Ridley Scott jouit depuis quelques années de la douloureuse réputation d’avoir perdu tout talent, après avoir été l’un des réalisateurs les plus en vue d’Hollywood – qui aujourd’hui le placerait dans un top 10 des meilleurs réalisateurs de l’histoire du cinéma, et qui, il y a quinze ans, ne l’y aurait pas placé ? Ce reproche justifie que l’on cherche dans chacun de ses nouveaux films de nouvelles preuves de sa sénilité (il va sur ses 80 ans), quitte à céder à l’injustice. À mon avis au contraire, la production prolifique de Scott reste marquée par une ambition que son âge ne rend que plus admirable, le réalisateur britannique continuant d’explorer de nouvelles voies plutôt que de se contenter de recettes au succès pauvrement certain. Que l’ambition ne suffise pas toujours à sauver un film dont elle est la seule qualité est évident, qu’elle contribue à revaloriser une filmographie durement méprisée me paraîtrait nécessaire.
L’échec retentissant de Prometheus, qui contraignit ensuite Scott à réaliser le film le plus lisse de sa carrière pour se refaire une santé auprès des producteurs, avait viré à la blague, le monde entier n’en retenant que deux ou trois scènes un peu ridicules pour l’ériger en pire film de l’histoire du cinéma. Sa suite Covenant ne pouvait donc pas bénéficier de bons a priori, et il est d’autant plus singulier que Scott ait décidé de se faire plaisir plutôt que de contenter tout le monde, comme il venait de rappeler qu’il savait le faire. C’est que, pour insatisfaisant qu’il soit, Covenant est un film assez brillamment déroutant, en soi et par rapport au cinéma de science-fiction contemporain : alors que le spectateur espère que Katherine Waterston (Les Animaux fantastiques) sera une nouvelle Ripley, l’histoire lui attache moins d’intérêt qu’à Noomi Rapace dans Prometheus, en concentrant toute son attention sur les androïdes, le personnage principal féminin n’étant que le faire-valoir humain de leur supériorité inhumaine. Covenant lance les pistes d’une intrigue sentimentale et d’une intrigue conflictuelle auxquelles il ne cherchera même pas à donner de suite, se débarrasse avec une facilité déconcertante de figures dont on pensait très logiquement qu’elles occuperaient toute la place…
La plus grande erreur que l’on puisse faire serait d’attendre de Covenant d’être un honnête préquelle à Alien, comme si en presque 40 ans Scott ne pouvait pas désirer faire autre chose. Du coup, ce sont toutes les scènes où Covenant cherche à rappeler sa filiation avec la saga mythique qui laissent froid, entre un gore en demi-teinte, des combats trop artificiellement spectaculaires, une exagération numérique du bestiaire qui vous hurle sa fausseté à chaque seconde, et qui gêne la transmission d’un véritable suspense… Cela en flirterait presque avec le mauvais goût, surtout dans la peinture ridicule des Ingénieurs dont on espérait mieux après Prometheus, et une scène finale où un plot twist est en fait anticipé par le spectateur depuis trente minutes, alors qu’il aurait été sincèrement formidable qu’il soit assumé comme un non-twist, un retournement dont les personnages eux-mêmes n’auraient pas été dupes…
Il faut également reprocher à Covenant d’avoir laissé la composition au très surestimé Jed Kurzel, qui échoue constamment à souligner les efforts de design, qu’ils concernent la planète ou le cabinet des curiosités de David, émouvant hommage de Scott au designer Giger, décédé il y a trois ans et dont le travail reste à jamais associé à Alien. Mais de nombreux défauts, relevés par Caduce et par bien d’autres critiques, ne me paraissent pas pertinents : le scénario aurait certes pu dramatiser à peine plus la décision de l’équipage de dévier leur mission sur une planète inconnue, ou la position délicate du nouveau capitaine effrayé par ses responsabilités et ne sachant trop comment s’y prendre…. il m’a cependant paru que sur ces deux points et quelques autres tous les éléments étaient généreusement donnés pour nous permettre de percevoir sans trop de peine ce qui les justifiait, et qu’au contraire nous étions enfin confrontés à des personnages agissant comme des êtres humains, simultanément compétents et faillibles, courageux et terrorisés à l’idée de mourir dans leur sommeil avant d’avoir accompli quoi que ce soit, motivés par des convictions, et susceptibles d’être décimés sans avoir pu les affirmer. Il est regrettable que le spectateur contemporain ait calqué ses standards de réalisme psychologique sur les clichés du cinéma hollywoodien…
Ceux qui ne veulent voir qu’un film Alien feraient alors mieux de se tourner vers Life : Origine inconnue, et ce n’est pas pour rien que ce film reste à l’écran plus d’un mois après sa sortie et malgré un silence médiatique presque total : le film d’Espinosa offre tout ce que l’on pouvait attendre d’un Alien en termes de gore, de créature horrifique, de claustrophobie spatiale… sachant que l’actrice principale, Rebecca Ferguson, était celle qui était d’abord envisagée pour jouer le rôle finalement détenu par Waterston dans Covenant ! Life a clairement été pensé comme le nouvel Huitième passager complémentaire de nouveaux films Alien prenant une nouvelle direction, et amuse même par sa volonté de croiser cette influence avec celle, inattendue, de Gravity.
Scott a plus à cœur de proposer un film volontairement grandiloquent, du dialogue surchargé entre David et son créateur Weyland à la rencontre entre David et Walter et aux révélations sur les Ingénieurs et les xénomorphes, qui fatigueront vite quelques spectateurs à force de références bigger than life (le David de Michel-Ange, « L’Entrée des dieux au Valhalla » du Rheingold de Wagner, « Ozymandias »…), alors qu’elles définissent à leur manière les androïdes, et leur confèrent indiscutablement un je-ne-sais-quoi d’à peine plus épique que grotesque, bien aidés en cela par l’interprétation du formidable Michael Fassbender, seul personnage central de la saga de préquelles, et digne héritier du Rutger Hauer de Blade Runner.