et cela ne facilite pas l’interprétation d’UsGet Out puisait sa force dans l’évidence de son message, qu’il développait sous différentes formes avec une inventivité assez louable. Au contraire, Us affiche la volonté d’échapper aux lectures réductrices… et n’en paraît que plus prétentieux. Entendons-nous bien, j’apprécie évidemment la polysémie artistique, particulièrement dans le fantastique où elle trouve un splendide terreau. Il y a pourtant une différence entre l’hésitation sur les différents décryptages auxquels l’oeuvre invite son spectateur, et la crainte que ces décryptages ne soient si multiples que parce que le réalisateur s’est complu dans le refus de choisir. Un tel refus s’affiche alors dans l’absence d’indices clairs pointant vers une interprétation ou une autre, ou la présence d’indices contradictoires. Dès le carton initial, Us semble devoir se lire comme une référence à l’esclavage, une métaphore de la mauvaise conscience des États-Unis qui continue de ramper au plus profond des esprits et se réveille soudain – après tout, et comme l’avoue Peele lui-même, le titre signifie à la fois « nous » et « États-Unis ». Cela est compliqué par le fait que les protagonistes sont noirs, mais on peut en déduire une dénonciation assez fine du « blanchissement » des noirs, de leur acceptation soumise de la course individualiste et consumériste contre les blancs.

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Une lecture d’ailleurs appuyée par l’amitié du père de famille avec un blanc plus riche que lui, qu’il jalouse et cherche à imiter. Remarquons que ces blancs sont écrits comme des caricatures ambulantes de bout en bout, ce qui tranche encore une fois avec le traitement de la belle-famille dans Get Out. Mais au fur et à mesure que l’intrigue se déploie, les indices se diluent, et on est tenté par un vague décryptage anti-classiste, une révolution des défavorisés sociaux (les doubles sont après tout habillés en rouge), vivant littéralement dans l’ombre des dominants. À moins qu’il ne s’agisse simplement de représenter la peur de l’Autre en général, antagonisé pour ses supposées différences alors qu’il nous ressemble, et nous renvoie à notre propre monstruosité ? Enfin comment comprendre que cet Autre, double littéral de soi, cherche simplement à nous tuer ? Chez un autre réalisateur cela pourrait sembler presque raciste (voir les analyses contradictoires de l’Assault on Preccinct 13 de Carpenter). Si les trois lectures ne semblent pas incompatibles, elles sont perturbées par un problème d’échelle dont on ne peut rien dire, et par la nécessité de raconter une histoire, a fortiori horrifique, au point que l’on ne sait pas toujours si un élément doit être interprété ou n’est lié qu’aux besoins de l’histoire et de l’ambiance. Us en dévoile à la fois trop et pas assez, pas assez pour autoriser la moindre certitude, trop pour qu’on ait envie d’y croire, les règles du surnaturel s’avérant si… naturelles qu’il n’est plus si facile de les faire coïncider avec un sens auquel Us se refuse.

 

Us Peele

 

On aimerait trouver dans la citation constante de « Jérémie 11:11 » la clef du film, d’autant que le contenu du vers ne nous est jamais dévoilé, mais celui-ci consiste simplement dans ces phrases : « C’est pourquoi ainsi parle l’Éternel: Voici, je vais faire venir sur eux des malheurs dont ils ne pourront se délivrer. Ils crieront vers moi, et je ne les écouterai pas. ». Peut-être faut-il se référer au contexte de cette condamnation, la colère du Dieu judaïque contre son peuple après que ce dernier a déserté son Temple pour lui préférer le culte des idoles, enfin ce serait capilotracté, et il semblerait plutôt que Peele a cherché le cliché de l’annonce apocalyptique en appréciant le symbole du 1111 – l’une des rares réussites de Us résidant par ailleurs dans l’iconographie symbolique autour de la dualité. Quitte à chercher dans tous les Livres quel onzième verset du onzième chapitre collerait le mieux à son film ? Ce serait être mauvaise langue que de le croire… ce qui ne veut pas dire que c’est faux.

Surtout, a-t-on envie de créditer d’une telle finesse un film à ce point porté sur la surexplicitation ? Il est malaisé de se départir de l’idée que si le réalisateur voulait tout expliquer, il n’avait qu’à tout expliquer, et s’il voulait rester ouvert au sens que les spectateurs donneraient à sa création, il n’avait qu’à y rester ouvert… On n’en dévoilera bien sûr rien ici, tout en s’avouant très étonné de la gestion catastrophique des deux grandes révélations d’Us, l’une concernant un twist essentiel que Peele laissait subtilement deviner… pour finalement l’asséner brutalement et dans les grandes largeurs (ne regardez d’ailleurs pas trop attentivement la bande-annonce, qui dans une image en dévoile tout), l’autre touchant à la raison d’être des doubles, intégralement dévoilée dans un seul soliloque, toujours sans que le spectateur puisse se satisfaire de la forme et du contenu de la révélation. Qu’on y voie une maladresse ou la marque d’un esprit supérieur, il est très désagréable qu’un réalisateur/scénariste réputé pour sa finesse prenne ses spectateurs pour des idiots et ne parvienne pas à les satisfaire ou à leur couper le souffle, ce qui était pourtant (à mon avis) son intention.

 

Us Peele

 

En somme, Us ne fait pas peur – je me suis même ennuyé ferme durant toute la projection, ce qui ne m’est jamais arrivé devant un film d’horreur au cinéma, et rarement devant un film d’horreur tout court, mais cela relève d’une réception subjective et circonstanciée (peut-être étais-je fatigué, peut-être le visionnage l’avant-veille de Candyman et Scream 3 a-t-il influé sur mes attentes…)Us est très correctement interprété… en dehors de ses personnages secondaires, et plus litigieusement de ses doubles, relevant certes d’une forme de performance, mais un peu ridicule et simpliste. Us n’est pas particulièrement bien écrit, ses dialogues ambitionnent un naturel qui se confond avec une relative platitude, ses personnages sont finalement assez banals et son scénario respecte linéairement une succession d’étapes prévisibles. On n’en réapprécie que mieux les mérites de Get Out. Us ne met pas mal à l’aise et ne dérange pas, ni iconographiquement ni thématiquement, ce qui est doublement décevant.

Us est phagocyté par une métaphore qui intrigue audacieusement, mais s’exprime au détriment de l’histoire et de l’ambiance, et se paie le luxe de déconcerter au lieu d’estomaquer. Au lieu d’être immergé dans l’action et de sortir de la salle le souffle court, on se demande en permanence ce que cela veut dire, si même cela veut dire quelque chose, et le long-métrage n’en apparaît que plus boursouflé, prétentieux, paradoxalement snob pour un réalisateur qui veut parler du peuple – quoi qu’il cherche à en dire. Us est un film dont on se souvient longtemps après le visionnage parce qu’il comporte deux ou trois moments forts… et surtout parce qu’on se demande longtemps s’il y a quelque chose à en comprendre. Est-ce une qualité ? Je voudrai bien le croire quand je serai parvenu à trouver une bonne interprétation englobante de ses prétentions métaphoriques. Pour autant, j’attends comme tout un chacun le prochain film de Jordan Peele. Même si je n’ai pas été satisfait par Us, le réalisateur continue d’y affirmer une singularité intéressante, qui pourra s’avérer passionnante dans des projets plus aboutis, et si l’on tient compte de son budget ridicule de 20 millions de dollars, on pourrait presque admirer un tour de force, au moins prometteur pour la suite.