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Unlock! Heroic Adventures : toujours plus beau, toujours plus fort

Unlock! Heroic Adventures : toujours plus beau, toujours plus fort

 

Déjà la cinquième boîte d’Unlock!, un jeu lancé il y a un an et demi à peine et que tous les acteurs du monde socio-ludique s’accordent à considérer comme un classique instantané. Même si chacun y va de son petit classement des scénarios et des boîtes, et que beaucoup ont été plus dubitatifs sur la direction prise par le jeu avec sa quatrième itération (pourtant ma préférée), tous admirent la capacité de Space Cowboys à proposer des expériences toujours plus immersives et innovantes, et donc à continuer de se chercher malgré un rythme de publication effréné (et en fait très apprécié) et la routine dans laquelle l’éditeur pourrait s’installer pour profiter du succès de son jeu.

Comme les autres boîtes, Unlock! Heroic Adventures comporte un tutoriel et trois scénarios à la difficulté croissante. Après les cauchemars nocturnes, les Mille et une nuits et les dinosaures, on nous propose de remporter un jeu vidéo rétro (Insert Coin), d’aider le plus grand détective du monde à résoudre une enquête (Sherlock Holmes sur le fil) et d’aider Alice à échapper au pays des merveilles (À la poursuite du lapin blanc). Comme nous avons déjà largement détaillé le fonctionnement général d’Unlock! dans notre présentation de la première boîte et nos tests de la deuxième et de la quatrième, nous nous pencherons dans cet article sur chacun des trois scénarios pour en détailler la puissance narrative et les mécaniques ludiques, et aviser de la plus ou moins habile intrication des deux.

Rappelons enfin que le jeu peut être acquis pour 26 euros 90, qu’il exige le recours à l’application (gratuite) Unlock! sur Android ou Windows Phone, et que s’il est officiellement jouable de 1 à 6 – certaines missions des anciennes boîtes se jouant très bien à 3 ou 4 – on en profitera idéalement à 2 pour s’immerger dans chaque énigme et ne pas être trop handicapé par la contrainte visuelle du téléphone portable.

 

Unlock Heroic Adventures

 

Insert Coin

On doit le premier scénario à Mathieu Casnin, et ses illustrations à Laurent Bazart. Tandis que vous vous ennuyez, et votre téléphone déchargé, vous n’avez plus qu’à retrouver au grenier la vieille borne d’arcade Superboy de votre grand-père pour vous occuper. La première partie de l’aventure se déroule donc dans le grenier, accompagnée des bruits automnaux et un peu inquiétants du vent, de la pluie et des planches qui craquent, contrastant avec la musique dynamique et rétro de la borne dans laquelle il faudra conduire son avatar jusqu’à la princesse.

Non seulement le dos des cartes représente une borne d’arcade, à la musique de laquelle renvoie la bande-son 8 bit, mais tous les dessins reprennent une esthétique pixelisée, et surtout les étapes de l’aventure comme les mécaniques et mille clins d’œil (à Mario, DK, Zelda, Metroid, Space Invaders, Street Fighter, MGS…) renvoient au jeux vidéo. Passer de niveau en niveau en utilisant épées et potions, sauver une princesse d’un gorille, partir dans l’espace, se livrer à un versus avec les combinaisons de touches exigées par l’exercice sont des étapes attendues dans le dixième art, et qu’Unlock! met parfaitement et ingénieusement en scène, ne se contentant pas de références aux classiques du genre, mais multipliant les styles, quitte à subvertir un peu les codes d’Unlock! : morts et pénalités incontournables, passages secrets, combinaisons avec des cartes non numérotées, surprendront très agréablement de la part d’une formule que l’on pouvait commencer à trouver rigide. Insert Coin  fait même appel de façon inédite à votre téléphone pour sa nouveauté la plus magique et la plus convaincante, même si elle doit signaler sur ses cartes quand on peut recourir à cette nouveauté.

C’est que Insert Coin est le premier scénario, donc le plus facile, d’un jeu que sa boîte dit accessible à partir de dix ans. Il doit donc se montrer abordable quitte à ce que le joueur se sente (un peu trop) assisté, mais c’était sans doute indispensable pour ne pas lui laisser perdre un temps précieux en abusant de cette fonctionnalité en vain. Curieusement, cela n’empêche pas Insert Coin d’avoir quelques pics de difficulté ; rappelons cependant que ce n’est pas pour rien que l’application se montre si généreuse en indices (généralement deux par énigme, puis la solution), mieux vaut profiter de l’aventure en ayant parfois recours au premier que de se bloquer désagréablement ou d’empêcher des enfants de la pratiquer. Je n’ai finalement eu qu’une surprise moins agréable, que la table se couvre de cartes déjà utilisées sans qu’on nous précise le droit de les défausser, peut-être pour qu’on croie à tort en avoir besoin après… Ce n’est pas très gênant puisque Insert Coin est bien moins encombrant que d’autres scénarios avec leurs vingt nouvelles cartes à la fois, et peut-être ai-je manqué quelque chose, enfin il fallait bien trouver à pinailler sur un scénario par ailleurs très réussi graphiquement (sauf sur les boutons de la borne) et mécaniquement ingénieux et étonnant, suscitant à quelques reprises l’ « effet waouh » que l’on espère toujours retrouver dans un Unlock! Cela ne présage que du bon pour la suite des Heroic Adventures.

 

 

Sherlock Holmes sur le fil

L’auteur de ce scénario est Dave Neale, un spécialiste holmésien qui sera bientôt responsable des dix scénarios de la quatrième boîte de Sherlock Holmes, Détective conseil, consacrée aux Irréguliers de Baker Street. Les dessins en sont assurés par Arnaud Demaegd, illustrateur régulier de Sherlock Holmes et des Unlock!, et vu son talent, on peut le comprendre !

Les Space Cowboys possèdent depuis récemment les droits sur la licence Sherlock Holmes, Détective Conseil, et ont par conséquent eu l’excellente idée d’en  croiser les codes avec ceux d’Unlock!  Ainsi le dos des cartes évoque sans doute possible celui des livrets d’enquête, et le scénario se dote d’un « dossier », une grande feuille comportant la photo du crime, les emplacements où retranscrire les déplacements des suspects, et d’autres pour les interrogatoires, qui feront davantage l’objet de combinaisons que les objets. En effet, un témoin ou un suspect (rouge) réagira aux questions qu’on lui posera, relatives à des objets, des lieux, des bribes de conversations (bleus). Encore une fois, l’aventure subvertit nos attentes relatives à une enquête d’Unlock!, puisqu’on ne se lance plus dans des combinaisons invraisemblables et on ne fait plus face à des codes à quatre chiffres de serrures artificielles, toutes les ressources du jeu sont mises à la disposition d’une véritable enquête où l’on se déplace, interroge, soudoie, discute, soupçonne, trouve des indices et leur donne du sens.

Outre la référence graphique à Détective ConseilSherlock Holmes sur le fil nous montre Londres et même une figure bien connue des histoires du détective, pour une immersion tant graphique que littéraire absolument passionnante. C’est bien simple, Sherlock Holmes sur le fil fait partie de scénarios que l’on souhaiterait voir déclinés indépendamment, comme Insert Coin peut-être, avec des boîtes entières utilisant ces références et ces mécaniques dans le même univers ! Quelle plus belle preuve de réussite que la frustration du joueur face au renouvellement constant de ces Heroic Adventures ?

À la poursuite du lapin blanc

Pour s’aventurer au pays des Merveilles, Thomas Cauet s’associe à Charles Liddell et aux pinceaux de Mahulda Jelly – un peu à regret, je dois bien l’admettre, puisqu’on lui devait déjà les excellentes illustrations des Aventuriers du pays d’Oz, mais que les deux univers sont très proches, et qu’un peu de variété dans le dessin aurait été bienvenue. Mais comme vous le verrez en observant son travail, c’est une remarque de pur principe, le résultat étant parfaitement réussi.

Très excité à l’idée de cette exploration, je ressentais aussi une certaine appréhension suite à ma relative déception sur les Aventuriers du pays d’Oz justement, un scénario qui m’avait paru faire beaucoup appel à la connaissance du roman de Lyman Frank Baum, et dont les trouvailles narratives, en soi inventives, m’avaient laissé de marbre. Mais de même que Sherlock Holmes sur le fil pouvait faire penser à Tombstone Express par sa dimension d’enquête et faisait beaucoup mieux, À la poursuite du lapin blanc pourrait sublimer les errances (du moins ce que j’avais interprété comme des errances) des Aventuriers du pays d’Oz.

Intéressante preuve d’ambition littéraire, le scénario ne nous invite pas tant à vivre l’épopée d’Alice qu’à aider Lewis Carroll à compléter le manuscrit inachevé de son Alice au pays des merveilles en trouvant comment le personnage principal pourrait échapper aux pièges mis en place par l’auteur. Une fois plongé dans l’aventure, cela ne change rien, bien sûr, mais cette manière de nous immerger au second degré manifeste une maturité très agréable.

Troisième scénario oblige, il faut dès le début mettre de côté six cartes vertes manifestement pliables et utiliser un livret, dont heureusement l’intérieur nous est pour l’instant interdit. Sur l’extérieur, des extraits, des phrases plus ou moins longues du roman de Carroll, à déchiffrer soigneusement puisque le compte à rebours de 90 minutes ne commencera qu’avec le premier code, au lieu d’être démarré avec la carte d’introduction, et que contrairement aux habitudes, on n’a initialement accès à aucun premier lieu avec des numéros à chercher. C’est tout bête, mais qu’est-ce que ces petites nouveautés sont grisantes après quatre boîtes pour créer des habitudes !

On n’en dévoilera pas plus de cette aventure, sinon qu’elle parvient à prendre un virage encore différent de tout ce qu’on avait vu dans Unlock!… en ajoutant à l’univers surréaliste d’Alice des énigmes beaucoup plus « classiques » (à la Professeur Layton si l’on veut), évidemment intriquées dans un récit et un univers foisonnants – après tout, quel meilleur monde que celui d’Alice pour des problèmes mathématiques et logiques (si tant est que la logique du lapin blanc ou du chapelier fou soit bien ce que vous appelez de la logique) ? De quoi satisfaire aussi bien les éternels chercheurs de nouveauté que les joueurs plus traditionnels, pour un scénario paradoxalement ambitieux et accessible à tous (malgré une difficulté évidente) !

 

Bonus : Noël en juillet

Si l »on peut voir en Heroic Adventures le parfait cadeau de Noël, Space Cowboys a également décidé d’adresser un cadeau aux joueurs sous la forme d’un scénario de démo (25 cartes, 30 minutes) entièrement gratuit en print-and-play, à télécharger ici. Je n’ai malheureusement pas eu le temps de le tester encore (il faut tout de même une bonne imprimante pour en profiter pleinement, et mettrai cet article à jour dès que j’aurai pu y jouer), mais ne pouvais pas ne pas l’évoquer, pour une raison bien simple : scénarisé par Vincent Goyat, il est illustré par pas moins que Lewis Trondheim lui-même, et se déroule en quelque sorte dans son univers, puisqu’il faut y partir à la recherche du Père Noël, enlevé en Laponie au beau milieu du mois de juillet.

Or Lewis Trondheim est l’auteur dont je possède le plus d’albums (entre les DonjonLes Formidables Aventures avec Lapinot et sans Lapinot, ApproximativementDésœuvré et bien d’autres), peut-être celui que j’ai le plus lu, et je crois même que la première bande dessinée que j’aie achetée pour moi (une étape importante dans la vie d’un chercheur en bande dessinée) était l’extraordinaire Lapinot et les Carottes de Patagonie. En tout cas, il est le premier auteur auquel j’aie demandé des dédicaces (festival Cyclone BD, 2007). C’est enfin à Trondheim que je souhaitais consacrer ma toute première conférence, mais trop intimidé par l’idée qu’il pourrait être présent (il n’est en fait venu qu’après mon intervention pour l’après-midi qui lui était consacrée), avais préféré étudier deux de ses épigones, les passionnants Jason et Ibn Al Rabin (le texte est disponible ici si cela vous intéresse). Bref j’ai pris très personnellement ce cadeau de l’éditeur, et ne doute pas que Goyat aura su s’approprier la fantaisie de Trondheim.

Plus généralement, on ne peut que se réjouir qu’Unlock! continue d’explorer différents univers, celui de l’art séquentiel pouvant naturellement se prêter à bien des variations passionnantes ! (comme je viens de consacrer un article universitaire aux adaptations ludiques de la bande dessinée, je rêve naturellement de trouver un jeu de société profitant des spécificités formelles du neuvième art, et quel jeu le ferait mieux qu’Unlock!, surtout après cette cinquième boîte ?)

 

 

Conclusion

La troisième boîte d’Unlock!Secret Adventures, avait conquis le public et la critique par ses nouveautés par rapport à la formule Unlock! Nouveaux modes de narration, mini-jeu physique… ces trouvailles m’avaient pourtant laissé assez froid, et j’avais préféré les expérimentations dExotic Adventures autour du téléphone portable tout en admettant volontiers qu’elles allaient parfois trop loin et n’auguraient rien de bon pour l’avenir d’Unlock! C’était lamentablement sous-estimer les Space Cowboys, qui livrent avec Heroic Adventures leur boîte la plus accomplie et la plus impressionnante. Plus littéraire que jamais, elle exploite également avec une ingéniosité nouvelle les possibilités de l’application pour soutenir l’histoire et lui donner du relief plutôt que comme manière de jouer en soi, pour proposer des aventures étonnamment variées, et pas seulement en termes d’univers. Chacune a une personnalité tout à fait distincte, une manière spécifique de penser l’interactivité, le récit, le numérique et les énigmes, et chacune complète donc les deux autres dans une boîte qui doit devenir un incontournable de Noël.

 

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