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Comment c’est loin, comment c’est bien

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Comment c’est loin, le vrai conte de Noël ?

Aurélien « Orelsan » Cotentin a commencé à faire parler de lui dans le milieu des années 2000 avec l’avènement d’Internet en commençant sa carrière de rap avec des clips très agressifs : « Saint-Valentin » ou « Sale Pute ». Ce dernier titre lui vaudra par ailleurs d’être traîné devant la justice pour propos sexistes.

Petit à petit, Orelsan développe un personnage de rappeur blanc ringard de campagne, jusqu’à développer un album ainsi qu’une série télévisée avec son ami Guillaume « Gringe » Tranchant sur Canal +. Kyan Khojandi, qui avait déjà réalisé « Bref. » sur la chaîne cryptée, en est l’un des co-auteurs, avec notamment Orelsan à l’écriture.

Il n’est donc pas étonnant de voir le rappeur de Caen passer derrière la caméra pour un long-métrage : Aurélien s’est occupé de la réalisation mais aussi de l’écriture des dialogues en plus du jeu de son propre personnage dans son film « Comment c’est loin » sorti le 9 décembre 2015 au cinéma.

 

 

Synopsis : Aurélien et Guillaume sont deux trentenaires flemmards et glandeurs qui survivent dans la ville de Caen. Pourtant, cinq ans plus tôt, ils ont fait parler d’eux sur une radio locale en réussissant un clash de haute qualité en direct et se sont fait repérer par deux producteurs. Depuis, ils n’ont pas réalisé un seul CD de rap ni même une chanson entière. L’intrigue commence quand les producteurs leur infligent un ultimatum de 24 heures pour les forcer à finir une chanson.

 

[divider]Une ode à la procrastination[/divider]

Jusque dans le titre, « Comment c’est loin » (référence flemmarde à l’une des chansons les plus connues du groupe IAM « Demain c’est loin ») est très explicite sur ses intentions, à savoir raconter la journée peu productive de deux glandeurs notoires. Orelsan réalise là son premier long-métrage et, le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est très satisfaisant. Sans fioritures, il conserve une même unité de temps (les 24 heures de l’ultimatum de la création de la chanson) et de lieu (l’action se passe dans Caen et sa banlieue) sur tout le film.

Après son album « Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowteurs » et sa mini-série « Bloqués », il étend ici son univers de banlieusard normand paumé pour le grand écran.

 

Comment c'est loin Caen

 

Difficile de ne pas s’identifier aux deux antihéros lorsqu’on a été étudiant ! À l’instar d’une rédaction, d’un devoir, d’un mémoire ou d’une thèse, Orelsan et Gringe vont évidemment repousser la création de leur son jusqu’aux dernières minutes de la deadline, utilisant les premières heures de la journée à ne… rien faire, abusant de la procrastination, mais de façon très drôle. Si vous avez apprécié l’album ou la série de Canal +, vous ne pourrez pas rester insensible au quotidien des deux personnages. Et vous passerez sans doute un bon moment, même sans aimer particulièrement cet univers de losers. Peu avare de punchlines, les dialogues d’Orelsan font mouche dans ce film et à la différence des deux compères bloqués dans leur abribus, on ne s’ennuie pas dans ce film.

 

[divider]Mais qui est venu en premier, le CD ou le film ?[/divider]

Sans doute l’un des principaux problèmes de ce film finalement : et si cette réalisation n’était qu’un coup de pub pour les chansons des Casseurs Flowteurs ? Après vision de ce long-métrage, la sensation de connexion avec le premier CD d’Orelsan et Gringe est bien trop forte. C’est simple, on peut relier n’importe quelle chanson de l’album avec l’un des passages du film, jusqu’à en donner une impression de nausée voire même de prendre les fans pour des idiots tellement certains clins d’œil sont évidents. Les chansons « Les putes et moi » ou « Deux connards dans un abribus » sont carrément des scènes entières du film, tandis qu’on peut noter une quantité astronomique de références à « Fais les backs », « Regarde comme il fait beau (dehors) » ou « Change de pote ». Pire encore, la référence peu subtile à « La mort du disque » est très moyenne voire fortement évitable tant elle n’apporte rien à l’intrigue.

 

 

De plus, la BO du film est le deuxième album des Casseurs Flowteurs qui possède un ton un peu moins léger que leur premier album. Orelsan et Gringe continuent donc de développer leur univers mais sont tout de même davantage travailleurs que leurs personnages puisqu’il y a peu de réutilisations de punchlines de leur premier album dans ce film. Pour en revenir aux prostituées et à l’abribus, Orelsan a eu l’honnêteté d’écrire des textes et arguments nouveaux pour les scènes du film. Le clin d’œil est gros, certes, (Orelsan en va même jusqu’à introduire la même instru que son album pour la scène de l’abribus) mais on se plaît à découvrir les nouveaux dialogues et blagues. Et c’est sans doute là que réside la force du film : le talent certain de Orelsan pour l’écriture. Même si il donne l’impression de ne pas forcer en jouant son propre personnage, les dialogues sont cohérents, bien écrit et plausibles pour des jeunes de banlieue. Quant à l’humour, même si l’on apprécie pas Guillaume et Aurélien, force est de constater qu’il est présent et qu’il se veut bien plus subtil que les blagues de cul ou les connotations sexistes.

 

[divider]Un film de potes avec des potes[/divider]

« Comment c’est loin » a reçu un bon accueil de la presse française (et notamment de Télérama par exemple, ce qui est assez rare pour être souligné) et pour cause, on ressort de la salle de cinéma avec un petit sourire aux lèvres et une envie de rapper. Néanmoins, il possède quelques points négatifs.

Premièrement, le film a un problème avec les personnages féminins. On ne va pas se mentir, Orelsan n’a jamais été très fin envers la gent féminine et ce n’est pas ce film qui va prouver le contraire. Comme pour « Bloqués », l’histoire est centrée sur l’amitié de deux jeunes potes masculins. Et c’est là que le bât blesse, il est difficile pour une femme de s’identifier à l’un des deux personnages féminins tant elles brillent par leur transparence. Les copines respectives de Aurélien et Guillaume n’ont que des rôles mineurs et peu intéressants tandis le personnage avec les répliques les plus intéressantes est sans doute la grand-mère d’Orelsan (jouée par sa vraie grand-mère d’ailleurs et c’est un très bon passage du film). Les deux zigotos vont traîner en soirée avec deux autres garçons et cela ne va pas relever le niveau des blagues qui sont tout de même très centrées sur les filles et le sexe.

 

 

Ainsi le film est nécessairement pour les garçons, car avec une vision masculine principalement. Ce qui est dommage car il regorge de vraies bonnes idées mais sans doute trop masculino-centré pour que ces dames apprécient pleinement le film.

Les deux antihéros ne provoquent pas beaucoup d’empathie non plus et c’est sans aucun doute un parti pris de l’écriture tant leur comportement est parfois totalement stupide et irresponsable. Pas de victimisation néanmoins et Guillaume et Aurélien parviennent à jouer de façon assez juste pour qu’on porte finalement un regard assez bienveillant sur leurs bourdes et maladresses. De plus, ils jouent leur propre personnage et même si l’on sait que ce n’est pas une réelle autobiographie, on a forcément quelques a priori sur eux à la fin de la projection.

Enfin, tout le film est vécu par deux grands gamins de notre génération des années 90 et 2000. On ne compte plus toutes les références aux jeux vidéos, sorties, films et blagues sur des sujets que nos parents auraient sans doute du mal à comprendre. Et à nous comprendre aussi. C’est d’ailleurs le thème principal d’Orelsan dans ces chansons, à savoir le mal-être évident des jeunes d’aujourd’hui dans cette société hyper-connectée qui ne sait plus où donner de la tête ni quoi faire de leurs vies. Le clash générationnel se résume très bien par la tension entre Aurélien et son père avec des disputes et conversations que l’on a pu également avoir avec nos parents.

 

Aurélien Cotentin n’a pas écrit le film tout seul, il a pour cela été bien aidé par des professionnels comme Christophe Offenstein et la scénariste Stéphanie Murat et le résultat est très convaincant. Le rythme du film est bon et l’heure et demie passe très rapidement. Même si les dialogues peuvent paraître parfois longuets, le film ne se perd pas en longueurs comme c’est le cas souvent avec les films français et la fin est nette et efficace, sans épilogue interminable. L’intrigue est bien menée également sans les stéréotypes classiques et c’est aussi un très bon point.

Autre point très positif : les personnages secondaires très bien développés. Difficile de ne pas tomber sous le charme de Paul Minthe, tout simplement incroyable et qui rappelle très facilement Daniel Prévost dans le dîner de cons. Bouteille et Claude sont également très attachants et apportent une grande fraîcheur au film.

Guillaume et Aurélien portent un regard attendri sur Caen et sa banlieue, ayant vécu là-bas, ils ne ringardisent pas la ville normande ni ne l’embellissement particulièrement, le cadre reste donc très agréable. La bande-son a été gérée par le producteur de Orelsan : Skread, qui a réussi à faire de ce film une comédie semi-musicale avec notamment la présence de Akhenaton du groupe IAM dans l’introduction du film.

 

En résumé, les Casseurs Flowteurs ont réussi leur pari de film « de potes ». Idée de film qui a été proposée à Orelsan après la sortie de leur premier album. Le film est donc une extension directe de Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowteurs et les deux amis ne s’en cachent pas en réalisant là un long-métrage efficace avec leurs amis puisqu’il y a en fait très peu d’acteurs professionnels. La création de ce film n’a pas donc été fait seulement pour créer le buzz et si ça avait été le cas, le timing aurait été très mal choisi étant donné que Star Wars sortait une semaine plus tard. Même si le film paraît assez triste dans l’ensemble, la fin reste optimiste et enjouée. Vous savez quel cadeau faire pour Noël maintenant (mais pas à votre copine).

 

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