Attrape Renard, le nouveau jeu pour enfants de Matagot
Si vous lisez de temps à autre les présentations de jeux sur Vonguru, vous avez dû comprendre que depuis quelques années le jeu de société n’est plus un loisir réservé aux enfants. Il ne l’a d’ailleurs jamais été, mais comme pour la bande dessinée, on ne peut pas nier que les idées reçues aient eu un terreau à partir duquel fleurir. Il y a vingt ans, les « adultes » avaient le Trivial Pursuit, le Scrabble, les échecs et la belote, et les enfants tout le reste. Il fallait être insensible au ridicule, versé dans les arcanes des productions en langue étrangère et fréquenter des groupes plus sectaires que la franc-maçonnerie pour connaître et pratiquer entre adultes quelques jeux de société, et encore, en se cantonnant souvent à Donjons et Dragons. L’émergence de l’eurogame, le développement du jeu à ambition narrative, et surtout la médiatisation de jeux « 12 +», « 14 + » voire carrément experts a pris du temps, et à voir les rayons des supermarchés, on peut se dire que le processus n’est pas achevé.
Mais au fond, qu’appelait-on alors les jeux pour enfants ? À huit ans, on lisait les règles du Monopoly et on en réinventait la moitié, plus jeune on nous aurait à peine enseigné les dames : les ambitions du jeu de société ne se sont pas portées que sur le public mature, mais aussi sur le plus jeune, et certaines maisons d’édition comme Blue Orange se sont même fait une spécialité des productions de qualité pour les petits. Aujourd’hui, la plupart des grands auteurs ont un jour versé dans l’expert comme dans le « 5 + », et de plus en plus d’éditeurs familiaux (ceux qui ne font pas que du KickStarter pour nerds) lancent des jeux voire des gammes « kids ». C’est par exemple le cas de Matagot, plus connu pour ses « gros jeux », les Scythe, Charterstone, Kemet, Western Legends, qui en plus de propositions plus familiales (Sonar Family, Port Royal, Meeple Circus) a créé en 2015 Matagot Kids, dont Attrape Renard (localisation d’un jeu initialement édité par Pegasus) est le plus récent représentant.
Attrape Renard se présente dans une boîte jaune, c’est donc un jeu pour les cinq ans et plus. Il est conçu par pas moins que Inka et Markus Brand, le couple aux quarante jeux, lauréat d’autant de prix, aussi bien pour ses jeux « experts » (les Exit) que pour ses jeux pour enfants (Der verzauberte Turm), de quoi inspirer confiance. Il s’adresse à deux à quatre personnes pour des parties d’une vingtaine de minutes, et peut être acquis pour environ 22 euros.
Plaisir de raconter, plaisir de toucher
Première force d’Attrape Renard, les illustrations d’Anne Pätzke donnent l’impression en ouvrant le livret de règles de tenir un petit livre pour enfants, et tout est fait pour renforcer cette impression une fois le livret ouvert. Même la présentation des auteurs est écrite de façon à pouvoir être lue aux enfants les plus jeunes et comprise par eux, et elle met joliment l’accent sur le pouvoir de l’imagination et le fait que ce sont des adultes eux-mêmes joueurs qui ont conçu Attrape Renard, judicieux rappel initial que les adultes peuvent collaborer à embellir l’univers des enfants, et que le jeu est une activité digne de l’attention de tous les âges.
Suit le scénario du jeu, rédigé comme un incipit de petite histoire. On y apprend qu’un renard a volé des poules, et s’est réfugié auprès de ses amis renards dans une tanière pour fuir le coq Roméo. Il faudra donc d’une part ouvrir les portes avec la clef pour faire sortir les renards, d’autre part interroger les quatre animaux qui ont vu le renard fuir pour collecter des indices. Manipulation d’objets, reconnaissance d’images et enquête, voilà des ingrédients propres à stimuler le plaisir de l’enfant.
D’autant que le matériel est très soigné. Dès la couverture, Attrape Renard met en avant ses pièces en bois, la petite clef métallique devrait faire son effet, comme la conciliation entre le thermoformage et une planche cartonnée pour représenter la tanière. On utilise en effet la boîte pour jouer, en la plaçant au milieu de la table et en la recouvrant avec le plateau Tanière des renards. Celui-ci est percé d’ouvertures, et on glisse au hasard un renard par ouverture. Puis on mélange les seize portes et on en recouvre les ouvertures.
À côté du plateau, on place le chemin court ou le chemin long, le premier étant plus difficile que le second, comme on le verra. Les règles suggèrent judicieusement que les adultes jouent avec le chemin le plus court, afin de donner l’impression aux enfants de subir un handicap qui les met à égalité avec eux. Au bout du chemin, c’est le matin, et le coq Roméo s’apprête à avancer vers la résolution de l’énigme. Enfin, les huit cartes Indice sont mélangées et placées face cachée à côté de la boîte. C’est du moins ce que disent les règles, il paraît en fait bien plus logique de prendre sans les regarder une carte indice bleue, une verte, une jaune et une rose pour la pile d’indices, et de ne plus considérer les autres.
Enquête dans la tanière aux seize renards
La dernière personne à avoir visité un poulailler commence : il passe son doigt dans l’anneau argenté de la chaîne au bout de laquelle pend la clef. Il s’écrie « Attrapez le voleur » et essaye de conduire la clef dans la serrure d’une porte, puis de l’ouvrir en tirant. Pendant qu’il s’essaye à cet exercice délicat, le joueur à sa gauche lance le dé. À chaque face Coq, il avance Roméo sur le chemin. Si Roméo arrive au bout avant que la porte ne soit ouverte, la tentative est manquée. Si la porte est ouverte avant, le joueur sort le renard suspect et le place devant lui avec la porte.
Si le dos de la porte montre un défi, il faudra le prendre en compte pour le prochain tour. Il pourra par exemple s’agir de fermer un œil ou de tenir la chaîne par l’anneau rouge plutôt que par l’anneau argenté. S’il montre un ami animal (le chien, le chat, la souris, le cochon), on la conserve jusqu’à la fin de la partie.
Que la porte ait été ouverte ou pas, c’est au joueur suivant de jouer.
La partie s’arrête quand les quatre amis animaux ont été découverts, généralement au bout d’une douzaine de portes ouvertes.
Chaque joueur ayant rencontré un ami pioche la carte Indice correspondante et la révèle, retirant du jeu tous les renards ne correspondant pas à la description. Le chien précise si le voleur avait ou non des moustaches, le chat évoque ses lunettes, la souris a regardé le chapeau, le cochon essaye de se souvenir du nœud papillon. On l’aura compris, un seul des seize renards correspond à chaque combinaison de quatre éléments/absences d’éléments.
Si un joueur a capturé le renard correspondant aux quatre indices, il remporte la partie. Sinon cela signifie que le voleur est à l’abri, et que seuls des innocents ont été sortis de la tanière, ce qui n’arrive pas si souvent, mais est loin d’être impossible, notamment quand les quatre animaux sont découverts très vite. Mieux vaut réessayer.
Attrape Renard, le jeu qui attrape les enfants
Forcément, Attrape Renard peut sembler bien simple et bien arbitraire à nos regards d’adultes, surtout si l’on occulte le fait que cela ait évidemment été voulu par les experts du jeu pour enfants que sont Inka et Markus Brand. Grâce à la longueur variable du chemin, l’enfant a l’impression d’avoir plus de chances que l’adulte, et l’aspect aléatoire de la découverte des animaux et du bon renard lui donne effectivement la possibilité de gagner sans que l’adulte se montre volontairement trop maladroit. Il est en effet important que l’adulte participe à l’activité de l’enfant et le laisse gagner sans lui donner l’impression d’usurper sa victoire, avec la possibilité qu’il perde pour mieux gagner la fois suivante, et le hasard est une bonne manière de susciter naturellement ce sain climat. Surtout quand il est occulté par plusieurs étapes du jeu (ouverture de la porte, découverte du gage ou de l’animal, lecture des indices et retrait des renards, auxquels on pourrait ajouter la mise en place à laquelle l’enfant peut bien sûr participer), en particulier la manipulation de la chaîne avec d’éventuels gages, qui confère du mérite au joueur et ne favorise pas particulièrement l’adulte – surtout si l’enfant à côte de lui lance frénétique le dé pour conclure le tour aussi vite que possible. Très soigneusement conçu et édité, Attrape Renard a tout pour séduire les petits.