Magic Maze on Mars – réinvention spatiale du jeu simultané culte

 

En 2017, Magic Maze avait fait sensation en proposant un jeu coopératif simultané et muet assez exigeant, ayant l’intelligence de se décliner dans plusieurs niveaux de difficulté ajoutant graduellement des règles. Après quelques extensions (Maximum SecurityHidden Roles), et une très jolie version pour enfants, c’est au tour d’un nouveau standalone de paraître deux ans plus tard, Magic Maze on Mars. On pourrait y voir la marque d’un certain opportunisme financier, qui n’est bien sûr pas tout à fait absent, mais aussi d’une certaine audace, puisque le populaire thème heroic fantasy laisse place à de l’exploitation de ressources dans l’espace, ce qui est tout de même moins « sexy », pour ne pas dire plus abstrait, plus froid, un choix paradoxal pour un titre reposant sur l’ambiance qu’il crée autour de la table.

D’un autre côté, Sit Down! a largement développé sa gamme de jeux complètement simultanés, avec House FlippersSpace BowlWormLord, et a confié Magic Maze on Mars aux concepteur et dessinateur de Magic Maze, Kasper Lapp et Gyom, afin de permettre une continuité entre les titres en même temps qu’un approfondissement de ce que le premier pouvait proposer. L’initiative mérite donc qu’on s’y penche, afin de déterminer si elle est concluante !

Grâce à l’abandon des quatre héros, Magic Maze on Mars peut enfin s’adresser à un à six joueurs de façon tout à fait satisfaisante, là où Magic Maze s’adressait à huit mais restait clairement meilleur à quatre. Les parties en durent toujours 10 à 25 minutes (mais vous ne verrez pas le temps passer), tout cela pour à peine 25 euros.

 

Module 1 : promenade de santé sur Mars

Magic Maze on Mars se décline en cinq modules, à la fois pour en choisir la difficulté et pour en apprendre progressivement les règles, dans des parties de plus en plus longues. Si le premier ne représentera par exemple pas grand intérêt pour des joueurs expérimentés, il est si court qu’il serait dommage de le sauter simplement, puisqu’il permet au moins de se « mettre en jambes », d’acquérir les bases des bases. En outre, comme vous vous en rendrez vite compte, Magic Maze on Mars pourra vous mettre en difficulté dès le débutpunissant d’emblée la moindre seconde d’inattention…

Tous les modules commencent en plaçant au centre de la table la tuile Mars de départ et en donnant à chacun une tuile Action, dépendant du nombre de joueurs, puisque chacune des six ressources (banane jaune, poutre métallique, bleue, feuille verte, vache brune, minerai orange, cristal violet) ne pourra être produite que par un seul joueur, ainsi déterminé en début de partie.

On y ajoute pour le premier module une pile face cachée des quatre tuiles Mars marquées d’un A, le plateau Stock sur lequel on ne pose qu’un jeton Sablier, le sablier lui-même, une réserve de ressources, un meeple Colon et une tuile Dôme, tout cela à portée des joueurs.

Puis la partie peut déjà commencer, en retournant le sablier.

Avoir la couleur bleue sur sa tuile Action permet de créer une ressource bleue sur la case présentant l’icône correspondante sur le plateau, à condition que la case soit libre et qu’il reste des ressources bleues en réserve, et de déplacer n’importe quelle ressource sur les voies express bleues. Cela signifie également qu’il peut théoriquement y avoir plusieurs ressources d’une même couleur en même temps sur la planète, même si l’accumulation de ressources gênera leurs déplacements.

Dans Magic Maze, on ne pouvait faire avancer un pion vers le haut puis se rendre compte de son erreur, et donc le déplacer à nouveau vers le bas, puisqu’aucun joueur n’avait la possibilité de déplacer un héros dans deux directions opposées. Grâce au système de voies colorées de Magic Maze on Mars, il est désormais possible de corriger une erreur, une voie bleue étant empruntable dans les deux sens pour qui possède l’action bleue.

Si une ressource d’une couleur arrive sur une case d’une même couleur en bord de plateau, il est possible de la défausser et de placer là la première tuile Mars de la pile. Si l’on ne peut produire que des poutres métalliques sur la case de départ, on a ainsi une chance de débloquer une tuile où l’on pourra produire d’autres ressources.

Certaines cases portent une icône Sablier : en y défaussant une ressource, on peut retourner le sablier, puis y poser le jeton Sablier pour signifier que l’action ne sera désormais plus utilisable. Dans le premier module, il ne sera donc possible de recourir qu’au temps de deux sabliers, assurez-vous au cas où de placer une ressource juste à côté de la case Sablier afin d’être prêt à le retourner aussitôt qu’il sera près d’être vide. Naturellement, si le sablier se vide, la partie est perdue.

Certaines cases portent enfin une icône Chantier, où sont représentées plusieurs ressources. Il faut les y rassembler puis les défausser afin d’y poser la tuile Dôme. Quand tous les dômes ont été posés (un seul dans le premier module), les colons arrivent sur la planète pour les habiter. On les place donc sur la case Fusée de la tuile Mars de départ, et il faut les déplacer exactement comme les ressources vers les dômes, un colon par dôme, un habitant par maison.

Quand tous les colons sont arrivés dans leur dôme, la partie est gagnée !

Alors que l’on commençait avec une seule tuile au début de la partie, ne produisant que des ressources bleues, on finit ainsi par déployer une planète assez labyrinthique, à laquelle on tentera cependant de donner une forme aussi rectangulaire que possible afin de simplifier le trafic des ressources, en tâchant de se répartir aussi efficacement les tâches que possible puisque le moindre embouteillage ou retard à envisager la bonne action peut provoquer la défaite de l’équipe.

 

Module 2 : l’oxygène commence à manquer

Le module 2 permet de passer aux choses sérieuses, avant tout en imposant enfin le mutisme de l’équipe. Désormais il faudra communiquer uniquement en posant devant les autres joueurs le pion Fais quelque chose afin de leur signifier… qu’ils doivent faire quelque chose, à eux de comprendre quoi. Au lieu de cela, on peut poser ce pion au-dessus de l’une des six cases du plateau Communication, représentant la production des ressources, le sablier et quatre autres actions décrites dans les modules suivants (pont, déchet, pipeline, limace).

Ce pion existait déjà dans Magic Maze, mais il ne pouvait être posé que devant les joueurs. Ici, la possibilité de produire plusieurs types de ressources et de réaliser des actions bien plus variées exigeait assurément de pouvoir spécifier une action plutôt qu’un joueur, chacun ayant les moyens de réaliser tant de choses que lui dire qu’il doit faire quelque chose l’aidera bien peu…

Il n’empêche qu’on l’utilisera essentiellement pour le taper avec agacement devant un autre dont on estime qu’il bloque le jeu en ne le voyant pas comme nous. Non que ce soit plus utile que le plateau Communication, mais cela nous vient naturellement… et participe si pleinement à l’ambiance de Magic Maze on Mars qu’il serait bien regrettable de se limiter !

On utilise désormais deux tuiles de plus, avec un autre chantier (pour accueillir un deuxième colon) et une deuxième case sablier. Celle-ci trouve une fonction supplémentaire puisqu’on a exceptionnellement le droit de parler quand le sablier est retourné, pendant que le table s’écoule, jusqu’à ce qu’un joueur recommence à agir.

Le deuxième module propose également l’addition fort sympathique des ponts : juste avant une voie en pointillés, on peut défausser une ressource, et y poser un pont de la couleur de la ressource, qui sera donc considéré comme une voie express. Mais (et c’est là que cela devient intéressant) Magic Maze on Mars ne propose qu’un pont de chaque couleur, de sorte qu’il ne faut pas se précipiter en défaussant le premier pont venu.

C’est une grande force de ce Magic Maze on Mars que de nous demander si souvent de défausser des ressources, toujours pour des actions cruciales, mais donc toujours aussi en nous imposant de réfléchir à la ressource la plus intéressante à ce stade pour cette action, à son acheminement (autant pour la vacuité des routes que pour la répartition des déplacements)… On a l’impression de devoir prendre tant de choses en compte qu’on peut être perdu assez délicieusement, ce qui contribue fortement au charme de ce jeu.

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Il faut dire qu’il est aussi moins lisible que Magic Maze : le fait d’avoir un fond rouge couvert de pistes colorées au lieu de la blancheur du centre commercial rend moins facile le repérage de zones précises (les lieux de production, les chantiers, la fusée). Cela me gênait avant que je m’aperçoive que l’on s’habitue à ces nouveaux codes, et surtout que cette difficulté supplémentaire fait pleinement partie du jeu, soulignant plus que jamais l’importance de la coordination.

Pour la compenser un peu, on ajoute trois tuiles Joker, que n’importe qui peut défausser quand il le veut pour autoriser la communication jusqu’à la prochaine action ou transformer une ressource en une autre de son choix.

De façon assez amusante (ou triste), le module proposait un petit twist : il est impossible de produire les minerais oranges parce qu’il faut pour cela une tuile qui n’arrive que dans le troisième module. Les joueurs devaient donc comprendre que deux ressources devaient être transformées en minerais oranges, mais cela a manifestement suscité l’incompréhension, puisque Sit Dow! a ajouté dans les boîtes un feuillet supplémentaire pour expliquer la démarche et s’excuser… Dommage, l’idée était fort bonne !

 

Module 3 : labyrinthe martien

Avec le module 2, on touchait au cœur de Magic Maze on Mars. Le troisième commence à ajouter des complications, plus de tuiles et de dômes bien sûr, une nouvelle tuile Sablier, et surtout dix pions Déchet.

À chaque fois que l’on dévoile une nouvelle tuile Mars avec une icône Poubelle, on place un pion Déchet sur toutes les icônes Poubelle de la planète. Si une ressource s’y trouvait, elle est défaussée. Si un déchet s’y trouvait, il est déplacé vers une case adjacente et un déchet est bien posé sur sa case.

Les déchets peuvent être déplacés comme les ressources, mais ils ne peuvent jamais être défaussés, et ne font donc que gêner les déplacements des autres ressources.

Enfin, le module comporte des pipelines, des cases associées à des trous où l’on peut placer un déchet, un pion ou une ressource pour la téléporter immédiatement vers un autre pipeline.

 

Module 4 : attention aux limaces de l’espace !

Quand vous ouvrez la boîte, vous ne pouvez manquer les meeples Limace de l’espace. À vrai dire, ils m’amusaient tant que je n’avais qu’une envie, enchaîner les parties jusqu’à les débloquer.

Une limace apparaît sur une case portant l’icône Limace dès qu’elle apparaît sur une nouvelle tuile Mars. Bloquant les cases, elles ne peuvent en être déplacées que sur une case adjacente occupée par un déchet ou une ressource qu’elles mangent alors.

Magic Maze on Mars se mue alors plus que jamais en véritable casse-tête, une espèce de taquin où chaque pion doit être perçu en relation avec les autres, mais coopératif, muet, avec des déplacements limités, une forme bien moins rectangulaire qu’on l’attendrait d’un taquin et davantage de cases. Si vous aviez à peine perdu au cours des trois premiers modules, vous pouvez désormais être certains que les défaites vont s’accumuler, suscitant frustration, agacement, énervement peut-être, et une fois le sablier fini, le désir amusé de recommencer !

 

Module 5 : courez pour votre vie !

Le dernier module n’ajoute qu’une nouvelle contrainte, des flèches sur les voies express indiquant qu’elles sont à sens unique pour les ressources, colons et déchets, mais pas pour les limaces, trop grosses pour les pipelines et pour se soucier du code de la route !

Ce cinquième module utilise surtout l’ensemble du matériel de Magic Maze on Mars pour que les joueurs affrontent son exigence, soit pas moins de 12 tuiles Mars, 5 dômes et colons, 4 tuiles Sablier, 10 déchets et 2 limaces de l’espace.

L’ensemble… ou presque : la boîte contient 8 tuiles ultimes marquées d’un X, que l’on peut ajouter très progressivement à la pile pour accroître considérablement sa difficulté. Et si cela ne suffisait pas, vous pouvez de surcroît décider à chaque retournement de sablier de passer votre tuile Action au joueur à votre droite et de prendre celle du joueur à votre gauche, pour perturber vos habitudes à chaque fois que vous commencerez vraiment à les prendre !

 

Le mode solo : un jeu coopératif sans coopération

Il peut paraître étrange de proposer un mode solo à un jeu comme Magic Maze, dont l’intérêt repose à ce point sur l’ambiance qu’il est capable de créer autour de la table. Cependant, comme on l’a vu, Magic Maze on Mars est plus mathématique que son grand frère, et il se prêtait donc assez bien à un véritable mode solo, qui ne serait pas tant un mode d’initiation aux principes du jeu qu’une manière de jouer toute différente, un nouveau défi.

On a alors deux choix, utiliser les tuiles Action pour deux joueurs (chacune représentant trois couleurs) ou celles pour six joueurs (chacune représentant deux couleurs) pour des parties bien plus difficiles. On pose le pion Fais quelque chose sur celle de son choix.

Puis on pose la tuile centrale encadrée par quatre autres tuiles Mars, éventuellement avec leurs déchets et limaces.

Il faut y ajouter un chronomètre, par exemple celui d’un smartphone, clairement celui qui s’y prête le mieux, à moins que vous disposiez carrément d’une pendule d’échecs !

C’est bien « simple », vous ne pouvez recourir qu’aux actions de la tuile Action sous le pion Fais quelque chose, et vous ne pouvez déplacer le pion Fais quelque chose que quand votre chronomètre atteint un nombre de secondes s’achevant par 0, donc une dizaine ronde, ce qui vous obligera souvent à attendre deux ou trois secondes et à perdre votre concentration en vous concentrant sur le passage du temps…

Ce qui est assez fort bien sûr, c’est que vous pouvez utiliser les règles du mode solo avec n’importe quel module, y compris avec les trois premiers, de sorte que vous pouvez profiter de la montée graduelle de la difficulté et de l’addition progressive des règles même seul !

 

Magic Maze on Mars, magic game on Earth ?

Si j’étais plus amateur du thème, de l’humour et de la lisibilité de Magic Maze, je ne peux nier qu’à la manière d’un Rush MD pour Kitchen RushMagic Maze on Mars en apparaît pleinement comme une « suite » plus que comme une simple rethématisation, comme une superbe occasion pour Kasper Lapp et l’équipe de Sit Down! de peaufiner leur système, pour un résultat toujours aussi époustouflant de malice.

Au lieu de 17 scénarios, on y trouve 5 modules pour adapter Magic Maze on Mars à des publics divers et acquérir progressivement toutes ses subtilités jusqu’à être confronté à son exigence sous sa forme la plus complète. En ne regardant que les nombres, on pourrait croire qu’il perd en richesse par rapport à son grand frère, ce qui est tout à fait faux : il assume plutôt son abstraction et sa difficulté pour nous mettre plus vite face à de vrais casse-têtes, coopératifs ou même solitaires.

On fait en effet face à bien plus de choix que le déplacement de quatre héros quand tout semble devenir choix, de sorte que la construction du labyrinthe martien et la coordination pour produire et acheminer les ressources, construire les dômes et y amener les colons deviennent incomparablement plus tendus… et plus fous. On ne voit simplement plus le temps passer tant on cherche des données sur les tuiles devant soi et tant on réfléchit à l’optimisation des actions du groupe, à déterminer ce que l’on pourrait faire, ce que les autres pourraient faire, et comment le leur faire comprendre sans ouvrir la bouche, sans autre geste que les coups assénés avec le fameux pion Fais quelque chose.

De grands moments autour de la table !