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Le déclic artistique : la Cène

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Et si la Cène avait été une des premières LAN du monde ?

 

Et si les œuvres d’art telles que nous les connaissons aujourd’hui avaient été réalisées à notre époque ? Et si Leonard de Vinci, Michel-Ange, Picasso, van Gogh, Dalí, Delacroix, Manet, ou même les hommes de Lascaux, avaient été des hommes de notre temps, internautes plus ou moins aguerris, et consommateurs avertis de technologies ?

C’est en partant de ce postulat que Cleek vous propose, au travers de cette nouvelle petite série d’articles, de découvrir ou de redécouvrir certaines œuvres majeures de l’histoire de l’art passées à la moulinette de notre culture pop et geek. Une interprétation résolument moderne (pour ne pas dire décalée) viendra donc servir le propos d’une analyse plus technique, pour appréhender d’un nouvel œil la discipline souvent mal-aimée qu’est l’histoire de l’art.

Nous l’avions délaissé le temps d’un clic et d’un déclic, mais nous y revenons car il est bien évidemment incontournable, au point d’être un des noms majeurs de l’histoire de l’art : Léonard de Vinci. Nous l’avions laissé avec un selfie des plus célèbres, mais notre geek italien de la Renaissance n’est pas connu que pour cela. C’est en effet pour sa représentation d’un repas pas comme les autres que nous le retrouvons aujourd’hui, et plus précisémment pour la Cène.

 

[divider]Commence pas à me faire une Cène ![/divider]

 

Plus que l’illustration d’une scène biblique, la Cène ressemble à s’y méprendre à l’une des premières finales de LCS de l’histoire.

 

L’Ultima Cena – Leonardo da Vinci, 1498, techniques mixtes, 460x880cm, Milan

 

Vous connaissez déjà le compte Instagram du petit Léonard, qui est donc réputé pour ses publications régulières. Non content de photographier des visages, de ses potes ou non, Leonard de Vinci aime aussi immortaliser sur le net et sur les écrans les rassemblements. C’est ainsi que dans les années 1995 – à quelques 500 ans près (on n’est plus à ça près), il diffuse sur ses réseaux sociaux l’image d’une soirée mettant en cène et en scène une douzaine de personnes. Cette image sera longtemps considérée comme étant LE chef d’œuvre majeur de l’internaute, et un chef d’œuvre tout court.

Pourquoi une telle popularité, me direz-vous, alors qu’il s’agit a priori d’illustres inconnus ? Déjà pour ces illustres pas si inconnus que ça. Ils sont treize, ils sont beaux, ils sont jeunes, ils ne sont pas les Anges de la Téléréalité, mais leur vie est presque autant célébrée : personnages de la Bible, certes, mais personnages iconiques avant tout, les douze Apôtres accompagnés de Jésus sont ici les héros de notre cène et de notre scène (On ne s’en lasse pas de cette blague… Comment ça, si ?). Dire des Apôtres et de Jésus qu’ils sont des personnages iconiques n’est pas forcément illégitime, puisque leur nom est automatiquement associé à un visage, à un (voire plusieurs) emblème, et à des compétences ou spécialisations spécifiques. Qui plus est, ces personnages de la scène publique, dont on connaît la vie et les péripéties, sont récurrents, et leurs aventures et leurs combats (car il y a toujours une forme d’affrontement, d’une façon ou d’une autre, quand il s’agit de ces personnages) sont similaires mais jamais identiques.

À l’image de joueurs d’un MOBA et de leur personnage fétiche.

 

Ca discute méta tank et composition – Étude, sanguine sur papier

 

Et si les apôtres Pierre ou Mathieu étaient les YellOwStaR ou Bjergsen de l’époque de Léonard de Vinci ? Et si Jésus, joueur phare de l’époque, était notamment connu pour avoir donné le premier First Blood, et pour avoir fait le premier respawn de l’histoire du MOBA ? Et si la trahison de Judas avait été le premier cas de triche lié aux coachs ? Mais surtout, peut-on parler de LAN, donc, puisque nos joueurs bibliques sont tous réunis pour disputer une partie ?

Cette image ne serait donc que l’illustration d’une des très nombreuses parties qui se jouent lors de LAN. Les scènes de cène sont en effet très nombreuses, et reprennent toujours les mêmes ingrédients, sans pour autant être un copier-coller pur et dur. À chaque réécriture sa facture, son unicité et souvent sa nouveauté : comme pour une partie de MOBA, la composition de l’équipe ne change pas, mais les stratégies ne sont pas les mêmes, et il s’agit se surprendre l’autre dans son exécution pour être le meilleur.

 

 

 Cenacolo, respectivement d’Andrea Del Sarto, 1520-25, fresque, 525x871cm, Florence, et Domenico Ghirlandaio, 1480, fresque, 400x880cm, Florence

 

Des LAN, il y en a énormément, et Léonard de Vinci n’est certes pas le premier à en offrir une représentation : si la sienne est certainement la plus célèbre, Domenico Ghirlandaio proposait aussi la même idée une quinzaine d’années auparavant sur son propre mur. Pourquoi la version de Léonard de Vinci a-t-elle plus marqué les esprits que les autres ? Ce n’est pas pour son contenu en tant que tel, puisque nous l’avons vu, la partie n’est en soi guère plus passionnante que les autres,  mais c’est bien pour sa qualité. En effet, la Cène de Léonard de Vinci préfigure un peu l’ancêtre du fond vert tel qu’on peut le voir (ou non, justement) désormais.

Processus déjà initié par ses prédécesseurs comme Ghirlandaio, la perspective est ici exploitée jusqu’à ses limites pour faire office de trompe-l’œil. À l’image de la projection que l’on fait sur le fond vert pour immédiatement resituer la personne devant, Léonard de Vinci décide de prolonger la salle où se déroule la LAN grâce à la sacro-sainte perspective : celle-ci est dessinée et soulignée par les innombrables lignes architecturales de la salle fictive (caissons au plafond, colonnades sur les côtés…). Notons que la table des joueurs se trouve légèrement en avant du commencement de la colonnade à droite, ce qui accentue l’effet trompe-l’œil, puisque la table semble située devant le fond.

 

Fin de LAN pour Jésus et ses amis – Couvent Santa Maria delle Grazie, Milan

 

Là où la Cène de Léonard de Vinci se distingue, c’est sur la mise en scène des joueurs. En effet, là où les principales scènes compétitives n’autorisaient pas à ce que les coachs restent auprès des joueurs, Léonard décide de capturer le moment où Judas, notre coach traître dont nous parlions tout à l’heure, se mêle à son équipe. Tous les joueurs sont en mouvement, malgré la rigidité apparente et géométrique de leur disposition, discutant très probablement de la composition la plus pertinente dans une méta en pleine évolution et de la game qui a été jouée un peu plus tôt dans la journée.

Plusieurs campagnes de retouche Photoshop, nécessaires suite à l’accroissement des pixels défectueux, vont altérer l’image et vont poser la question éthique de la retouche photo : à quel point l’œuvre reste-elle celle de Léonard de Vinci ?

Pour ce qui est des questions sérieuses, une autre se pose à nous : qu’en est-il des ordinateurs, me direz-vous, puisqu’il s’agit d’une scène de LAN ? On peut supposer que le matériel est déja reparti, et qu’il s’agit ici de la clotûre de la LAN.

De la LAN à la finale sur scène d’un championnat mondial de jeu vidéo, il n’y a qu’un pas. Des gens alignés le long d’une table devant un fond, ça ne vous dit rien ? Nous, si.

 

La Cène, la vraie

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