Mountains – l’alpinisme, grande aventure coopérative… ou pas trop !
Ce qu’il y a de bien, quand un éditeur pour enfants se met au jeu « familial », essayant de faire jouer les 8-10 ans comme les adultes, c’est d’abord qu’il apporte un véritable soin à la qualité visuelle et à la recherche matérielle de ses productions. On a vu avec Blue Orange (Planet, Kindomino, Queendomino, Blue Lagoon…) quelles merveilles cela rendait possible, et j’étais curieux depuis un certain temps déjà du cas de Haba, dont les jeux semblent superbes, malins… et étonnamment peu chers. Pour un premier test, je vous propose de nous pencher sur une nouveauté, Mountains, conçu par Carlo A. Rossi et illustré par Michael Menzel (Magnastorm, Forum Trajanum, Andor, Noria, Catan), grand peintres des grands espaces, et donc particulièrement bien choisi pour relever ce jeu d’alpinisme.
Mountains est un jeu pour 2 à 5 alpinistes (idéalement trois à quatre) de plus de huit ans, et disponible… pour 21 euros 90 !
Pourtant que la montagne est belle
Pour un prix aussi bas, on abaisse naturellement ses espérances… et on est agréablement surpris, Haba réussissant merveilleusement à faire du beau avec du cheap. On dispose ainsi d’un plateau central, où figurent des emplacements pour des cartes, et qui outre la boîte et le livret de règles, constitue finalement la seule illustration un peu jolie de Mountains. Mais les deux tiers de ce plateau sont occupés par un simple paysage que l’on ne recouvrira jamais, paysage idyllique où apparaît le sentier à emprunter pour arriver à la montagne.
De même, les cartes figurant les « itinéraires » et « équipements » (casque, boussole, piolet, cordes, trousse de pharmacie) sont assez fonctionnelles et petites, mais les équipements seront piochés par les joueurs, et les itinéraires posées sur le plateau, donc intégrées au paysage, et l’idée toute bête d’en remplacer le blanc des contours par du blanc cassé leur confère une joliesse plutôt que de mettre en valeur leur pauvreté. D’ailleurs, toutes les cartes itinéraire portent sur leur dos un certain nombre de sacs, qui désigne l’emplacement du plateau où il faut les placer en début de partie : une carte avec un sac sur l’emplacement représentant un sac, et ainsi de suite jusqu’aux cartes portant cinq sacs. C’est limpide, et la mise en place n’en est que plus naturelle.
On pourrait aussi citer les ressources, de simples cubes de plastique transparents bleus ou jaunes dont chaque joueur reçoit huit unités, mais présentés dans une charmante petite bourse rouge, ou le fond de la boîte, qui n’est naturellement pas thermoformée mais où une base de carton coloré en gris (et pas naturellement marron) retient un peu les pièces. La boîte contient enfin des « livrets des sommets », sortes de passeports cartonnés où ils placent une grille, la « feuille des saisons », judicieuse manière de les cacher tout en les rendant aisément consultables et manipulables, et surtout un petit tampon représentant un sommet montagneux, une addition bien sûr d’autant plus agréable qu’elle était inutile : il s’agira dans Mountains de marquer les étapes de son voyage sur sa « feuille des saisons », mais cela aurait pu être fait en réalisant une croix avec un Bic !
Mountains se montre ainsi généreux tout en étant économique, familial et simple tout en donnant l’impression d’une certaine profusion, c’est fort… Mais il faudrait encore jeter un œil à ses mécaniques !
Manuel d’alpinisme : partez équipés et coopératifs !
Une fois les cartes itinéraire posées, les cartes équipement distribuées (à raison de 8 par joueur à deux, 6 à trois, 4 à quatre, 3 à cinq), les livrets des sommets assemblés et les ressources amassées, il est temps de jouer, en commençant par celui qui a gravi le plus haut sommet montagneux (ou le dernier à avoir gravi un sommet, pour ne pas laisser les honneurs au même grand aventurier de la bande à chaque partie).
Un tour, une tentative de boucler un itinéraire, consiste en deux phases. Dans la première, on pioche un itinéraire de la pioche de son choix, donc du niveau de difficulté de son choix (chacune des six piles correspond à un niveau de difficulté croissant), les plus difficiles étant naturellement celles qui offrent la meilleure récompense.
Pendant la deuxième phase, il s’agira de réunir les équipements représentés sur cette carte itinéraire. S’il en manque, il suffit d’en demander à ses camarades… au risque d’être déçu ! Pour cela, on donne une pierre à un joueur. S’il possède effectivement l’équipement, il est obligé de nous le prêter, sinon on repart bredouille, et il garde la pierre dans tous les cas. Il peut ainsi être intéressant de bluffer, de faire croire que l’on possède un équipement requis, et de partir avec la ressource, mais à trop bluffer on perd la confiance de tous… Il s’agira dans tous les cas de retenir les réponses de chacun, afin de se souvenir aux tours suivants de ceux qui possèdent ou non les équipements dont on pourrait avoir besoin. D’autant qu’à la fin du tour, chacun récupère ses équipements (logique, ils ne vont pas se briser à chaque usage), cette dimension de jeu mémoriel est donc cruciale !
Si l’on n’est pas parvenu à réunir tous les équipements requis, on n’obtient aucune récompense. Si l’itinéraire est réussi, on récupère les récompenses en tampons et pierres indiquées sur la carte et le plateau, entre trois pierres pour les itinéraires les plus faciles, et quatre tampons pour les plus difficiles !
Au lieu de représenter un itinéraire, une carte peut permettre de se reposer dans un refuge de montagne. Ceux-ci peuvent être de deux types : certains permettent à tous les joueurs de dépenser deux pierres pour piocher un nouvel équipement, d’autres permettent à tous les joueurs de dépenser le nombre de pierres indiqué pour obtenir des tampons. Heureusement, la découverte d’un refuge permet de repiocher immédiatement un itinéraire !
Deux autres options s’offrent aux joueurs : en tirant un itinéraire qui paraît trop exigeant, on peut le défausser immédiatement (sans commencer la moindre négociation) et récupérer une pierre ; et si au début d’un tour on n’a aucune pierre, on peut passer son tour, renoncer à piocher un itinéraire, mais gagner trois pierres.
Les tours s’enchaînent ainsi jusqu’à ce que deux pioches de cartes itinéraire des niveaux de difficulté 3 à 5* sont épuisés. Notons que les règles donnent le choix d’exposer sa feuille des saisons pour des parties plus dynamiques ou de garder les tampons secrets pour plus de suspense, cette deuxième configuration offrant naturellement plus de relief de jeu, puisqu’il s’agira alors de ne mettre fin à la partie que si l’on est sûr de la remporter, d’avoir plus de tampons que les autres, en se fiant à sa seule mémoire et intuition. En cas d’égalité, le nombre de pierres départage les vainqueurs.
La montagne est belle, mais le chemin plein d’embûches !
Mountains peut à première vue rappeler Les Montagnes hallucinées, déjà par le thème (l’ascension d’un pic), par la nécessité de recourir aux équipements les uns des autres… Mais la comparaison est trompeuse, ce qui fait le génie de l’un et l’autre, c’est précisément que le jeu de iello est coopératif et celui de Haba compétitif, ou plutôt sournoisement compétitif. Il n’y aura qu’un vainqueur, le meilleur, mais ce meilleur devra obligatoirement s’aider des cartes des autres, surtout à quatre ou cinq alpinistes, où il en possède lui-même extrêmement peu en main. Et pour cela, leur inspirer confiance (et ainsi récupérer plus de pierres) et gagner leur confiance (et ainsi les pousser à être francs sur les équipements dont ils disposent). Mountains n’est ainsi pas tant un jeu de bluff qu’un jeu de confiance, et pas tant un jeu à dimension coopérative qu’un jeu de mémoire, avec ce que cela peut impliquer d’oublis et de confusions.
Le jeu est ainsi très simple dans ses mécaniques, pourtant d’autant plus tactique que les cartes en main restent les mêmes jusqu’à la fin de la partie (on se contentera d’en ajouter éventuellement lors de certains refuges), assez exigeant dans les faits pour réunir les cartes requises, et favorisant pleinement l’ambiance autour de la table, plus proche en cela de Flamme rouge que du jeu lovecraftien. Un jeu malin dans sa conception mécanique et matérielle, et une première incursion très prometteuse dans les terres de Haba !