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The Circle : livre vs. film

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The Circle : un livre, un film, une même histoire ?

 

Au début du mois de juillet, je préparais tranquillement mes vacances. Mais il me fallait un livre pour bien commencer cette phase de repos bien mérité. C’est donc sur internet que j’ai commencé à regarder quel(s) livre(s) pourrai(en)t bien me convenir. Mon choix s’est arrêté sur quatre livres, dont The Circle. Ce n’est qu’une fois reçu que j’ai réalisé que ce dernier était adapté au cinéma (oui oui, je suis bien dans ma grotte). Ni une ni deux, j’ai attaqué ma lecture, avec la ferme intention de regarder son adaptation une fois le bouquin terminé.

Je me suis tout de même laissée tenter par le visionnage de la bande-annonce, en grinçant des dents. J’étais déjà à la moitié du livre et en apprenant qu’Emma Watson était l’interprète du personnage principal, je me disais que ça n’irait absolument pas. Avais-je raison ?

 

Un livre de Dave Eggers

 

Commençons tout d’abord par un petit résumé du livre, garanti sans spoils. Le Cercle, ou The Circle en anglais, est un roman dystopique de science-fiction de Dave Eggers, paru en octobre 2013. Ce dernier a d’ailleurs été comparé au célèbre 1984 de George Orwell, publié en 1949. Quand Mae Holland est embauchée par le Cercle, elle n’en revient pas. Installé sur un campus californien, ce fournisseur d’accès Internet relie les mails personnels, les réseaux sociaux, les achats des consommateurs et les transactions bancaires à un système d’exploitation universel, à l’origine d’une nouvelle ère hyper-numérique, prônant la civilité et la transparence.

 

« Are you lost in the world like me? », clip vidéo de Moby, illustré par Steve Cutts.

 

Alors que la jeune femme parcourt les open-spaces, les immenses cafétérias en verre, les dortoirs confortables pour ceux qui restent travailler le soir, la modernité des lieux et l’intense activité la ravissent. On fait la fête toute la nuit, des musiciens célèbres jouent sur la pelouse, des activités sportives, des clubs et des brunchs sont proposés. Il y a même un aquarium contenant des poissons rares rapportés par le PDG.

Mae ne réalise pas sa chance de travailler pour l’entreprise la plus influente qui soit – même si le campus l’absorbe entièrement, l’éloignant de plus en plus de ses proches, même si elle s’expose aux yeux du monde en participant au dernier projet du Cercle d’une avancée technologique aussi considérable qu’inquiétante.

 

 

Ce qui ressemble d’abord au portrait d’une femme ambitieuse et idéaliste devient rapidement un roman au suspense haletant, qui étudie les liens troubles entre mémoire et histoire, vie privée et addiction aux réseaux sociaux, et interroge les limites de la connaissance humaine. À la lecture du livre, Maé m’a donné envie de lui mettre des baffes, une tonne de baffes. Elle n’est pas attachante, son manque totalement incroyable de confiance en elle la mène à des choix extrêmes, elle est égoïste au plus haut point, mais elle pense faire le « bien ». Le bien selon elle.

La trame du livre reste palpitante. Et heureusement pour nous, le livre est écrit à la troisième personne du singulier. S’il avait fallu voir le monde à travers les yeux de Maé, je n’aurai probablement jamais pu achever sa lecture. Ce livre nous fait réfléchir. La technologie du Cercle va une vitesse folle. On peut se dire qu’on a le temps, que ce n’est qu’un roman après tout. Mais nous sommes pourtant si proches de ce modèle que des frissons me parcourent encore.

 

Black Mirror – Nosedive / saison 3 épisode 1

 

Une adaptation ratée

 

Ratée. Foirée. Gâchée. Loupée. Bâclée. Mais surtout, un message démystifié et dénaturé, à l’image de l’adaptation d’Inferno. Et comme je le disais au début, c’était sûr à 200%. Il ne faut cependant pas tout mettre sur le dos d’Emma Watson… mais tout de même ! Il y a eu une erreur de casting. Désolée. Cette actrice a toujours eu une image lisse, toute douce. Elle porte encore les traces d’Hermione Granger sur le dos. Comment pouvait-elle sincèrement interpréter fidèlement le rôle de Maé Holland ? Cette jeune femme stupide, qui suit le mouvement comme un petit mouton bien sage.

Comment était-il possible de voir Emma Watson à l’écran en train de masturber, à plusieurs reprises, un homme qui lui demande ensuite de le noter et qui répond, lasse et fatiguée : « je te mets un 100 », pour finir par s’endormir dans le lit de cet homme qu’elle n’apprécie même pas. Impossible. Pour l’anecdote, ce personnage est totalement passé à la trappe dans le film. Tout comme il était impossible de voir notre chère Emma Watson faire des choses peu catholiques avec un autre homme dont elle ignore tout dans les toilettes de son campus. Mais elle le fait tout de même. Vous comprenez, il é tro bo é tro mistérieu se mek !!

 

« Oulala c’est pas très bien tout ça… »

 

Évidemment, il était inimaginable que la fin du film (dont je ne vous révélerai rien) soit la même que dans le livre. Hum hum. Car tout tient à Maé Holland. Et puisque Maé Holland n’est autre qu’Emma Watson, le message de fin doit lui donner le beau rôle. Attention, j’aime énormément cette actrice ! Néanmoins elle ne colle pas du tout au personnage principal. D’ailleurs, elle ne correspond absolument pas à la description physique de cette dernière. Le personnage de Ty a.k.a. Kalden est également bâclé à souhait. Côté physique, il s’agissait d’un homme grand, mince, la trentaine aux cheveux blancs. Bien loin donc de son interprète, John Boyega. L’avant-dernière scène du livre d’ailleurs, le moment clé, celui où l’on comprend toute l’importance du personnage masculin, se retrouve à la 44e minute du film, allez savoir pourquoi.

Je sais, vous devez en avoir marre de ces gens qui passent leur temps à dire : « De toute façon, le livre est tellement mieux ». Et pourtant, je n’aurais pas à le dire si nos amis d’Hollywood se mettaient un point d’honneur à respecter les œuvres qu’ils adaptent sur grands ou petits écrans. Pour finir, je ne peux que vous recommander la lecture de ce livre qui donne à réfléchir. Pour le film, passez votre chemin. Vous économisez deux heures de votre temps.

Le livre comme le film parlent de transparence, de la fin de l’intimité. Nous sommes dans une société qui ressent le besoin de tout savoir, sur tout et sur tout le monde et en temps réel. Toutes les pensées de chacun doivent être partagées. Le monde DOIT savoir. Sur le coup, nous pouvons nous demander si un tel modèle est possible. Exemple : regardez la dernière campagne électorale française pour ne citer que cela. Nous avons eu besoin de transparence, nous l’avons partiellement obtenue. Et c’est bien là que le bât blesse. La transparence, d’accord, mais sous quelle forme ? L’humain est connu pour ses excès et a bien du mal à trouver un juste milieu. C’est tout l’attrait du livre. Le juste milieu. Sera-t-il trouvé ?

 

Illustration par Steve Cutts

 

Moyocoyani : un film qui prend justement du relief dans les libertés qu’il prend par rapport au livre

 

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : la superbe phrase de Rabelais est devenue une platitude à force d’être employée à tort et à travers, principalement pour parler de notre époque et de son goût pour l’information d’ailleurs. C’est que pointer doigt les dangers d’une trop grande transparence, et souligner les liens entre surveillance totale et totalitarisme a perdu tout intérêt à force d’être répété inlassablement, avec plus ou moins d’intelligence, et qu’une oeuvre d’art cherchant à s’exprimer sur ce thème malgré tout de la plus grande actualité se doit d’être plus originale que les autres, d’avoir quelque chose qui la distingue des mille productions similaires.

À première vue, cette contrainte d’originalité est plutôt à charge de The Circle, qui en 2017 ne peut manquer d’apparaître comme une version appauvrie de Black Mirror : dans une durée plus longue qu’un épisode de Noël, le film n’a jamais l’inventivité de Charlie Brooker, il se complaît dans une platitude visuelle assez regrettable vu les possibilités de son sujet – même dans les scènes dramatiques, le montage hyper-saccadé tient lieu de mise en scène – son scénario manque désespérément d’envergure et de twists comme ses personnages secondaires de background ou même simplement du minimum syndical de psychologie. Même en ce qui concerne Mae, on se demande pourquoi The Circle ne commence pas à son entrée dans l’entreprise homonyme plutôt que de tenter de la présenter avant le Cercle… pour ne finalement rien en dire ni en montrer qui lui donne quelque relief que ce soit.

 

 

Pourtant, si ce n’est clairement pas son esthétique, ses acteurs ou son scénario qui distinguent The Circle, il trouve un fort intérêt dans son positionnement assez extraordinairement ambigu. Trois ans après avoir écrit le roman, Eggers a vu Black Mirror et il a constaté les dérives sécuritaires des États démocratiques ainsi que leurs collusions avec des entreprises privées de communication et de sociabilité à des fins de surinformation sur la population. Ce recul lui permet d’affiner son message dans le scénario qu’il co-écrit avec le réalisateur du film en ne faisant plus de son héroïne Mae une cynique que l’on déteste dès la première page mais une personne spontanée et bienveillante, parfois sceptique sur les tenants et aboutissants du Cercle, et y adhérant progressivement parce qu’elle pense sincèrement adhérer au meilleur système de valeurs possible. Les autres personnages le répètent constamment : « she’s a natural », « this girl, she hasn’t a cynical bone in her body »… C’est ainsi justement parce qu’on ne peut pas imaginer Hermione Granger dans un rôle cynique qu’Emma Watson a été choisie, rien ne convenait mieux pour incarner l’innocence qu’une actrice que l’on perçoit comme le visage de l’innocence, et si évidemment l’actrice n’aurait pas pu jouer la Mae du roman, son choix s’imposait pour le scénario.

Le questionnement sur les dangers de l’information totale est ainsi complexifié par l’adhésion d’un personnage principal globalement positif à une entreprise qui apparaît comme sincèrement bienveillante, croyant œuvrer pour la plus parfaite des démocraties et le bien-être des individus au sein d’une communauté universelle connectée, convaincue que la surveillance, le regard constant des autres, nous oblige à donner le meilleur de nous-mêmeThe Circle a ainsi le génie de ne pas céder au double-crime discursif du personnage cynique qui réussit dans une entreprise cynique, ou pire encore de l’entreprise qui dissimule derrière ses prétentions d’honnêteté des intérêts troubles, « double-crime » parce que ces conclusions ne montrent rien et ne résolvent rien.

Qu’on y réfléchisse : ce n’est pas parce que le chef d’une entreprise cherche en fait son propre intérêt que l’entreprise est en soi mauvaise, et que ses moyens comme ses objectifs affirmés ne sont pas dignes d’intérêt. Or combien de films s’arrêtent au twist consistant à montrer que le patron est mauvais pour nous faire croire que tout le problème est résolu ? C’est entre autres l’une des grandes failles du comics et du cinéma super-héroïque que de montrer des méchants posant de bonnes questions, et de résoudre tout le conflit en quelques coups de poing qui esquivent les problèmes des tendances anti-démocratiques de l’État, des failles de l’hyper-capitalisme, de l’iniquité sociale…

La manière dont Mae rentre dans la spirale de the Circle est ainsi certes trop linéaire, mais aussi impeccable : jeune diplômée frustrée par un travail qui ne fait pas honneur à ses compétences, elle accepte évidemment de travailler dans une très grande entreprise misant tout sur le sentiment de communauté, et ses doutes ne peuvent qu’être balayés par les avantages dont profite alors sa famille et par son sauvetage grâce aux outils-même qu’elle n’était pas si loin de dénoncer. Chaque épreuve est pour elle l’occasion de faire progresser sa vision favorablement aux objectifs du Cercle, et de vouloir aller plus loin tout en se persuadant de son humanisme.

Il n’y a que deux moments qui m’ont gêné dans la dramaturgie du film, dont je n’évoquerai que le premier pour ne pas spoiler : un ami de Mae ayant réalisé un beau chandelier avec des bois de cerf, celle-ci s’empresse de partager l’oeuvre sur les réseaux sociaux, mais cela ne vaut à l’artiste que du harcèlement de ceux qui l’accusent d’être un tueur de cerfs (ce qui n’est pas vrai). Quand on voit cette situation, on constate qu’elle est dénoncée par le scénario comme un abus médiatique, alors que tout spectateur un peu éveillé se dit que c’est ridicule, qu’on ne peut pas vraiment reprocher le harcèlement au partage sur les réseaux sociaux du chandelier, que le problème vient même plutôt d’un manque d’informations, puisque dans une société totalement connectée, tout le monde aurait dû savoir que cet ami n’avait pas tué de cerf. Ce moment s’est avéré très important pour la formation de mon avis sur The Circle : alors que j’y voyais la preuve d’une faiblesse grossière dans le message du film, le scénario s’en empare plus tardivement et indirectement pour montrer qu’en effet la « transparence » n’était pas en cause, et qu’au contraire plus de transparence aurait été bénéfique dans cette situation, un retournement de pensée inattendu puisqu’il va dans le « mauvais sens » en le justifiant moralement !

 

« Knowing is good, knowing everything is better » : l’excellent choix de Tom Hanks pour rendre sympathique le message ambigu du film.

 

Il y a ainsi une grande finesse à faire ressentir au spectateur les excès de la société représentée, où on fait l’éloge de la visibilité à presque 100% des personnes, et à le faire sans moralisation explicite, presque sans drame majeur voire sans histoire. La meilleure amie de Mae qui lui permet d’arriver au Cercle ou Ty, celui qui, à l’intérieur du Cercle cherche à le dynamiter, ne sont plus l’occasion de péripéties comme dans le roman, mais simplement des faire-valoir permettant à Mae de trouver sa voie, l’absence d’introspection, la linéarité plate de l’intrigue, l’enfoncement de portes ouvertes, devenant presque des qualités, en tout cas des preuves que le scénario a été assez intelligemment pensé pour ne pas se satisfaire d’une dramaturgie traditionnelle, gagnant en efficacité diégétique ce qu’elle perd en pertinence.

S’il est presque glaçant de voir un film manquer d’arguments pour dénoncer la société de surinformation, il est aussi discursivement efficace et intellectuellement plaisant que l’on ait dépassé la moralisation de 1984 ou The Truman Showréussites esthétiques et dramaturgiques incontestables, ressentant encore l’obligation d’une diabolisation sans ambages du consumérisme et du sécuritarisme, quand The Circle s’adresse à des spectateurs dont il est évident qu’ils n’abandonneront pas leurs habitudes connectées et que, souvent sans le vouloir, ils courent vers le monde que le film montre.

Pourquoi alors bouder et blâmer un film dont l’éloge du synopticon (la surveillance de chacun par tous, par opposition au panopticon/Big Brother) est moins paradoxal qu’on aurait pu le craindre, un film qui, finalement, interroge vraiment au lieu de nous dire ce que nous devons penser ?

 

 

 

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