Et si Mona Lisa avait été un Selfie ?
Et si les œuvres d’art telles que nous les connaissons aujourd’hui avaient été réalisées à notre époque ? Et si Leonard de Vinci, Michel-Ange, Picasso, van Gogh, Dalí, Delacroix, Manet, ou même les hommes de Lascaux, avaient été des hommes de notre temps, internautes plus ou moins aguerris, et consommateurs avertis de technologies ?
C’est en partant de ce postulat que Cleek vous propose, au travers de cette nouvelle petite série, de découvrir ou redécouvrir certaines œuvres majeures de l’histoire de l’art passées à la moulinette de notre culture pop et geek. Une interprétation résolument moderne (pour ne pas dire décalée) viendra donc servir le propos d’une analyse plus technique, pour appréhender d’un nouvel œil cette discipline souvent mal-aimée qu’est l’histoire de l’art.
Vous le constaterez, cette série ne prétend pas faire une rétrospective exhaustive de l’histoire de l’art, et c’est pour cela que nous plongerons directement au cœur de la Renaissance, et plus précisément au tout début du XVIe siècle, en compagnie d’une (plus si jeune) femme qui a fait tourner plus d’une tête : Mona Lisa.
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La Mona Lisa de Léonard de Vinci, c’est un peu LE selfie par excellence du XVIe siècle.
La première question que l’on peut se poser est la suivante : Léonard était donc une femme ? Non, Léonard était bien un homme (qu’il aime ou non se déguiser en femme à ses heures perdues ou pour aller en boîte ne nous regarde pas) et il est admis que ce selfie est celui de la copine d’une connaissance de Léonard, Lisa Gherardini, dont on suppose qu’elle lui a subtilisé brièvement le téléphone pour se photographier avant de le glisser de nouveau dans son sac. Mais revenons à notre Selfie, et voyons ce qui en fait une œuvre de premier plan de l’histoire de l’art geek.
Publié entre 2003 et 2005 (on ne va pas chipoter pour quelques 500 ans près) sur le compte Twitter d’un jeune italien du nom de Leonardo di ser Piero da Vinci (mais plus connu sur les sites fr sous le nom de Léonard de Vinci), ce selfie n’est cependant pas le premier du genre. En effet, il faut garder en tête que le selfie existe déjà depuis quelques années, et qu’il s’impose de plus en plus sur le net. S’il fallut attendre 2002 pour que le mot « selfie » soit attesté sur le net (et 2016, donc soon™, dans les dictionnaires Larousse), le principe de se photographier soi-même par différents subterfuges et stratagèmes remonte au tout début du XXe siècle. Est-il utile de préciser que la représentation du visage humain, sous la forme du portrait, remonte aussi loin que remonte l’art ? Se représenter soi-même est peut-être un peu moins ancien, mais tout aussi prolifique. On pourrait notamment citer les célèbres selfies de Rembrandt, van Gogh, ou même celui plus subtil de Velázquez dans ce selfie-ception qui mériterait une explication à lui tout seul.
Le selfie de Leonard aurait donc pu passer inaperçu, noyé dans la masse twitterienne et facebookienne qui brasse chaque jour bon nombre de selfies. Selfie de profil, selfie de face, selfie de trois-quarts, selfie de seins ou de fesses, à l’huile ou au pastel, vous l’aurez compris, les selfies ne manquent pas. Et pourtant ce selfie allait devenir un des selfies les plus connus de son époque, voire de tous les temps, au point que des bus entiers de touristes chinois (entre autres) viennent à Paris spécialement pour le photographier à leur tour. En quoi ce selfie de Mona Lisa s’illustre-t-il donc ?
Commençons par ce qui fâche : la Mona Lisa déçoit par sa taille. Contrairement à ce que l’on pense couramment, ce selfie a des dimensions relativement réduites. Pour en conserver une qualité satisfaisante et qu’il ne pixelise pas trop, n’espérez pas le regarder sur un écran de plus de 37″, avec ses quelques 77cm de hauteur sur 53cm de largeur (et pensez à incliner la tête sur le côté). Pour autant, ce selfie a su s’imposer par ses autres caractéristiques techniques qui compensent, voire surpassent cette petite faiblesse. On constate en effet le choix d’un jeu sur la profondeur de champ, le paysage au fond du selfie paraissant flou, comme s’il disparaissait avec la distance : Léonard a obtenu cet effet en travaillant sur divers réglages, aujourd’hui regroupés et fixés dans un mode connu sous le nom de « perspective atmosphérique », mode dont l’italien était particulièrement friand, et que l’on retrouve donc de façon impressionnante sur son compte Instagram. En multipliant les couches très fines (photographiques ici, mais de peinture à l’huile si la Mona Lisa avait été un tableau), la couleur du décor finit par se fondre avec la couleur du ciel, et plus précisément de l’atmosphère, pour fusionner avec cette atmosphère, donnant ainsi cet effet de profondeur.
À cela s’ajoute un autre choix qui distingue particulièrement Léonard des autres internautes et utilisateurs d’Instagram : l’utilisation du filtre #sfumato. À une époque de suprématie du #nofilter, ce choix osé va notamment se traduire par ce qui sera considéré comme la marque de fabrique de Mona Lisa et de son selfie : son sourire. En effet, pas de duckface donc (ce terme n’est par ailleurs réellement attesté qu’à partir de 2009), mais un filtre (le sfumato, donc) qui atténue les contours et qui rend donc le sourire de la Mona Lisa des plus énigmatiques : pas de délimitation franche du sourire, mais juste ce petit début de sourire. Les lèvres semblent légèrement remontées grâce à cette imprécision (ne parlons pas de flou) volontaire qui repose une fois encore sur une superposition de couches très fines de couleurs transparentes (ou glacis), qui donne cet effet vaporeux.
Pas de duckface, pas de Resting Bitch Face, et pas de perche à selfie non plus : le brevet de cet outil qui allait révolutionner les réseaux sociaux venait tout juste d’être déposé, c’est donc la bonne vieille technique du téléphone devant le miroir et du retardataire qui a été choisi par la jeune femme.
Enfin, pour les fins spécialistes, inutile de crier au filtre Lord Kelvin. Sachez que le selfie de base ne contenait pas d’autres artifices que ceux cités un peu plus haut, et proposait des couleurs d’une gamme plus traditionnelle (à savoir moins jaunes, semblables à ce que l’on voit dans la vraie vie). Mais lors d’un changement de serveurs chez Instagram, toutes les images datant d’un certain nombre d’années se sont vues automatiquement attribué un filtre jaunissant, connu sous le nom de « Effets jaunissants du temps sur le vernis ». Des spécialistes ont bien évidemment tenté de le retirer, mais outre la question d’ordre éthique (« L’œuvre n’est-elle pas devenue une œuvre en l’état qu’elle est désormais ? Ne serait-ce pas la priver de ce qui fait désormais d’elle l’œuvre qu’elle est ? » – vous avez quatre heures, pour ceux que le bac philo n’a pas contentés), la difficulté technique est de taille : comment s’assurer de la couleur d’origine sans endommager le selfie ? Voilà cependant à quoi ressemblerait à priori le selfie de la Mona Lisa le jour de sa publication sur le net, avant l’ajout du filtre #Effetsjaunissantsdutempssurlevernis :
Mais Internet est un univers impitoyable, à l’image de Dallas, et poster un selfie de soi, c’est toujours s’exposer à un risque. Mona Lisa en a fait l’expérience, puisque des internautes plus ou moins mal intentionnés n’ont pas hésité à répondre à ce selfie. On peut notamment citer le tweet de Marcel Duchamp, un jeune français naturalisé américain, qui aurait pu faire réagir au quart de tour les associations féministes comme Ni putes Ni soumises si celles-ci avaient su comprendre le message plus ou moins subtil disséminé par l’internaute. Voici donc la parodie à laquelle Mona Lisa a été soumise pour avoir montré un peu de son front :
Cette réécriture du selfie de Mona Lisa n’est qu’un exemple parmi tant d’autres choses qu’ont su pondre les internautes, montrant à quel point ce selfie a marqué son temps, mais aussi le nôtre. À bientôt pour un nouveau déclic !
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