Soul Raiders – un jeu narratif coup de cœur en KickStarter
Il y a un an et demi déjà se tenait le dernier Festival International des Jeux de Cannes, le premier auquel j’avais eu le plaisir de participer, en attendant avec impatience que la crise sanitaire permette à la prochaine édition de se tenir. Comme je le relatais dans mon journal cannois, ce que j’y ai vécu de plus exceptionnel fut sans doute la partie de Soul Raiders que The Crowdfunding Agency (une entreprise spécialisée dans le KickStarter, par exemple derrière Northgard) me proposa d’y jouer.
Imaginez un peu d’être convié à tester pendant deux un prototype avec son auteur Marc André (Splendor) et son éditeur Hicham Ayoub Bedran (fondateur de Matagot, directeur de Studio H), tous deux ayant spécialement fondé la structure One for all pour la série des Running Quest dont Soul Raiders doit être le premier opus. Vous imaginez assez bien que je me sentais très honoré de découvrir un jeu en pareille compagnie.
Mais ajoutez-y que je suis notoirement fan d’expériences narratives, et justement toujours à la recherche de jeux racontant « autrement », du gros jeu avec 100 figurines et 1000 pages de texte au petit jeu de cartes, utilisant une forme textuelle ou applicative, passant par l’enquête, la grande aventure, la succession d’énigmes ou une hybridation de genres et de mécaniques, développant sa narration au cours de la partie ou entre les parties…
Or Marc André a développé pendant 10 ans un système qui ferait écho à son appréciation de très longue date des jeux de rôle et de figurines, cependant allégé de tout ce qui pourrait ternir le rythme ou l’immersion ; un titre narratif dont la narration passerait davantage par l’exploration de différents lieux, modifiés par les décisions des joueurs et par divers événements, que par d’interminables pavés de texte ; s’appuyant sur un lore solide que l’on vivrait plutôt que de le lire. Tout cela pour une expérience profondément coopérative, sans MJ, cherchant à endiguer l’émergence de joueurs alpha, et proposant ainsi un véritable développement des avatars… que l’on encouragerait même à se séparer pour explorer des lieux différents de la carte !
La promesse était originale, et forcément vraiment alléchante pour moi à qui le jeu semblait si bien correspondre. De fait, cette partie incomplète fut magique, et j’en avais d’ailleurs proposé un long retour sur le site. Or voilà qu’enfin Soul Raiders arrive sur KickStarter, où l’on peut l’acquérir jusqu’au 6 août, sans grand espoir qu’il arrive en boutiques par la suite.
Avec 230 000 euros récoltés de la part de 2500 contributeurs, le jeu est déjà un succès, et de nombreux paliers de financement (Stretch Goals) ont déjà été débloqués pour améliorer la qualité du matériel, ajouter des cartes, des modules, des lieux et même l’intégralité d’une mission de prologue à Soul Raiders, de sorte que vous pouvez déjà avoir un aperçu très complet de ce que la campagne a à offrir.
Nous reviendrons plus en détail à la toute fin de l’article sur le contenu exact de la campagne, mais sachez déjà que l’offre se décline en deux boîtes, une édition standard à 70 euros et une édition Grimoire à 110 euros, nettement plus luxueuse, et qui a largement recueilli les faveurs du public pour le moment puisque les trois quarts des contributeurs l’ont préférée.
Notez que cet article ne s’appuie que sur une version de démonstration conçue pour les influenceurs, donc destinée à donner un bon aperçu des mécaniques du jeu, mais ne représentant pour ainsi dire rien de la richesse du jeu final en termes de matériel ou de scénarios. C’est pourquoi je ne rentrerai pas dans les détails comme je le fais habituellement pour présenter et analyser un jeu complet, préférant m’attarder sur ce que Soul Raiders a à proposer d’original d’après ce que le prototype a pu nous promettre.
Un jeu d’exploration coopératif scénarisé
Soul Raiders se décline en plusieurs chapitres à la mise en place propre – et très distincte. En effet, chaque chapitre est constitué de 40 lieux, de cartes Récit, Ennemi scénarisé et Événement, définit différemment le niveau initial de Fatigue, Vitae et Menace de l’ensemble de l’équipe et des objectifs principaux et secondaires particuliers dépendant du nombre de joueurs, en plus bien entendu d’une introduction narrant la situation de départ et déterminant quels lieux déjà installer sur la table, sachant que les héros pourront immédiatement choisir de commencer dans des lieux différents !
Voilà qui appelle déjà trois remarques importantes.
D’abord, les chapitres sont si différents et vastes que vous n’en ferez pas le tour en une seule partie. Vous en viendrez à bout au terme de 2 à 4 heures, mais voudrez sans doute le faire et le refaire afin d’explorer les très nombreux embranchements auxquels vous n’aurez pas eu le temps de vous confronter. Embranchements narratifs bien sûr, mais aussi embranchements héroïques, avec le développement de votre héros…
Ainsi un scénario sera-t-il généralement exploré deux à trois fois, d’abord pour le découvrir, appréhender le plan général, l’enchaînement des pièces et les principaux événements et quêtes qui pourraient advenir, ensuite pour ouvrir de nouvelles portes et/ou optimiser ses runs en tenant compte des informations connues. Et il va de soi que « connaître » l’histoire ou le plan n’empêchera pas de refaire un chapitre, les auteurs ayant précisément conçu un système mécanique où le scénario resterait au second plan, évitant toute dimension kleenex.
En outre, la mention de pistes communes et de lieux de départ séparés est inhabituelle. C’est que Soul Raiders cherche vraiment à inciter à penser la coopération : absolument rien ne vous oblige à rester ensemble, au point que deux héros pourront avancer dans des directions diamétralement opposées. Parfait pour éviter tout effet de joueur alpha, finissant par monopoliser les décisions comme c’est le risque dans tant de titres coopératifs.
Mais la vie est commune à l’ensemble du groupe, de même que la fatigue qu’une vie basse engendre (et la vie baisse à chaque tour), et plus classiquement que la piste de menace. On évite ainsi toute élimination d’un joueur avant les autres, ou le souhait par le groupe d’abandonner un « boulet » : tout le monde est connecté, et même s’il est plus avantageux d’explorer les lieux séparément, rester à bonne portée de ses alliés pour les aider (et donc s’aider soi-même) quand une situation urgente l’exige (par exemple pour réaliser ensemble une action scénarisée et ainsi maximiser ses chances) peut être une bonne idée.
J’ai dit que le jeu n’était pas si scénarisé que cela. C’est un aspect de Soul Raiders difficile à décrire, parce qu’il cherche un équilibre assez passionnant entre immersion et détachement. Vous êtes complètement investis dans l’aventure, dans la tension exercée par les ennemis ou les énigmes des pièces, le sentiment d’urgence que suscite la baisse fatale de votre santé, et les très jolies illustrations sur les cartes Lieu immenses (13 centimètres par 18,5 !), ainsi que la possibilité d’agir sur certains lieux (en les retournant) et le petit texte narratif dont chacun est assorti en plus d’un nom, sont autant de petites et grandes choses qui font que l’on a l’impression d’incarner ces aventuriers.
Pour autant, pour narrative que soit l’exploration des lieux, pour scriptés que soient les événements, Soul Raiders n’est pas « scénarisé » : je ne pense pas que l’on s’investisse vraiment dans la grande histoire, ni même que ce soit le but, le jeu semblant chercher à nous investir davantage dans l’action que dans le cadre général.
Cela participe bien entendu à sa rejouabilité, puisque la connaissance de ce qui va arriver et de l’ordonnancement des lieux n’est pas réellement un divulgâchage, juste un degré d’informations supplémentaire pour développer votre histoire différemment.
Votre histoire, c’est celle de votre héros, l’un des jeunes guerriers mages donnant leur nom au jeu, asymétriques par leurs bonus de personnage (par exemple +2 points pour les actions de force) comme par leurs cartes.
Ces cartes sont l’une des grandes idées de Soul Raiders. Les cartes d’un héros se répartissent en effet en trois spécialités, combat, déplacement et magie, et toutes portent une valeur numérique. Or chaque action du jeu, qu’elle soit spéciale (actionner un levier, fouiller une tombe, défoncer une porte…) ou concerne l’affrontement d’un ennemi ou un mouvement, coûte un certain nombre de points.
Ces points sont obtenus en jouant n’importe quelle carte de sa main, seule ou combinée à d’autres. 2 cartes de valeur 2 feront… 4 (oui oui), même s’il s’agit d’une carte de combat et d’une carte de déplacement. Néanmoins, chaque carte dispose d’un bonus quand on l’utilise pour l’action représentée : une carte Combat de valeur 2 pourrait augmenter sa valeur de 1 par carte Action jouée pour accomplir cette action, elle comprise, à condition que ce soit pour combattre.
Vous commencez peut-être à concevoir à quel point ces combinaisons de cartes peuvent être délicieuses, et peuvent jouer un rôle dans ce que vous décidez de faire (avec trois cartes Combat en main se renforçant mutuellement et une carte Déplacement 1, vous vous frotterez peut-être au spectre qui vous suit où que vous alliez et menace de finir par vous bloquer au pire moment, plutôt que de vous contenter d’un pas de côté…
Certaines cartes sont magiques : en plus de posséder une valeur normale, elles proposent de lancer un sort instantané, temporaire ou persistant, qui va de l’éclair pour blesser tous les ennemis présents au portail de téléportation utilisable par tous les joueurs vers un autre portail ; de la transformation de vos bonus de déplacement en bonus de combat pour une attaque furieuse… à l’invisibilité, rien que ça ; du soin à la capacité de regarder un lieu non encore dévoilé…
Au cours de votre quête, chaque héros pourra gagner de nouvelles cartes afin de renforcer son deck en surmontant des péripéties liées au scénario ou à des ennemis particulièrement puissants. Il remporte alors plus exactement des jetons Héroïsme qu’il peut dépenser pour piocher de nouvelles cartes (à réserver aux cas de dernière nécessité !) soit pour augmenter sa pioche standard de 24 cartes Action grâce aux 12 cartes Action héroïque qui lui sont réservées.
Leur ordre est prédéterminé, et les cartes les moins intéressantes seront naturellement les moins chères, mais toute nouvelle carte s’ajoute définitivement à son deck pour ce chapitre et les suivants, de sorte qu’une telle amélioration du deck est simplement incontournable.
En cas de victoire, vous ne garderez d’ailleurs pas seulement vos cartes Action héroïque, mais aussi vos jetons Héroïsme non dépensés, les potions, quêtes et artéfacts découverts, pour une impression accrue de vivre une campagne exigeante, qu’un système de sauvegarde permettra de reprendre au début d’un chapitre perdu.
La sauvegarde sera d’ailleurs aussi très utile simplement pour refaire un chapitre avec un groupe différent, donc sans le personnage amélioré d’une campagne en cours. Et puisque la mise en place est agréable rapide et intuitive, vous ne serez ainsi jamais bloqué pour avoir commencé une campagne, à laquelle vous ne voudriez pas renoncer mais que vous ne parvenez pas à poursuivre.
Vous devriez l’avoir compris, mais je tiens à le redire clairement au cas où : contrairement à bien des jeux narratifs, Soul Raiders n’a pas l’ambition d’imiter le jeu de rôle, et préfère constituer une exploration scénarisée mais assez mécanique de son univers.
Pour moi, c’est un atout, parce que cela change des autres très nombreuses propositions narratives dont je ne tenais surtout pas à voir émerger un énième sosie, cependant j’ai vu des joueurs déçus que la dimension dramatique ne soit pas plus forte, de sorte que ce rappel semble important.
Dernières heures de la campagne !
Comme beaucoup, j’aime arriver tardivement dans une campagne afin de l’évaluer dans son entièreté, avec les derniers Stretch Goals débloqués, voire les rattrapages de com d’un éditeur ayant renforcé son offre pour attirer davantage de backers, bref pour avoir l’idée la plus claire possible de l’intérêt d’un jeu avant d’investir.
Rappelons que la campagne de Soul Raiders dure jusqu’au 6 août à 22 heures, et qu’elle promet une livraison en décembre 2022, donc sans doute au premier semestre 2023 s’il s’agit d’une promesse « réaliste » – ou vraiment dans à peine plus d’un an si l’éditeur a eu la bonne idée d’annoncer une date volontairement tardive pour ménager une bonne surprise.
Le pledge de base est à 70 euros (plus 18 à 23 euros de frais de port + TVA pour la France), et permet donc d’obtenir une figurine de chacun des 4 Soul Raiders, un prologue et 3 chapitres de 45 lieux, plus quelques modules pour renouveler un peu l’exploration des mêmes chapitres.
Le pledge deluxe, dit Grimoire Edition, est à 110 euros, plus 20 à 25 euros de frais de port + TVA pour la France. Il ajoute notamment une belle boîte magnétique, une figurine de chaque héros dans son état invisible et pour son clone, des figurines pour les portails de téléportation, des boîtes pour les héros et les scénarios, un livre de lore, un carnet de notes et quelques SG spécifiques… et surtout un nouveau héros, Unaï, avec tout ce que cela implique de nouvelles figurines et cartes ! La Grimoire Edition a attiré 2100 contributeurs aux dernières nouvelles, soit quatre fois plus que l’édition standard – une préférence compréhensible.
Notez qu’Unaï peut être acquis en add-on pour 15 euros, ainsi que 30 pièces Héroïsme en métal dans un sac en velours pour 20 euros, le pack de figurines (invisibles, clones et portails de téléportation) pour 18 euros et… le lore book pour 20 euros, sans doute aussi joli que dispensable – si vous achetez la version standard de Soul Raiders à 70 euros, allez-vous vraiment y ajouter un lore book à 20 euros plutôt que d’investir dans une Grimoire Edition qui le contient pour 110 euros ? Alors qu’au contraire, Unaï me paraît particulièrement incontournable tant le plaisir de développer des héros différents, et donc des synergies différentes entre les héros du groupe, appartient aux charmes du jeu.
Notez que la page KickStarter de Soul Raiders est singulièrement intéressante, avec de très longs développements sur les motivations à créer le jeu et une vraie présentation détaillée de l’équipe qui en est responsable !
Soul Raiders : un KickStarter incontournable ?
Quand, comme moi, on s’intéresse aux jeux narratifs, il est difficile de passer à côté de la campagne KickStarter de Soul Raiders, qui s’interrompra très bientôt (le 6 août à 22 heures).
Ses auteurs (parmi lesquels on citera le concepteur Marc « Splendor » André et l’éditeur Hicham, Monsieur Matagot/Studio H) tenaient en effet à proposer une approche originale du jeu narratif, loin des dungeon crawlers aux centaines de figurines et des « Livres de rencontre » de 300 pages, avec un système coopératif sans overlord ou joueur alpha, des scénarios rejouables constitués de plus de 40 lieux où les héros pourraient très bien se séparer, proposant des défis intenses malgré des règles accessibles et une utilisation des cartes fort maline.
Tout cela dans un univers de fantasy très joliment représenté sur des cartes immenses et aérées, propice au déploiement de guerriers mages (les fameux Soul Raiders) que l’on pourrait réellement avoir la sensation de faire progresser.
Inutile de dire que si la version finale est à la hauteur de la version de démonstration, Soul Raiders pourra prétendre à notre rare VG Award !
Si une proposition aussi rafraîchissante vous intrigue, n’hésitez pas à lire l’intégralité de ma présentation du jeu et à jeter un œil à la page de la campagne !