Joker – la critique
Joker est sans doute le film très attendu de cet automne. À juste titre à vrai dire, car s’attaquer au méchant le plus emblématique de l’univers DC/Batman est un enjeu de taille, après avoir déjà été maintes fois adapté au cinéma avec plus ou moins de brio. Si l’on retient comme prestations réellement mémorables celles de Jack Nicholson dans le Batman de Burton et Heath Ledger dans le second volet de la trilogie de Christopher Nolan nous viennent tout de suite à l’esprit. D’autres, plus « anecdotiques », plus décalées nous ont offert d’autres lectures de ce personnage emblématique (Jared Leto dans Suicide Squad notamment), tant et si bien que les figures du joker sont multiples et que chacun va de sa petite préférence pour telle ou telle interprétation. Personnellement, c’est celle de Heath Ledger qui m’a conquise, avec une vision sombre et brutale d’un méchant dont on ne sait rien, ce qui nous fait redoubler de terreur face à ses actes. Grande fan de Joaquin Phoenix que j’avais particulièrement apprécié dans (notamment) le très sombre A Beautiful Day, nettement moins fan de Todd Phillips, le père des Very Bad Trip, j’attendais ce joker avec une impatience en demie-teinte, persuadée que la relecture de mon méchant préféré tiendrait plus de Nicholson que de Ledger, et dans les mains d’un réalisateur que je n’affectionnais pas particulièrement. Vous aurez donc noté l’usage du passé sur cette dernière phrase, car Joker a surpassé mes attentes, et demeure à la hauteur de toutes les critiques dithyrambiques qu’il agite partout autour de lui. À l’aube de sa sortie en salle, voici ce que vous devez savoir pour aller voir (ou non, mais ce serait dingue) ce film.
Joker est une plongée vertigineuse dans la folie en même temps que l’ascension d’un homme qui n’a plus rien à perdre. C’est très clair dès le départ et il n’y aura pas de grande surprise dans le déroulement scénaristique de Joker : on comprend bien que l’on assiste à la genèse d’un personnage mythique, à ses prémisses en tant que Arthur Fleck, jusqu’à sa renaissance en tant que Joker. Pourtant les deux heures de long-métrage défilent à toute vitesse, avec une application soignée à plonger dans la psychologie du personnage. Rien n’est de trop, rien ne manque pour comprendre pourquoi Arthur devient Joker. Vous devinerez donc qu’il s’agit ici davantage d’un film d’ambiance, de psychologie que d’un film d’action. Pour donner une idée, même le très profond Dark Knight de Nolan semble saturé d’action et d’effets spéciaux à côté de cette nouvelle adaptation qui nous transporte dans une version sombre, malsaine et terriblement réaliste du Joker.
Réaliste, parce que nous nous situons avant tout dans une société terriblement (et au sens premier) proche de la nôtre, dans un déclin vers l’extrême violence, dans un environnement au bord de l’implosion. Cette dimension est omniprésente et redoutablement efficace : on se sent dès le départ dans une ambiance poisseuse et dangereuse, le genre qui fait qu’on ne peut marcher tranquille dans la rue, et pire encore, qu’on perd peu à peu espoir en l’Humain, revenu à l’état quasi animal, primitif, brutal, violent. Il ne manque donc qu’une étincelle pour embraser, créer la guerre civile, la révolte générale, le chaos ou plus politiquement parlant, la révolution entre démunis et puissants du monde. Cette étincelle s’appelle Arthur Fleck et lui-même, très loin de cette violence, ignore totalement qu’il sera le point de départ, ou plutôt de non-retour de cette société qui explose. Car Arthur Fleck est une « bonne personne ». Complètement inadapté socialement, à cause notamment de ses réactions inopportunes (nous y reviendrons plus tard) et de sa difficulté à s’intégrer parmi ses semblables, résolument sombre et tourmenté (suivi psychologiquement et psychiatriquement), Arthur n’en est pas moins quelqu’un d’humain, altruiste avec une réelle bonté intérieure. On voit cela dans son comportement, aussi bien que dans son leitmotiv dans la vie : donner, rendre le sourire aux gens, malgré ses traumas, malgré sa détresse personnelle. Ce paradoxe sera également omniprésent dans Joker, tourné résolument vers le tragique mais arborant néanmoins ce phénomène du rire tantôt comme un élément salvateur, une idéologie, un mécanisme de défense, une arme, le rendant terriblement malaisant, et conférant au film cette dimension encore plus sombre et triste.
Si l’on parle ici de tragédie, c’est en fait à juste titre : on connaît la fin de l’histoire, on connaît la folie du Joker. Nous sommes ici les spectateurs impuissants de cette chute/ascension. Car si l’on pourrait dire que le Joker sombre dans la folie, il se révèle tout autant, en trouvant sa véritable crédibilité, son identité. Arthur Fleck est un homme cassé, malade, en détresse (à juste titres et pour plusieurs raisons que je ne spoilerai pas ici) qui voit ses repères se briser petit à petit. Repoussé, moqué, battu, il est ce que la société rejette dans le meilleur des cas. Dans le pire des cas, il demeure invisible au point de douter de sa propre existence. En sombrant, Arthur se révélera donc en faisant entendre sa voix, par la violence, par le chaos et finira même par devenir l’emblème d’une révolution dont il ne mesure pas lui-même les implications. Cette dichotomie chute/ascension est symboliquement retranscrite dans le film à de nombreuses reprises et nous y reviendrons en fin d’article dans la partie avec spoilers.
Juste une correction, le personnage s’appelle Arthur Fleck, pas Perck
C’est modifié, merci !