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Affinity – enfin un digne héritier du jeu de société culte Dixit ?

Affinity Game Flow

Affinity – enfin un digne héritier du jeu de société culte Dixit ?

 

Pour répondre à la question du titre, il faudrait déjà se demander ce que serait un digne héritier de Dixit, quelles qualités lui vaudraient d’être aussi cultes, qualités que l’on pourrait partager sans donner non plus l’impression de le plagier platement ? Dixit était d’abord universel, s’adressant à tous les publics sans distinction d’âge ou de compétence ludique, grâce à sa simplicité et à sa poésie, qui tenait de son recours à l’imagination autant que de son exigence d’une certaine habilité verbaleDixit se distinguait naturellement par sa direction artistique sublime, dont l’extension Anniversary rappelle toute l’ampleur. Dixit jouait savoureusement sur la connaissance que l’on pouvait avoir des autres joueurs, ou sur l’impression qu’on apprenait à les connaître à travers leurs indices ou leurs interprétations. Enfin Dixit était simplement un bon jeu, avec des mécaniques parfaitement huilées et un système de points clair et impeccable. Le jeu culte a ainsi connu plusieurs tentatives d’imitation, toutes assez réussies dans leur genre mais in fine assez éloignées : When I DreamShadows – Amsterdam, Farben, Concept… Or Affinity pourrait au moins faire partie de cette liste de descendants, et on ne s’étonne pas que pas moins de quatre auteurs se soient attelés à la tâche, Davy Bernard, Jean-Philippe Sahut, et les deux fondateurs de l’éditeur Game Flow, Roméo Hennion (Ma Première Aventure) et Clément Leclerq (tous deux auteurs de Chimère).

Servi par l’illustratrice Emma FerraroAffinity propose de décrypter la tonalité de certaines phrases, et plus précisément l’émotion qu’elles susciteront chez les autres joueurs. Il s’adresse à trois à huit joueurs (idéalement plus de quatre, et pas plus de six-sept) de huit ans et plus pour des parties d’une vingtaine de minutes, et peut être obtenu pour moins de 20 euros ! Possède-t-il alors les attraits invincibles d’un Dixit et une personnalité, un intérêt propre ?

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Un beau jeu de mots

Avant tout, Affinity n’est pas un jeu fondé sur les illustrations, mais sur les mots, puisqu’il va s’agir d’associer des émotions à des phrases. Pourtant, c’était aussi le cas de When I Dream, et comme When I DreamAffinity tire une grande partie de son intérêt de sa qualité visuelle. Dès l’ouverture de la boîte, on se rend ainsi compte qu’elle ne s’ouvre pas à proprement parler, mais se déplie, l’intérieur en devenant à la fois le plateau et la pioche. Trois piles de cartes apparaissent ainsi devant nous, chacune dans son box, tandis que les trois autres box qui contiennent le reste du matériel peuvent être recouverts par une jolie tuile illustrative. On commence à en avoir l’habitude chez Game Flow, l’emballage fait partie du matériel ludique, ce qui est à la fois économique et ergonomique – et fort joli.

Les dessins d’Emma Ferraro se limitent ainsi à la boîte (la couverture, et l’intérieur-plateau, qui représente la Discorde et l’Harmonie), aux quatre émotions, et plus accessoirement au dos des cartes et à quelques jetons, ce qui est inévitablement regrettable, puisque sa patte est poétique et douce, qu’on aimerait en voir davantage. Enfin ce n’est pas un reproche que l’on peut décemment adresser au jeu, d’autant que ses vingt petites minutes n’ont pas besoin du cache-misère ou du luxe que serait une galerie d’images inutiles – et Game Flow n’a évidemment pas les moyens et l’assurance (et peut-être pas l’intérêt) d’un Repos Production qui peut se permettre de faire appel à la fine fleur de l’illustration comme argument de vente.

Était-il par contre nécessaire de féminiser l’ « émotion » du Beau ? C’est naturellement tout un débat, et je suppose que cela ne touchera pas la plupart des joueurs,  mais je trouve dommage (tout en sachant que l’illustrateur est à ma connaissance une illustratrice) que la beauté soit associée au rose et à la timidité pour un personnage que l’on déchiffre spontanément (je crois) comme féminin, dans une accumulation de poncifs genrés… qui fonctionne (on n’hésite pas une seconde sur le fait qu’« elle » représente le Beau). Encore une fois, je ne dis pas cela comme un reproche, d’autant qu’on peut aussi trouver positif de faire incarner une qualité aussi importante à des traits perçus comme féminins, simplement pour amener à réfléchir sur les représentations que l’on juge innocentes, sans se rendre compte à quel point elles sont culturellement ancrées en nous (Emma Ferraro ne s’est peut-être même pas posé la question).

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L’harmonie contre la discorde

Petite originalité, Affinity est un jeu coopératif, où il s’agira de prouver l’harmonie qui règne autour de la table en tentant de faire avancer le jeton harmonie plutôt que le jeton discorde sur le plateau. Pour plus de difficulté, on peut avancer le jeton de plusieurs cases sur la piste de discorde si (et je cite les règles) « tous les joueurs se connaissent depuis plus de 5 ans », « au moins deux joueurs se connaissent depuis plus de 20 ans », « au moins deux joueurs sont en couple », « tous les joueurs sont de la même famille ou de la même génération », « tous les joueurs ont déjà fait au moins une partie ensemble », « tous les joueurs veulent augmenter la difficulté encore un peu ». Plutôt qu’une variante cette liste traduit surtout la volonté du jeu de s’appuyer sur la connaissance que chacun a des autres, ce qui est toujours intéressant quand cet aspect est transformé en mécanique (au contraire des jeux où le dévoilement, la communication, sont le cœur de l’expérience, mais qui ne proposent aucune ludicité satisfaisante).

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Pour cela, chaque joueur pioche secrètement trois cartes de chaque couleur et une carte émotion, représentant le Beau, le Fun, le Glauque ou le Triste. Avec un public plus jeune, on peut jouer sans le Glauque : la tuile émotions est recto-verso, comportant justement quatre émotions d’un côté et trois de l’autre.

Il s’agira alors simultanément de former devant soi une phrase à l’aide d’une carte de début (verte), de milieu (jaune) et de fin (rose) pour faire deviner l’émotion piochée, et de donner cette phrase à son voisin de droite. Chacun des trois paquets comporte soixante cartes, ce qui donne lieu à un nombre assez considérable de possibilités, et surtout à des phrases souvent fantaisistes, poétiques, absconses ou très amusantes du fait de leur nature de cadavre exquis, rappelant naturellement les concours et plus généralement les créatures de Chimère. Deux exemples complètement au hasard : « Un fantôme regarde le temps qui passe au mauvais endroit », « Ma femme prend le pouvoir en impesanteur ».

Une fois toutes les phrases formées, un joueur s’empare du totem de la décision (pour le coup un peu sobre matériellement) et lit la phrase qui lui a été donnée, puis en discute avec les autres joueurs  pour tenter d’en déduire l’émotion,à l’exception de celui qui a formé la phrase, qui doit naturellement rester tout à fait silencieux. Le processus peut sembler arbitraire, mais comme le jeu est coopératif, l’auteur de la phrase a tout intérêt à exprimer son émotion le plus simplement possible, ou à penser comme les autres joueurs pourraient penser qu’il penserait – et si c’est trop compliqué, simplement à formuler une phrase qui lui parle, en espérant que les autres le connaîtront assez bien pour savoir comment il la ressent.

 

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Après délibération, c’est le joueur avec le totem qui décide sur quelle émotion le poser, et on peut enfin comparer les résultats. Notons que les règles proposent de placer la tuile d’émotions devant le plateau quand j’aime mieux en recouvrir la réserve, libre à vous de choisir bien sûr, mais je trouve plus élégant de ne pas laisser ces béances inutiles, et d’optimiser la place occupée par le jeu.

Si l’émotion exprimée et l’émotion interprétée correspondent, on avance le jeton harmonie d’une case, dans le cas contraire, c’est le jeton discorde que l’on avance d’une case. Un autre joueur prend alors le totem et répète le processus. Et quand toutes les phrases ont été défaussées, on repioche une carte de chaque couleur et une nouvelle carte émotion. Il se peut que les morceaux de phrase ne correspondent pas du tout à l’émotion qu’il faut exprimer : on peut alors utiliser l’un des trois jetons Joker communs à toute l’équipe pour défausser autant de morceaux de phrase de sa main qu’on le souhaite et en piocher autant. Et évidemment on peut laisser les enfants piocher tant qu’ils veulent s’ils ne comprennent pas ou ne sont pas à l’aise avec les mots qu’ils ont.

Si le jeton harmonie se trouve alors sur la piste discorde, et/ou le jeton discorde sur la piste harmonie, la partie s’achève, par une victoire dans le premier cas, une défaite dans le second, et une semi-défaite quand chaque jeton se trouve dans la zone opposée. Il faut donc 11 bonnes interprétations (ou 11 erreurs) pour mettre fin à une partie d’Affinity, ce qui arrive en effet assez vite.

 

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Un jeu d’ambiance original et universel

Au titre et au thème on aurait pu s’attendre à l’un de ces jeux de communication faits avant tout pour parler de soi, se dévoiler aux autres, et où le scoring passerait au second plan voire disparaîtrait complètement. Au contraire, Affinity est un pur jeu d’ambiance, naturellement un peu arbitraire, mais extrêmement amusant dans sa phase d’élaboration de phrase (où l’on se demande ce qu’on va bien pouvoir faire qui ait un minimum de sens) et d’interprétation collective (où les lectures sont souvent contradictoires). Dans les deux cas, on fait très activement fonctionner ses méninges, quel que soit son âge ou son expérience ludique, et il paraît difficile de ne pas profiter du plaisir sain et simple de la coopération proposée dans ce vrai jeu de vivre-ensemble. Et décidément, Game Flow s’impose comme créateur de jeux d’ambiance originaux et satisfaisants, un genre où à première vue on pourrait croire qu’il ne s’illustre pas, de sorte qu’à chacune de ses sorties on devient plus curieux de la prochaine !

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