Planet – façonnez votre monde et favorisez-y la vie !
Il n’est pas aisé pour un éditeur de jeux de société de s’intéresser à l’écologie, compte tenu de la quantité massive et nécessaire de carton, de bois, souvent de plastique, toujours de qualité, que cette activité implique. Il est plus aisé de fermer les yeux sur les répercussions environnementales de cette industrie pour pointer du doigt les vrais mauvais élèves du divertissement – ordinateurs, téléphones portables, jeux vidéo…
Non seulement Blue Orange fait partie de ces éditeurs qui tentent de réparer le mal qu’ils peuvent causer, mais cette préoccupation est déjà présente dans son nom, Blue Orange faisant naturellement allusion au célèbre vers de Paul Éluard, « La Terre est bleue comme une orange » (dans le recueil L’Amour la poésie). En plus de mettre en place des actions solidaires et de planter deux arbres par arbre coupé, l’éditeur favorise des jeux mettant en avant la nature, sa beauté et l’importance de la respecter. On agence des environnements cohérents dans Kingdomino et Queendomino, on occupe un jardin dans Okiya, on explore les îles polynésiennes dans Blue Lagoon, et surtout on fait pousser des arbres dans Photosynthesis et on façonne une Terre dans Planet, deux jeux illustrés par Sabrina Miramon (Quadropolis, Les Bâtisseurs).
Conçu par Urtis Sulinskas et disponible pour 31 euros 50, Planet propose à deux à quatre joueurs de façonner leur planète idéale pour y accueillir la vie, dans des parties d’environ une demi-heure.
Les ingrédients pour une belle planète
Chaque joueur reçoit pour commencer un cœur de planète… et se rend d’emblée compte du soin matériel apporté au jeu avec cette pièce en trois dimensions, annonciatrice de bien des plaisirs ludiques et esthétiques, que l’on a envie de compléter et de façonner aussi joliment que possible.
Pour cette complétion, il faudra poser des continents sur sa planète. On mélange donc les tuiles Continent pour en faire aléatoirement dix piles de cinq tuiles. Sous ces tuiles (à partir de la troisième) et sur douze colonnes (donc en dépassant de deux colonnes la ligne de tuiles continent), on dispose aléatoirement, mais face visible, les 20 cartes Animal. Si cela paraît abstrait, ne vous inquiétez pas, les règles représentent très clairement la réserve à constituer de cette manière.
Enfin, chacun reçoit une carte objectif Milieu naturel, qu’il consulte mais garde secrète.
Créer les terres et la vie
Une partie de Planet se pratique en douze tours, chacun décomposé en deux phases, « L’apparition des continents » et « L’apparition de la vie » (donc à partir du troisième tour de jeu, puisque comme vous l’aurez compris, on n’a pas accès plus tôt aux tuiles Animal).
On commence par dévoiler les cinq tuiles Continent de la pile correspondant au tour de jeu. À tour de rôle, les joueurs en choisissent une pour la placer sur un espace vide de son cœur de planète .Les tuiles restantes formeront la onzième, puis quand celle-ci sera pleine, la douzième, puis quand celle-ci comportera aussi cinq tuiles, on replacera les surnuméraires dans la boîte. Si vous avez bien fait le calcul, vous vous apercevrez qu’en jouant à deux, vous aurez tout juste de quoi remplir les onzième et douzième piles, cette idée de recomposition manifestant un assez admirable esprit d’économie, quand d’autres jeux auraient simplement mis dans la boîte de Planet assez de tuiles pour remplir d’emblée les douze lignes.
À partir du troisième tour, on vérifie si sa planète remplit les conditions d’accueil des animaux en jeu pour ce tour. Ces conditions prennent trois formes : un animal peut avoir besoin que la planète soit majoritairement occupée par un type d’environnement, et ira donc au joueur ayant la plus grande région de ce type ; que la plus grande région d’un type d’environnement soit en contact avec au moins une parcelle d’un autre type ; qu’au contraire la plus grande région d’un type ne soit surtout pas en contact avec un autre type.
Un hippocampe a ainsi besoin d’une grande surface d’eau sans lien aucun avec un désert, un aigle que la région la plus importante soit terrestre, une girafe que la plus grande région désertique soit tout de même en contact avec une parcelle de forêt. Il faut donc naturellement élaborer sa planète de façon à ce que les animaux bientôt disponibles puissent y habiter, et à rivaliser avec ses adversaires sur chaque majorité, d’autant qu’une égalité entre plusieurs joueurs reporte l’animal sur la colonne suivante.
Une fois que les animaux ont été répartis, le joueur suivant devient premier joueur et on recommence un tour.
La plus belle planète ?
À la fin du douzième tour, les planètes sont tout à fait recouvertes par les tuiles Continent, et après que les dernières cartes Animal ont été attribuées, on regarde les cartes Milieu naturel pour voir si les joueurs ont rempli leurs objectifs, et possèdent donc assez de parcelles de l’environnement demandé.
Si la carte Milieu naturel glacial rapporte 2 points pour 11 parcelles correspondantes, 4 pour 14, 6 pour 17, 8 pour 21 et 10 pour 25, le Milieu naturel forestier exigera 15 parcelles pour 2 points, et le Milieu aquatique ne rapportera 10 points qu’à partir de 30 parcelles. Toutes ne sont donc pas parfaitement équivalentes, et prennent en compte la rareté de certains environnements sur les tuiles Continent ou les conditions d’habitation des animaux, de manière à considérablement infléchir les stratégies individuelles.
On ajoute à ce premier score 1 point par animal correspondant à la carte objectif Milieu naturel, et 2 points par animal n’y correspondant pas. Ce qui peut paraître contre-intuitif est en fait redoutable, forçant les joueurs à un délicat exercice d’équilibre entre parcelles pour scorer sur l’objectif et parcelles pour scorer sur les animaux !
Le joueur avec le plus de points, le plus respectueux de l’environnement et de la vie animale, remporte la partie, et en cas d’égalité, la victoire ira à celui qui a attiré le plus d’animaux.
Planet est un digne Blue Orange, extrêmement simple à appréhender, et exigeant finalement mille atermoiements avant le choix de chaque parcelle malgré leur quantité très limitée, preuve d’une véritable réussite mécanique. Ces calculs pourront paraître complexes aux plus jeunes, et Planet suggère alors de jouer sans les Milieux naturels, une excellente variante qui appauvrit naturellement le jeu sans du tout le dépouiller, gardant notamment intact le plaisir central de la construction de sa planète.
Une autre variante, fort plaisante, consiste à placer les animaux en deux lignes de dix, la première face révélée, la deuxième face cachée. Au premier tour, on dévoile l’animal caché de la troisième colonne, au deuxième celui de la quatrième, etc. Ce qui injectera hasard et adaptabilité à Planet, au prix d’un peu de son côté tactique, pour une agréable séquence de dévoilement. On ne se rend jamais mieux compte qu’après avoir testé la variante à quel point il est stratégiquement passionnant de savoir d’emblée quand chaque animal sera disponible, ce qui n’empêche pas d’apprécier de temps à autre le lâcher-prise permis par cette variante moins rigoureuse.
Planet, redoutable jeu écolo
Pour sa beauté matérielle, Planet a dû céder à des composants peu écologiques, de ceux que les éditeurs responsables cherchent à éviter. Mais ce n’est pas toujours possible, et surtout cette entorse n’est pas moins admirable quand elle accouche de jeux eux-mêmes admirables. Les planètes tridimensionnelles octroient une originalité et une force immédiates à un jeu qui aurait sans cela paru plus froid, et attirent légitimement l’attention sur cette production malgré tout fidèle à l’esprit d’accessibilité et de tacticité de Blue Orange. Il faut dire que peu de jeux inspirent le désir de bâtir les plus beaux habitats possibles pour les animaux, et font apprécier à ce point la contemplation d’une planète strictement naturelle. Planet est ainsi indubitablement un jeu « vert » en plus d’être un superbe objet ludique.