Couleurs de Paris, le coup de pinceau magistral de Super Meeple
Lors de mon dernier séjour à Paris, j’ai enfin pu visiter la nouvelle galerie des impressionnistes de mon musée préféré de la capitale, celui d’Orsay. Ce n’est d’ailleurs pas mon mouvement pictural préféré, mais j’en apprécie de nombreux représentants et épigones, sans ambitionner aucune originalité d’ailleurs, Claude Monet, Vincent van Gogh, Gustave Caillebotte en tête. On peut donc imaginer combien j’étais ravi d’apprendre que l’excellent éditeur Super Meeple consacre son premier jeu original (qui ne soit donc ni une localisation comme les Deckscape ni un embellissement et une fluidification d’un classique comme Cuzco, Mississipi Queen et U.S. Telegraph) aux artistes du « Bateau-Lavoir » (enfin pas trop, disons plutôt aux impressionnistes).
Ce jeu, c’est Couleurs de Paris, et on le doit à Nicolas de Oliveira et aux pinceaux de Fabrice Weiss (Minuit, Meurtre en Mer et sa très bonne extension). Vendu un peu plus de 40 euros, il s’adresse à deux à quatre peintres confirmés de dix ans et plus pour des parties d’environ 20 minutes par joueur. Et si vous me trouvez déjà si enthousiaste, c’est parce que par-delà son univers particulièrement séduisant, Couleurs de Paris est mon jeu préféré depuis un certain temps, et clairement un incontournable du « familial + » !
Un Bateau-Lavoir très impressionniste
La première partie commence par l’assemblage du double-plateau central, un plateau circulaire vissé sur un plus grand plateau rectangulaire de façon à pouvoir être tourné. La mise en place commencera ensuite par la disposition de ce plateau central… au centre de la table. Si les couleurs générales peuvent en paraître un peu ternes, on appréciera le singulier effort de lisibilité consenti dans son élaboration et son illustration évidemment très thématisée autour de l’idée de représenter un atelier d’artistes.
Au début, l’action Récupérer des pigments rouges du plateau circulaire intérieur doit se trouver en face de l’un des symboles Action interdite du plateau rectangulaire inférieur. À deux et trois joueurs, on recouvre par ailleurs certaines tuiles (indiquées dans les règles et sur le plateau) pour augmenter le nombre d’actions interdites, évidemment une manière très satisfaisante de matérialiser les restrictions nécessaires dans ces configurations pour pimenter le jeu.
L’ensemble des pigments (des cubes en plastique rouge, orange, vert, bleu, jaune, violet, blanc et noir) est placé à proximité des joueurs. Si dans la boîte les pigments se trouvent dans des sachets séparés, n’hésitez pas à tous les mélanger d’ailleurs pour faciliter leur rangement. La mise en place en sera peut-être moins jolie, mais vous n’y perdrez aucune fluidité de mouvement et y gagnerez pas mal de temps.
Une petite réserve contiendra les 12 jetons Points de prestige, 4 pour les tubes de peinture, 4 pour les palettes et 4 pour les pinceaux.
On mélange ensuite les cartes Tableau et on en dispose quatre sur les jolis chevalets (trois à eux joueurs), sur le côté représentant les neuf pigments nécessaires à leur réalisation.
Chaque joueur reçoit un plateau individuel double-couche, de sorte que les trois pistes Tube de peinture, Palette et Pinceaux sont creusées. Les trois marqueurs Développement que l’on y place dans le premier emplacement ne risqueront ainsi pas de se déplacer indûment pendant la partie – une maladresse est si vite arrivée. Il récupère également trois assistants de sa couleur, d’adorables meeples Peintre, puis un pigment rouge, un bleu et un jaune qu’il place dans son stock de pigments. Celui qui a le plus récemment touché un pinceau est nommé Premier joueur et reçoit le jeton correspondant. S’il s’agit ordinairement d’un élément inutile, il l’est un peu moins ici qu’ailleurs puisque la position de premier joueur pourra beaucoup changer et sans ordre prédéterminé.
Et c’est tout. Évidement il faudra tous s’y mettre pour réaliser l’installation en quelques minutes, mais dans Couleurs de Paris il n’est pas difficile de donner des instructions aux autres joueurs, même s’ils ne l’ont jamais pratiqué, et surtout cela reste étonnamment limpide par rapport à ce que l’on aurait pu craindre en voyant la taille de la boîte et son poids. Bien sûr la joliesse des éléments, l’invitation à l’immersion qu’ils proposent, ont une part importante dans le plaisir pris à une phase souvent fastidieuse. Au lieu de la subir, on en profite déjà pour regarder sur les tableaux exposés quels pigments vont être requis, et donc pour convoiter sur le plateau les actions les plus intéressantes…
Se faire reconnaître comme le meilleur peintre parisien
Un tour de Couleurs de Paris se déroule en trois phases, jouées par les trois peintres plutôt que successivement, un très bon point pour susciter des parties extrêmement fluides !
La première phase consiste à poser tous ses assistants sur les cases libres du plateau, un par un et dans le sens horaire.
Une action est en effet toujours placée en vis-à-vis d’une ou plusieurs cases. Certaines portent le symbole Action interdite, et on ne pourra évidemment pas y poser le moindre assistant. D’autres ne sont associées qu’à une case, de sorte que le premier assistant à s’y trouver pourra seul en bénéficier, d’autant que chaque action n’est représentée qu’une seule fois. D’autres enfin sont associées à une à trois cases, et peuvent donc être occupées par autant d’assistants, de joueurs différents ou du même joueur d’ailleurs. Seule la case centrale porte un symbole Infini, et peut théoriquement accueillir tous les assistants.
La deuxième phase consiste à réaliser ces actions. À tour de rôle on couche l’un de ses assistants (pour montrer qu’il a été « utilisé ») et on accomplit l’action de la case à côté de laquelle il se trouvait.
Trois actions permettent de récupérer autant de pigments de la couleur primaire représentée que son niveau de Tube de peinture (l’emplacement dans lequel se trouve le marqueur Développement de son plateau individuel dans la piste Tube de peinture), c’est-à-dire entre trois et huit. Il faut alors prendre garde à la limite maximale de douze pigments.
Trois actions permettent de mélanger les deux couleurs primaires indiquées (donc en défaussant un cube de chacune de ces couleurs) pour récupérer autant de pigments de la couleur secondaire produite que son niveau de Palette (entre deux et neuf). Défausser un pigment jaune et un pigment rouge permet par exemple logiquement de produire de l’orange.
Une case permet de mélanger les trois couleurs secondaires (de défausser un pigment de chaque) pour récupérer un pigment noir. Celui-ci ne servira pas pour mettre fin à la partie et ne compte d’ailleurs pas dans la limite de douze pigments, mais octroie 6 Points de Prestige (PP), et le gain du cinquième met fin à la partie.
Une case permet de prendre l’une des cartes Tableau exposées sur les chevalets, sans limite de cartes devant soi.
Une case permet de peindre un tableau, c’est-à-dire de déplacer autant de pigments de sa réserve que son niveau de pinceau (entre un et dix) vers une carte Tableau devant soi, sur les cases des couleurs correspondantes. Un tableau peut être achevé en plusieurs tours (pour un maître inexpérimenté, la tâche peut évidemment être longue), et on peut répartir ses pigments entre plusieurs tableaux. Une fois un tableau achevé, on en remet tous les pigments dans la réservé générale et on le retourne devant soi pour montrer son oeuvre.
C’est là que je dois émettre ma seule réserve sur Couleurs de Paris : les 32 cartes Tableau ne sont pas uniques, mais représentent sept toiles réelles différentes. Dans un jeu sur la peinture recourant à tant d’artistes célèbres, il est vraiment regrettable de ne pas avoir donné à chaque carte sa toile, d’une part du fait de la richesse de l’art de ces maîtres, d’autre part parce qu’il n’est vraiment pas intuitif que deux joueurs aient réalisé la même montagne Sainte-Victoire de Cézanne ou les mêmes des danseuses de Degas…
Notons d’ailleurs que les pigments requis pour la réalisation d’un tableau n’ont aucun lien avec le résultat final, ce qui est bien sûr compréhensible tant il peut être difficile et paraître vain d’être trop thématique dans un jeu de société, mais le recours à des toiles uniques n’aurait-il pas permis un peu plus de cohérence ?
Enfin… on ne sait pas ce que l’on peint. Avec un peu de culture artistique on reconnaît bien sûr des toiles ou des styles, pourtant on est dans un jeu de société dont le public peut être jeune, ou simplement ne pas s’intéresser particulièrement à la peinture. Pourquoi ne pas avoir réalisé un petit index en fin de règles ou sur une carte à part avec le nom des toiles, du peintre, et leur localisation ? Quel dommage de ne pas profiter d’un thème pareil et par ailleurs si joliment exploité pour nourrir la curiosité des joueurs…
Trois cases permettent d’améliorer l’outil indiqué (le tube de peinture, la palette ou le pinceau) en défaussant deux pigments de son choix pour avancer le marqueur Développement d’une case. En arrivant à la sixième case d’un outil, on a le choix entre récupérer un assistant supplémentaire (qui nous octroiera une case et donc une action supplémentaire à chaque tour, avec la possibilité d’en avoir jusqu’à six !) et de gagner 6 PP en prenant le jeton Bonus correspondant. Sur la dixième et dernière case, on prendra ce même jeton Bonus sur sa face 10 pour marquer le gain de 10 PP. Cela signifie que si l’on avait choisi d’en gagner 6, arriver à la fin n’en octroiera que 4 supplémentaires. Il paraît alors évidemment plus intéressant de ne prendre que des assistants, mais la stratégie n’est pas toujours payante, surtout à partir d’un certain stade de la partie, ou l’avantage octroyé par l’assistant pèsera peu face aux points qui distingueront le vainqueur…
Une case permet de prendre le jeton Premier joueur, et donc de rester Premier joueur jusqu’à ce qu’un autre pose son assistant sur cette case, et de récupérer un pigment blanc. La case est interdite si l’on est déjà Premier joueur (si l’on souhaitait empêcher ses adversaires de le devenir). Le pigment blanc peut être utilisé à la place de n’importe quelle couleur d’un tableau, dans la limite de trois pigments blancs par tableau, mais s’il est ainsi posé, retirera 2 PP en fin de partie. Les pigments blancs facilitent bien sûr la réalisation des tableaux, pour un coût en PP souvent déraisonnable, à moins que l’on cherche simplement à prendre tous ses adversaires de vitesse en mettant vite fin à la partie tant que l’on a de toute manière plus de points. Par ailleurs, ils peuvent être dépensés sans malus pour améliorer un outil, mais pas pour mélanger des couleurs.
Une case permet de copier l’action que va réaliser un assistant encore debout sur le plateau inférieur. Cela peut donc être une solution pour réaliser une action intéressante occupée par un adversaire, voire qu’un adversaire bloquerait volontairement, mais aussi pour doubler l’action d’un de ses assistants…
Une case permettra, au choix, de ne pas faire tourner le plateau supérieur à la fin de la phase ou de lui faire faire deux rotations. De quoi bien embêter des adversaires qui comptaient sur une rotation normale pour réaliser une action au prochain tour, en s’assurant de tout maintenir à sa place (y compris les actions interdites) ou au contraire de tout déplacer dans une position encore plus avantageuse.
La dernière case, au centre du plateau, permet de récupérer autant de pigments blancs que son niveau de tube de peinture.
Il est enfin tout à fait possible de coucher son assistant sans réaliser l’action correspondante, si l’on souhaitait seulement bloquer la case, ou que l’on n’a décidément pas de quoi se la permettre.
Quand les joueurs ont réalisé toutes leurs actions et donc couché tous leurs assistants, on passe à la dernière phase.
Sauf contre-ordre du joueur sur la case de rotation, on fait tourner le plateau supérieur d’une case dans le sens horaire.
Puis on remet des cartes Tableau sur les chevalets vides. Si le plateau supérieur a achevé un demi-cercle complet au cours de sa rotation, on remplace tous les tableaux, ce qui est évidemment très rageant pour qui établissait sa stratégie sur les chevalets actuels, de sorte qu’il faudra bien prêter garde à cette règle en apparence anodine, et qui donne plus d’importance encore à la rotation.
Les joueurs défaussent alors tous leurs pigments au-delà de 12.
Enfin, à tour de rôle, on relève l’un de ses assistants du plateau inférieur (si on en a) pour le laisser en place, tandis que l’on récupère tous les autres. Cela implique bien sûr que l’on disposera de la même action au tour suivant si on ne réalise aucune rotation, ou que l’on sait exactement quelle action sera disponible sur cette case déjà bloquée.
La partie s’achève à la fin du tour où un joueur a achevé deux tableaux ou bien où les cinq pigments noirs ont été récupérés.
On additionne alors les points de ses tableaux (entre 10 et 16 selon leur complexité), 6 PP par pigment noir et les PP des tuiles Bonus. Il arrivera régulièrement que le vainqueur sera le joueur s’étant précipité pour réaliser deux tableaux à 10 points, puisque ce gain léger suffit largement à distancier des adversaires n’ayant pas eu le temps de se développer. On aurait cependant bien tort d’y voir une lacune tactique de Couleurs de Paris : la table est si lisible que l’on se rend compte très vite du nombre de points d’un joueur et de l’arrivée éventuelle de la fin de partie. Il revient donc aux adversaires de bloquer le potentiel vainqueur par l’une des nombreuses actions à leur disposition (blocage de l’action Peindre, contrôle de la rotation…) ou en s’assurant de compenser leur retard par un investissement soudain dans des pigments noirs ou l’amélioration d’un outil en vue d’une tuile Bonus. On l’aura compris, on ne met pas fin à une partie de Couleurs de Paris à la légère, et l’interactivité indirecte formidable du jeu empêche toute victoire d’être trop évidente ou inarrêtable.
En cas d’égalité, triomphera celui qui a utilisé le moins de pigments blancs, en cas de seconde égalité celui qui a réalisé le tableau de la plus haute valeur, en cas de troisième égalité celui qui possède le plus de pigments noirs.
Les bonus et les Grands Maîtres
Les Couleurs de Paris s’enrichit de deux modules, d’ailleurs cumulables, pour augmenter considérablement la variété des parties (qui ne souffrait d’ailleurs d’aucun problème de rejouabilité) et sa technicité.
Le premier module consiste à utiliser les 15 cartes Bonus (cinq cartes différentes en trois exemplaires). Si les règles sont très claires sur leur contenu, elles le sont moins sur leur mise en place, mais on devine qu’on applique les mêmes que pour les tableaux. Des corrections ont heureusement été apportées par Super Meeple sur ce point et quelques autres dans une v2 des règles, pris en compte dans la suite.
Au début d’une partie des Couleurs de Paris, on place ainsi quatre cartes Bonus piochées au hasard sous les quatre chevalets (ou trois à deux joueurs).
Avec l’action Récupérer un Tableau, on peut désormais soit récupérer une carte soit acheter une carte Bonus avec des pigments blancs uniquement. On décide au début de la partie si la carte Bonus doit obligatoirement être utilisée aussitôt achetée, ou si on peut la garder de côté et l’utiliser quand on le souhaite avec la contrainte de n’en utiliser qu’une par tour (afin de ne pas trop en déséquilibrer un). Les deux options ont évidemment leur avantage, et la décision devra être prise selon le public et sa connaissance des Couleurs de Paris. Si celle-ci reste relative, je recommanderais plutôt l’usage immédiat des cartes Bonus, afin de ne pas s’encombrer l’esprit en s’interrogeant à chaque tour sur la nécessité d’utiliser son pouvoir ou non. Avec un public un tout petit peu plus connaisseur des subtilités du jeu, je recommanderais cependant la possibilité de les conserver, qui ajoute une agréable couche tactique.
La carte Peintre (pour quatre pigments blancs) permet de peindre immédiatement selon son niveau de pinceau. Il me semble que l’existence de cette carte n’a de sens que quand on peut garder les cartes d’un tour sur l’autre (sinon pourquoi payer pour la prendre puis pour peindre sur une case nous permettant de peindre directement ?), en octroyant ainsi une action Peindre même sans occuper la case correspondante.
La carte Copiste (quatre pigments blancs) permet une action de copiste (on réalise l’action que va réaliser un assistant encore debout du plateau inférieur).
La carte Mélange (quatre pigments blancs) réalise un mélange de son choix, pour obtenir une couleur secondaire ou du noir
La carte Échange de couleurs (cinq pigments blancs) permet d’échanger un à quatre pigments de couleurs primaires contre d’autres pigments de couleurs primaires, et des pigments de couleurs secondaires entre eux.
La carte Outil enfin (six pigments blancs), celle dont l’intérêt est sans doute le plus évident, fait progresser gratuitement un marqueur Développement de deux cases ou deux marqueurs Développement d’une case.
On remarquera qu’outre ce pouvoir, elles ont l’avantage de donner un autre sens aux pigments blancs. Alors qu’il m’arrivait régulièrement de pratiquer Couleurs de Paris sans que personne ne prenne jamais de pigments blancs (sinon pour devenir Premier joueurs), cette fois ils s’avèrent soudain plus désirables…
Comme les tableaux, on remplace les cartes Bonus acquises lors de la troisième phase.
Le deuxième module a davantage convaincu, ne serait-ce que par le renforcement thématique proposé, puisqu’on y incarne en effet un peintre célèbre. Seul problème, le thème du jeu consistait à devenir aussi célèbre que l’un de nos illustres prédécesseurs, comme Cézanne, Monet, Renoir, Toulouse-Lautrec, de sorte qu’il est ici question d’être et d’imiter la même personne, hum… On pourrait argüer qu’il ne s’agit que d’un module, d’un bonus, qui peut prendre quelques libertés avec le thème, et c’est bien sûr tout à fait entendable, même si ce module semble appartenir pleinement à l’expérience proposée à Couleurs de Paris après une ou deux parties sans les peintres.
Heureusement que les règles de Couleurs de Paris ont au moins abandonné la date de 1931 où le site Super Meeple prétend encore que notre compétition se déroule, alors qu’il est évidemment absurde que pour montrer son talent à ses congénères on fasse du Gauguin ou du Degas en 1931 ! Du moins avec ce module est-il plus cohérent d’être un impressionniste et de peindre une célèbre toile impressionniste, et donc de se dire pour l’immersion qu’on est simplement le peintre qu’on choisit, dans une compétition amicale avec ses collègues dans une fin floue du XIXème siècle, dans n’importe quel autre lieu que le Bateau-Lavoir.
Au début d’une partie, on reçoit désormais deux tuiles Peintre et on en choisit une, qui nous octroiera un effet permanent, comme un « style », une personnalité picturale que ne peut posséder aucun autre artiste. Cette tuile peut joliment s’imbriquer dans le plateau individuel, précisément conçu pour l’accueillir, preuve qu’on est invité à jouer avec.
Paul Cézanne permet d’améliorer un outil une seconde fois aussitôt qu’on l’a amélioré une fois, en dépensant autant de pigments que le niveau de l’outil que l’on vise, par exemple 7 pigments pour passer du niveau 6 au niveau 7, ou d’une première case 7 à la deuxième case 7, puisque certaines cases marquent une stagnation du niveau pour ralentir les progressions trop importantes.
Edgar Degas permet de récupérer trois pigments non-blancs d’un tableau que l’on vient d’achever pour les placer immédiatement sur un autre tableau, donc à condition de posséder à ce moment un autre tableau à compléter requérant quelques couleurs communes.
Avec Paul Gauguin, le joueur décide en début de partie s’il vise plutôt le violet, l’orange ou le vert. À chaque fois qu’il réalise l’action Mélanger deux couleurs pour obtenir la couleur choisie, il peut fournir un pigment blanc à la place d’un des deux pigments de couleur primaire.
Édouard Manet, Claude Monet et Auguste Renoir permettent respectivement de peindre immédiatement 1 ou 2 cases rouges, jaunes ou bleues sur un ou deux tableaux quand ils réalisent l’action Récupérer des pigments rouges, jaunes ou bleus, chacun ayant donc sa couleur de prédilection. On s’en doute, leur importance ne sera pas la même si on attribue les peintres avant ou après avoir placé les premiers tableaux sur les chevalets.
Avec Henri de Toulouse-Lautrec, on peut utiliser deux pigments de n’importe quelle couleur au lieu des pigments imposés pour peindre un tableau.
Avec Vincent van Gogh, la réserve de pigments du peintre est limitée à 16 au lieu de 12.
Comme on le voit, les concepteurs ont tout fait pour que le joueur se sente investi d’une particularité artistique sans pour autant conférer des pouvoirs démesurés, qu’il aurait été malaisé d’équilibrer et qui auraient pu causer des parties plus chaotiques. On pourrait se dire que Toulouse-Lautrec est sensiblement plus important que les autres, mais vous vous apercevrez vite pendant vos parties que l’on récupère de toute manière les pigments qui nous intéressent, de sorte que pour intéressant qu’il soit, l’effet de ce peintre n’est pas plus redoutable que celui des autres.
Couleurs de Paris, une première expérience formidable de Nicolas de Oliveira et Super Meeple
Couleurs de Paris est révélateur de ce qu’il y a de meilleur dans le jeu de société contemporain pour autant qu’on prenne le temps d’en explorer toutes les possibilités. Ainsi une oeuvre peut-elle s’avérer passionnante de maîtrise… et pourtant être la première d’un auteur, et en l’occurrence la première création originale d’un éditeur, si emballé qu’il avait signé Couleurs de Paris contre toute ses habitudes.
À force de protozones, de discussions avec des joueurs, des auteurs, des éditeurs, de négociations, de supervisions (dont le carnet d’auteur de Nicolas de Oliveira garde la trace), ce premier jeu est devenu thématiquement et mécaniquement passionnant, en nous mettant dans la peau d’impressionnistes développant au cours de la partie une plus grande personnalité artistique, une maîtrise différente des outils, un recours distinct aux assistants… Tout cela grâce à une très ingénieuse roue d’actions qui m’évoque Imaginarium ou Smartphone Inc. dans l’ingéniosité consacrée à repenser le système traditionnel de choix d’actions. Ces choix dans Couleurs de Paris sont d’autant moins anodins qu’ils bloquent ou débloquent des situations, influent sur les prochaines actions disponibles et donc sur la stratégie à moyen terme, engagent la stratégie des joueurs et produisent l’une des plus efficaces interactivités indirectes que j’aie constatée dans un jeu de société. Le résultat est dynamique, rafraîchissant, tendu, vraiment admirable, réaffirmant la vitalité de Super Meeple et mettant en lumière un auteur à observer de près.