Westworld est-il le Game of Thrones de la science-fiction ? Review à quatre mains et sans spoiler !
Après l’adaptation d’un texte littéraire, la suite, le remake, le prequel, le remake live, le portage d’une série sur le grand écran, la nouvelle mode parmi les scénaristes tétanisés à l’idée d’avoir une idée originale est d’étirer un film ou un univers filmique sur le petit écran de nos téléviseurs et ordinateurs. L’Armée des douze singes, Minority Report, Scream, L’Arme fatale, Evil Dead, Psychose, Fargo, Hannibal, Une Nuit en enfer, en attendant Taken, Rambo, L’Exorciste, Le Transperceneige, Starship Troopers… tous ces films cultes ont récemment connu, ou vont très bientôt connaître, leur adaptation en série, sans même parler des séries d’animation, avec une inspiration et des résultats inégaux : le désir de profiter commercialement de la notoriété du matériel source prime souvent sur l’inspiration, et certains univers passionnants le sont justement parce qu’ils ne sont pas explorés, et qu’on admire la richesse du background de l’action, l’étirement de cet univers en détruisant la magie, et pouvant nuire même à la perception du film…
Le cas de Westworld est assez particulier : la série dérive naturellement du très intéressant film réalisé par Michael Crichton (l’auteur des romans Jurassic Park !) en 1973 (et qui n’a pas trop vieilli, donnez-lui sa chance), de sa suite moins remarquable Futureworld (1977) et de la série Beyond Westworld (1980), échec commercial si retentissant qu’elle fut annulée après cinq épisodes produits et seulement trois diffusés. Ces fictions ont pour toile de fond un centre de loisirs où les visiteurs peuvent découvrir des reconstitutions impressionnantes d’époques passées, peuplées d’androïdes programmés pour satisfaire leurs désirs. Il y a cependant fort à parier que beaucoup d’entre vous n’avaient jamais entendu parler de ces fictions avant la sortie de la série, qui se présente effectivement comme un tout indépendant, rebootant en quelque sorte l’univers pour la moderniser sans prendre en compte les événements des histoires précédentes.
L’autre particularité de Westworld est qu’après visionnage du film, on rêve immédiatement d’une adaptation en série : l’histoire et les personnages n’en étaient pas passionnants, ils servaient surtout de prétexte à magnifier la densité du monde imaginé, et cela fonctionne, là où aucun spectateur ne s’est jamais dit je pense qu’il était indispensable de faire une série Scream ou Taken pour explorer en profondeur les possibilités infinies de films déjà assez sérialisés au cinéma… Les pistes ouvertes par Westworld sont nombreuses, et amplifiées par les capacités contemporaines en terme de budget.
Faut-il rappeler que la série est produite par J. J. Abrams et Bryan Burk, les deux collaborateurs à l’origine de Lost, des films Star Trek, du retour de Star Wars, et co-créée par Jonathan Nolan, frère de Christopher Nolan, scénariste du Prestige, The Dark Knight, Interstellar, déjà à l’origine de Person of interest, et qui multiplie les casquettes sur Westworld en scénarisant et en réalisation lui-même plusieurs épisodes ? Ou que son casting compte deux légendes, Anthony Hopkins et Ed Harris, quelques acteurs que nous aimons beaucoup (Sidse Babett Knudsen, Jeffrey Wright), les très sympathiques Rodrigo Santoro et Luke Hemsworth, sans compter James Marsden et Evan Rachel Wood ? Et tout cela sur HBO, la chaîne qui diffuse Game of Thrones et qui tente de lui trouver une relève ? Comment est-ce que cela pourrait ne pas être la série de l’année ?
Lucile « Macky » Herman : il faut se méfier de l’eau qui dort
C’est avec un enthousiasme certain que j’ai commencé Westworld au lendemain de la diffusion du premier épisode aux USA. J’ai tout simplement adoré l’idée, le concept, mais aussi toutes les questions morales que suscite cette série, notamment dans le premier épisode. Il y a beaucoup d’informations à intégrer, à analyser. Certains vont diront qu’au fil des épisodes, la série s’est quelque peu essoufflée. Et il est vrai que parfois, la trame n’avance que peu et c’est en général dans les 15 dernières minutes de chaque épisode que quelque chose d’intéressant se passe. Et en général, votre cerveau cogite tellement que vous ne savez plus où donner de la tête. Il faut voir Westworld comme un puzzle géant. C’est à vous d’essayer d’anticiper ce qu’il va se passer, d’anticiper la réaction des personnages et surtout, de faire en sorte de comprendre quels sont les buts de ces mêmes personnages.
Je ne spoilerai personne ici, tant le dernier épisode est grandiose. Sachez cependant qu’il faut persévérer. Comme une récompense, ce dernier épisode vaut le coup. Supporter les quelques longueurs de la série n’est pas un prix cher à payer. Je vous parlais plus haut des passages intéressants se situant en général vers la fin des épisodes. Eh bien le dernier épisode n’est fait que QUE de ces moments-là. Le puzzle s’assemble enfin, nous y voyons plus clair, bien qu’un autre puzzle se met en place au fur et à mesure.
Évidemment, Westworld a quelques défauts, à commencer par ses personnages. S’il s’agit là de mon avis personnel, je pense ne pas être la seule à avoir eu du mal à m’attacher ne serait-ce qu’à un personnage. Je n’ai pas pu ressentir d’empathie, pour aucun d’entre eux. Même la pauvre Dolores et notre ami Teddy a.k.a la victime, qui se font martyriser à chaque épisode n’ont pas su susciter mon émoi. Attention, j’ai aimé tous les personnages. Je les ai tous trouvé importants et essentiels au bon déroulement de l’histoire, car ils sont tous une pièce du puzzle. Mais voilà, comme vous le savez, l’attachement à un personnage passe par souvent par l’identification, processus que je n’ai pas pu expérimenter ici.
Mention spéciale à la réalisation du premier et surtout du dernier épisode qui m’a tout simplement coupé le souffle ! Pas très étonnant quand on sait que c’est justement Jonathan Nolan qui était derrière la caméra.
Siegfried « Moyocoyani » Würtz : Westworld, une série désincarnée qui gagne soudain en puissance
Pour toutes les raisons évoquées en introduction, j’attendais beaucoup de Westworld, dont tout me paraissait prometteur, des équipes créatives au casting, de l’univers au scénario, dont le potentiel réflexif était immense, surtout aux mains de Jonathan Nolan, à une époque où l’intelligence artificielle fait encore l’objet de trop peu de films réellement soignés, alors qu’elle interroge notre rapport à la technologie, notre définition de l’humanité, notre questionnement sur la création, sur l’origine voire la divinité, la confrontation de notre morale à nos désirs, de notre imaginaire au réel…
Ma première surprise fut de constater que les premiers épisodes allaient dans beaucoup de directions sans nous mener nulle part : les personnages principaux sont extrêmement nombreux, avec l’idée de nous offrir tout le panorama de Westworld, du concepteur originel du parc à l’androïde le plus basique, en passant par le chef administratif, un responsable créatif, quelques agents techniques, un visiteur de longue date, deux visiteurs récents, des androïdes amoureux, des androïdes en proie au doute sur leur nature, et quelques autres dont on ne sait encore s’ils vont jouer un rôle ou s’ils viennent seulement nous divertir (aux deux sens du terme)… Cela fait beaucoup de psychologies à développer et d’intrigues et sous-intrigues à rendre intéressantes, mais pourquoi pas.
Sauf que, comme le disait Macky, l’alchimie ne prend pas, parce que la série ne parvient pas à gérer tous ses personnages. Alors qu’elle parvient admirablement à accorder à tous un temps d’écran correct (au contraire d’une série géniale qui s’autorise un peu trop à oublier des personnages pendant des saisons entières), tous sont monomaniaques et paraissent avoir cinquante idées derrière la tête. Cela peut paraître paradoxal, mais avoir l’air complexe ne représente qu’un trait de caractère, en plus très limité : quand on sait d’un personnage qu’on ne le connait pas vraiment, et qu’on attend seulement qu’il nous révèle ses véritables intentions, comment s’intéresser à lui ?
Les rares personnages sortant du lot restent trop en retrait pour gagner en profondeur (Bernard) ou sont associés à des intrigues qui deviennent vite ennuyeuses (le visiteur William), ce qui permet de souligner un autre problème, qui est finalement le même : le fait que tous ces personnages appartiennent à des sphères différentes empêche les interactions ou les limite en les poussant presque à la caricature, et impose donc une quête propre à chacun. Encore une fois, la variété des motivations des personnages est impressionnante, mais leur nombre fait que plusieurs aventures prennent trèèès longtemps à devenir captivantes : la cinquantième fois que vous entendrez Ed Harris chercher le labyrinthe, que vous verrez un androïde faire un rêve, ou n’importe quel personnage mentionner le nom d’Arnold, vous chercherez l’option « avance rapide », sans parler de l’intrigue des visiteurs, auxquels nous sommes supposés nous identifier, et qui rend assez mal compte de la magie de cet univers factice.
À bien y réfléchir, Westworld aurait peut-être mieux fait d’être moins panoramique et d’enrichir certaines voies, par exemple celle des surveillants du parc, qui dans l’idée sont passionnants : comme nous, ils sont spectateurs de ce qui se passe, mais subissent la pression de devoir contenter tous les visiteurs, le travail et la souffrance des premiers étant proportionnels à la liberté des seconds, et sont contraints de ne jamais relâcher leur attention, de devoir tout voir, tout contrôler, pour s’assurer que l’expérience du visiteur ne tourne pas mal, dans une opposition qui peut aussi être formulée comme conflit de classe, les techniciens dédiant leurs efforts au confort des riches pouvant s’offrir la virée… Enfin ce n’était là qu’une suggestion personnelle, qui vient de ma frustration face aux questions élémentaires laissées sans réponse je crois par la série sur le fonctionnement-même du parc, et qui auraient donc été résolues nécessairement par un travail plus poussé sur les personnages des techniciens.
On découvre par exemple que, la nuit, ceux-ci visitent le Parc pour récupérer les androïdes défectueux ou « tués » par les visiteurs et les remettre à neuf afin que le lendemain ils puissent à nouveau suivre le même parcours. Cela me pose deux problèmes. D’une part, comment font-ils pour que jamais un visiteur n’assiste à l’opération, et que son expérience onirique ne soit pas brisée, alors qu’il est évident qu’ils peuvent profiter des nuits de Westworld pour poursuivre leurs aventures, ce qu’ils n’hésitent pas à faire. D’autre part, cette expérience n’est-elle pas brisée si un personnage accepte une longue quête, exigeant donc qu’il sache apprécier la continuité de l’univers, mais voit les androïdes, y compris ceux qu’il a déjà tués, effectuer les mêmes actions chaque jour ?
Et je ne parle même pas des difficultés essentielles que pose le principe même d’un tel parc : qu’arrive-t-il si deux humains s’affrontent, que ce soit en combat ou dans une compétition pour la même quête ? Comment satisfaire tous les visiteurs, quand il suffit que deux d’entre eux convoitent la même prostituée, le même trésor, ou se lancent un duel, pour que la partie devienne inégale. Ils vont dans le Parc pour découvrir un univers dans lequel ils sont des êtres supérieurs, l’idée des barrières posées aux androïdes pour les soumettre étant excellente dans le cadre du divertissement imposé, mais les relations de pouvoir existent toujours entre humains. Il me semble que, si ces problèmes ne sont pas envisagés par la série, c’est par faiblesse, parce que ses auteurs ne peuvent pas y répondre et ne posent donc jamais ces cas, mais si l’on se pose ces questions, il va de soi que cela peut nuire à la crédibilité de l’univers créé et ainsi à notre propre visite de Westworld…
Bien que l’on ne s’identifie pas et que les histoires ne nous tiennent pas en haleine, la série sait maintenir une certaine curiosité. Surtout à partir de l’épisode 6, où les fils narratifs les plus faibles laissent place aux événements annonciateurs du grand final, et les MacGuffin prennent consistance, suscitant enfin un agrément qui avait fini par s’éteindre. De l’absence de prise réelle du spectateur sur la série, d’implication émotionnelle, découle cependant que les gros retournements de situation ne parviennent même plus à surprendre puissamment. Rappelez-vous la première saison de Game of thrones, et les si nombreuses fois que vous restiez scotchés à votre fauteuil en vous demandant comment tel personnage allait s’en sortir ou quel secret sur tel autre allait être dévoilé… On en est loin ici.
Et la distance du spectateur renforce l’impression d’artificialité des retournements : on sent que Nolan a voulu faire du mindfuck pour le mindfuck, sans bien se demander s’il était parvenu à mettre le spectateur dans un état qu’il pourrait bouleverser. On ne se pose même plus de questions : on sait que cela pourra venir de nulle part, et à propose de n’importe quel personnage, alors on regarde en levant le coin d’un sourcil, et on continue. Il n’y a pour ma part qu’une seule révélation qui m’ait vraiment satisfait comme révélation, dont je me sois dit qu’elle était inspirée tout en étant préparée, et il a fallu que j’attende le dixième épisode pour cela…
Alors que rien n’imposait à Westworld d’être une série à rebondissements, à cliffhangers, elle cherche à l’être à tout prix, et finit par décevoir quand elle ne surprend pas. Relisez le synopsis et vous admettrez que le premier intérêt dramatique que l’on attend de Westworld est le trouble (que Nolan est si capable d’instiller) entre humanité et robotique, entretenu par les passerelles entre les deux natures et le mystère sur ce que sont réellement les personnages importants. Or cette piste est très rarement envisagée, dans une série qui préfère accorder sa confiance à la mécanique froide et implacable d’une l’action beaucoup trop découpée à la réflexion (malgré ses séquences très bavardes) et à l’approfondissement de ses personnages.
Westworld reste impressionnant à bien des niveaux, et ces critiques ne sont pas une condamnation, seulement la marque d’une déception qui ne me permet pas de m’étendre sur des qualités plus secondaires et éparses (en particulier quelques interprétations assez charismatiques, de rares fils narratifs plus intéressants, une musique de Ramin Djawadi qui ressort de temps à autre…). Je ne peux pas vous déconseiller une série qui reste remarquablement faite et imaginée, surtout quand je vois le torrent d’éloges qui s’abat sur elle de toutes parts, et je ne doute même pas que je suivrai avec intérêt les saisons suivantes. Mais, plus de quarante ans après le film Westworld, trente ans après Blade Runner, après Ex Machina et avec l’ambition de Game of Thrones, j’avais espéré que Jonathan Nolan saurait me prendre aux tripes tout en me mettant face aux contradictions de la nature humaine, et j’ai eu tort.