Dicium – voitures, heroic fantasy, shogunat et Antiquité grecque dans le même jeu ?
Curieux hasards du calendrier ou grands esprits qui se rencontrent : alors que iello vient de sortir 8Bit Box, trois jeux aux thèmes et mécaniques complètement distinctes mais praticables avec un matériel commun, Geek Attitude Games lance Dicium. L’éditeur de Taverna ou Not Alone y propose non pas trois mais quatre jeux distincts : un jeu de course d’automobiles compétitif (Crazy Cup), un autre d’aventure coopératif (Donjon), un troisième de conquête compétitif dans l’Antiquité grecque (Civilisation) et un dernier d’affrontement asymétrique (Shogun). Quatre propositions ludiques en une, puisque l’intérêt de Dicium est de faire reposer les quatre jeux (et donc quatre règles) sur un cœur de gameplay commun, avec une part de matériel à utiliser dans les quatre (en particulier les dés, pions et marqueurs) et une part spécifique à chacun.
Tout cela dans une boîte à 40 euros 50, avec un livret de règles qui dépasse à peine les 20 pages, incluant même des variantes pour certains des jeux (solo, initiation, en équipes)… Difficile de ne pas être curieux de la création de Joachim Thôme, et dans le meilleur sens du terme, Geek Attitude Games s’étant fait remarquer pour la qualité de ses productions, notamment grâce à Kitchen Rush (auquel il me tarde de jouer) ou à Taverna (l’un de mes coups de cœur de cette année). Les quatre jeux composant Dicium sont illustrés par le talentueux Pascal Quidault (Assassin’s Creed: Brotherhood of Venice, T.I.M.E. Stories, Sherlock Holmes Détective Conseil) et occuperont pendant une demi-heure à une heure 1 à 4 joueurs (sauf Shogun, qui ne se joue pas seul), Civilisation et Shogun étant sensiblement plus complexes que Crazy Cup et Donjon.
Les dés de Dicium
Au cœur de Dicium, onze dés identiques à six faces. Le point seul se trouve dans un cercle vert, les deux points dans un cercle bleu, les trois dans un jaune, les quatre dans un rouge, les cinq dans un autre bleu, et la dernière face représente une spirale verte, qui peut compter pour sa couleur ou pour une valeur de son choix entre 1 et 5.
Chaque jeu possède un grand plateau et quatre plateaux individuels – en fait un côté appartient à un univers, l’autre côté à un autre univers, si vous n’aviez pas compris que Dicium était une preuve vivante d’un esprit de synthèse et d’économie dans le monde socioludique. Bien que spécifiques à chaque univers, les faces de plateau ont une présentation et un système communs.
Ils rappellent ainsi les sept actions possibles de chaque jeu avec la valeur des dés, la première fonctionnant toujours avec l’obtention d’une paire de même valeur, la deuxième d’une suite comprenant tous les dés, la troisième d’un brelan, la quatrième d’une double paire, la cinquième d’un carré, la sixième d’un full et la septième d’un poker (cinq faces de même valeur). On l’aura compris, cinq Dicium (avec la spirale) permettent de réaliser la combinaison de son choix, et la présence de cette face « joker » accroît considérablement les possibilités de chaque lancer.
Quatre actions dépendent des combinaisons non de chiffres mais de couleurs.
Le milieu du plateau est occupé par l’espace de bonus. Huit bonus répartis en quatre niveaux sont marqués par des cubes verts quand on les obtient grâce aux faces vertes des dés : deux faces vertes permettent de poser un marqueur pour un bonus de niveau 1, cinq faces vertes permettent de poser un marqueur pour un bonus de niveau 4. Un bonus autorise la relance d’un dé lors de la phase de Lancer, les autres offrent une face d’une couleur déterminée en plus du résultat des dés, et le bonus rouge donne le choix entre une face rouge supplémentaire et une augmentation de 1 du dé de combat. Les bonus peuvent être utilisés immédiatement, et surtout ils sont permanents ; il s’agit donc d’un atout à prendre en compte dès le début pour rentabiliser l’investissement des dés.
Un espace représente la « main active », c’est-à-dire le nombre de dés auquel on a droit, trois en début de partie, quatre ou cinq maximum si l’on réalise des suites ou qu’un élément du jeu le permet. Également un élément à optimiser au plus vite, quatre dés permettant infiniment plus que trois !
Il est également possible de réserver un ou deux dés dans un emplacement si on préfère en conserver le résultat pour le tour suivant plutôt que de l’utiliser ce tour-ci. Au moment d’un lancer, on aura donc le choix d’ignorer le dé réservé en lançant normalement les dés de sa main active, ou de lancer un ou deux dés de moins pour prendre en compte le résultat du ou des dés mis de côté.
Une ultime zone enfin dépend des règles de chacun des quatre jeux – quand même !
Si l’on peut à première vue craindre une certaine répétitivité à cette communauté de règles, il faut admettre que le fonctionnement des dés reste abstrait et que la variété des plateaux est plutôt encourageante quant à la variété des jeux qu’ils permettent. Après le plateau, il faudrait donc voir si le système commun aux quatre jeux de Dicium manifeste la même précision dans l’abstraction, la même formidable polyvalence.
Phases communes aux quatre jeux
Un tour de jeu se compose de trois phases, chacune réalisable deux fois.
La première consiste à lancer une main active de dés (donc trois en début de partie), en tenant éventuellement compte des dés réservés.
Puis on passe à la phase d’action, où l’on utilise les combinaisons de valeurs et de couleurs pour les attribuer à une, deux ou aucune action.
C’est enfin dans la dernière que l’on peut réserver jusqu’à deux dés sans en modifier le résultat. Le joueur suivant prend la main.
C’est tout. Ou presque : il ne faudrait pas oublier la possibilité de combattre avec le dé rouge, dans les quatre propositions de Dicium.
Si un joueur en attaque un autre, il lance le dé de combat et additionne au résultat les faces rouges de ses éventuels dés Dicium et ses bonus rouges. Le défenseur lance également le dé de combat, y ajoute les faces rogues qu’il aurait dans sa réserve et ses propres bonus rouges. Il est important de noter que le joueur engage ses faces rouges avant de lancer le dé de combat, l’empêchant de booster un résultat modeste ou d’économises après avoir constaté un résultat trop faible. Le joueur dont le résultat est le plus élevé remporte l’affrontement.
Si un joueur attaque un monstre ou un gobelin, il réalise le même processus et doit avoir davantage de force totale que la défense de son adversaire, indiquée sur son jeton.
Un joueur peut enfin être la cible d’un effet indésirable, il faut alors que le total soit égal ou supérieur à six pour l’éviter.
Cette fois, c’est vraiment tout. Si cela paraît minimaliste, il faut se rendre compte que les règles communes sont aussi longues que les règles de chaque jeu. Autrement dit, Crazy Cup, Donjon, Civilisation et Shogun promettent de s’approprier pleinement les règles communes pour livrer une expérience aussi spécifique que possible avec un matériel de base impersonnel et des règles abstraites. Voyons donc jeu après jeu ce que permet le système de Dicium et s’il se prête bien aux thématisations individuelles.
Crazy Cup
Crazy Cup est indiscutablement le plus abordable des quatre jeux, celui par lequel il est recommandé de commencer tant il est nécessaire de s’habituer à la double lecture des dés, c’est-à-dire au fait que chaque face puisse être lue comme une couleur et comme un chiffre. Comme les onze dés sont identiques, on finira par associer naturellement le 3 au jaune par exemple, mais cela demandera un petit temps d’adaptation… qui pourra être facilité si vous avez joué à l’excellent One Deck Dungeon, dont les dés appelaient également cette double lecture.
Comme les quatre jeux, Crazy Cup utilise 11 dés Dicium, le dé de combat, quatre marqueurs Dé, 32 marqueurs Bonus, un grand pion noir (en l’occurrence pour le premier joueurs), un plateau de jeu, quatre petits plateaux individuels et quatre pions – seul Shogun en utilise plus que quatre. On y ajoute 30 cartes Triche, une tuile Tornade et 8 tuiles Technologie.
Le plateau de jeu représente naturellement une piste de course (dans un canyon) en boucle, sur la ligne de départ de laquelle les joueurs placent leur pion. Chacun reçoit ensuite trois cartes Triche, et trois autres sont posées face visible à côté de la pioche.
Si les déplacements se font de manière orthogonale dans le sens défini par le premier joueur et sans franchir barrières ou parois rocheuses, il est permis de revenir en arrière, sans franchir la case de départ/d’arrivée à contre-sens. Cela peut notamment permettre de gagner une case Garage, où toutes les combinaisons de couleurs sont augmentées d’une face de chaque couleur, de quoi repartir comme neuf.
Le terrain est accidenté : en récupérant des tuiles représentant les quatre technologies (il y en a une de chaque à 1-2 joueurs, deux à 3-4), on peut respectivement franchir ravins, terrains volcaniques, forêts de cactus ou lacs, de précieux raccourcis pour surprendre vos adversaires qui se croyaient loin devant vous !
Quitte à tricher en utilisant les raccourcis, autant aller jusqu’au bout ! On peut utiliser autant de cartes Triche que l’on souhaite par tour, sans que cela rogne sur nos actions (bien que cela puisse consommer des dés), au moment indiqué sur la carte. L’une permet par exemple de mettre fin à l’action d’un joueur s’il entre sur votre case et d’avancer de trois, une autre de faire passer un test de conduite à un rival avant son lancer de dés : à moins d’obtenir six ou plus, il ne pourra lancer que trois dés…
Les faces bleues permettent d’avancer d’autant de cases, trois faces jaunes octroient une tuile technologie, deux à cinq faces vertes donnent un bonus, trois faces rouges autorisent la pioche d’une carte Triche de la pile ou parmi les trois visibles.
Une paire fait avancer de deux cases, une suite fait augmenter la taille de la main active ou octroie un bonus, un brelan donne une carte Triche, deux doubles offrent un déplacement de trois cases – si l’on y croise un adversaire, il est accroché et passe un test de conduite, dont l’échec le fait reculer de trois cases – un carré fait avancer de cinq cases, un full fait avancer de trois cases en ignorant les terrains accidentés (on prend donc les raccourcis sans technologie), un poker déplace de cinq cases y compris accidentées.
Il est toujours possible d’interrompre un déplacement pour s’arrêter à un garage afin de bénéficier de son pouvoir lors de la prochaine action.
Dès qu’un joueur atteint l’arrivée, il ne peut plus être la cible de quelques perturbations que ce soit. On conclut le tour de table en cours et la course est terminée. Si deux joueurs ont passé la ligne, celui qui est arrivé le plus loin gagne, en cas d’égalité, les marqueurs bonus sur les plateaux individuels départagent les rivaux.
Une variante pour jeunes pilotes permet de commencer avec des mains de cinq dés, d’ignorer les valeurs au profit des couleurs (donc quatre actions au lieu de onze), d’utiliser les cartes Triche exigeant une paire en ignorant cette condition.
En équipes de deux joueurs, les coéquipiers partent dans les directions opposées, et gagnent la partie en se rejoignant sur une même case. Je suis rarement amateur des variantes en équipes, mais il faut admettre que celle-là est très amusante en plus d’être dynamique.
Enfin, en solo on court contre un drone. Avant chaque phase de lancer, on avance le drone d’un nombre de cases égal à notre main active. Naturellement, le drone n’est pas programmé pour tricher, il se contentera donc de la route principale, et s’il doit réaliser un test de conduite, le joueur réalise le lancer, réussi à partir de 5. Le mode solo n’est pas très amusant, comme on peut l’imaginer… mais il constitue un excellent entraînement pour apprendre à lire les dés et à les utiliser au mieux, de sorte que la variante est très bienvenue dans un jeu comme Dicium où cette leçon est si importante !
Si les cartes auraient pu opter pour un design encore plus loufoque et cohérent avec le thème, on aurait pu se trouver face à une très sympathique simulation de Mario Kart/Mario Party sur plateau. Il manque simplement à Crazy Cup un peu de Crazy pour être plus qu’une fort sympathique initiation à Dicium.
Donjon
Dans Donjon, le pion noir est le Roi Gobelin, et on ajoute au matériel ordinaire 43 cartes Aventure, un plateau Coffres, 6 tuiles Trésor, 3 truiles Relique, 9 tuiles Monstre, 6 tuiles Gobelin et une tuile Portail. Les plateaux représentent un guerrier, un magicien, un voleur et un elfe, possédant chacun un bonus de départ dans une couleur.
Le plateau représente un…donjon, sur les neuf cases Antre duquel on pose aléatoirement les neuf tuiles Monstre face visible. Puis six tuiles Trésor sont disposées face cachée sur six cases Salle au trésor, et les trois tuiles Relique sur les trois cases Crypte.
On sépare la carte Roi Gobelin du deck de 43 cartes, et on y sépare les cartes Trouvaille (bleues), Piège (rouges) et Gobelin (vertes), mélangées séparément et face cachée.
Le nombre de joueurs et la difficulté désirée (normal/héroïque) fait varier le nombre de cartes de chaque couleur dans la pioche des joueurs : seul, le héros possède un total de quinze cartes, à quatre, chacun n’en possède qu’en sept.
Le premier joueur place la carte Roi Gobelin sous sa pioche, chaque héros choisit le portail duquel il souhaite partir, puis on débute l’exploration du donjon.
Avant la phase de lancer, on ajoutera une phase événement en révélant la première carte de sa pioche et en la résolvant. Une carte Piège s’applique immédiatement au joueur actif (par exemple interdiction d’utiliser la couleur jaune, ou le symbole Dicium ce tour-ci). Une carte Gobelin fait apparaître un gobelin près du joueur. Une carte Trouvaille s’applique immédiatement (ajoutez deux points jaunes à une combinaison), à l’exception des Parchemins utilisables à tout moment (esquiver un combat, relancer un dé) et des Objets magiques, à l’effet permanent (un bonus dans une couleur déterminée). Après la phase de lancer, donc avant la première action, on peut en outre librement déplacer son pion sur une case Portail.
Comme dans V-Commandos, on remet dans la réserve les gobelins qu’on tue, mais si l’on devait piocher un gobelin pour le mettre en jeu et que la réserve était vide, on perd immédiatement la partie, submergé par les monstres.
Certains lieux ont des particularités : les salles de garde augmentent les combinaisons vertes d’une face. Les portes magiques ne peuvent être franchies qu’avec de la magie. La rencontre avec des monstres et des gobelins conclut un mouvement et déclenche un combat. La défaite renvoie le héros sur un portail, mais la victoire contre un gobelin le remet dans la réserve et la victoire contre un monstre le place dans les trophées et donne un bonus du choix du vainqueur. Obtenir des trophées permet de réduire le nombre de coffres à trouver pour réussir la quête : s’il en faut normalement neuf, il suffit qu’un joueur ait trois trophées (le maximum) pour que la découverte de six coffres par l’ensemble du groupe assure la victoire.
Les faces bleues correspondent toujours au déplacement. Les faces jaunes, magiques, ont cinq usages : un déplacement d’une case à travers une porte magique, une boule de feu (deux faces jaunes) pour attaquer un ennemi distant d’au moins une case dans la ligne de mire (une défaite à distance n’a pas de conséquence négative), franchir un mur (trois faces jaunes), retirer une tuile Gobelin (quatre faces jaunes), placer ou déplacer la tuile Portail à 1 à 3 cases de son pion (quatre faces jaunes). Les faces vertes permettent de fouiller (deux à cinq faces vertes pour obtenir des bonus, comme toujours) ou crocheter le coffre à trésor sur lequel on se trouve (deux faces vertes) – on applique immédiatement l’effet du coffre, qui peut augmenter la taille e la main active, révéler une tuile Relique, donner un bonus…- ou crocheter le coffre à relique (trois faces vertes), dont le bonus s’applique à tous les joueurs définitivement, et donc la couronne est la deuxième condition de victoire. Les faces rouges ne servent que pour le combat.
Une paire octroie un déplacement de deux cases, une suite l’augmentation de la main active ou l’acquisition d’un bonus, un brelan un déplacement de trois cases et un bonus rouge en cas de rencontre, deux paires le placement ou déplacement de la tuile Portail à proximité, un brelan, le retrait d’une tuile Gobelin, un full un déplacement de trois cases tuant tous les ennemis croisés, un poker la téléportation sur n’importe quel case du plateau.
Quand la carte Roi Gobelin est révélée (donc après un certain nombre de tours), on place le pion correspondant sur l’Entrée du Donjon. Avant chaque phase Lancer, on déplacera le Roi Gobelin en fonction du résultat du dé Combat. De 1 à 3, il se déplace d’une case et invoque un gobelin (rappelez-vous, s’il n’y en a plus, la partie est perdue !), de 4 à 6, il avance de deux cases. Croiser un joueur renvoie ce dernier sur un portail. Si le Roi Gobelin atteint son trône, au bout de seulement dix cases, la partie est perdue. Autant dire que si la couronne et les coffres n’ont pas été trouvés au moment où le Roi Gobelin revient dans son Donjon, la défaite est proche…
Les plus jeunes pourront profiter d’une main active de cinq dés, se limiter aux couleurs et ajouter un Gobelin à la réserve.
Donjon est excellent, incomparablement plus passionnant que Crazy Cup. On mêle Clank! et One Deck Dungeon, pour un jeu parfaitement riche et satisfaisant, très différent selon le nombre de joueurs et la difficulté choisie, selon le héros incarné, laissant même place au hasard du fait des coffres à trésor et à reliques, bref Dicium commence à impressionner. En sera-t-il de même en repassant à un jeu compétitif ?
Civilisation
Civilisation apporte 48 tuiles de civilisation (12 héros, 4 capitales, 20 cités, 8 temples et 4 merveilles) en quatre couleurs, 43 cartes Point de victoire en fait les cartes Aventure de Donjon face cachée), 16 cartes Philosophe, 10 cartes Objectif commun, 10 cartes Objectif secret, 5 tuiles Monstre mythologique (et non pas 8 comme le disent d’abord les règles), 3 tuiles 5 points de victoire. Dicium nous annonçait qu’on entrait avec Civilisation dans les jeux plus complexes, on constate en effet un matériel extrêmement complet – j’ai envie de dire étonnamment complet, mais refrénons-nous, Dicium est constamment étonnant quand on craignait d’en attendre une simple compilation de mini-jeux.
Chaque joueur prend les tuiles Civilisation de sa couleur. Les trois tuiles Héros sont placées sur les emplacements prévus de son plateau individuel.
Les cinq monstres ont également leur case sur le plateau central. On dévoile ensuite trois cartes Philosophe à côté de la pile de cartes restantes, comme on dévoile une tuile objectif commun par joueur plus une, le reste étant retiré du jeu. Dès qu’un joueur accomplit l’un de ces objectifs, il choisit entre prendre la carte pour ses points de victoire, ou la défausser pour augmenter sa main active. Chaque joueur reçoit par ailleurs deux objectifs secrets, choisit l’un, qui lui rapportera des points en fin de partie s’il l’accomplit, et défausse l’autre, puis place sa tuile Capitale avec son pion sur la case Capitale la plus proche de lui.
Les faces bleues sont traditionnellement associées au mouvement en mer, les faces jaunes au mouvement sur terre, toujours orthogonalement. Les faces vertes permettent la construction d’un temple (5 faces vertes) sur une case libre de celle des neuf régions où l’on se trouve, ce qui rapporte 3 points de victoire, ou celle d’une cité (2 à 5 faces vertes) sur la case où l’on se trouve pour gagner un bonus d’un niveau correspondant au prix payé, et un point de victoire. Les faces rouges permettent de combattre.
Une paire autorise un déplacement d’une case, y compris en diagonale, sur terre ou sur mer. Une suite, comme d’habitude, augmente la taille de la main active ou permet l’acquisition d’un bonus. Un brelan permet de piocher la première carte Philosophe de la pile ou de prendre l’une des trois cartes visibles. Ces cartes Philosophe valent deux points de victoire, à moins qu’on préfère les défausser pour leur pouvoir évidemment très intéressant. Deux paires permettent de placer une tuile Héros sur une case libre de la région où l’on se trouve. Cela offre un bonus permanent de couleur, de lancer ou un redéploiement, et une case sur laquelle se replier en cas de défaite, à placer stratégiquement. Le carré inflige la colère divine à un adversaire : s’il ne peut échapper à l’effet indésirable, il replace son pion sur sa capitale ou l’une de ses tuiles Héros et l’on gagne deux points de victoire. Le full permet la pose d’une Cité sur n’importe quelle case de la région, fait gagner un point de victoire et donne un bonus. Le poker construit une Merveille faisant gagner quatre points de victoire ou autorise la téléportation sur la case de son choix.
La partie s’achève quand un joueur prend la dernière carte de la pile des points de victoire (on en utilise 24 à deux, 40 à quatre), on achève alors le tour de jeu et on compte les points : deux par région occupée par au moins une tuile, deux par carte philosophe en sa possession, plus les points des objectifs communs et de l’objectif secret. En cas d’égalité, la merveille départage les rivaux, et en cas de nouvelle égalité, le héros civilisateur ayant abattu le plus de monstres est déclaré le plus apte à régner.
En solo, on utilise les 43 cartes Point de victoire, mais 12 cartes Triche de Crazy Cup servent de compte-tours. Il suffit alors de tenter de cumuler le plus de points possible dans cette limite de temps, pour éviter de n’être qu’une demi-solde (moins de 20 points) ou un champion (21 à 25) et viser le rang d’élu (26 à 30), de demi-dieu (31 à 35) voire de dieu du Dicium, ce qui n’est pas si facile.
Civilisation n’est pas tant 7 Wonders ou Age of Empires que Monumental ou Civilization, un jeu où l’on gère moins ses ressources que l’on cherche à s’étendre et à construire autant que possible. Misant beaucoup sur la rejouabilité (une infime partie des objectifs communs et secrets est utilisée à chaque partie), il assure un gameplay très varié malgré ce qui peut apparaître comme un cœur de gameplay simpliste. Entre les monstres, les cartes Philosophe et les constructions, la salade de points est riche tout en restant digeste et très lisible, puisque passant souvent par la pose de tuiles sur le plateau. Civiliation serait assez léger s’il était trop soumis au hasard, mais il fait au contraire appel en permanence au sens tactique des joueurs dans le choix des dés et de leur lecture, puis le choix des actions, de sorte qu’il témoigne admirablement des capacités de Dicium avec un si primaire système de dés.
Shogun
Dans Shogun, les joueurs se répartissent aussi équitablement que possible en ninjas et samouraïs, ceux qui veulent enlever le Shogun (le pion noir) et ceux dont le devoir est de le protéger. On utilise cette fois 12 pions, 5 cartes Alerte (le dos des cartes Aventure de Donjon), 4 tuiles Torii, 4 tuiles Garnison et 6 tuiles Brasero.
Les ninjas placent deux tuiles Torii sur leur plateau individuel, les samouraïs deux tuiles Garnison. Les premiers disposent chacun l’un de leurs trois pions sur la case Torii du plateau commun, les autres un jeton sur chacune des deux cases Garnison, non loin du Shogun. L’un des deux ninjas commence la partie.
Asymétrie oblige, les ninjas ne peuvent pas franchir les portes fermées, au contraire des samouraïs et du Shogun (qui est considéré comme un pion des samouraïs et peut accomplir les mêmes actions, à ses risques et périls). Les ninjas ne peuvent être placés que sur des cases et des tuiles Torii, les samouraïs sur des cases ou tuiles Garnison. Comme les samouraïs sont en position de défenseurs, ils retirent une case Alerte à chaque fois qu’ils attaquent et tuent un ninja (mais pas s’ils le tuent en se défendant). Dans tous les cas, le perdant est renvoyé soit sur un torii, soit sur une garnison. Quand les 5 cartes Alerte ont été défaussées, les Ninja ont perdu la partie.
Si l’on excepte les faces bleues pour les déplacements orthogonaux, les faces vertes pour les bonus (sachant qu’un autel octroie une face verte), les faces rouges pour le combat, la paire pour le déplacement de deux cases et la suite pour la taille de main active ou un bonus, bref aux actions à peu près communes à tous les jeux de Dicium, chacune des deux factions a des pouvoirs complètement spécifiques, et devra donc prêter la plus grande attention aux mouvements imprévisibles de son adversaire.
Pour les ninjas, deux faces jaunes permettent de passer une porte, trois faces jaunes d’attaquer à distance un samouraï dans sa ligne de mire, quatre faces jaunes de traverser un mur. Un brelan fait poser une tuile Torii dans une zone jardin sans brasero ni Torii et située sur la même ligne que n’importe quel ninja, ce qui octroie un bonus sur le plateau individuel. Deux paires font apparaître un ninja de la réserve sur une tuile Torii, un carré autorise un déplacement jusqu’à cinq cases, un full un déplacement jusqu’à trois cases y compris par les portes, un poker un déplacement jusqu’à cinq cases y compris par les portes.
Si le ninja arrive sur la case où se trouve le Shogun, il l’enlève sans combat ni lancer de dés. Il aura alors le Shogun avec lui lors de ses déplacements, ce qui l’empêche de combattre… mais aussi d’être attaqué, les samouraïs ayant trop peur de blesser leur seigneur. Il peut d’ailleurs confier le Shogun à un autre ninja s’il termine son déplacement sur une case déjà occupée. Il suffit de faire parvenir le Shogun sur une case ou tuile Torii, et la partie est gagnée.
Chez le samouraï, deux faces jaunes correspondent le redéploiement d’un pion sur une garnison. Trois faces jaunes permettent la pose d’une tuile Brasero sur la case Brasero où doit se situer le pion. Cela défausse une tuile Alerte et retourne les tuiles Torii du même jardin sur la face Jardin (elles ne sont donc plus utilisables comme Torii). Quatre faces jaunes font foncer le samouraï sur trois cases, tuant tous les ninjas croisés, et retirant une carte Alerte par ninja ainsi rencontré. Un brelan autorise un déplacement jusqu’à trois cases et un bonus rouge en cas de combat. Deux paires font poser une tuile Garnison sur une case Couloir de son choix, avec la récompense d’un bonus du niveau de son choix. Avec un carré, le joueur pose un nouveau pion samouraï sur une garnison, avec un full, il déplace un pion jusqu’à deux cases. S’il s’arrête sur une case Brasero, il y place une tuile Brasero, défausse une carte Alerte et retourne les tuiles Torii du jardin sur leur face Jardin. Avec un poker, il bénéficie du même effet mais pour un déplacement de cinq cases.
Les samouraïs remportent la victoire en mettant fin à l’alerte, les ninjas en capturant le Shogun. Mais chacun des camps peut aussi perdre s’il est débordé par ses ennemis, c’est-à-dire si tous ses pions sont détruits (sans compter le Shogun) et qu’il ne peut plus se redéployer sur un torii ou une garnison parce que toutes les cases et tuiles de ce genre seraient occupées par des unités adverses.
Comme on le voit, être ninja n’est pas nécessairement plus aisé, mais les actions des attaquants sont un petit peu moins techniques, de sorte que ce rôle est recommandé aux nouveaux joueurs, auxquels on pourra également concéder une sixième carte Alerte et une cinquième tuile Torii.
Quel plaisir que de jouer à Shogun, dont on refera invariablement une partie juste après avoir achevé la première pour se venger ou inverser les rôles ! Ce n’est pas juste que l’asymétrie est très bien maîtrisée, et que les capacités des deux factions collent très bien à l’image que l’on se fait des ninjas et des samouraïs, c’est aussi pour le plaisir primaire du chat et de la souris sur un plateau de 81 cases, où déplacer plusieurs pions (et se partager le déplacement de tous les pions quand on joue à quatre) a naturellement quelque chose des échecs, avec l’obsession pour le Roi ennemi qu’il ne faut déplacer qu’en dernière extrémité, mais des échecs avec des cases spéciales et des murs. Tout est d’ailleurs fait pour que les parties ne puissent pas s’éterniser, la tension est constamment à son comble et le moindre relâchement est fatidique. Une vraie réussite.
Dicium, merveille écolo de Geek Attitude Games
Crazy Cup, Donjon, Civilisation et Shogun ne sont pas des mini-jeux, mais quatre jeux à part entière, rejouables, tactiques, au matériel et aux mécaniques variées… Ils auraient même très bien pu être publiés séparément, et avec un bon travail d’édition, on n’y aurait vu que du feu. Dicium a ainsi quelque chose de l’anti-KickStarter : à une époque où l’on peut croire qu’il suffit d’assortir n’importe quel set de règles génériques de beaux dessins et de centaines de figurines pour vendre et plaire, Dicium mise sur l’économie des pièces, prouve la richesse du recyclage de mécaniques. Bien sûr, les quatre jeux y perdent en singularité graphique ou en qualité générale du matérielle, mais ils impressionnent par la proposition ludique qui nous est faite plutôt qu’en flattant simplement le regard, et si l’on considère Dicium comme la compilation de quatre jeux complets et passionnants à dix euros chacun, il serait ridicule de ne pas être sensible à cette proposition.