Accueil Lifestyle Culture Geek Gangster Paradise : négociez, bluffez, recrutez, blanchissez, pour devenir le meilleur mafioso

Gangster Paradise : négociez, bluffez, recrutez, blanchissez, pour devenir le meilleur mafioso

Gangster Paradise : négociez, bluffez, recrutez, blanchissez, pour devenir le meilleur mafioso

 

À plusieurs reprises, notamment dans mes tests de Bahamas, Galèrapagos et des œuvres éditées par Repos Production (7 Wonders, Concept, When I Dream) j’évoquais ma découverte du jeu de société moderne avec City of Horror, ma passion pour sa dimension semi-coopérative et pour l’interactivité folle née de la possibilité d’échanger, de donner, de promettre objets et faveurs. L’annonce par Lud’act que leur premier jeu, Gangster Paradise – Dollars et négociations, opterait pour un semblable système de trocs et de bluffs débridés, dans un thème au mieux amoral, était donc logiquement pour me plaire. D’autant que les premiers jeux d’un éditeur sont souvent particulièrement intéressants en ce qu’ils sont porteurs d’importants enjeux en termes d’image et de finances, et cristallieant les désirs d’une équipe assez nombreuse de se lancer dans un monde saturé avec une œuvre originale.

Conçu par Olivier Talbot et Christophe Antonietti, illustré par Mélissa Delteil et Jérémy Morale, Gangster Paradise s’adresse à 3 à 5 familles mafieuses de 14 ans et plus (en fait dix-douze ans pour les mécaniques, quatorze pour la présence d’armes et de drogue) pour des parties d’une petite heure, et est vendu 33 euros 50. Le jeu tient-il alors ses promesses criminelles et ludiques ?

 

Gangster Paradise Lud'Act

Cinq familles, une seule organisation

Les joueurs de Gangster Paradise incarnent autant de familles mafieuses, dont l’objectif est de récolter plus d’argent blanchi que les autres en huit semaines (huit tours) pour prouver leur dignité à diriger leur conglomérat. Et comme on s’en doute, tous les coups sont permis pour atteindre cet objectif…

Chaque joueur commence par prendre son plateau Clan (Giordano, Mutombo, Hernandez, Takahashi ou Ivanov) et ses 13 cartes Personnage (cinq soldats, trois capitanes, trois commerçants, un bras droit, un boss), puis place le commerçant et le soldat le plus faible dans son Clan. Il prend également vingt billets rouges et trois billets blancs (l’argent blanchi), qu’il place derrière son paravent.

Le plateau Détail du tour, qui sert à la fois d’aide de jeu générale et de plateau central, contient la pile de cartes Marché noir (dont on dévoile une carte de moins que de joueurs), dix billets rouges et le jeton compte-tours, tandis qu’on place à proximité les cartes Marchandise, triées par type en cinq pioches (voitures, armes, pierres précieuses, drogue, virus informatique).

On place alors les cartes Exécutant et la réserve de billets à portée des joueurs, et il ne reste qu’à définir leur production secondaire (la production primaire étant définie sur le plateau de clan) en piochant au hasard parmi les cinq cartes correspondantes, dont le clan aura préalablement retiré le bien qu’il produit déjà. Deux familles ne peuvent pas avoir la même combinaison de productions (armes-voitures pour l’une, voiture-armes pour l’autre par exemple), afin de ne pas entrer directement en compétition, mais de toujours rivaliser avec plusieurs autres joueurs.

Une fois qu’on a clairement identifié les cartes (ce qui peut prendre quelques minutes au début, les illustrations d’un manuel de règles déjà assez sobre étant vraiment petites), la mise en place est assez rapide et intuitive. On peut être rebuté par le design des personnages, probablement le point le plus clivant de Gangster Paradise, mais la lisibilité de l’ensemble des éléments, la présentation des plateaux et la qualité générale du matériel donnent très envie de se lancer dans la partie, preuve déjà d’une réussite du jeu.

On ne lui reprochera vraiment que sa règle pour déterminer le premier joueur, celui qui a le casier judiciaire le plus rempli. La blague est présentée tout à fait sérieusement dans la mise en place, ce qui la rend au pire un peu douteuse, au mieux inutile. Si vous ne voulez pas faire débuter le plus jeune, optez pour une solution plus ludique, comme citer l’un après l’autre un film mafieux dans un temps limité, et éliminer au fur et à mesure ceux qui sèchent, ou dissimuler sous des cartes un billet de chaque valeur (1, 5, 10, 2, 50), les faire tirer aléatoirement, et faire commencer celui qui pioche la plus élevée.

Acheter, vendre, recruter, blanchir et « négocier »

Gangster Paradise se joue en huit tours, composés de cinq phases, que chaque clan réalise l’un après l’autre. L’attente n’est ainsi jamais trop longue, et surtout on scrute constamment les actions des joueurs précédents pour adapter sa stratégie, de sorte que les tours sont fluides et dynamiques, fidèles à la philosophie de Lud’act qui revendique l’interactivité et l’accessibilité de ses créations. D’autant que l’on ne peut « négocier » (échanger, acheter et vendre des marchandises, de l’argent) qu’avec le joueur actif, et comme ce dernier change sans cesse, on est toujours à l’affût de la bonne affaire.

Notons que si les négociations sont entièrement libres sur la quantité et la qualité de ce que l’on troque, à condition que les parties soient d’accord (de sorte qu’on abusera souvent de la faiblesse d’un joueur pour lui refourguer à prix d’or ce qui pourra le sortir de sa détresse), on ne peut pas vendre de promesses. Le « code d’honneur de la mafia » empêche ainsi Gangster Paradise d’être un «  jeu d’enfoirés » comme peut l’être City of Horror, et on y perd en ambiance pendant la partie ce que l’on gagne en ambiance après !

La première phase est la livraison : les joueurs récupèrent deux marchandises primaires, plus deux marchandises secondaires si le bras droit a été recruté, plus deux marchandises par soldat recruté (par défaut primaires, mais primaires ou secondaires en présence du bras droit). Au premier tour, cela se résume donc à quatre marchandises primaires.

On accède ensuite au marché noir. Plus précisément, on enchérit pour y accéder. Chacun annonce ainsi une valeur sans préciser s’il a l’intention de la payer en billets rouges ou blancs, et on poursuit jusqu’à ce que tout le monde se couche le tour de table, avec la possibilité de surenchérir voire de bluffer en annonçant une somme qu’on ne possède pas. Cela peut s’avérer coûteux (si on remporte l’enchère, on perd tout son argent sans accéder au marché noir, pour lequel on n’aura pas payé assez), mais à petites doses cela peut pousser les autres joueurs à dépenser davantage. Si le vainqueur de l’enchère peut dépenser la somme promise, il choisit l’une des cartes du marché noir et la prend. Puis on réalise une nouvelle enchère, à laquelle ne participe pas le vainqueur de la précédente, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il n’y ait plus aucune carte au marché noir. Le joueur qui n’aura rien récupéré sera consolé avec 10 billets rouges, puis on reconstitue le marché noir.

Puis les clans ont la possibilité de revendre un lot de marchandises : une carte rapporte cinq billets rouges, deux cartes différentes quinze, trois trente-cinq, quatre soixante, et une carte de chaque marchandise rapporte cent billets rouges.

Il s’agit alors d’améliorer son clan, effectivement bien peu impressionnant en début de partie.  On regrettera que le coût de recrutement n’apparaisse pas sur les cartes, et qu’il faille se référer au livret de règles, un défaut étonnant de la part d’un jeu faisant autant d’efforts pictographiques. Un soldat coûte ainsi deux marchandises identiques, un commerçant trois marchandises identiques. On peut également promouvoir ses unités : contre trois marchandises identiques et à condition de posséder deux soldats, l’un d’entre eux devient un capitaine (logique, il faut bien que le capitaine donne des ordres à un soldat, il ne peut pas être tout en bas de la hiérarchie !) ; contre quatre marchandises identiques et à condition de posséder deux capitaines, un capitaine devient un bras droit ; contre cinq marchandises identiques et à condition de posséder deux commerçants et un bras droit, un commerçant devient le boss.

Un exécutant coûte trois marchandises identiques, moins une par capitaine. À la différence des autres cartes, l’exécutant n’appartient pas au clan et est pioché dans une pile face cachée. Au lieu d’être posé sur son plateau personnel, il pourra l’être sur le plateau d’un adversaire pour le perturber pendant un tour. Le videur l’empêche par exemple d’accéder au marché noir et en défausse une carte, le recruteur augmente le coût de tous ses recrutements, le kidnappeur bloque l’effet d’un bras droit…

Comme on ne peut avoir plus de quatre marchandises en réserve à la fin d’un tour, il importe de les acquérir et les dépenser judicieusement, avec cette contrainte plaisamment tordue de privilégier les combinaisons de cartes identiques pour le recrutement, et les combinaisons de cartes différentes pour la revente. De quoi rendre les choix plus difficiles, et imposer de varier sa stratégie selon les nécessités du moment…

On peut enfin blanchir son argent et payer les membres de son clan. On commence par gagner 10 billets blancs si le clan est au complet, et 5 si le boss est recruté. Puis il peut blanchir ses billets rouges en en dépensant deux pour récupérer un billet blanc, une opération qu’il effectue autant de fois qu’il le souhaite dans la limite de blanchiment fixée par ses commerçants (20 billets rouges) et son boss (60 billets rouges). Chaque membre de clan exige ensuite un salaire (entre 1 et 4 billets blancs), sans lequel il n’y aura pas de livraison au prochain tour – or cet arrivage de marchandises gratuites est crucial. Il ne faut donc pas recruter trop rapidement, mais toujours se demander si on a les moyens de ses ambitions, dans une intéressante tension entre intérêt de la construction de moteur (chaque carte recrutée augmente considérablement ses capacités de jeu) et risques d’un moteur qu’on pourrait ne pas alimenter, et finalement plus coûteux que bénéfique.

À la fin du tour, les clans se débarrassent de marchandises s’ils en ont plus de quatre, le marqueur compte-tours progresse d’une case, le joueur suivant dans le tour des aiguilles d’une montre devient premier joueur, et on recommence les cinq phases.

Après le huitième tour, le joueur possédant le plus de billets blancs remporte la partie. Comme ils sont cachés derrière les paravents, on n’a généralement qu’une vague idée de la progression de chacun, d’autant que la phase d’enchères sème une certaine confusion, et les scores sont souvent plus serrés que dans un autre jeu de construction de moteurs avec des paravents comme Imaginarium, où la multiplicité des facteurs peut créer des écarts très importants. En cas d’égalité, il faut avoir la famille la plus nombreuse, en cas de nouvelle égalité, posséder le plus de billets rouges, en cas de nouvelle égalité (totalement improbable pour le coup), décider du vainqueur au shifumi : dans la guerre des gangs, il n’y a pas d’égalité.

 

Gangster Paradise, paradis des joueurs ?

Pour son premier jeu, Lud’act fait l’intéressant choix d’un jeu de construction de moteur très accessible, et pourtant assez varié pour se renouveler plaisamment d’une partie sur l’autre. Si la production témoigne sur certains points de la jeunesse de l’éditeur (des règles présentées très sobrement, avec quelques répétitions, une inégalité des dessins), sur d’autres il montre sa connaissance des exigences contemporaines en matière de jeu de société, entre pictographie soignée, diversité et clarté des mécaniques, dynamisme et interactivité des tours, matériel de qualité, en particulier les plateaux, conçus avec ingéniosité. De sorte que Gangster Paradise peut être très vite assimilé et tourne très bien, offrant une adaptation convaincante du thème en gameplay, et aboutissant à une œuvre très prometteuse pour la suite de Lud’act, notamment Drekki… justement en financement participatif jusqu’à demain !

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