Dice Forge – personnalisez vos dés dans la mythologie grecque !

 

Le dé est probablement l’élément socioludique le plus clivant. Symbole du hasard, associé (parfois à tort) à des jeux d’ambiance, légers, familiaux, il n’est pas pour rien repensé ou simplement occulté dans les « jeux de société modernes », ceux qui tentent une approche trop fine de leur medium pour que leur élaboration mécanique puisse être phagocytée par un lancer arbitraire. Or le Dice Forge de Régis Bonnessée (Seasons) est bien un jeu de dés, donc si vous êtes vraiment allergique au genre, passez votre chemin. Si vous n’êtes qu’un peu récalcitrant, mais convaincus qu’on doit pouvoir en faire quelque chose, croyez-moi, vous allez trouver votre bonheur, d’autant que le jeu est édité par Libellud, dont toutes les productions bénéficient d’un soin ayant peu d’équivalent dans le milieu du jeu de société (MysteriumDixitLoony QuestSeasonsShadows – Amsterdam). Comme vous le verrez, pour 35 euros 90, on en a largement pour son argent !

Nominé en 2018 pour l’As d’or du meilleur jeu (face à AzulFlamme rouge et Twin it !), Dice Forge propose à 2 à 4 héros de dix ans et plus de s’affronter dans un championnat céleste pour s’attirer les faveurs des Dieux. Un thème prétexte, mais superbement servi par les illustrations de Biboun (Professeur EvilChimèreTimebomb), pour enchanter vos parties d’une quarantaine de minutes.

 

 

Un jeu superbement édité

Après plusieurs tentatives de couverture surchargées, Libellud a opté pour l’épure, une idée intéressante qui rapproche encore le jeu de l’abstraction, et qui est assez fidèle finalement à l’expérience proposée, sans prétentions au cartoon, avec une bienvenue touche de mystère. Surtout, une fois la boîte ouverte, on a affaire à l’espace de rangement le plus complet que j’aie jamais vu. Chaque élément a sa place, et confessons-le, c’est aussi impressionnant que fastidieux, le rangement et la mise en place étant très longs… Ce n’est cependant pas la faute du thermoformage, simplement de la variété des éléments (notamment les marqueurs de ressources, les cartes exploit et les faces de dés), de sorte que ce rangement sophistiqué est une belle manière de fluidifier l’avant et après-partie – même si vous serez sans doute tentés après avoir joué de tout balancer n’importe comment dans la boîte pour passer à autre chose plutôt que de consacrer dix pleines minutes à tout remettre à sa place.

La mise en place permet cependant de faire monter l’excitation : la phase la plus longue est le placement des différentes faces de dé sur le plateau du Temple, riche magasin dont on mesure médusés toute les améliorations qu’il propose pour nos deux petits dés initiaux – qui pour l’un consiste en cinq faces 1 Or et une face 1 Fragment solaire, pour l’autre en quatre faces 1 Or, une face 2 Points de Gloire (PG) et une face 1 Fragment Lunaire. C’est que ces dés, à la manière des dés de certains jeux de société Lego, sont craftables : il s’agit d’une structure cubique aux six faces de laquelle on peut attacher des carrés, donc tous amovibles et remplaçables.

 

Dice Forge

 

Par comparaison avec le deckbuilding, qui consiste à améliorer son deck de départ (généralement identique à celui des autres joueurs) au fur et à mesure de la partie et ainsi de le personnaliser, on peut donc dire que Dice Forge propose du dicebuilding. Ce qui implique naturellement que l’on sera invité à « contrôler » le hasard, du moins à tenter de le contrôler.

Une fois qu’on a disposé le Temple, on place les Îles au centre de la table, avec les pions des quatre joueurs, le jeton compte-tours, et surtout les cartes exploit sur leurs emplacements respectifs, selon leur coût (entre 1 et 6 fragments) et le type de fragments demandés (d’un côté les cartes coûtant des fragments solaires, de l’autre des fragments lunaires), plus une carte valant 5 fragments de chaque type au bout du plateau. Le nombre de cartes dans chaque pile, de faces de dé dans les bassins du sanctuaire (une partie du temple) et de manches dépend du nombre de joueurs.

Enfin, chaque joueur reçoit un plateau Inventaire de héros, permettant de calculer quatre ressources : l’or, les fragments solaires, les fragments lunaires, les points de gloire, et possédant deux emplacements où poser ses dés une fois quand on ne les lance pas. Des marqueurs indiquent qu’on ne possède rien au début, sinon 3 Or pour le premier joueur (le plus jeune), 2 pour le deuxième, 1 pour la troisième, 0 pour le quatrième.

 

Dice Forge

La gloire des héros

Au début de chaque manche, les joueurs lancent leurs deux dés, les placent sur leur Inventaire de héros et en appliquent l’effet dans l’ordre de leur choix (« reçoivent les faveurs des dieux »), en déplaçant donc les marqueurs pour noter le gain de ressources ou de gloire. À deux joueurs, chacun lance ses deux dés deux fois.

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Le joueur actif peut ensuite activer dans l’ordre de son choix l’effet de ses cartes renfort, les cartes exploit portant un symbole de rouage.

Le même joueur a ensuite le choix entre deux actions.

Soit « faire une offrande aux dieux », c’est-à-dire dépenser de l’or pour récupérer des faces de dé dans le temps et immédiatement les souder sur son dé en ôtant la face de son choix.

Soit « accomplir un exploit », c’est-à-dire dépenser des fragments pour acquérir une carte exploit. Il déplace alors son pion sur l’emplacement se trouvant près de la carte achetée (emplacement se situant entre deux cartes différentes). Si un autre joueur occupait déjà cet emplacement, il est « chassé » et a donc droit aux faveurs des dieux, sans aucune pénalité. Il peut donc être très intéressant de bloquer un joueur en occupant une case qui l’intéresserait, puisqu’on a tout à gagner à être chassé, et rien à chasser.

L’effet de certains exploits (avec un éclair) s’applique tout de suite (récupérer une face de dé, des ressources, obtenir un coffre qui augmente la taille de l’inventaire, lancer un dé quatre fois…), pour d’autres (avec un rouage) il faut attendre la deuxième phase (lancer un dé, recevoir une ressource, payer de l’or pour recevoir des PG), pour d’autres encore (avec un sablier) sont permanents et s’activent sous certaines conditions (gain de PG à chaque fois que l’on chasse ou est chassé) et les derniers (sans symbole) ne rapportent que des PG, beaucoup plus que les autres exploits.

 

Dice Forge
(dans le jeu, les cartes ne portent que des symboles, pas de texte)

 

Le joueur actif peut enfin dépenser deux fragments solaires pour réaliser une autre action, avant de passer la main au joueur suivant.

Quand tous les héros ont joué un tour, le curseur compte-tours est avancé d’une case, et au bout de neuf manches (deux et quatre joueurs) ou dix (trois joueurs), la partie s’achève et celui qui possède le plus de PG remporte la partie. Et comme vous vous en apercevez sans doute, c’est extrêmement rapide ! Quand on met le jeu en place la première fois, on peut craindre un long développement individuel, et au contraire, on est presque frustré à la fin de ne pas avoir pu acheter plus de faces ou plus de cartes – surtout plus de faces, l’amélioration des dés est assez addictive et on est immanquablement pris de rêves de puissance trop vite interrompus. C’est évidemment une force, déjà que, jeu de dés oblige, Dice Forge repose en partie sur la chance, alors si en plus l’écart se creusait pendant des parties trop longues…

On est ainsi frappé par le dynamisme d’un jeu dont les parties sont à peine plus longues que la mise en place (un très bon point pour les unes, un mauvais point pour l’autre), malgré la diversité de ses propositions, 15 types de cartes et une vingtaine de faces de dé différentes pour des expériences qui ne se ressemblent pas d’un joueur à l’autre et d’une partie sur l’autre !

Il faut ajouter à cette diversité la possibilité de remplacer neuf cartes exploit par des cartes plus « expertes », un peu plus techniques et surtout beaucoup plus puissantes, pour un combat de titans exigeant en effet une certaine maîtrise si l’on ne veut pas être écrasé très vite ! Après quelques parties, on prendra ainsi plaisir à moduler les îles avec quelques cartes standard et quelques cartes expertes de son choix, pour des parties personnalisées taillées pour son bon plaisir.

 

Dice Forge

Dice Forge, puissante proposition ludique

Crafter ses dés. L’idée est toute bête, mais peu d’éditeurs pouvaient mettre au point un dispositif fonctionnel, solide, n’abîmant pas les dés, joli, plaisamment thématisé, comme l’inventif Libellud. Il peut toujours arriver de faire de « mauvais » lancers, mais Régis Bonnessée a assez bien conçu son expérience pour que chaque lancer rapporte quelque chose d’exploitable, même si l’on sera toujours très amer d’acheter de superbes faces et de ne pas tomber une seule fois dessus… On a un plaisir infini à améliorer ses dés, la sensation de réaliser quelque chose d’inédit et de concrétiser sa puissance comme peu de jeux de deckbuilding parviennent à le faire, et au lieu de n’être qu’un gadget plaisant, cette personnalisation est au service d’un jeu beau, varié, tactique, nerveux, redoutable. Un joueur aguerri pourrait presque trouver cela trop limpide, trop simple… or Bonnessée et Libellud ont pensé à tout en sortant l’ambitieuse extension Rébellion dont il sera bientôt question sur Vonguru !

 

Dice Forge Rébellion