Feudum – Comment surprendre avec un kubenbois médiéval ?
Au premier abord, Feudum n’était vraiment pas fait pour me plaire, puisque l’oeuvre de Mark Swanson se présentait comme un jeu d’économie au Moyen Âge, avec une forte composante de gestion désincarnée au moyen de près de 200 cubes en bois supposés représenter différents types de ressources. Le titre Feudum était lui-même d’une neutralité à toute épreuve, puisqu’il signifie simplement « Fief » en latin, et confirmait que je n’avais décidément aucune raison de m’y intéresser, moi qui ne suis pas très sensible aux jeux dits « à l’allemande » dont le thème n’est qu’un prétexte pour habiller des jeux de gestion abstraits, souvent froids. J’ai pourtant vite été conduit à réviser mon avis en voyant les illustrations de Justin Schultz, à la fois parce qu’elles représentaient dès la couverture un dragon de mer et un géant tout droit sorti d’Adventure Time, d’autre part parce que le style graphique a de quoi intriguer, dans l’impression qu’il donne d’une certaine maladresse produisant un intéressant décalage. J’ai donc décidé de me laisser tenter, comme les 3028 contributeurs au premier KickStarter, malgré les 75 euros que vaut le jeu. Je me disais – et à juste titre, on le verra – que si Swanson avait créé la maison d’édition Odd Bird Games autour du seul lancement de Feudum, et si le jeu avait connu trois extensions à succès et plusieurs propositions d’accessoires (un insert très pratique, des pièces métalliques, des jetons en bois…), c’était peut-être qu’il y avait une raison. Observons donc de plus près ce Feudum pour 2 à 5 joueurs de douze ans et plus et des parties durant entre 80 et 180 minutes !
Mise en place du Royaume
Dans Feudum, les joueurs incarnent des bannis, cherchant à regagner la fortune et l’honneur (la vénération) perdus sur d’autres terres, celles du roi Daniel, en fait aux mains de sa cupide épouse, la reine Anne.
Ce sont ces terres qui occupent le large plateau, enjolivé par le choix d’une ambiance crépusculaire et par la séparation naturelle de ses six zones (mer, île, forêt, désert, terres sauvages, montagnes), que l’on distingue à leurs couleurs et à leur topographie plutôt que par des frontières extra-diégétiques. On a ainsi d’autant plus l’impression d’observer le Royaume de haut. Même les 22 emplacements pour les disques lieu n’apparaissent que comme de petits cercles recouvrant un décor un peu plus pâle que les environs, ce qui les rend tout à fait visibles sans occulter complètement le paysage, comme certains jeux où ces cases sont simplement blanches.
Chaque joueur choisit sa couleur, et s’empare donc de ses trois pions/dés, de ses quatre disques joueurs/préfets, de ses 11 cartes action, de ses 7 marqueurs d’influence, de ses 7 cubes vert de nourriture, de ses 7 shillings, d’un jeton sac, d’une carte d’aide de jeu assez dense et d’un disque de joueur vierge, placé sur la piste de score.
Six personnages aux extrémités du plateau incarnent les six guildes, celle des fermiers, celle des marchands, celle des alchimistes, celle des chevaliers, celle des nobles, celle des moines. Près de celle des alchimistes on pose les navires, près de celle des chevaliers on place les marqueurs d’influence et les monstres, près de celle des nobles on place les sceaux du Roi/perles de rosaire. On place chez le marchand la salpêtre, le soufre, le fer, le bois et la nourriture, ainsi que chez l’alchimiste auquel on ajoute deux navires au hasard. Le reste des marchandises est mis dans le havresac. Puis on dispose deux marqueurs d’influence de chaque couleur dans la guilde des chevaliers. Sur les parchemins de la guilde des nobles sont posés 4 des 17 sceaux du Roi, et sur les perles du rosaire du moins quatre autres. Un dernier sceau du roi est posé sur un poulet de la guilde des fermiers.
On place ensuite près du plateau de Feudum, en suivant des consignes qu’on ne reproduit pas ici, les shillings et les cibles de tir à l’arc, les cartes ordonnance royale face cachée, les six pistes de tuiles région dans l’ordre décroissant, les disques lieu double face. Les autres lieux sont disposés sur les cases du plateau, aléatoirement, sauf en ce qui concerne les six qui sont marqués d’un cercle, et qu’il faut poser sur les cases elles-mêmes entourées d’un cercle rose. Six lieux portent la lettre N : on leur associe une marchandise au hasard. Le marqueur d’époque marque la première époque, sur le premier rayon du soleil – une manière astucieuse d’utiliser un élément du décor.
Il est temps de déterminer au hasard le premier joueur, qui reçoit le marqueur premier joueur et le dé progrès (bleu). En commençant par lui, tous choisissent trois marchandises différentes du havresac, le soufre pouvant être placé au choix sur un tonneau de vin dans sa réserve personnelle (on voit bientôt en quoi cela importe). Dans le même ordre, les joueurs choisissent un de leurs pions/dés sur la face de leur choix pour le placer sur l’un des six lieux de départ, ce qui leur octroie aussitôt 5 points de vénération (PV) dans la guilde représentée par le symbole sur la face du dé, à moins que cette guilde ne soit déjà occupée, auquel cas il pose son marqueur sur l’hexagone 3 PV de cette guilde.
On ne peut pas dire que la mise en place de Feudum soit agréable, et je comprends ceux qui ont dépensé quelques dollars de plus pour obtenir des éléments de matériel de plus grande qualité. Non pas que la qualité des éléments présents dans la boîte soit mauvaise, simplement le bois ou le métal distinguent efficacement des pions dans le déluge ambiant de carton et de cubes. Heureusement, et malgré l’absence de thermoformage, chaque type de pièce se trouve dans son sachet, et le plateau est tout de même relativement clair, de sorte qu’en s’y mettant à plusieurs, elle peut être relativement rapide malgré tout. Du moins permet-elle de mieux appréhender un plateau couvert d’un certain nombre d’informations, dont on commence ainsi à apprivoiser les symboles.
Feudum : Faire prospérer le Royaume… et sa gloire personnelle
Une manche de Feudum est constituée de cinq étapes.
La première consiste à réaliser des actions. Tous les joueurs choisissent quatre cartes des onze cartes pour constituer secrètement leur main, puis, en commençant par le premier joueur, tous en posent une à tour de rôle en réalisant l’action correspondante au fur et à mesure, jusqu’à ce que toutes les cartes aient été jouées. En mode normal, on applique simplement l’effet supérieur de la carte, en mode avancé, on peut débloquer sous certaines conditions sa capacité spéciale, qui remplace l’effet normal. Pendant le choix, en défaussant de la salpêtre (cube blanc), on peut choisir une cinquième carte, en défaussant du soufre (cube jaune) on peut poser deux cartes action consécutivement. Un seul des deux bonus peut être revendiqué par un joueur pendant un tour.
La première des onze actions est la répétition, qui permet de réaliser une action déjà effectuée à condition qu’elle porte la mention x2.
La migration exige la dépense d’un cube de nourriture pour que le le joueur pose un pion sur la face de son choix (fermier, alchimiste, marchand, chevalier, noble, moine) à côté d’un lieu où se trouve un autre pion ou un marqueur influence du même joueur, ou dans un lieu de départ en l’absence d’autres pions et de marqueurs influence. La migration peut aussi permettre de récupérer à la place et gratuitement un pion de son plateau et de le remettre dans sa réserve, ce qui peut être pratique si on souhaite plus tard poser un pion appartenant à une autre guilde.
Le joueur a droit à autant de déplacements qu’il possède de pions sur le plateau, qu’il choisisse de les répartir ou de les appliquer au même. À la fin d’un déplacement, si le pion se trouve à côté d’un lieu contenant une ressource (marchandise, shilling, cible), il peut la voler, à moins bien sûr que ce lieu soit une ferme possédée par le joueur ou un paysage entretenu par ses serfs. Si le joueur possède un sous-marin, un navire flottant ou volant, il peut le placer sous son pion, où il reste jusqu’à ce que le pion quitte la route pour laquelle il en avait besoin, et l’abandonne donc sur le plateau. Si l’alchimiste n’a plus de navires dans sa guilde, des ferries permettent des déplacements sur l’eau contre deux shillings. Enfin, si c’est la deuxième fois que l’on se déplace dans une manche (grâce à la répétition), on prend un disque joueur et on le place sur la première case de la piste voyage épique, au sommet droit du Royaume, ou on avance le disque s’il s’y trouvait déjà. Certaines cases sont marquées d’un symbole de carte, qui autorise la pioche de deux ordonnances royales, et la conservation de celle de son choix. À la fin de la partie, la progression sur la piste rapportera très généreusement des PV.
Il est ensuite possible d’exercer de l’influence en ajoutant un marqueur d’influence sur chaque lieu contenant l’un de ses pions. Le premier joueur ajoutant un marqueur à un lieu peut le placer directement sur le disque pour en devenir le dirigeant. Les autres joueurs exerceront leur influence en tant que serfs. En exerçant une deuxième fois son influence sur un lieu, on ajoute un sujet si on en était déjà le seigneur, ou on remplace le seigneur pour le faire tomber dans le servage.
Le joueur dirigeant un lieu peut l’améliorer : contre du bois, il peut transformer un avant-poste (le statut le plus basique) en ferme, contre du fer, la ferme en ville, contre un sceau du Roi, la ville en fief. L’amélioration est récompensée par la pioche de la première tuile région de la pile correspondant à la région où l’amélioration a eu lieu et à l’époque en cours, s’il en reste. Le tableau des tuiles région indique un gain en PV : à la première époque, la transformation d’un avant-poste en ferme rapporte deux points, à la quatrième époque, la transformation d’une ville en fief en rapporte sept. Les tuiles région sont des jokers remplaçant n’importe quelle ressource. Diriger un fief fait cependant du joueur un vassal du Roi, et impose à chaque époque des conquêtes sans lesquelles le joueur se voit infliger un malus en PV.
Ces conquêtes sont une autre action possible, quand un pion occupe le même lieu qu’un autre pion ou qu’un fief. Quand on attaque un pion, on compare les points d’attaque et de défense des forces en présence, chaque pion personnage ayant 1 point d’attaque et 2 de défense, et chaque pion monstre 1 point d’attaque et 1 de défense. En cas entre l’attaque totale et la défense totale, la conquête échoue. En cas de réussite, l’attaquant marque 2 PV et peut déplacer le disque sur la piste de service militaire pour satisfaire le Roi. Quand on attaque un fief, en plus des points d’attaque et de défense des pions et monstres, on ajoute 2 points à la défense su fief, 1 point de défense pour chaque sujet défenseur, 1 point d’attaque à chaque serf (appartenant à l’attaquant). Une victoire rapporte alors 4 PV, remplace le fief par un avant-poste et en retire les marqueurs d’influence. Il est par ailleurs possible d’augmenter l’attaque de 1 en dépensant une salpêtre, une action reproductible si c’est le chevalier qui mène l’attaque.
Si on avait choisi la carte Se défendre, on peut la révéler pendant une tentative de conquête par un adversaire pour gagner un point de défense et 1 PV. Évidemment il peut arriver que la carte ne serve pas pendant la manche, mais on marque toujours le point de vénération.
Un joueur dirigeant un avant-poste peut explorer. Il pioche deux ordonnances royales, plus une par avant-poste ou fief qu’il dirige et en garde une. Certaines sont des mandats, qui octroient ressources et points d’attaque contre des ressources ou un certain statut de guilde. Les autres sont des chartes, qui donnent des PV en fin de partie en fixant des objectifs, par exemple vaincre un monstre (7 PV), diriger des lieux du Royaume du Nord (3/5/7/9 PV), avoir deux ou trois cubes de souffre sur un tonneau (5/7 PV).
Un joueur dirigeant une ferme peut récolter pour piocher au hasard cinq cubes marchandise dans le havresac, ensuite placées près d’une ferme, et gagner 1 PV. Chaque ferme et fief supplémentaire rapporte une marchandise supplémentaire, et chaque perle de rosaire ajoute 2 à 5 marchandises, dans une limite de 10 marchandises dans un tour, et à condition qu’il y ait moins de dix marchandises sur la ferme avant l’action. Au lieu de placer la récolte totale sur une ferme, on peut jouir d’un pot-de-vin, c’est-à-dire faire une récolte partielle sur cette ferme (4 marchandises pour une récolte de 5, 6 marchandises pour une récolte de 10) et placer le reste dans sa réserve personnelle. Bénéficier d’un pot-de-vin impose de retourner ses perles de rosaire sur leur face sceau du Roi – il n’est pas très chrétien de glaner pour soi une partie de la récolte !
Un joueur dirigeant une ville peut la taxer, et ainsi gagner 2 shillings, plus 1 shilling par autre ville et fief dirigé.
L’action de guilde
Enfin, l’action centrale de Feudum, la onzième, est l’action de guilde, qui peut consister à échanger, pousser ou tirer. Échanger : n’importe quel joueur peut gagner un cube de nourriture ou un shilling pour chaque lot de deux marchandises envoyées à la guilde des fermiers depuis une ferme, peut acheter pour le prix indiqué des marchandises à la guilde des marchands, peut acheter un navire de la guilde des alchimistes pour trois shillings, peut dépenser trois shillings pour récupérer tous les marqueurs d’influence de sa couleur à la guilde des chevaliers, peut acheter un ou deux sceaux du Roi pour 3/6 shillings, peut payer trois shillings à la guilde des moines pour prendre la perle de rosaire ayant la valeur la plus haute et celle ayant la valeur la plus basse, et tirer l’une des deux au hasard.
Comme on l’a dit, on peut monter en rang dans la guilde : chaque pion de la guilde correspondante rapporte une étoile de statut, chaque fief trois étoiles, chaque lieu, une. Le joueur possédant le plus d’influence dans une guilde en est le Maître : au lieu d’échanger, il peut Pousser des ressources en dehors de sa guilde pour marquer 4, 5 ou 6 PV. Par exemple le maître de la guilde des marchands déplace quatre marchandises de la guilde des marchands vers la guilde adjacente des alchimistes, qui comporte trois emplacements pour chaque type de marchandise. Si les trois emplacements d’un type sont complets, le maître gagne 4 PV, si les trois emplacements de deux types sont complets, il gagne 5 PV, si les trois emplacements de trois types sont complets, il gagne 6 PV. Chaque guilde possède sa petite subtilité pour marquer des points, et chacune est renforcée par la poussée de la guilde adjacente, une mécanique très fine où le gain de PV par un joueur risque de faciliter le gain de PV d’un autre joueur, à moins d’être maître des deux guildes. Et de la suivante. Et encore de la suivante. Bref, la guerre pour être présent dans les guildes est d’autant plus acharnée que les joueurs ne possèdent que trois pions, donc trois membres de guilde sur le plateau à la fois.
Le deuxième joueur possédant le plus d’étoiles de statut dans la guilde en est l’ouvrier, et au lieu d’échanger, il peut tirer, c’est-à-dire qu’il récupère des ressources de la guilde sur sa gauche pour gagner 3 PV et une ordonnance royale (choisie parmi deux piochées). Pour mériter ces gains, l’ouvrier de la guilde des moines déplace ainsi un sceau du Roi du château de la guilde des nobles vers son rosaire,il le retourne sur sa face perle du rosaire, et il faut que la somme de toutes les perles soit de 11 ou plus.
Comme on l’a dit, on peut pratiquer Feudum en mode avancé, clairement le meilleur mode de jeu une fois les règles assimilées (au bout de 2 parties pour les plus prompts d’esprit, 3 pour les autres je dirais). C’est que les actions avancées prennent souvent en compte la guilde à laquelle appartiennent les pions personnage (ce qui en rend le choix encore plus tactique), qu’elles permettent d’Entretenir le paysage (sur la carte Améliorer) en plaçant un verger, une butte pour archers, une mine de soufre ou une mine d’argent près d’un lieu où l’on a des serfs, de piocher des ordonnances supplémentaires (Explorer), contrôler le Béhémoth ou le Serpent de mer (en échangeant à la guilde des chevaliers)… Feudum s’en avère naturellement plus technique, avec l’addition soudaine d’une grande variété de possibilités ludiques, mais pas beaucoup plus complexe. Au contraire, plusieurs mécaniques font mieux sens, et cet enrichissement rend le jeu un peu moins froid et vraiment plus passionnant.
La fin d’une époque
Quand toutes les actions ont été accomplies, on passe à la seconde étape de Feudum, où l’on nourrit les pions. Pour cela, on dépense un cube de nourriture ou on retire un cube de souffre de son tonneau de vin. Le pion ivre est alors nourri pour deux manches, mais pendant la première il n’a plus aucun point d’attaque ou de défense.
La troisième étape est le lancer du dé progrès. qui indique une région. On retire alors une tuile région correspondante de l’époque en cours, ou de l’époque précédente s’il n’y en a plus dans l’époque en cours. Si ce n’est pas possible, on relance le dé jusqu’à ce qu’il indique une région pouvant être retirée.
Au début de la partie, on ne voit que les tuiles de l’époque I, qui recouvrent logiquement les autres. Si après le lancer du dé quatre tuiles de l’époque II sont visibles, on avance le marqueur d’époque. Puis si trois tuiles époque III sont visibles, on passe à l’époque III, puis il faudra deux tuiles de l’époque IV et enfin une seule de l’époque V. À la fin de chaque époque, on gagne 1/3/5 PV en fonction de son statut de guilde, 2 PV par paysage vide, 4 PV par paysage avec au moins une ressource, 1/3/5/7/9/11 en fonction du nombre de régions occupées par un dirigeant ou un serf. Si des joueurs vassaux n’ont pas pu satisfaire le souverain, ils perdent des PV pour leur déloyauté à la fin des deuxième, quatrième et cinquième époques. On réapprovisionne alors les paysages en ajoutant trois ressources à chaque tuile paysage. C’est au serf de décider s’ils les récupèrent en payant une ressource au dirigeant du lieu ou s’ils les laissent sur la tuile. À la fin des deuxième, troisième et quatrième époques on réapprovisionne la carte, et à la fin de l’époque 3, les guildes.
À la fin de la manche, qu’on ait ou non changé d’époque, le joueur suivant dans le sens horaire devient premier joueur. Tous récupèrent leurs cartes action et en commencent une nouvelle.
À moins que la cinquième époque ne se soit achevée, auquel cas chacun additionne les points de son voyage épique, de son empire (les avant-postes, fermes et villes dirigées rapportent 1 PV, les fiefs 3 PV, plus 3 PV trois lieux identiques dirigés, le fief pouvant compter comme un fief ou un joker), de son argent (1 PV pour 3 shillings) et de ses chartes royales. En cas d’égalité (assez rare), le joueur possédant le plus de soufre dans son tonneau (et ayant donc le moins saoulé ses pions) devient le plus vénérable.
Feudum : jeu-monde
Sur l’agrégateur de critiques BoardGameGeek, Feudum a un indice de complexité de 4,55/5, soit bien plus que le déjà écrasant U-Boot (à 4,05) ou le vaste Spirit Island (à 3,93). Entendons-nous bien, le jeu n’est pas plus long à assimiler, plus difficile dans ses mécaniques que la simulation de vie sous-marine, encore que ses règles manquent parfois de la clarté dont on a vraiment besoin en s’attaquant à une oeuvre pareille. Mais il est plus long à maîtriser : là où, dans U-Boot, il fallait tout maîtriser tout de suite, dans Feudum on commence par se concentrer sur certaines actions, et à chaque partie on expérimente d’autres possibilités, on affine sa manière de jouer, et on se passionne davantage pour la vastité du titre.
Ce qui m’y impressionne le plus profondément, c’est le lien entre toutes les actions réalisables. Au lieu d’un jeu de gestion aux dix possibilités strictement distinctes, supposément équilibrées, où l’on ne découvre qu’à la fin de la partie qui a deux points de plus que les autres, ici tout est imbriqué, tout est renforcé par les choix faits antérieurement, chaque action s’inscrit dans un tout, pas pour construire des machines à points (auquel cas on courrait le risque que certaines stratégies soient objectivement plus efficientes que d’autres), mais pour faire-monde, encourager une exploration qui met en valeur la cohérence mécanique de Feudum. C’est probablement pour cela, paraît-il, que les extensions se greffent si naturellement au jeu, dont elles prolongent l’histoire et étendent l’univers, comme leurs boîtes encadrent celle du jeu de base pour dresser un panorama. On peut pourtant jouer dix fois à Feudum et ne pas du tout envisager l’intérêt de l’étendre tant il est déjà riche. Son supplément d’âme me conforte dans la sensation que même en le complexifiant, les extensions pourraient ajouter à la consistance de ce monde diégétique, graphique et ludique, de sorte que j’espère sincèrement pouvoir me les procurer et les présenter ici !