The Art of Language Invention, ou la Bible du conlanger ?

 

Si vous traînez souvent dans le coin, vous avez peut-être vu passer quelques articles décryptant pour vous des langues issues de vos univers préférés (ou détestés, au choix), ces fameuses langues fictives. Nous avions ainsi parlé de l’apprentissage du Na’vi, du Newspeak, de l’Heptapod mais aussi plus récemment du Gallifreyan. Oui mais voilà, apprendre une langue, pourquoi pas, mais la créer soi-même, c’est mieux. S’il n’y a pas de règles pour cela, puisque par définition, vous pouvez créer la langue que vous voulez, le futur conlanger (comprenez, créateur de langue) que vous êtes peut se rassurer : des ouvrages existent pour vous guider dans cette voie ardue mais passionnante. The Art of Language Invention en fait partie. VonGuru l’a lu, et fait aujourd’hui le point sur ce guide qui risque fort de devenir votre bible de chevet si ce sujet vous intéresse un tant soit peu.

 

Présentation

 

Publié aux éditions Penguin Books en 2015, le livre de David J. Peterson a de quoi impressionner, surtout pour une personne pour qui les langues ou la linguistique ne sont pas des disciplines très familières. Du haut (enfin, du long) de ses 292 pages – 284 si on ne tient pas compte de l’index -, The Art of Language Invention: From Horse-Lords to Dark Elves, the Words Behind World-Building propose précisément ce que le titre nouis vend, à savoir un aperçu du processus de création de langues peuplant et nourrissant divers univers fictifs.

David Peterson n’en est cependant pas à son premier coup d’essai. Pour ceux qui ne connaîtraient pas ce nom, il s’agit d’un très célèbre conlanger (mot porte-manteau construit à partir des mots constructed et language pour qualifier les langues construites et par extension leurs créateurs ou tout ce qui a attrait à la création de langue). Il est notamment à l’origine du castithan, l’irathient, et l’indojisnen pour la série Defiance, du shiväisith pour le film Thor : Le Monde des ténèbres, du sondiv pour la série Star-Crossed, du lishepus pour la série Dominion, ou encore du trigedasleng pour la série The 100. Autant dire qu’il s’y connaît en langues fictives et en création de langues.

 

 

Mais il est aussi et surtout le créateur du Dothraki, langue du peuple éponyme dans la très célèbre série Game of Thrones dont nous avions déjà parlée, au sujet de laquelle il avait sorti en 2014 un livre, Living Language Dothraki: A Conversational Language Course Based on the Hit Original HBO Series Game of Thrones. Une première expérience pédagogique dont il ne se contentera pas, puisqu’il ouvre en août 2015 sa propre chaîne YouTube où il y distille à raison de deux ou trois épisodes par mois des conseils plus ou moins spécifiques vis à vis de la création de langues.

The Art of Language Invention n’est donc que la suite logique de ce parcours, au sujet duquel vous retrouverez de plus amples informations sur le site officiel.

 

L’art réinventé de parler du langage ?

 

Alors bien sûr, les langues (fictives ou non), la linguistique, ce n’est pas forcément un sujet qui attire ou rassure les masses, et qui peut même parfois effrayer ou dégoûter. Et cette impression ne sera que renforcée (pour le non initié) à la vue de la couverture du livre. Car il faut l’admettre, cette dernière peut paraître très brute et particulièrement illisible, au point de se demander s’il ne s’agit pas là d’une langue étrangère. Il n’en est rien, cependant, puisqu’il ne s’agit que d’une transcription en alphabet phonétique, que les avertis n’auront pas de mal à lire. Mais voilà qui met tout de suite dans le bain.

 

 

Rassurez-vous cependant tout de suite : ce livre ne vise pas un public spécialement averti. De nombreux concepts fondamentaux sont repris, bien que pas forcément approfondis, pour permettre à tout le monde de suivre le fil de l’explication. L’introduction et le glossaire sont là pour mettre au clair certains termes parfois obscures que l’on retrouvera à travers tout le livre, et de nombreux schémas et exemples viendront régulièrement illustrer et éclairer les théories décrites. Chaque fin de chapitre est par ailleurs complété d’une étude de cas tiré d’une des langues créées par l’auteur pour bien figer tous les notions clés évoquées précédemment. Ce livre ne se veut cependant pas exhaustif, et s’il aborde un très grand nombre de concepts, de façon relativement claire et concise, il vous faudra sans doute approfondir de votre côté certains points si vous souhaitez vous lancer dans la création d’une langue, en fonction de la langue que vous projetez de créer, du moins.

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Le livre se découpe en quatre grands thèmes à raison d’un thème par chapitre : l’aspect phonétique (la prononciation et les sons de la langue), l’aspect lexical (les mots qui composent votre langue et la façon de les agencer et de les transformer), l’aspect diachronique (l’évolution des aspects phonétiques, lexicaux et grammaticaux de votre langue dans la chronologie fictive de votre univers et de votre langue) et l’aspect scriptural (le système d’écriture de votre langue et son évolution). Chaque chapitre reprend les notions fondamentales nécessaires à la compréhension du fonctionnement de la langue pour ensuite mieux pouvoir les exploiter et les adapter à une langue que vous créez. La progression des explications est vraiment bien pensée, et pour peu que vous preniez le temps de bien assimiler ce qui est dit et montré, vous ne serez pas perdu. Si le contenu est accessible, on apprécie aussi le souci du détail de l’auteur, qui va jusqu’à nous donner des bouts de code pour créer sur logiciel notre typographie.

 

Extrait du chapitre sur la description d’aspects phonétiques

 

Bien qu’il ne faille pas confondre linguistique et littérature (ce qui est parfois trop souvent le cas), notons que notre auteur a un style très agréable à lire. Qu’il s’agisse de l’introduction, où David Peterson nous raconte l’origine de son intérêt pour les langues fictives, ou du corps du texte, le style n’est pas trop académique, et l’on se surprend régulièrement à sourire des blagues qui ponctuent les passages les plus théoriques.

Malgré la très grande pédagogie dont fait preuve le livre, on regrettera cependant la présentation un peu trop sobre de son contenu. Les exemples sont nombreux et très instructifs, nous l’avons dit, mais ils ne sont pas réellement mis en valeur. À l’exception de sa couverture, l’intégralité du livre est imprimé en noir et blanc, y compris les images, schémas et extraits textuels proposés. Cela ne porte pas préjudice au contenu lui-même, et n’empêche en rien la transmission de l’information, mais l’on aurait aimé à avoir un objet un peu plus « beau » entre les mains. Autre point qui pourrait en faire tiquer : le livre est en anglais, comme son titre a pu vous le faire penser. S’il s’agit d’un anglais tout à fait accessible, les termes compliqués étant toujours expliqués, cela pourra néanmoins rebuter ceux qui ne sont pas habitués à lire en anglais.

 

Conclusion

 

Comme vous avez pu le constater, The Art of Language Invention de David J. Peterson nous a convaincu. Si le livre n’est pas parfait, il se révèle particulièrement complet et pourtant très facile et agréable à lire, ce qui n’était pas forcément gagné vu le sujet abordé et l’aperçu que sa couverture nous offrait. Ce livre est donc une agréable surprise, que nous ne pouvons que recommander pour celles et ceux que le sujet intéresse. Quand bien même la création de langues n’est pas votre objectif, il apportera une approche ludique de la linguistique et des informations intéressantes sur les langues fictives qui vous intéressent. On ne crache par ailleurs pas sur les quelques pages de dictionnaires des différentes langues fictives évoquées dans le livre dans les dernières pages. Sa taille et son prix sont des atouts supplémentaires pour vous convaincre de vous plonger partout et en tout temps dans cet ouvrage qui vous fera voir votre univers et ceux que vous aimez autrement.