Welcome to : Pâques et le post-apo s’invitent dans l’excellent roll&write
Welcome to your perfect home est simplement le jeu que j’ai le plus sorti depuis son acquisition en janvier, détrônant Love Letter, et le jeu à peu près conséquent (en excluant donc Love Letter, 13 Ghosts…) dont j’ai le plus enchaîné des parties, y compris avec un public exigeant ordinairement une certaine variété dans nos soirées socioludiques, ou fatigant habituellement après une partie ou deux. Comment pouvais-je donc ne pas me réjouir d’apprendre la sortie d’extensions, avant l’annonce d’un nouveau jeu de base, Welcome to Las Vegas ? Bien sûr c’est le genre de promesse qu’il faut prendre avec des pincettes : si Welcome to… plaît tant, qu’est-ce qui garantit que les twists et nouveautés attendues d’une extension ne dénaturent pas l’expérience ? Mais je faisais confiance à Blue Cocker (Save the Meeples, ARGH), à Benoit Turpin et à Anne Heidsieck pour livrer une habile continuation à leur petit chef-d’oeuvre. Et pour 9 euros 90, j’aurais été bête de ne pas leur donner leur chance !
Comme on s’en doute, je ne reviendrai pas ici sur les principes de Welcome to…, et invite le lecteur ignorant de cet excellent jeu à se reporter à l’article qui lui est consacré avant de poursuivre sa lecture.
Welcome to…, un jeu de base déjà étonnamment varié
On se souvient que Welcome to… proposait une parfaite rejouabilité, parce que le tirage des numéros à écrire et leur combinaison avec un effet étaient aléatoires. En outre, on était invité à varier les objectifs, chacun modifiant profondément la stratégie des joueurs, misant tout sur les lotissements de six maisons dans une partie, et privilégiant soudain dans la suivante les lotissements de trois. L’addition d’objectifs avancés apportait enfin toute la fraîcheur désirée, puisqu’il ne s’agissait plus tant de se focaliser sur les lotissements que d’utiliser le plus souvent possible les bis, de multiplier les piscines et les parcs, de recourir à des intérimaires, bref de jouer on ne peut plus différemment, et de développer une puissante tension sur la possibilité même de résoudre les objectifs plutôt que sur le seul moment où l’on finirait fatalement par les accomplir.
En outre, le jeu de base proposait en guise de règle avancée la construction de deux ronds-points (réinitialisant la numérotation d’une rue et établissant deux barrières), et une règle experte avec une composante de draft au lieu de la simple révélation hasardeuse des trois travaux et actions du tour. Bref, Benoit Turpin avait déjà conçu une oeuvre si variée et si riche, si personnalisable, que l’ajout d’extensions n’allait pas de soi.
« Chasse aux œufs » et « Guerre atomique », les modestes additions qu’il fallait
L’extension se présente comme un simple bloc de feuillets sous cellophane, sans boîte, une idée très judicieuse pour en faire baisser le prix à une dizaine d’euros et permettre de le ranger dans la boîte de base. 50 feuillets sont consacrés à l’extension « Chasse aux œufs » et les 50 autres à « Guerre atomique », tandis que les règles sont rédigées au dos de la couverture, dans un bel exemple d’économie. En outre, entre les deux parties du bloc, un petit paquet de cartes comporte trois nouveaux objectifs pour chacune de ces deux extensions.
Dans « Chasse aux œufs », un tiers des emplacements de maison est couvert d’un ou deux œufs. En plus des règles habituelles, il faut donc essayer de construire sur ces emplacements des maisons dont le numéro comporte une boucle. Un 0 ou un 8 peuvent ainsi contenir deux œufs, tandis que la boucle plus petite d’un 6 ou d’un 9 peut en contenir un. À la fin de la partie, un joueur possédant six à neuf œufs gagne 5 points, dix à treize 10 points, quatorze à dix-sept 20 points et dix-huit à vingt 35 points.
Je n’ai personnellement qu’une réticence face à cette extension, c’est qu’elle rappelle que l’on peut construire des maisons numérotées 0 (avec une carte 1 ou 2 et un intérimaire), ce qui est essentiel pour la première maison de la deuxième rue, alors que j’ai tendance à trouver ce point de règle un peu contre-intuitif (comme le positionnement de bis avant la maison dédoublée) et à jouer sans. Enfin c’est un détail qui ne m’a pas du tout empêché d’apprécier cette addition légère, à laquelle les pinceaux d’Anne Heidsieck confèrent une fraîcheur printanière très agréable.
Oh et j’aurais tendance à déconseiller le recours aux ronds-points avec cette extension. Ordinairement, ils ont l’inconvénient d’occuper l’emplacement d’une maison (en plus d’ôter une poignée de points), ce qui compense l’important avantage qu’ils constituent. Ici, cet inconvénient est assez inconséquent en comparaison de la considérable facilité à récupérer des œufs qu’ils représentent, rendant la partie un peu moins intéressante je trouve.
Dans « Guerre atomique », onze emplacements contiennent un abri antiatomique. Quand on construit une maison sur cet emplacement, on reporte le même numéro sur l’abri correspondant. À la fin de la partie, on additionne la valeur des abris d’une rue, et pour chaque rue où l’on a une plus grande valeur que ses adversaires, on gagne 10 points. En outre, on additionne la valeur des abris de ses trois rues, et le joueur ayant le total le plus faible (celui qui a le moins cru à la nécessité de protéger ses citoyens) reçoit 10 points pour récompenser son optimisme.
Cette fois on déconseillera l’extension pour les parties à deux joueurs, où l’on risque souvent d’arriver à des scores d’abris à la différence négligeable. On peut toujours faire valoir que la lutte n’en est que plus acharnée, mais comme vous le constaterez, si une personne gagne deux fois 10 points pour deux rues avec un plus grand total de places dans ses abris, l’autre gagnera dix points pour la troisième rue et son optimisme, tandis que si le premier joueur se focalise sur cet objectif et parvient à décrocher le bonus des trois rues, il ne gagnera jamais que 20 points de plus que l’autre, probablement au prix de concessions qui n’en valent pas la peine. À partir de trois déjà l’extension prend tout son sens, puisque les bonus ne sont pas juste répartis entre les joueurs mais arrachés par eux, pour une tension à la hauteur du plaisir recherché.
Un nouveau mode solo : la concurrence sera rude
Welcome to… proposait un mode solo satisfaisant, mais dont de nombreux joueurs déploraient qu’il n’ait pas l’envergure des règles pour plusieurs joueurs. Alexis Allard s’est alors attelé à en concevoir un nouveau, plus technique et plus tendu.
On y affronte la compagnie Alexis Allard Architects (AAA), ou plus précisément l’architecte qu’elle envoie pour décrocher la construction du quartier en établissant un projet meilleur que le nôtre.
On commence donc par choisir l’architecte parmi dix. Six d’entre eux (dont quatre femmes, bravo Blue Cocker !) possèdent un numéro traduisant leur difficulté, et les quatre autres représentent les concepteurs de Welcome to… et de son extension, Ben (Benoit Turpin, l’auteur), Alex (Alexis Allard, responsable du mode solo), Ann (Anne Heidsieck, l’illustratrice) et Alan (Alain Balaÿ, l’éditeur). Ces adversaires se distinguent par le nombre d’objectifs qu’ils accomplissent et par le nombre de points qu’ils gagnent pour chaque parc, piscine, intérimaire, barrière bis et investissement révélé.
Dans chaque case de la partie Score de notre fiche de partie, on notera ainsi les points de l’architecte adverse en-dessous des nôtres, idéalement en traçant dès le début de la partie une ligne séparant toutes les cases en deux dans le sens de la longueur, pour le calcul le plus lisible possible.
On divise ensuite la pile de toutes les cartes Travail en deux, et on mélange à l’une de ces piles les trois cartes Validation de Plan de la AAA, avant de la placer au-dessous de l’autre. L’astuce est évidente : quand on piochera l’une de ces Validations de Plan, l’architecte de l’AAA gagnera les points correspondants, à condition qu’il fasse partie des plans validés. Ainsi, le premier architecte de l’AAA ne peut-il valider que le troisième objectif. Cela signifie que si la Validation du troisième plan n’est pas piochée, il ne gagnera aucun point pour les objectifs, même si on avait pioché les deux autres Validations.
La partie se pratique comme l’ancien mode solo : on pioche trois cartes, on en choisit une pour son numéro, une autre pour son pouvoir, et on défausse la troisième. La différence vient du fait que la troisième est désormais placée sur la pile de l’AAA.
À la fin de la partie (parce que la pile de Travaux serait épuisé, parce que l’on aurait coché trois refus de permis, parce que l’on aurait rempli les trois objectifs ou parce que les trois rues seraient pleines), après avoir calculé son score, on regarde ainsi la pile de l’AAA sans la mélanger.
L’architecte de difficulté 3 ne gagne par exemple aucun point pour les parcs piochées, mais en gagne 1 par barrière, 5 par piscine, 3 par bis, 3 par intérimaire et 2 par carte investissement, en plus de valider le deuxième objectif. On aura donc tout intérêt à lui donner autant de parcs que possible et à concentrer sa propre stratégie sur les piscines afin de ne pas les lui laisser.
Enfin on regarde où, dans sa pile, sont positionnées les barrières. Elles séparent ainsi autant de lotissements. S’il y a par exemple six cartes entre deux barrières, on considérera qu’il s’agit d’un lotissement de six maisons. Un lotissement vaut autant de points que de cartes qu’il contient, multiplié par le nombre de cartes Investissement, et sachant que chaque Bis vaut pour deux maisons. Un lotissement de six maisons dont un bis et deux agences immobilières vaudra ainsi (5*1+2*1)(1+1+1), soit 21 points.
Welcome to… your perfect expansion
On aime parfois d’une extension qu’elle transforme le jeu de base en une autre créature entièrement, ou qu’elle en remodèle certaines règles profondément pour l’intensifier et en renouveler l’expérience. Mais Welcome to… était déjà fluide, tendu, impeccablement huilé, de sorte que toute modification risquait de frôler l’altération. L’équipe créatrice l’a bien compris, et elle livre une première triple-extension confondante de bon sens.
« Chasse aux œufs » et « Guerre atomique » ont en effet la finesse de briller par leur modestie, de s’expliquer en quelques secondes, de ne revenir sur aucune des règles de Welcome to…, et pourtant de parvenir à informer la stratégie des architectes, à les inviter à « jouer autrement », ce qui correspond exactement à ce que l’on pouvait en espérer. En outre, Anne Heidsieck se livre à un très joli travail d’ambiance, ajoutant à cette impression de « jouer autrement » à une oeuvre pourtant bien connue. Quant au mode solo, je ne pense pas utile de souligner à quel point il s’avère plus palpitant que le précédent, puisqu’il parvient à peu de frais à donner une importance à chaque carte choisie et défaussée, avec l’immense variété de gameplay et de niveaux de difficulté permise par les dix adversaires virtuels et ce qu’il faut de contrôle et d’inattendu !
Or Benoit Turpin, Anne Heidsieck, Alexis Allars et Alain Balaÿ ne se sont pas arrêtés là. En plus de préparer un Welcome to Las Vegas particulièrement prometteur, ils ont déjà publié une nouvelle double-extension, Camion de glaces et Zombies, qui donne évidemment très envie, et sortiront bientôt Halloween et Noël !