Mais si THTJB se présente ainsi comme un film novateur sur la violence, le cynisme, et s’il profite de si belles références, qu’est-ce qui fait qu’il n’est pas LE nouveau chef-d’œuvre de Lars Von Trier ?
La faute principalement à cette structure en chapitres, qui fait la patte du réalisateur, mais qui m’a un peu perdue ici. Car inconsciemment, j’ai tendance à structurer le film grâce à cela. Et les chapitres sont inégaux, en termes de longueur comme en termes d’intensité. Ce n’est à vrai dire pas un tort, mais cela fait que l’on a parfois du mal à arpenter ces deux heures et demi de film sans ressentir parfois quelques longueurs, entre massacres et allégories intellectuelles. Car finalement, THTJB n’est que l’exposé de plusieurs meurtres, et si on parvient à se mettre véritablement dans l’esprit de Jack, c’est à double tranchant : car on ne ressent pas d’empathie ou d’intérêt via un attachement au personnage, et aussi parce que le récit ne profite pas d’une réelle progression, évolution dans son histoire, qui ne fait que relater cinq événements marquant, dans douze ans d’histoire du meurtrier. Malgré quelques flashbacks intéressants sur son enfance, et d’innombrables métaphores sur sa condition de tueur, on se plaît plus à apprécier le film une fois fini et digéré, dans sa longueur, que comme une œuvre trépidante qui tiendrait en haleine sur l’instant. Et c’est en fait tout ce qu’il pouvait manquer au film et c’est tellement dommage. Car là où Nymphomaniac reprenait l’idée d’une longue confession entre deux protagonistes, comme ici, le diptyque avait le don de suggérer la descente aux enfers de cette enfant devenue femme nymphomane. Et puisque l’on parle de descente aux enfers, Von Trier ne met malheureusement cela en scène qu’à la fin. Car si le film ne brille pas par sa progression, il laisse cependant un réel mystère sur l’interlocuteur secret auquel s’adresse Jack. On ne connaît que son nom, Verge, et l’idée de voir son visage, son identité réelle révélée, est sans doute l’un des plus gros enjeux du film, et sans doute l’un des plus déroutants. Car Verge, sorti de nulle part dans une chambre froide, représente d’entrée de jeu un personnage irréel, bien loin du pragmatisme et du réalisme du film.
Attention, careful, achtung : SPOILERS.
Le chapitre final, l’épilogue du film intitulé Katabasis, ne laisse aucun doute sur le destin de notre tueur. Puisque ce dernier terme évoque dans les épopées la descente du héros dans un monde souterrain (et tout ce que cela peut suggérer comme métaphores), nous savons bel et bien où Jack s’engouffrera littéralement en sautant dans ce trou, là aussi, sorti de nulle part. Si l’apparition du titre nous laissait à penser que notre personnage pourrait sombrer de bien des façons, Lars Von Trier décide de faire véritablement plonger son héros dans une descente aux enfers, au sens littéral, puisque Verge est en fait Virgile, la figure de raison, la figure poétique, accompagnant Dante dans la Divine Comédie. Et les références ne manquent pas, du nom du personnage, à tous les dialogues, en passant par la belle reproduction de ce qu’on pourrait croire être un Radeau de la Méduse, mais qui est en fait une reproduction de La barque de Dante de Delacroix (ou Dante et Virgile aux enfers). Le réalisateur brise donc tout le réalisme de son film en proposant une fin mystique et moralisatrice à son personnage (et voilà pour le fait de se protéger du côté amoral de son œuvre). Une fin surprenante, à coup sûr, mais qui dénote véritablement vis à vis du reste. Certains adoreront le décalage et la métaphore quand d’autres – comme moi – penseront qu’une mystification de la destinée du héros n’était pas pertinente dans le film, là où elle aurait tout à fait pu l’être dans Nymphomaniac, tant le rapport entre foi, extase et plaisir charnel est souvent mis en avant.


Fin des spoilers, on respire.
En bref, The House That Jack Built aurait pu être un film culte. Mais quelques longueurs ainsi qu’un manque d’attachement aux personnages auront eu raison de mon réel engouement. Bien sûr, je vous invite à le voir, et au cinéma, parce que le film regorge tout de même de moments forts et chocs, visuellement dérangeants, parfois macabrement beaux, tandis que le ton humoristique et cynique de l’œuvre vous fera profiter d’un réel bon film noir comme on en voit peu. Lars Von Trier n’a pas perdu de son ton provocant et de ce qui fait que chaque film demeure atypique, et finalement, c’est à peu près tout ce que l’on demande !