Slide Quest : faites glisser le héros de niveau en niveau
Comme vous l’aurez compris, quand Blue Orange sort un jeu, j’y suis très attentif, tant je suis régulièrement ébloui par la joliesse graphique, le soin matériel, l’efficacité et accessibilité mécanique des jeux de l’éditeur : Planet, Photosynthesis, Kingdomino, Queendomino, Kuala, dans une mesure à peine moindre Blue Lagoon et Scarabya. Quand je découvre donc la production du Slide Quest de Nicolas Bourgoin et Jean-François Rochas, illustré par Stéphane Escapa, avec sa promesse très tactile pour un plaisir primaire et tendu fortement influencé par un feeling jeux vidéo, je ne peux m’empêcher de m’y essayer. Après tout, l’un des jeux que l’on me réclame le plus quand j’invite des amis est le très réussi Loony Quest édité par Libellud, qui par d’autres moyens ambitionne les mêmes effets. Aurait-il trouvé son challenger, ou au moins une alternative tout aussi plaisante ? Regardons de plus près ce Slide Quest pour 1 à 4 joueurs de 7 ans et plus, et vendu 22 euros 50 seulement !
Le Royaume perdu
Le Royaume a été envahi par des méchants chevaliers, et vous incarnez un preux chevalier dont la mission est de les chasser. C’est la partie « quest » du titre Slide Quest, aussi stéréotypée et prétexte que possible. Le contraste avec la partie « slide » est donc d’autant plus flagrant, puisque cette dernière se manifeste par un matériel extrêmement original.
On commence une partie de Slide Quest en vidant la boîte de son matériel. Le fond en représente un gouffre sans fond. On le recouvre d’un plateau couvert de trous et de la première carte de l‘un des quatre mondes, chacun avec sa difficulté. Cette carte a d’abord la particularité d’être troué en quelques emplacements seulement, et donc de recouvrir ailleurs les autres trous du plateau. Pour être plus précis, le plateau « comporte » 24 trous, et le premier niveau du premier monde n’en comporte que deux, de sorte qu’il ne permettra de tomber que dans deux des vingt-quatre trous du plateau.
Outre les larges trous, chaque niveau porte également de très petits trous associés à des symboles, indiquant quels obstacles il s’agira d’y stabiliser. Deux trous rapprochés, séparés par un trait marron foncé, correspondent à une petite barrière. Deux trous plus éloignés, séparés par un trait marron clair, correspondent à une grande barrière. Dans deux trous entourés d’un rectangle gris on fiche les deux piliers d’une arche. Enfin, dans un trou entouré par un losange gris, on met un rocher.
Enfin, on peut trouver dans un niveau le symbole dynamite, sur lequel il faut placer un bâtonnet rouge, des cercles noirs avec un crâne blanc, parfois associés à un numéro, sur lesquels il faut placer un meeple ennemi, et tous les cinq niveaux, à la fin d’un monde, un cercle noir avec un crâne orange où il faut placer le meeple du boss. À la différence des précédents éléments, ceux-ci ne sont pas stabilisés, et peuvent donc glisser sur le terrain si celui-ci venait à être perturbé…
On finit par poser la large figurine du chevalier, dont la base contient une bille pour lui permettre de glisser, sur le panneau portant le numéro du niveau où l’on se trouve (donc 1 au début de la partie), et par placer dans les quatre encoches des quatre arêtes de la boîte les quatre leviers, dont une petite partie se trouve sous le plateau (afin qu’on puisse le soulever) et une grande partie en-dehors de la boîte (afin qu’on puisse l’actionner).
Si l’on souhaite une partie facile, on s’octroie 5 points de vie, moyenne, 4 points, difficile, trois vies. Dans le premier cas, on pourra obtenir jusqu’à huit points de vie, dans le deuxième six, dans le troisième quatre, ce qui est figuré très clairement sur le compteur de vies.
La mise en place est rapide, agréable et importante, puisque l’on manipule les très jolies pièces dont on devra tenir compte lors de sa progression dans le niveau, et donc l’observer avec la plus grande attention.
Comment sauver le monde
Le principe de chaque niveau est le même : à l’aide des quatre leviers, il faut soulever les côtés du plateau afin que le chevalier parvienne au bout du niveau, sur le panneau indiquant le numéro du niveau suivant. Mais la porte vers le niveau suivant ne s’active que si l’objectif du niveau a été accompli.
Il peut s’agir de suivre simplement le chemin de lumière, en réapparaissant à l’endroit où on l’a quitté le cas échéant, sans tomber dans les trous et sans faire tomber les dynamites. On notera qu’assez étrangement, il est parfois nécessaire de quitter le chemin de lumière pour récupérer un cœur « caché » dans le niveau, dans une situation paradoxale puisque les règles ne précisent pas dans quelle mesure il est alors permis de quitter le sentier. Il s’agira parfois de pousser tous les gardes dans des pièges, ces gardes et pièges étant parfois numérotés, de sorte qu’il faudra faire chuter le garde 1 dans le piège 1 etc. Et tous les cinq niveaux, il faudra se débarrasser des gardes puis faire tomber le boss dans le trou correspondant. Au niveau 10, il faudra de surcroît pousser un bâton de dynamite devant une porte pour la faire sauter, et au niveau 20, pousser les bâtons de dynamite dans le trou dans lequel on aura fait tomber le boss, puis s’asseoir sur le trône.
Mais le chevalier perd un point de vie s’il tombe dans un piège ou se renverse (auquel cas il réapparaît au début du niveau), renverse une dynamite ou la fait tomber dans un piège, pousse un garde dans un piège portant un autre numéro, ou le boss dans un autre piège que celui qui lui est attribué, ou pousse le boss dans le bon trou sans avoir d’abord tué tous les gardes. Si le compteur arrive à 0, la partie est perdue, et il n’y a plus qu’à recommencer le monde.
Si au contraire on parvient à la fin d’un niveau en possédant encore des points de vie, on range le niveau pour mettre en place le suivant, et ce jusqu’à la fin du monde.
Ou à la fin des quatre mondes si l’on se lance dans la Grande Quête, en réalisant les vingt niveaux de la Côte, de la Montagne, des Abords du Château et du Château les uns après les autres, ce qui pourrait vous occuper pendant 45 minutes à une heure, selon votre habileté, et selon que vous réussissiez tout de même les niveaux. Comme cette campagne peut s’avérer longue, on peut être tenté de la réaliser en plusieurs fois. La boîte de Slide Quest contient alors très généreusement un compteur de niveaux et de vies qui a valeur de sauvegarde, plus précisément d’aide-mémoire, vous permettant de ranger le jeu et malgré tout de vous rappeler où vous en étiez, ce qui pourra être très apprécié par les enfants notamment.
La grande question est bien entendu celle de la maniabilité de Slide Quest, et il faut dire qu’elle est très satisfaisante sans être parfaite. Ce qui est naturellement volontaire, s’il était trop facile d’arriver exactement où on le souhaite, on déplacerait directement le pion, on ne le ferait pas glisser. Dès que les missions commencent à s’avérer un peu complexes, avec une dizaine de trous et des bâtons de dynamite à pousser, la maniabilité pourra cependant apparaître comme un ennemi coriace, et il faudra un peu s’entraîner sur le premier niveau pour maîtriser parfaitement la physique du chevalier.
Ce qui pose la deuxième grande question de Slide Quest, celle du nombre de joueurs avec lequel le pratiquer. Le mode solo est indubitablement amusant, mais s’adresse sans doute plutôt aux enfants qu’aux adultes, pour lesquels Slide Quest sera un formidable jeu d’ambiance, propre à pester constamment sur sa maladresse et la maladresse supposée des autres. C’est probablement à deux qu’il est ainsi le meilleur, chacun maniant deux leviers, et communiquant donc précautionneusement pour arriver à la meilleure stratégie, quand à quatre, il est plus difficile de se coordonner, et on trouvera un plaisir différent à se battre avec les autres pour surmonter le chaos ambiant. La possibilité de jouer à trois s’adressera plutôt à un adulte avec deux enfants par exemple, puisqu’avec un autre public, l’asymétrie entre le joueur maniant deux leviers et les deux autres joueurs n’en maniant qu’un pourrait nuire à l’expérience générale.
Notons enfin que Slide Quest propose deux variantes, outre le choix de la Petite Quête (et donc celle du monde) ou de la Grande Quête. Une charmante application (pour Androir et iOS) permet ainsi de se fixer un chronomètre pour chaque niveau. Si celui-ci n’est pas achevé dans le temps imparti, le chevalier perd un point de vie, tous les éléments sont remis à leur place, et on recommence. L’autre variante est dite Mode héroïque, puisqu’elle consiste à remettre à leur place tous les éléments, y compris le chevalier, à chaque fois que ce dernier perd une vie. Cela pourra s’avérer particulièrement rageant dans certains niveaux où la mort paraît ordinairement moins grave puisqu’on aura déjà tué certains ennemis. Évidemment, cette logique vidéoludique a son charme, à condition d’avoir déjà acquis une certaine dextérité dans Slide Quest, sans s’en frustrer outre mesure…
Slide Quest, un Loony Quest coopératif ?
Dans Slide Quest, l’ennemi n’est pas les autres joueurs, une intelligence artificielle, même pas les meeples adverses, qui ne sont que des obstacles thématisés, mais la maniabilité du jeu, et donc la dextérité ou l’absence de dextérité des joueurs. Pour que cette maniabilité constitue un challenge sans paraître injuste, sans trop frustrer, il a fallu un beau travail d’équilibrage pour un résultat indubitablement réussi : on peine vraiment à réussir tous les niveaux, dans quelque configuration que ce soit, et on ne s’en veut qu’à soi-même. Ou mieux, même en échouant, on s’amuse beaucoup, parce que Slide Quest attache plus d’importance à l’ambiance, à une certaine décomplexion, qui ne pouvait évidemment pas prendre les mêmes formes dans un jeu plus carré comme le compétitif Loony Quest. Slide Quest a ce charme des jeux installés en cinq minutes, dont le matériel dit presque à lui seul ce qu’il faut faire, et dont les parties peuvent au choix durer cinq minutes à une heure.
Malgré le nombre relativement faible de niveaux, aucune partie ne ressemble à une autre, et rien n’interdit de reformuler les règles de certains niveaux déjà connus, jugés un peu trop faciles ou difficiles. Aussi inventif qu’on pouvait l’attendre de l’éditeur de Planet ou Photosynthesis, Slide Quest a enfin pour lui le charme de son univers, pas tant scénaristique que graphique, dans ses niveaux un peu sages en termes de thématisation (surtout par rapport au plus psychédélique Loony Quest, peut-être une idée pour une extension ?) mais joyeusement bariolés, et reproduisant fidèlement le genre de logiques que l’on attend d’un game design socioludique, avec des sentiers de caisses de bois flottant sur l’eau, des gouffres où pousser les ennemis, des plate-formes cachées où sauter pour récupérer des cœurs… Une transposition originale, chaleureuse, et décidément très amusante !