Review sans spoiler de Your Name, l’immense succès inattendu de la japanimation

 

Your Name est sorti le 28 décembre 2016 en France. Il paraît dès lors tout à fait incongru d’en proposer une critique un mois après la sortie, a fortiori sur un site qui cherche autant que possible à vous proposer ses analyses au plus près de la sortie. Pourtant, comme Victor Bonnefoy (InthePanda) et de très nombreux cinéphiles, nous avons laissé passer le film assez négligemment.

Your Name avait pourtant eu droit à une distribution assez conséquente, et des critiques élogieuses dès sa sortie, mais le marketing timide et la surestimation régulière par les critiques des films d’animation japonais, ne permettaient pas de prévoir son triomphe. Bien sûr, nous avons eu tort, comme cinéphiles et amateurs de japanimation, et les chiffres parlent assez : au niveau mondial, Your Name a largement dépassé Le Voyage de Chihiro au titre d’anime le plus vu en salles de tous les temps, et au Japon, il s’est classé quatrième plus grand succès de l’histoire du pays.

Qu’est-ce qui, dans Your Name, a bien pu surprendre et convaincre aussi remarquablement, tant au Japon qu’à l’étranger ?

 

Les nombreux noms de Your Name

 

Un étudiant tokyoïte et une jeune fille habitant la campagne nippone se rendent compte qu’il leur arriver d’échanger leur corps l’espace d’une journée, sans en avoir le souvenir. Accumulant d’abord les maladresses, ils décident de profiter de l’opportunité de réaliser leur désir profond de changer de vie, en harmonie avec celui dont ils occupent le corps, tout en apportant à la vie l’un de l’autre une touche dont peut-être elle avait besoin. Avant de se rendre compte que ce qui leur arrive les dépasse, et est peut-être confusément lié à la comète qui doit bientôt passer près de la Terre…

On le perçoit sans doute à lire ce résumé, même s’il est difficile de le rendre vraiment clair sans trop en révéler : Your Name est divisé en actes très distincts, commençant par le quotidien des deux jeunes héros, puis la découverte de l’échange de corps et son assomption, et plusieurs autres après cela. Cette division est nette parce qu’en plus d’une mutation de l’intrigue, elle opère un radical changement de ton, et presque d’enjeu, de sorte que certaines parties plairont davantage que d’autres à chacun, et que par exemple l’impression finale du spectateur pourra ne pas prendre en compte le premier acte, trop distant et différent de ce qu’il vient de voir.

Cette particularité est à première vue une force, parce qu’il est rare d’assister à un spectacle aussi hétérogène, dont le cœur n’est jamais le même, passant de la frustration d’une jeune campagnarde enfermée dans les traditions à une intrigue où le surnaturel est plutôt prétexte au comique, puis à une intéressante réflexion sur la sexualité, avant d’aborder le romantisme, voire la science-fiction, le film catastrophe…

Mais elle a, dans mon ressenti, beaucoup joué contre le film au début, quand il aborde dans des caricatures qui se veulent sans doute très amusantes l’adolescence et sa naïveté, son comportement excessif, son insouciance ridicule. Bien loin de la délicatesse toujours manifestée par Makoto Shinkai dans ses autres réalisations, j’avais l’impression de me retrouver face à l’une de ces nombreuses séries animées japonaises fondant une part essentielle de leur comique sur le deforume (la déformation grotesque des traits pour produire un effet de décalage sur le spectateur), impression naturellement renforcée quand, après quelques minutes, on a droit à un authentique générique d’anime, avec chanson pop-rock très rythmée, images représentant métaphoriquement la relation entre les personnages… Ce n’est sans doute pas proprement mauvais, mais trop inattendu pour ne pas être embarrassant…

 

Il faut donc de la patience pour supporter les longues séquences à base « Comment ça, j’étais bizarre hier ? Cela ne me dit rien ! » (alors qu’un simple coup d’œil au calendrier, ou la progression de la classe dans le programme scolaire, leur prouverait qu’ils ont sauté une journée de leur vie), de « De toute façon, ce n’est qu’un rêve, alors je peux faire ce que je veux », puis de « C’est amusant ce rêve, on dirait presque que j’ai vraiment des seins », accompagné de très nombreuses scènes où le garçon, dans le peau de la fille, se caresse la poitrine, y compris devant sa petite sœur, euh… On veut bien mettre ça sur le compte de l’audace du réalisateur à montrer la charge érotique liée à la fascination pour l’autre sexe de deux adolescents, enfin montrer dix fois la même chose gênante est-il réellement supposé produire au moins un comique de répétition, à défaut d’un approfondissement de la réflexion ?

Enfin vient la récompense, avec ce qui reste pour moi l’instant de grâce du film, quand les deux personnages se rendent compte de ce qui leur arrive, et tentent d’assumer et de profiter de cette situation, en faisant connaissance via mots interposés, en tentant de mettre un peu du leur dans la vie de l’autre, en vivant une autre vie sans renoncer à leur désir, avec des taquineries qui n’empêchent pas une profonde bienveillance. Le changement de sexe, d’environnement social, économique et culturel, permet de touchantes scènes de découverte, en particulier de la campagnarde dans la peau du citadin (la situation inverse est regrettablement moins montrée), et font percevoir enfin l’enjeu réflexif du film : l’équilibre qui permet à un être humain d’être complet.

Un film romantique, sensible, à grand spectacle ?

 

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Cette réflexion délicate, déjà ternie par le fait que l’on s’aperçoive mal de ce que Mitsuha gagne à être plus « masculine », est minée par le besoin de Shinkai d’introduire de l’action et des réponses dans son film, plutôt que de développer ce qui en faisait la force. Entendons-nous, je ne reproche pas à Your Name ses séquences plus spectaculaires, mais la place qu’elles prennent, par exemple pendant le climax assez interminable, ou leur prévisibilité, certains éléments déterminants étant largement annoncés par une séquence de promenade dans la montage où l’on soupçonne fortement les propos de la grand-mère de Mitsuha de préparer la suite, puisqu’ils ne sont absolument pas justifiés par ce qui précède. Shinkai a aussi le malheur de chercher à tout prix à insuffler des sentiments romantiques à ses deux personnages principaux. Alors que certains pourront louer le fait que ces sentiments ne soient pas introduits trop frontalement, on peut aussi estimer que, pour le coup, ils ne sont pas assez préparés pour qu’on les accepte comme quelque chose de naturel.

Your Name est ainsi parfaitement cohérent dans la filmographie de Shinkai, et en apparaît d’autre part comme un pendant assez populaire. Tous les thèmes du film, le lien cosmique entre les êtres, les trains, l’amour entre deux adolescents de sexe opposés, sont caractéristiques de tous ses moyens et longs-métrages précédents, à l’exception du Voyage vers Agartha…où il n’y avait pas de train (dans mon souvenir). À chaque fois pourtant, l’amour entre les deux personnages principaux frappait par son évidence absolue, ce qui renforçait la perception mélancolique de l’incommunicabilité de cet amour, de leur impuissance à la déclarer et le vivre pleinement.

Cette « popularisation » est visible même dans les titres de ses films : les précédents portaient tout de même les noms superbes de The Place promised in our early days5 Centimeters per Second (la vitesse à laquelle tombe une feuille de cerisier), Children who chase lost voices from deep below, The Voices of a distant starGarden of Words… Je suis obligé de donner les titres anglais, parce que les titres français les affaiblissaient fortement, mais on mesure la différence avec le ridicule Your Name, qui n’a assurément pas aidé à faire remarquer le film ! (comme quand la distribution française renomme Sea of Trees Nos Souvenirs ou The Ides of March Les Marches du pouvoir, même Olympus has fallen est devenu La Chute de la Maison blanche, bref…)

C’est en fait d’autant plus dommage que, depuis le début de sa carrière, Shinkai semble chercher la meilleure manière d’exprimer les thèmes et idées qui le traversent, et qu’après un Voyage vers Agartha, pastiche éhonté (mais pas raté) du style Myiazaki, il semblait avoir trouvé une forme mûre et belle avec le beau moyen-métrage Garden of Wordssa réussite la plus dépouillée d’artifices, aussi bien thématiques que visuels, en 2013.

Or c’est justement par le décor de l’histoire que Your Name subjugue : même en répétant son thème extraordinaire jusqu’à le rendre insipide, les airs sensibles sont bouleversants (l’OST a même le mérite de piquer quelques notes à Yiruma) et les images, en particulier les paysages, panoramas urbains et visuels oniriques, sont enchanteurs. Il est seulement dommage que Your Name cède (sans doute pour des raisons techniques liées à l’organisation des tâches en studio) à cette triste habitude de la japanimation consistant en arrière-plans magnifiques sur lesquels se détachent des objets aux couleurs et textures grossières, et à l’animation très aléatoire, comme quelques effets de lumière tout à fait irréalistes, globalement des expressions faciales qui ne sont pas d’une finesse admirable, et bien sûr les larmes, qui comme celles du Voyage de Chihiro (seul défaut de ce chef-d’oeuvre peut-être), sont d’une abondance et d’une épaisseur grotesque.

 

Un film au-dessus de la moyenne, qui ne doit pas faire oublier les autres

 

En somme, Your Name a bien tous les arguments pour convaincre son public, même si les plus étrangers aux particularismes de la japanimation tiqueront plus d’une fois pendant la première demi-heure. La qualité de son animation et de sa musique, le mélange des tonalités, l’association d’une intrigue sentimentale à une histoire de paradoxe temporel ou d’enjeu surnaturel dans un dessin animé, la curiosité de l’échange des sexes, les quelques scènes d’une merveilleuse délicatesse, sont des qualités qu’il est difficile d’ignorer.

Ce qui surprend cependant dans le cas de Your Name, c’est l’accueil dithyrambique qu’il a reçu, et qui donne l’impression qu’à la recherche éperdue d’un héritier à Myiazaki, certains critiques sont prêts à aduler tout ce qui leur passe sous les yeux, quitte à oublier qu’ils nous ont déjà fait le coup pour les deux derniers films de Mamoru Hosoda (Les Enfants-Loups Ame et Yuki et Le Garçon et la bête), le dernier Takahata (Le Conte de la Princesse Kaguya)… Leur admiration pour l’originalité de Your Name donne ainsi l’impression qu’ils n’ont jamais vu La Traversée du temps voire Summer Wars du même Hosoda, les films plus expérimentaux de Satoshi Kon (Perfect Blue, Millenium Actress), et simplement les précédents Shinkai, et elle peut les conduire à sur-vendre un film qui est indubitablement beau, qui a le mérite de faire découvrir le travail marquant de son réalisateur, mais qui manque souvent trop de délicatesse ou d’effacité pour rivaliser de force et de beauté avec Princesse Mononoké ou Le Voyage de Chihiro.