Shadows – Amsterdam : pas juste un Codenames version Zootopie !
Vous connaissez assurément Codenames, Dixit, Mysterium. Ces trois classiques du jeu de société, réputés aussi bien pour l’ambiance qu’ils suscitent que pour les compétences à l’imagination et à la communication auxquelles ils font appel, ont pour autre point commun, pour les deux derniers, d’être édités par Libellud.
Or Libellud, à qui l’on devait aussi l’excellent Loony Quest, vient de faire paraître Shadows – Amsterdam, un jeu de Mathieu Aubert illustré par M81 Studio, qui s’inscrit parfaitement dans la démarche de l’éditeur en proposant une nouvelle variation sur ses classiques, associant cette fois l’expression, la lecture d’images, l’imagination, éventuellement la connaissance des autres, à un univers contemporain, criminel et anthropomorphique qui évoque naturellement Zootopie. Après Vaiana, voilà donc une autre adaptation non-officielle d’un film Disney qui s’inspire de son univers pour faire vivre des mécaniques engageantes. Et vu le pedigree de Libellud, on a d’emblée envie de faire confiance à ce Shadows – Amsterdam, tout en s’interrogeant sur ce qu’il peut apporter aux précédents jeux de l’éditeur.
Jetons donc un œil à cette nouveauté destinée à deux équipes de deux à quatre joueurs et proposant de surcroît un mode pour deux ou trois joueurs, pour des parties d’une demi-heure et vendu à environ 22 euros 50.
Installer Zootopie Amsterdam
Commençons par évoquer la manière la pus « normale » de pratiquer Shadows – Amsterdam, en équipes. À la manière de Codenames, un joueur de chaque équipe servira d’agent de liaison, les deux agents de liaison s’asseyant côte à côte, cachés de leurs coéquipiers par un paravent. Ceux-ci sont les détectives, chaque équipe de détectives se plaçant du côté opposé à l’autre du plateau. Elles possèdent chacune leurs trois jetons Preuve et leur Piste police, tandis que cinq jetons Police se trouvent à portée de main des deux équipes, à côté du plateau.
On installe ensuite le centre-ville, composé d’une grande tuiles et de trois tuiles épaisses d’obstacle, autour desquelles on place six quartiers. Or la boîte contient sept tuiles Quartier recto-verso, chaque face comportant cinq lieux, donc non seulement l’une d’entre elles restera dans la boîte au cours de la partie, mais les six tuiles ne seront utilisées que d’un côté, ce qui, ajouté au fait que l’on place les tuiles aléatoirement, contribue naturellement à ajouter beaucoup de rejouabilité à Shadows – Amsterdam. Cela fait un total de 70 emplacements différents, transposant tous très joliment des scènes de vie ordinaire dans ce monde animal.
Or cette disposition laisse des tuiles vides. On y place trois cartes Indice (qui représentent également des lieux), plus une au centre du plateau ainsi constitué, où les seuls emplacements encore blancs sont les obstacles. Puis dix cartes Indice sont révélées devant les agents de liaison.
L’un d’entre eux tire au sort une carte Plan, qu’il révèle à son concurrent, afin qu’il puisse chercher la même dans son paquet de cartes. Enfin la même… certaines cases en sont communes, mais pas tous, et aucun ne saura donc exactement ce que cherche l’autre.
Puis, dès que les détectives ont posé la figurine représentant leur équipe au centre du plateau, la partie peut commencer.
Guider, amener, fuir : le quotidien des détectives privés
L’objectif des détectives est de trouver trois preuves et de les amener à leur mystérieux client, tout en fuyant la police, qui n’aime pas trop les fouineurs dans votre genre. Une fois, ça passe, deux fois, vous êtes quitte pour un avertissement, mais à la troisième rencontre avec les forces de l’ordre, votre enquête s’achève. À l’aide de la carte qui lui montre où sont les preuves, où est le client et où est la police, l’agent de liaison doit donc correctement guider les détectives… sans leur dire explicitement où aller, ce serait trop facile.
Selon la difficulté des plans (les six premiers sont plus simples), il sera plus ou moins aisé d’éviter la police. Les équipes sont à la recherche de leurs propres preuves, mais peuvent tenter de s’emparer des rares preuves communes aux deux équipes (figurées par un symbole bicolore sur les plans) si cela les arrange – et dérange l’équipe adverse – avant de rencontrer leur client une fois que trois preuves auront été trouvées.
Pour communiquer avec ses détectives, l’agent de liaison ne peut utiliser que des images (les mots pourraient être interceptés), plus précisément les images des cartes Indice posées devant lui, qui ne seront donc jamais les mêmes d’une partie à l’autre, y compris pour faire deviner le même lieu. Or les indices représentent assez rarement des éléments à peu près isolés, et il faudra donc réfléchir judicieusement pour donner les cartes guidant les détectives vers la bonne case, en fonction des autres cases auxquelles ils risqueraient d’attribuer les indices.
Si une Preuve se trouve sur une case représentant un chien blanc et noir condamné dans un tribunal à la grande tristesse de son avocat canard, on peut donc espérer trouver une carte représentant un chien, un canard, un animal blanc et noir, un délit… si on a de la chance et qu’il ne faut pas chercher quelque chose de plus détourné encore !
Et pour corser encore les choses, l’agent de liaison ne peut donner qu’une carte à son équipe s’il veut lui indiquer une case adjacente, et deux cartes pour une case se trouvant à deux cases de distance. Ce qui ouvre plus encore l’éventail des possibles, mais permet aussi de passer au-dessus d’une case Police sans malus…
Jeu d’imagination… et de course !
Les joueurs ne jouent pas les manches l’un après l’autre, et Shadows – Amsterdam ne se pratique même pas en tours : les équipes jouent en même temps. Cela implique que quand l’agent de liaison a trouvé l’image ou les images qu’il va donner à son équipe, il doit les prendre en même temps, les donner aux détectives sans avoir le droit de les reposer, et immédiatement les remplacer par deux nouvelles cartes.
Cela implique surtout que, le temps que vous réfléchissiez, l’agent de liaison concurrent peut déjà avoir pris la carte qui vous aurait intéressé, ou qu’en attendant un peu il peut dévoiler une carte plus utile que les dix révélées, au risque de lui céder trop d’avance. Exactement comme au Stop en somme : l’attente représente un risque qui peut avoir des vertus. Si les deux agents estiment qu’aucun indice n’est vraiment pertinent, ils peuvent s’accorder pour défausser les dix cartes et les remplacer.
Ce n’est que quand les détectives ont déplacé leur pion conformément (ou pas) aux indices qui leur ont été donnés que l’agent peut leur parler pour leur dire s’ils ont trouvé une preuve, s’ils sont tombés sur la police, si la case n’a pas d’effet ou s’ils ont trouvé le client (une fois qu’ils disposent des trois preuves, sinon la case leur est présentée comme une case neutre).
Shadows – Amsterdam se joue en deux manches gagnantes, entre lesquelles on peut naturellement changer les rôles. L’équipe ayant amené deux fois ses trois indices au mystérieux client remporte donc la partie.
Comme on le voit, cette mécanique de course ajoute beaucoup de tension à ce jeu d’associations, l’agent de liaison désespérant de voir ses détectives si lents à comprendre son message, les détectives désespérant de voir leur agent si lent à trouver comment formuler leurs directives, ou désespérant du peu de clarté desdites directives, l’équipe la plus rapide s’amusant de voir l’autre peiner encore tandis qu’elle progresse rapidement sur le plateau… Si le compétitif simultané n’est pas inédit, c’est une forme assez rare de ludicité pour conférer à Shadows – Amsterdam une intéressante fraîcheur et d’inattendus frissons. Ceux-ci se maintiennent-ils à deux et trois joueurs ?
Le mode 2-3 joueurs, une addition dispensable dont on ne saurait se plaindre
Il me semble qu’il devient de plus en plus indispensable pour un jeu multijoueur de se doter d’un mode deux joueurs, comme si les éditeurs avaient soudain envisagé le succès du jeu de société auprès des couples, et l’intérêt de l’adresser à ce public tout en le rendant sortable en groupe. De sorte que l’intégration de ces modes, comme celle du mode solo dans certaines autres créations, tient souvent du gadget, quand elle ne dénature pas simplement ce que le jeu avait à offrir.
Shadows – Amsterdam est, comme Codenames ou Décrypto, un jeu profondément multijoueur, mais même Codenames avait fini par connaître sa variante duo. Et Shadows – Amsterdam parvient à jouer sur un élément de nouveauté pour souligner sa raison d’être : à deux et trois joueurs, il se pratique comme un jeu coopératif contre la montre.
L’un des joueurs est l’agent de liaison, les autres font les détectives, et il s’agit donc de récupérer trois indices (de quelque couleur qu’ils apparaissent sur le plan) avant de rencontrer trois fois la police et avant la fin du chronomètre. En mode recrue, on s’octroie 15 minutes par manche, en novice 8 minutes, en agent 5, et en maître 3 (quand tous les joueurs ont beaucoup d’expérience naturellement).
On mentirait en disant que ce mode est aussi bon que la manière « normale » de pratiquer Shadows – Amsterdam, mais la concision des manches, la tension engendrée par le compte à rebours, font qu’on prend un certain plaisir à le sortir, à rejouer pour échanger les rôles. S’il y manque naturellement l’ambiance de la rivalité faussement moqueuse, de l’amusement collectif, on ne saurait reprocher au jeu ce complément in fine agréable dont il aurait pu se passer sans même qu’on puisse lui en faire le reproche, et qu’au lieu de cela il propose et assume au point d’y consacrer une application mobile !
Un digne héritier des Codenames et Dixit, doté d’une identité propre
Avec le déplacement sur un plateau, la partie simultanée distingue nettement Shadows – Amsterdam des modèles auxquels sur d’autres aspects il pouvait trop ressembler. On pourrait déplorer la limite à une carte pour un mouvement, et deux cartes pour une case plus éloignée, ce qui limite l’exercice d’imagination et de formulation à des choix parfois absurdement éloignés, mais le jeu est assez bien conçu pour nous aider à trouver notre bonheur, même de façon détournée, avec les dix cartes à notre disposition. Au fond, je n’y déplore que l’organisation anarchique de la boîte, sans thermoformage ou sachets plastiques pour les paquets, qui volent dans les deux grands compartiments dont elle est composée.
Agréable à deux et trois, Shadows – Amsterdam devient formidable à quatre, et surtout à six, et l’on ne peut qu’espérer ardemment que le sous-titre Amsterdam annonce des variantes locales avec leur lot de nouvelles illustrations, évidemment compatibles entre elles et confiées à différents illustrateurs ; bref que Libellud et le succès public fassent de Shadows une franchise aussi joliment inépuisable que Dixit.
Bonjour et merci beaucoup pour cette critique.
Au plaisir d’une partie 🙂
Merci à vous ! Vivement votre prochaine création ! 🙂